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La mobilité sociale descendante : l'épreuve du déclassement

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Academic year: 2021

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HAL Id: pastel-00003938

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Submitted on 3 Jul 2008

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La mobilité sociale descendante : l’épreuve du

déclassement

Camille Peugny

To cite this version:

Camille Peugny. La mobilité sociale descendante : l’épreuve du déclassement. Sciences de l’Homme et Société. ENSAE ParisTech, 2007. Français. �pastel-00003938�

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Institut d’Etudes Politiques de Paris

Programme doctoral : Analyse sociologique du changement

ECOLE DOCTORALE DE SCIENCES PO

Observatoire sociologique du changement (FNSP-CNRS UMR 7049)

Doctorat de Sociologie

LA MOBILITÉ SOCIALE DESCENDANTE.

L’ÉPREUVE DU DÉCLASSEMENT

Camille Peugny

Thèse dirigée par Alain Chenu, Professeur des Universités à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris

Soutenue le 23 novembre 2007

Jury

- Stéphane Beaud, Professeur des Universités à l’Ecole Normale Supérieure, rapporteur - Louis Chauvel, Professeur des Universités à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris - Alain Chenu, Professeur des Universités à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris

- François Dubet, Professeur des Universités à l’Université de Bordeaux 2, Directeur d’études à l’EHESS

- Nonna Mayer, Directrice de recherches CNRS au CEVIPOF

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Remerciements

Au moment de présenter cette thèse, je voudrais remercier Alain Chenu qui a accepté de diriger mon travail. Son soutien, ses remarques et ses conseils judicieux m’ont permis d’orienter cette analyse du déclassement social dans des directions que je n’avais pas entrevues.

Au Laboratoire de Sociologie Quantitative (CREST), les doctorants bénéficient d’un confort matériel appréciable et d’un cadre intellectuel stimulant pour apprendre le métier de sociologue. Je remercie particulièrement son directeur, Yannick Lemel, pour son écoute et ses conseils, ainsi que la secrétaire du laboratoire, Chantal Masson, pour sa disponibilité. Toujours au LSQ, mes remerciements vont aussi à Louis-André Vallet, mon tuteur-correspondant, dont les conseils bibliographiques et les compétences statistiques m’auront été indispensables, ainsi qu’à Philippe Coulangeon pour ses encouragements nombreux. Enfin, merci à Anne-Sophie Cousteaux, Laurent Lesnard, Claire Letroublon, Mirna Safi et à tous les doctorants du laboratoire, passés et présents, qui forment une belle équipe et qui auront accompagné de leur chaleur ce parcours de thèse.

Par ailleurs, depuis les cours suivis dans le cadre de son Master, l’insertion au sein de l’Observatoire Sociologique du Changement à Sciences-po m’a offert un soutien inestimable. De multiples discussions avec les chercheurs ont permis d’améliorer ce travail : que tous en soient ici remerciés, ainsi que Danielle Herlido pour sa disponibilité.

Il n’est pas forcément aisé, pour un sociologue « généraliste », de se plonger dans les affres de la sociologie politique. Sans les conseils avisés de Vincent Tiberj, chercheur au Cevipof, et sans son patient travail de présentation des données du Panel électoral français, le dernier chapitre de cette thèse n’existerait pas.

Je voudrais également remercier la MiRe, et tout particulièrement Sandrine Dauphin, qui m’y a accueilli au début de ce travail et dont le suivi dans le cadre d’une convention de recherche aura été précieux.

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La thèse est une épreuve de longue haleine qui serait bien aride sans le soutien des proches – famille et amis – que je remercie chaleureusement. Quant à la patience de ma compagne, et au réconfort qu’elle m’a apporté dans les moments de doute, ils sont inestimables : merci Anne.

(6)

Table des matières

Introduction 1

I

Le déclassement social, un risque accru

19

1

Définir et mesurer la mobilité sociale

23

1.1 La mobilité sociale, un concept qui émerge avec la société industrielle 24 1.1.1 Chez Marx, la mobilité sociale est transitoire dans la société capitaliste 25 1.1.2 Chez Weber, la mobilité sociale est une condition d’existence des

classes sociales 28

1.2 Comment représenter la structure sociale ? 33

1.2.1 Les approches continues de la stratification sociale 37

1.2.2 Le renouveau des approches classistes 41

1.2.3 « Fin des classes » ou « retour des classes sociales » ? 50

1.3 Comment mesurer la mobilité sociale ? 61

1.3.1 Introduire une mesure par âges et par cohortes 62

1.3.2 Concilier mesures continue et catégorielle 66

2

Les générations nées au tournant des années 1960 face à la

dégradation des perspectives de mobilité sociale

73

2.1 La structuration générationnelle de la hiérarchie sociale 76

2.1.1 Une histoire en trois temps 77

(7)

2.1.3 Le vieillissement du sommet de la structure sociale 87

2.2 La dégradation des perspectives de mobilité sociale 93

2.2.1 Une dégradation généralisée aux fils et filles de toutes les origines

sociales 94

2.2.2 Un mouvement global de moins en moins positif 98

2.2.3 Depuis le bas de la structure sociale, des trajectoires ascendantes plus

difficiles 105

2.2.4 Depuis le haut de la structure sociale, des trajectoires descendantes

plus nombreuses 109

2.3 Déclin de la mobilité structurelle et crise économique 111

2.3.1 L’élévation des origines sociales 113

2.3.2 Une dynamique de la structure sociale moins favorable 114 2.3.3 L’effet de la crise économique : des conditions d’entrée sur le marché

du travail déterminantes 116

II Les déterminants du déclassement social

123

3

Les déterminants du déclassement objectif

127

3.1 Les déterminants du statut social 128

3.1.1 Quelques précisions méthodologiques 129

3.1.2 Un avantage qui persiste pour les individus nés dans les années 1940 132

3.1.3 Vers une société moins méritocratique ? 134

3.2 Les déterminants du déclassement social 141

3.2.1 Une origine « cadre » fragile 143

3.2.2 Le diplôme, premier rempart contre le déclassement 153

(8)

3.3 Déclassement intergénérationnel et déclassement scolaire 161

3.3.1 Des ouvriers et employés plus souvent qualifiés… 161

3.3.2 … car plus souvent diplômés 165

4 Les déterminants du déclassement subjectif

169

4.1 Dimensions objective et subjective de la mobilité professionnelle

intergénérationnelle : un hiatus important 172

4.1.1 Deux dimensions qui ne concordent que dans la moitié des cas 173 4.1.2 Une illustration : les individus ayant aussi bien réussi que leur père 175 4.1.3 Une tendance à l’optimisme qui concerne surtout les hommes 179

4.2 Les déterminants de la mobilité subjective 182

4.2.1 Le poids des caractéristiques objectives 185

4.2.2 Le poids de la biographie professionnelle 188

4.2.3 Le poids de la lignée 189

4.3 Les déterminants du sentiment de déclassement 190

4.3.1 Le poids du titre scolaire 190

4.3.2 Déclassements objectif et subjectif 193

4.3.3 Le cas des enfants de cadre objectivement déclassés 195

5 Les pères cadres, une génération duale

199

5.1 Les mutations récentes d’un groupe en expansion 200

5.1.1 L’expansion numérique 200

5.1.2 Une catégorie sociale très hétérogène 203

5.2 Cadres « populaires ascendants » et « héritiers » 205

5.2.1 Cadres diplômés du supérieur et cadres « autodidactes », deux profils

distincts 205

(9)

5.2.3 Esquisse d’une typologie 210 5.3 Les enfants de cadre : une augmentation généralisée des risques de mobilité

descendante 212

III

Expérience subjective et conséquences politiques du

déclassement social

217

6

Interroger l’expérience et les conséquences du déclassement social 221

6.1 Les deux grilles de lecture des conséquences individuelles de la mobilité

ascendante 222

6.1.1 L’hypothèse de la dissociation : les différents aspects d’une « névrose

de classe » 222

6.1.2 L’hypothèse de l’acculturation 232

6.2 L’expérience de la mobilité descendante : vers une analyse en termes de

frustration relative 235

6.2.1 Une analyse en termes de dissociation difficilement mobilisable 236 6.2.2 Un cadre théorique plus pragmatique : l’apport de Robert Merton 244

7 Deux types d’expérience du déclassement social

251

7.1 Se comparer à ses ascendants : l’espace de la négociation 255

7.1.1 De la réussite professionnelle à la réussite sociale 255

7.1.2 Une approche subjective davantage biographique 265

7.1.3 Une moindre réussite sociale 268

7.2 Le destin générationnel : la mobilisation d’une identité collective 271

7.2.1 Un discours « sociologique » sur la société 272

(10)

7.2.3 Des relations décrispées entre les générations 280

7.3 L’échec personnel : remises en cause et déstabilisation 283

7.3.1 Un parcours scolaire vécu comme un échec 284

7.3.2 Comment trouver sa place dans la cellule familiale ? 287

7.3.3 La tentation du repli sur soi 289

7.4 Esquisse d’une première typologie 292

8 Les conséquences politiques de la mobilité descendante

297

8.1 Les conséquences politiques de la mobilité sociale 299

8.1.1 Le cadre théorique « psychologique » 300

8.1.2 Les explications en termes d’acculturation politique 303

8.1.3 Un progrès récent : la modélisation diagonale 304

8.1.4 Deux caractéristiques de la littérature française 305

8.2 Données et méthode 307

8.2.1 Echelles d’attitude et modèles statistiques 308

8.2.2 Construire un indicateur de mobilité sociale 310

8.3 Ethnocentrisme et autoritarisme 317

8.3.1 Un effet « position » 317

8.3.2 Le retour aux « valeurs » 321

8.3.3 Un racisme « soft » 322

8.4 Une recomposition originale du discours économique et social 326

8.4.1 Une hostilité au libéralisme économique 326

(11)

8.4.3 Les ressorts d’une recomposition 330

8.5 Un attrait relatif pour l’extrême droite ? 338

8.5.1 Un effet de la frustration relative ? 346

8.5.2 Un effet de la recomposition du discours économique et social ? 348

Conclusion 351

Annexes

367

A La mesure continue de la mobilité sociale 368

B La mesure catégorielle de la mobilité sociale 377

C Les déterminants du statut social 379

D Recueil du matériau qualitatif 385

E Les conséquences politiques de la mobilité descendante 392

Bibliographie

397

Liste des figures

415

(12)
(13)
(14)

Au lendemain de la seconde guerre mondiale, les Trente glorieuses offrent aux sociétés occidentales trois décennies d’une croissance économique soutenue, régulière et d’une ampleur inégalée. Cette « révolution invisible » (Fourastié, 1979) se traduit en France par un bouleversement profond de la structure sociale : associée à la diffusion massive du salariat moyen et supérieur au sein de la population active, l’élévation sensible du niveau de vie moyen amène les sociologues à décrire une société en voie de « moyennisation », mue par un puissant mouvement d’aspiration vers le haut. Sur le plan de la mobilité sociale, l’émergence d’une vaste « constellation centrale » (Mendras, 1994) favorise des chances historiques de mobilité ascendante pour des baby-boomers majoritairement issus des milieux paysan et populaire.

Les deux chocs pétroliers des années 1970 plongent progressivement la société française dans une crise économique durable. Le retour à des taux de croissance médiocres favorise l’apparition du chômage de masse et la fin du mouvement de réduction rapide des inégalités conduit la sociologie à questionner la vision d’une société « moyenne » alors même qu’apparaissent de nouvelles inégalités (Fitoussi et Rosanvallon, 1996).

Les travaux qui cherchent à dresser un panorama de ces mutations et à en analyser les conséquences individuelles et collectives, notamment en termes de cohésion sociale, forment une littérature abondante1. L’introduction de l’analyse par cohorte de naissance dans les années

1990 permet de mettre en évidence la composante générationnelle des effets de la crise économique : de nombreux travaux se penchant sur la stratification générationnelle de la

1 Deux types de travaux peuvent être distingués. Un certain nombre de travaux quantitatifs s’attachent à mesurer les

inégalités et leur évolution dans le temps. Pour des ouvrages de synthèse, citons par exemple les travaux collectifs publiés sous le pseudonyme de Louis Dirn (1990) et plus récemment sous la direction de Lagrange (2006). D’autres travaux prennent la forme de monographies qui analysent sur le terrain les conséquences de la crise économique en terme d’affaiblissement du lien social (Paugam, 1991, 2000) et de relégation, en premier lieu dans les quartiers populaires (Dubet, 1987 ; Lepoutre, 1997 ; Beaud, 2002).

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hiérarchie sociale montrent que la dégradation des perspectives économiques et sociales frappe avec une acuité particulière les générations nées dans les années 1960 (Chauvel, 1998a ; Baudelot et Establet, 2000 ; Koubi, 2003a, 2003b), à tel point que « les nouvelles générations d’actifs, si l’on excepte les périodes de guerre, sont les premières à connaître un sort moins favorable que celui de leurs propres parents » (Chauvel, 2006, p.54).

Sur le plan de la mesure de la mobilité sociale, cette approche générationnelle est importante car elle laisse entrevoir des risques accrus de mobilité sociale descendante.

Genèse d’un questionnement

Le déclassement, un thème omniprésent dans le débat médiatique et politique

De fait, les débats autour de la « panne de l’ascenseur social » et du « descenseur social » agitent régulièrement la presse : à l’occasion d’évènements précis, le thème de la « génération sacrifiée » est évoqué de manière récurrente pour tenter d’expliquer des événements politiques récents2.

La notion de « déclassement » est également omniprésente dans le débat politique : lors de la séquence électorale du printemps 2007, les deux candidats qualifiés pour le second tour de l’élection présidentielle n’avaient de cesse de décrire une France « tirée vers le bas ». Omniprésent, le thème du déclassement revêt pourtant des acceptions très différentes. Il est parfois utilisé pour décrire des risques de mobilité descendante collective : par exemple, les enseignants, victimes d’une baisse importante de leur pouvoir d’achat, confrontés à des conditions de travail difficiles et à une perte de prestige social se sentiraient « tirés vers le bas ». Mais il est également utilisé pour décrire l’expérience des catégories populaires redoutant un

2 Par exemple, au lendemain du référendum sur la Constitution européenne du 29 mai 2005, le Nouvel Observateur

s’interroge : « Faut-il brûler les baby-boomers ? » (N°2118, juin 2005) alors que Le Monde fait sa « Une » sur « ce que pensent les trentenaires » (Le Monde, juin 2005).

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décrochage soudain qui les amènerait à venir gonfler les rangs des exclus3. Enfin, dans une

troisième acception, la notion de déclassement renvoie au concept d’overeducation et décrit la situation de « tout individu dont le niveau de formation initiale dépasse celui normalement requis pour l’emploi occupé » (Nauze-Fichet et Tomasini, 2002).

Cette thèse se situe clairement dans une optique intergénérationnelle et se penche sur une autre dimension du déclassement social, celle de la mobilité sociale descendante. Le concept de mobilité sociale revêt une dimension intergénérationnelle : il s’agit bien de comparer la situation d’une génération à celle de la génération précédente, en l’occurrence la situation d’un individu à celle de ses parents. Pour des raisons d’expression et pour ne pas lasser trop souvent l’attention du lecteur, nous utiliserons indifféremment les expressions de « mobilité sociale descendante », « mobilité intergénérationnelle descendante » ou « déclassement social » dont sont victimes les « déclassés » ou les « mobiles descendants ».

La mobilité sociale descendante, un thème peu abordé par la sociologie

Cette agitation médiatique, polémique et confuse, contraste singulièrement avec la relative discrétion de la sociologie sur le sujet. En effet, peu de travaux sociologiques abordent en France et pour elle-même la question de la mobilité sociale descendante4, qu’il s’agisse de donner une

mesure précise du phénomène ou de se pencher sur son expérience ou ses conséquences. Trois raisons peuvent être évoquées pour expliquer ce silence.

3 Voir notamment l’enquête sur le « descenseur social » menée par Guibert et Mergier (2006) pour le compte de la

Fondation Jean Jaurès et dont le sous-titre est ainsi libellé : « Enquête sur les milieux populaires ».

4 L’étude du déclassement social est pourtant présente dans les travaux américains, sur le thème de la fin du « rêve

américain ». L’anthropologue Katherine Newman (1988, 1993) a notamment consacré deux ouvrages remarquables à ce phénomène.

(17)

La première, la plus évidente, tient au fait que l’augmentation de la fréquence de la mobilité sociale descendante est un phénomène récent. Si les trajectoires descendantes ont évidemment toujours existé, nous montrerons dans ce travail qu’elles ont cessé de représenter une exception et constituent au contraire un risque accru pour les générations nées au tournant des années 1960. L’enquête Formation Qualification Professionnelle (FQP) de l’Insee constituant le matériau de base à partir duquel sont dressées les tables de mobilité sociale, l’édition de 2003 permettra de faire apparaître ces générations, absentes des travaux réalisés à partir de l’enquête de 19935.

La seconde raison est inhérente à la sociologie et tient à l’évolution même du champ de recherche sur la mobilité sociale qui conduit la plupart des travaux contemporains à occulter la question du sens des mouvements intergénérationnels.

Depuis la première enquête empirique réalisée en Grande-Bretagne par David Glass (1954), l’étude de la mobilité sociale est probablement l’un des champs de la sociologie qui a connu les évolutions les plus importantes au cours des dernières décennies (Breen et Jonsson, 2005 ; Hout et DiPrete, 2006), tant du point de vue des méthodes que de celui des résultats et des concepts. Alors qu’une première génération de travaux, dans les années 1950, met l’accent sur la mesure du sens des trajectoires intergénérationnelles à partir de tables de mobilité croisant simplement l’origine et la destination sociales, une seconde génération introduit dans les années 1960 la méthode de la régression qui permet de faire intervenir d’autres variables (Duncan et Hodge, 1963). La destination devient la variable dépendante, l’origine figurant au rang de variables explicatives parmi d’autres. Ces techniques permettent notamment d’introduire le niveau d’éducation comme constituant une part importante du lien entre origine et position sociales. La relation entre origine et position n’est plus traitée simplement en termes de « mobilité » : la

5 Il est d’usage d’exclure les individus âgés de moins de 35 ans des tables de mobilité sociale, la situation

professionnelle avant cet âge n’étant pas définitivement figée. Dès lors, les plus jeunes des individus pris en compte dans les analyses élaborées à partir de FQP 1993 étaient nés en 1958.

(18)

position sociale est considérée comme le résultat d’un processus d’acquisition du statut (status

attainment) dans lequel l’éducation joue un rôle central (Blau et Duncan, 1967).

Enfin, l’introduction de modèles log-linéaires dans les années 1970 permet à l’analyse de franchir un nouveau pas (Hauser et al., 1975) : en distinguant taux absolus et taux nets de mobilité, cette troisième génération de travaux permet de comparer les régimes de mobilité sociale corrigés de l’évolution de la structure, dans le temps et entre les pays. L’opposition traditionnelle entre mobilité nette et mobilité structurelle est progressivement supplantée par la distinction entre mobilité observée et fluidité sociale, cette dernière étant définie comme le lien intrinsèque existant entre l’origine sociale et la position des individus dans une société donnée. L’idée sous-jacente est que pour comparer les régimes de mobilité sociale de différents pays ou d’un même pays à différents moments de son histoire, il faut corriger la mobilité observée des variations des marges des tables de mobilité, c’est à dire des variations du poids des différentes catégories sociales dans la population.

L’introduction du concept de fluidité sociale constitue un tournant dans la mesure où la majorité des travaux internationaux vont désormais se consacrer à la recherche de techniques statistiques toujours plus puissantes afin de donner la mesure la plus précise possible de cette partie « pure » de la mobilité sociale. Comparant la fluidité sociale dans différentes pays, Featherman et al., (1975) formulent l’hypothèse dite « FJH » d’invariance de la fluidité sociale : toutes les sociétés industrielles connaîtraient un degré de fluidité sociale sensiblement identique, les variations quantitatives dans les flux de mobilités étant imputables aux seuls bouleversements de la structure sociale. Goldthorpe et Erikson (1992) se penchent quant à eux sur la comparaison diachronique et concluent à l’invariance temporelle de la fluidité sociale. Dans cette lignée, la grande majorité des travaux valident l’hypothèse d’invariance internationale et temporelle de la fluidité sociale. Si la mesure de la fluidité sociale est fondamentale, elle conduit trop souvent à laisser dans l’ombre le sens des trajectoires intergénérationnelles. Au-delà de la mesure de l’intensité du lien intrinsèque entre origine et position sociales des individus, la mesure de la part respective des flux

(19)

de mobilité ascendante et descendante offre un point de vue complémentaire et nécessaire à la compréhension des mouvements qui animent les sociétés contemporaines. Théoriquement, il est possible de concevoir deux sociétés dans lesquelles le degré de fluidité sociale est identique mais le sens des trajectoires opposé : dans l’une, la majorité des individus mobiles montent dans la hiérarchie sociale, dans l’autre ils descendent. On reconnaîtra volontiers que du point de vue du changement social, du devenir des sociétés comme de celui de l’expérience individuelle, les situations sont radicalement différentes. De même, dans un travail de référence, Vallet (1999) étudie l’évolution de la mobilité sociale en France entre 1953 et 1993 et montre que la fluidité sociale a augmenté légèrement mais régulièrement de 0,5% par an pendant quarante ans. Cette lente diminution de l’hérédité sociale se traduit-elle par davantage de mobilité ascendante ou fait-elle gonfler les rangs des individus confrontés à la mobilité descendante ?

En réalité, la démarche longitudinale ne peut pas faire l’économie de l’analyse de l’évolution du sens des mouvements intergénérationnels, tant ses implications sociologiques sont importantes. Ainsi, dans le cas des Etats-Unis, Hout (1988) montre que si la part d’individus mobiles reste stable entre le début des années 1970 et le début des années 1980, la part des mobiles ascendants diminue sensiblement au profit de celle des mobiles descendants, de sorte qu’à quinze années d’intervalle, la société américaine est engagée dans deux dynamiques différentes.

C’est pour ces raisons que la question de l’évolution des flux de mobilité ascendante et descendante figure au cœur même de ce travail. Par ailleurs, dans une thèse qui pose la question de l’expérience individuelle et des conséquences collectives de la mobilité descendante, le point de vue de la mobilité observée sera assumé. En focalisant son attention sur les taux nets de mobilité, la littérature des dernières décennies semble en effet considérer que seule une mobilité « pure » corrigée des évolutions structurelles serait digne d’intérêt. Si la distinction entre fluidité sociale et mobilité observée est possible analytiquement, le sociologue ne peut s’arrêter là dans la mesure où « les points de vue subjectifs ne sont pas différents dans l’une ou l’autre forme de mobilité » (Attias-Donfut et Wolff, 2001, p.926).

(20)

Enfin, au-delà de ces deux raisons objectives, tout se passe comme si nos sociétés répugnaient à mettre en avant des trajectoires qui vont à l’encontre des valeurs de réussite et de succès qu’elles célèbrent.

Hiérarchiser l’espace social et évoquer des concepts liés à la mobilité verticale des individus implique en effet de se situer dans des sociétés dans lesquelles les acteurs sont engagés dans une « lutte des places » (de Gaulejac, 1987) dont la compétition scolaire constitue le moteur principal. Ce mode de régulation des relations sociales n’est certes pas universel : historiens et anthropologues ont décrit nombre de sociétés dont l’organisation obéit à des principes différents. Ainsi, dans les sociétés dominées par une économie paysanne, l’organisation familiale de l’agriculture entre en contradiction avec les principes de l’économie capitaliste. L’illustration la plus éclairante est fournie par Alexandre Tchayanov (1990) qui dans un ouvrage écrit en 1925 cherche à décrire le mode de production de l’exploitation familiale : dans ce type d’économie, les producteurs ajustent leurs efforts productifs aux besoins de leur ménage, variables au cours du cycle de vie. C’est alors l’évolution du cycle démographique au sein de la famille qui détermine l’ampleur des besoins et des capacités de travail. Concernant l’école, les travaux coordonnées par Murray Wax (Wax et al., 1964) auprès des Indiens Sioux du Dakota du sud ont montré que la classe comme lieu de compétition scolaire est une construction culturelle : chez les Indiens Oglala, participer à tout mode de compétition au sein de la classe est perçu comme une offense faite aux autres élèves. L’attitude observée est alors celle du retrait (ne pas répondre aux questions de l’enseignant, etc.), à l’inverse de celle préconisée alors par le modèle scolaire fédéral.

Parler de mobilité verticale dans des économies telles que décrites par Tchayanov ou parmi les Indiens Oglala n’aurait guère de sens dans la mesure où la stratification sociale n’obéit pas aux mêmes principes de compétition. En revanche, étudier le déclassement social fait sens dans des sociétés industrielles modernes au sein desquelles l’aspiration à la réussite sociale constitue un principe régulateur.

(21)

Etudiant « la disqualification sociale », Paugam souligne que « dans les sociétés qui transfigurent le succès en valeur suprême et où domine le discours justificateur de la richesse, la pauvreté est le symbole de l’échec social » (Paugam, 2000, p.16). C’est pourquoi l’échec et la pauvreté ne sont jamais étudiés pour eux-mêmes, mais comme l’envers résiduel et nécessaire de la richesse. Dans les sociétés d’abondance, le champ lexical mobilisé est alors celui de « l’artéfact » ou de « l’accident » (Castel, 1978, p.48). Ce constat vaut également pour la mobilité intergénérationnelle descendante : l’une des questions récurrentes dans le débat public est celle de « l’ascenseur social » dont on ne cesse de se demander s’il fonctionne encore vers le haut tout en faisant mine d’oublier qu’il peut également fonctionner dans l’autre sens. Dans une société qui se vit comme méritocratique et qui célèbre à l’envi le rôle de l’école dans le processus de mobilité sociale, la mobilité descendante a longtemps été étudiée sous le seul prisme de l’échec personnel : les « déclassés », pour le dire rapidement, étaient nécessairement les seuls responsables de leur trajectoire.

Dans leur discipline, les historiens se trouvent également confrontés à la difficulté de traiter des trajectoires descendantes. Brelot (2000) met notamment en exergue, dans l’histoire des élites, la dissymétrie entre l’étude de la mobilité ascendante et celle de la mobilité descendante. Selon elle, il convient de « réduire la dissymétrie entre les deux versants de la mobilité sociale, donc de mettre en chantier l’histoire des conflits, des échecs et du déclassement, alors que trente ans d’histoire sociale ont construit et enrichi celle de l’ascension sociale, dans ses brillances et dans ses voies d’accès au sommet de la société comme aux sphères du pouvoir ». La relative discrétion de la littérature sur la mobilité descendante est dangereuse car elle entretient « l’ombre portée des fantasmes littéraires du déclassement, si suggestifs et toujours répétés en l’absence d’étude historique. La marquise de Villeparisis, les hobereaux cyniques de Maupassant et les héritiers tarés de Labiche et de Gide jettent sur les brillances de la vie de château et sur l’excellence qui fonde la distinction – naissance, talents, capital social – une image d’autant plus inquiétante qu’elle est floue ». Si les difficultés du mobile ascendant, le sentiment de trahison de son milieu d’origine et

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le mal-être qu’il entraîne sont des voies largement explorées par la littérature ou le cinéma, la place accordée au vécu et aux souffrances du mobile descendant est beaucoup plus limitée.

Au delà de l’histoire des élites, la sociologie se doit d’apporter une analyse approfondie de la mobilité sociale descendante. Dans une société où une part croissante d’individus ne parvient pas à maintenir la position de la génération précédente, les explications en terme d’accidents individuels ou de défaillances personnelles qui prévalaient lorsque les trajectoires descendantes étaient relativement rares ne suffisent plus. Forte de ses concepts et de ses outils, la sociologie peut apporter un éclairage essentiel à la compréhension d’un phénomène dont la fréquence s’accroît et dont on peut faire l’hypothèse qu’il structure un certain nombre d’attitudes, de comportements et de représentations.

La mobilité sociale descendante, un objet socialement constitué

Le présent travail s’oriente dans trois directions. Le premier objectif est de fournir des éléments permettant de prendre la mesure d’un phénomène, et ce de deux manières. La démarche longitudinale associée à une approche par cohorte des flux de mobilité intergénérationnelle cherche d’abord à montrer que la mobilité descendante ne constitue plus une exception pour les générations qui succèdent à celles du baby-boom. Ensuite, l’objectif est de focaliser l’attention sur les générations nées au tournant des années 1960 et de mettre en évidence les déterminants de la mobilité descendante ainsi que les facteurs qui en limitent le risque.

Le deuxième souci de ce travail est de proposer une analyse de l’expérience individuelle de la mobilité descendante qui se dégage des cadres théoriques traditionnellement mobilisés pour l’analyse de l’expérience de la mobilité ascendante. L’analyse en terme de dissociation et de dissonance cognitive qui décrit des mobiles ascendants perdus, suspendus entre deux identités, apathiques et en proie à des comportements déviants ne semble guère rendre compte de l’expérience vécue par les déclassés. Quant à l’analyse en termes d’acculturation, si elle fournit des

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modèles statistiques pertinents pour la mesure quantitative des conséquences de la mobilité sociale, elle est assez largement inopérante pour l’analyse de son expérience subjective. Nous proposerons alors un cadre théorique plus « pragmatique » dont l’ossature est constituée par la prise en compte de trois éléments : les aspirations initiales des individus, leur parcours (notamment scolaire) et la position atteinte.

Enfin, ce travail explorera la question des conséquences collectives, et notamment politiques, de la mobilité descendante. L’hypothèse sous-jacente est la suivante : le sens de leur trajectoire intergénérationnelle influence la manière dont les individus se représentent le fonctionnement de la société et la manière dont ils forgent certaines de leurs représentations. En particulier, nous faisons l’hypothèse que la prise en compte du fait qu’un nombre croissant d’individus ne parviennent pas à reproduire la position de leurs parents peut apporter une part d’explication supplémentaire à certaines évolutions décrites par la sociologie politique.

Au final, l’objectif est de démontrer que la mobilité sociale descendante, loin de n’être qu’une construction sociologique est au contraire un objet socialement constitué, signifiant pour des individus dont il contribue à orienter l’action.

Le dispositif d’enquête

Définir la mobilité intergénérationnelle descendante : le critère de la profession

Le concept de mobilité sociale descendante n’est pas simple à traduire en indicateurs et la définition du sens des trajectoires intergénérationnelles implique un travail important, les classements opérés nécessitant de multiples justifications. La mobilité sociale étant multidimensionnelle (on peut la mesurer du point de vue du revenu, de la profession, du niveau de diplôme, etc.), quels critères retenir pour se prononcer sur le sens des trajectoires ? Les choix

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effectués seront présentés et justifiés dans les différents chapitres, mais précisons dès maintenant que dans la lignée de la littérature existante, le critère professionnel a été privilégié. En effet, le choix du revenu comme critère de la mobilité descendante, s’il est probablement très signifiant pour les acteurs, se heurte à des difficultés opérationnelles insolubles. Le revenu, particulièrement en France, est une variable très mal renseignée dans les enquêtes, et celui des parents n’est par ailleurs pas disponible. Quant au choix du niveau de diplôme comme critère de la mobilité descendante, l’inflation des titres scolaires et la dévaluation qui s’ensuit rend difficile la comparaison entre deux générations éloignées dans le temps, même si certains ont proposé une grille de lecture pratique permettant de prendre en compte ce phénomène de dévaluation (Thélot et Vallet, 2000).

Pour autant, le choix de la profession n’évacue pas toutes les difficultés, particulièrement lorsqu’il s’effectue à partir de la nomenclature des professions et catégories socioprofessionnelles de l’Insee. Contrairement à la plupart des nomenclatures professionnelles anglo-saxonnes élaborées théoriquement, la nomenclature française des PCS est construite empiriquement et sa visée est descriptive plutôt qu’explicative. L’objectif affiché par les fondateurs de la nomenclature des CSP en 1954 était de « classer l’ensemble de la population, ou tout au moins l’ensemble de la population active, en un nombre restreint de grandes catégories présentant chacune une certaine homogénéité sociale (Insee, 1977, p.5). La recherche d’une telle homogénéité sociale conduit à dessiner les contours d’un espace social multidimensionnel difficilement hiérarchisable autour d’un principe unique6. Par conséquent, la définition du sens des trajectoires intergénérationnelles

à partir de la seule appartenance socioprofessionnelle des individus n’est guère aisée. Outre ces difficultés opérationnelles, la nomenclature des PCS s’expose à de nombreuses critiques théoriques. Pendant les Trente glorieuses, les sociologues ont décrit une société en voie de

6 Les fondateurs de la nomenclature ne revendiquaient aucune volonté de hiérarchisation. De fait, si les ouvriers et

les agriculteurs ont des revenus voisins, leur mode de vie est différent. Comment les hiérarchiser ? De plus, au sein d’une même grande catégorie cohabitent des professions inégalement dotées : par exemple, parmi les cadres et professions intellectuelles supérieures cohabitent des professions libérales riches en capital économique et des enseignants du second degré aux salaires relativement modestes.

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moyennisation dans laquelle les inégalités tendraient à se réduire : l’effacement progressif de la structure pyramidale de la société rendrait caduc l’emploi d’une nomenclature qui cherche à décrire des groupes sociaux aux comportements homogènes et distincts les uns des autres. Nous montrerons que cette critique est datée et que la crise économique des années 1980 la rend moins pertinente. A l’inverse, la crise économique introduit de nouvelles inégalités dont ne rend pas compte une nomenclature construite au début des Trente glorieuses. Il s’agit des inégalités de genre, des inégalités ethniques, mais aussi des inégalités en terme de nature du contrat de travail : la nomenclature des PCS ne permet pas de décrire le clivage fondamental entre ceux qui sont intégrés au marché du travail et ceux qui en sont au contraire exclus (Dubet et Martuccelli, 1998). Tenant compte de ces critiques, l’usage que nous ferons des catégories socioprofessionnelles sera un usage pragmatique, qui s’adaptera à la nature de l’analyse, selon la voie recommandée par Héran qui invite à considérer les PCS comme un « outil à géométrie variable », de sorte que « chaque étude doit être l’occasion d’un travail spécifique sur la nomenclature : c’est à ce prix qu’elle atteint son plein rendement » (Héran, 1997, p.51). La nomenclature des PCS, en perte de légitimité académique mais dont la validité explicative semble constante au cours du temps (Cousteaux, 2004), sera considérée comme un outil certes imparfait mais qui permet tout de même de stratifier la structure sociale pour peu que les regroupements opérés soient explicités et justifiés7.

Par ailleurs, le code des PCS sera utilisé pour construire un indicateur continu de hiérarchie sociale (grâce à l’observation de l’homogamie matrimoniale). Ainsi, l’approche continue permettra de pallier certaines difficultés inhérentes à la mesure catégorielle de la mobilité sociale.

7 Même si la nomenclature des PCS à deux chiffres (31 libellés) dessine un espace social structuré autour de deux

axes (capital économique / capital culturel), les différents éléments qui définissent le statut des individus (niveau de diplôme, revenu, profession) sont congruents jusqu’à un certain point : les cadres et professions intellectuelles supérieures sont en moyenne plus diplômés et disposent de revenus plus élevés que les professions intermédiaires, employés et ouvriers. Parmi les salariés, l’architecture des PCS permet de dessiner une hiérarchie assez clairement établie et de proposer une distinction fondamentale entre les emplois d’encadrement d’une part (cadres et professions intellectuelles supérieures ainsi qu’une bonne part des professions intermédiaires) et emplois d’exécution d’autre part (employés et ouvriers).

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Pour pouvoir être confronté à la mobilité sociale descendante, il faut plutôt être issu du haut de la structure sociale. Bien que trivial, ce constat explique pourquoi ce travail se concentre souvent sur les enfants de cadres et professions intellectuelles supérieures. Un tel choix permet également d’homogénéiser les matériaux empiriques, quantitatifs et qualitatifs, qui sont alors recueillis auprès d’individus ayant des origines comparables.

Construire une complémentarité entre méthodes quantitative et qualitative

Ce travail tente de concilier approche statistique et analyse qualitative de la mobilité sociale descendante. Là où l’analyse qualitative permet de pénétrer l’expérience vécue par les individus, l’exploitation de données d’enquêtes permet de dépasser la singularité des parcours individuels pour tenter de mettre en évidence des régularités sociales.

Pratiquement, deux grands types d’enquêtes sont utilisés. Les enquêtes Emploi et Formation Qualification Professionnelle (FQP) de l’Insee constituent un outil de choix pour le sociologue de la mobilité sociale, par leur fréquence qui permet le suivi de cohortes à différents âges, ainsi que par la taille de l’échantillon interrogé. C’est l’exploitation secondaire des données de ces enquêtes qui permettra de donner les éléments de mesure annoncés plus haut. Par ailleurs, le Panel électoral français de 2002 (PEF 2002) réalisé par le Cevipof constitue à ce jour la plus grande enquête électorale réalisée en France. Puisque l’origine sociale des individus est présente dans l’enquête, cette dernière permet de mesurer d’éventuels effets de la mobilité sociale sur les attitudes et comportements politiques.

Le volet qualitatif de l’enquête repose quant à lui sur l’exploitation de 23 entretiens réalisés dans le cadre d’une réinterrogation d’individus interrogés une première fois dans le cadre de l’enquête FQP 2003. Autorisée par la Cnil pour une durée d’un an à compter de la date de fin d’enquête, cette réinterrogation d’individus volontaires pour recevoir à nouveau un enquêteur fut une opportunité précieuse pour ce travail : elle a en effet permis de sélectionner des individus en

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situation de mobilité intergénérationnelle descendante à partir de critères précis sur lesquels nous reviendrons ultérieurement. Précisons simplement ici que le matériau a été recueilli auprès d’individus nés au tournant des années 1960, âgés de 35 à 45 ans, occupant des emplois d’ouvriers ou d’employés et dont le père exerçait un emploi de cadre, une profession intellectuelle supérieure, une profession libérale ou dirigeait une entreprise de 10 salariés ou plus.

Chronologiquement, le recueil du matériau qualitatif précède l’exploitation statistique pour des raisons purement techniques. Alors que la Cnil avait fixé au 30 juin 2004 la fin de la campagne de réinterrogation, le premier fichier de l’enquête FQP 2003 à partir duquel pouvaient être sélectionnés les individus correspondant aux critères fixés ne fut disponible qu’au printemps 2004. En moins de trois mois, le contact devait être pris avec les enquêtés et les entretiens réalisés. Le guide d’entretien a alors été élaboré sans le renfort des interrogations qui auraient pu naître du début du travail d’exploitation statistique. Malgré ces contraintes, l’articulation entre l’analyse qualitative et le travail quantitatif a pris la forme d’un va et vient entre les deux matériaux : la lecture des entretiens a soulevé des questions auxquelles l’exploitation des données d’enquête a souvent fourni des réponses, réponses qui à leur tour ont permis de questionner sous un angle nouveau le matériau qualitatif.

La complémentarité entre les deux types d’approche s’est révélée particulièrement féconde lors de l’analyse de l’expérience individuelle du déclassement social. Une première analyse des entretiens ayant dessiné les contours de deux types d’expériences différentes, la recherche de leurs assises sociodémographiques respectives a fait écho à une distinction précédemment opérée entre deux types de cadre parmi la génération des pères.

Trois parties forment l’ossature de la présente thèse. Une démarche diachronique est adoptée dans la première partie, consacrée à la mesure de l’évolution des flux de mobilité intergénérationnelle. Après un point sur le débat autour de la définition et de la mesure de la

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mobilité sociale (chapitre 1), le suivi des cohortes de naissance successives permet notamment de mettre en évidence les risques accrus de déclassement social auxquels font face les individus nés au tournant des années 1960 (chapitre 2).

Dans la seconde partie, il s’agit d’aller au-delà de ce panorama général et de mettre en évidence les déterminants et les mécanismes de la mobilité sociale, et plus particulièrement du déclassement social. En creux, l’objectif est également de mieux décrire cette génération née au tournant des années 1960 identifiée précédemment comme celle qui fait face aux perspectives de mobilité sociale les plus dégradées. Seront ainsi mis en évidence les déterminants objectifs de la mobilité descendante (chapitre 3) ainsi que les déterminants du sentiment de déclassement (chapitre 4), ce qui amène à introduire une distinction importante entre deux types de cadre parmi la génération des pères (chapitre 5).

Enfin, la troisième partie est consacrée à l’analyse de l’expérience individuelle et des conséquences politiques de la mobilité sociale descendante. Après avoir présenté les limites des cadres théoriques mobilisés dans l’analyse des trajectoires ascendantes et proposé un cadre théorique alternatif (chapitre 6), l’analyse de l’expérience individuelle de la mobilité descendante conduit à distinguer deux types d’expériences différentes (chapitre 7). Enfin, le dernier chapitre se donne comme objectif de mettre en évidence les conséquences du déclassement social sur le comportement et les attitudes politiques des individus qui y font face (chapitre 8).

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Première partie

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Dans la première partie de cette recherche, il s’agit d’adopter une démarche diachronique destinée à mesurer les flux de mobilité sociale et leur évolution au fil des générations successives.

Le premier chapitre propose une revue de littérature et présente la manière dont est habituellement définie et mesurée la mobilité sociale. Cette présentation est nécessaire car les choix effectués et la méthode utilisée dans ce travail trouvent leur origine dans les débats qui agitent la sociologie de la stratification et de la mobilité sociale depuis le travail d’élaboration théorique des pères fondateurs de la discipline.

Dans le second chapitre, l’exploitation d’une compilation des enquêtes Emploi de l’Insee permettra de mettre en évidence la dégradation progressive des perspectives de mobilité sociale des générations nées après les années 1940, et plus particulièrement, la fréquence accrue des trajectoires intergénérationnelles descendantes pour les générations nées au tournant des années 1960. Le déclassement social, loin de demeurer une exception, constitue alors une réalité à laquelle doit faire face une part croissante de trentenaires et de quadragénaires.

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Chapitre 1

Définir et mesurer la mobilité sociale

Le but de ce premier chapitre est de justifier les choix effectués dans ce travail pour mesurer le mieux possible l’évolution au fil des générations des flux de mobilité sociale. Pour cela, un rapide détour par la genèse du concept de mobilité sociale, indissociable de celui de stratification sociale, paraît inévitable, tant les débats qui agitent les sciences sociales contemporaines trouvent leur racine dans les théorisations – parfois complémentaires, parfois contradictoires – des pères fondateurs de la sociologie.

Il s’agira dans un premier temps de montrer que la mobilité sociale est un concept qui apparaît dès la naissance de la sociologie, au moment où émerge la société industrielle moderne. Dans la seconde partie, nous présenterons les termes du débat entre approches classiste et stratificationniste de la structure sociale, et dans le contexte de l’après Trente glorieuses, nous proposerons un usage prudent et raisonné du concept de classe sociale en nuançant sensiblement les thèses véhiculées autour de la notion de moyennisation de la société. Enfin, dans la troisième partie seront abordées des questions plus techniques liées à la mesure empirique des flux de mobilité intergénérationnelle : nous proposerons d’introduire une mesure par âges et par

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cohortes de la mobilité sociale et de concilier mesures continue et catégorielle, traditionnellement opposées.

1.1. La mobilité sociale, un concept qui émerge avec la société industrielle

Si les travaux sur la mobilité sociale occupent une place centrale en sociologie, c’est notamment parce que l’étude des mouvements entre les différents groupes sociaux nous fait pénétrer au cœur même de l’organisation des sociétés.

Le concept de mobilité sociale est en effet indissociable de celui de stratification sociale. Puisque les ressources et les positions sont inégalement distribuées dans la société, la sociologie de la stratification sociale distingue différents groupes qui se définissent autant par les relations qu’ils entretiennent entre eux que par les caractéristiques et les propriétés des individus qui les composent. Si les critères qui président à la définition et à la délimitation entre les différentes strates sociales diffèrent selon les sociétés et les époques, le principe de la stratification demeure. Pourtant, les interrogations sur la circulation entre ces groupes et la naissance de la mobilité sociale comme champ de recherche sont des mouvements contemporains de l’avènement, au cours du dix-neuvième siècle, des sociétés industrielles occidentales. De nombreuses formes antérieures d’organisation de la société ne laissent en effet guère de place aux interrogations sur la mobilité sociale : dans ces types d’organisation, c’est la possibilité même de l’existence de tels mouvements entre les groupes qui est en cause. Examinons en ici brièvement trois. L’esclavage, tout d’abord, est une forme d’organisation sociale dont le principe est simple : on naît maître ou esclave, et on le demeure. Le second est celui de l’organisation de la société en castes introduite en Inde au cours du seizième siècle et qui distingue quatre varna (les prêtres, les gouvernants et les

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guerriers, les agents économiques et les « intouchables » au service des trois premiers groupes). Le troisième système correspond à l’organisation de la société française sous l’Ancien Régime en trois ordres : le clergé, la noblesse et le tiers-état. Très différents dans leur principe d’organisation, ces trois systèmes ont en commun de rendre impossible et inconcevable tout passage d’un groupe à l’autre. Certains esclaves furent certes affranchis par leur maître ou parvinrent à acheter leur liberté mais la condition d’esclave était pour le reste inexpugnable. Les contacts entre les castes étaient étroitement régulés et l’appartenance à l’une ou à l’autre était héréditaire. De même, si le clergé recrutait exclusivement ses membres dans les deux autres ordres et si le tiers-état était un vaste ensemble s’étendant des paysans aux bourgeois roturiers, les mouvements entre les différents ordres étaient théoriquement inenvisageables8.

Ce n’est qu’avec l’avènement des révolutions politiques (Révolution française, révolution de 1848) et économiques (révolutions agricole et industrielle, urbanisation) qu’un nouveau type d’organisation de la société apparaît et rend possible la circulation des individus entre les différentes « couches » de la société. C’est à partir de la suppression des inégalités de droit ou de naissance que la sociologie va se pencher sur l’étude des inégalités de fait : « les révolutions battent en brèche la représentation du monde comme ordre naturel (ou divin), elles mettent en évidence la dynamique sociale, le caractère historique des organisations sociétales » (Bosc, 2001, p.7.). Dès lors que les frontières entre les classes ne sont plus définies dans le droit et deviennent en pratique plus poreuses, la stratification et la mobilité sociales deviennent une préoccupation majeure des sociologues qui se penchent sur la dynamique des sociétés.

1.1.1 Chez Marx, la mobilité sociale est transitoire dans la société capitaliste

Chez Marx, l’avènement de la société industrielle et du capitalisme se traduit par l’apparition de deux classes sociales qui s’opposent de manière irréductible. La notion de « mode de production »

8 Ainsi un processus de stratification interne au tiers-état se superpose à la division principale de la société en ordres,

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est au cœur de l’analyse marxiste, entendue comme la combinaison des « forces productives » (matérielles et humaines) et des « rapports sociaux de production ». La forme de ces derniers est caractérisée par les modalités de la division du travail, de la répartition des biens et des revenus ainsi que par les rapports entre les classes. Marx distingue ainsi différents modes de production qui se succèdent dans l’histoire et qui s’accompagnent d’une forme d’organisation des rapports sociaux de production. Au mode de production antique correspond l’esclavage, tandis que le servage caractérise le mode de production féodal. Quant au mode de production capitaliste – ou bourgeois – il est caractérisé par l’avènement du salariat. Le mode de production d’une société est fondamental car « il forme la structure économique de la société, la fondation réelle sur laquelle s’élève un édifice juridique et politique, à quoi répondent des formes déterminées de la conscience sociale ». La vision de Marx est évolutionniste car selon lui, toute l’histoire de l’humanité est une succession de modes de production. Puisque les forces productives sont dynamiques alors que les rapports sociaux de production sont stables, il arrive toujours un moment où les seconds constituent une entrave au développement des premières. Ainsi, les rapports féodaux freinent le développement technique et économique et laissent place au capitalisme.

Du point de vue des rapports sociaux, l’apparition du capitalisme se traduit par l’avènement de deux classes sociales que tout oppose : le prolétariat ou la classe ouvrière d’une part, la bourgeoisie ou les capitalistes d’autre part. Si dans d’autres de ses écrits, Marx se livre à une analyse plus fine et recense davantage de classes ou fragments de classes (petite bourgeoisie, classe paysanne, aristocratie financière, etc.), c’est bien la lutte entre ces deux classes qui structure les rapports sociaux (Marx et Engels, 1848) puisque « l’histoire de toute société jusqu’à nos jours n’a été que l’histoire de lutte des classes [Edition 1967, p.27]. Plus précisément, au fur et à mesure que se développe le capitalisme, la tendance sera à la cristallisation des rapports sociaux entre ces deux classes car les classes intermédiaires n’ont ni initiative ni dynamisme historique.

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Alors que la bourgeoisie est propriétaire des moyens de production, les ouvriers ne disposent que de leur force de travail et sont « contraints de se vendre au jour le jour » [Edition 1967, p.21]. Exploitation du prolétariat par la bourgeoisie et aliénation des ouvriers sont les concepts centraux de l’analyse marxiste des rapports sociaux de production.

Cette présentation très sommaire nous permet de mieux comprendre la manière dont peut-être envisagée la mobilité sociale chez Marx. Marx ne l’évoque pas en tant que telle, mais on peut lire en filigrane qu’elle n’est pas un phénomène constitué dans la société capitaliste. Les deux classes sont lancées dans un processus de lutte irréductible et les possibilités pour un individu de passer d’une classe à l’autre sont théoriquement nulles. Si mobilité sociale il y a, elle est transitoire, correspondant à un stade du développement du capitalisme, lorsque se cristallisent les rapports sociaux. Cette mobilité sociale est essentiellement descendante et concerne les groupes intermédiaires qui viennent gonfler les rangs du prolétariat puisque « petits industriels, marchands et rentiers, artisans et paysans – tout l’échelon inférieur des classes moyennes de jadis – tombent dans le prolétariat ; d’une part, parce que leurs faibles capitaux ne leur permettant pas d’employer les procédés de la grande industrie, ils succombent dans leur concurrence avec les grands capitalistes ; d’autre part, parce que leur habileté technique est dépréciée par les méthodes nouvelles de production. De sorte que le prolétariat se recrute dans toutes les classes de la population » [Edition 1967, p.21]. Cette mobilité transitoire et descendante concerne des groupes sociaux entiers plus que des individus. Quant aux rares cas de mobilité ascendante, ils confortent la situation de la classe bourgeoise et contribuent à sa pérennité car « plus la classe dominante est capable d’intégrer les hommes éminents des classes dominées, plus durable et dangereuse sera sa domination ».

L’analyse marxiste des classes sociales ne laisse donc que très peu de place à la notion de mobilité sociale, qu’elle soit intergénérationnelle ou intragénérationnelle.

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1.2.1. Chez Weber, la mobilité sociale comme condition d’existence des classes sociales

La mise en évidence du caractère multidimensionnel de la stratification sociale constitue le premier apport de Max Weber à la sociologie de la stratification et de la mobilité sociale. Pour Max Weber en effet, les « classes » ne sont qu’une des trois dimensions de la stratification sociale qui correspond à l’ordre économique. La notion de classe chez Weber n’a donc pas la même signification que chez Marx9. Pour Max Weber (1922), il faut entendre par « classe » « tout groupe

d’individus qui se trouvent dans la même situation de classe », étant entendu qu’une « situation de classe » correspond à « la chance typique qui, dans un régime économique donné, résulte du degré auquel et des modalités d’utilisation selon lesquelles un individu peut disposer (ou ne pas disposer) de biens et de services afin de se procurer des rentes ou des revenus » [Edition 1995, p.391].

La stratification sociale étant par nature multidimensionnelle, il faut ajouter à ce premier ordre économique, un ordre social et un ordre politique. L’ordre politique aboutit aux « partis » qui luttent pour le contrôle de l’Etat et du pouvoir central de sorte que dans cet ordre, les individus se situent en fonction de leur rapport à ces « partis » et au pouvoir central. Quant à l’ordre social, il se traduit par la constitution de différents groupes statutaires. Cette analyse des groupes de statut constitue peut-être l’un des apports les plus importants de Weber à la sociologie. L’intégration sociale des individus ne passe pas que par les rapports qu’ils entretiennent sur le marché économique ou dans le processus de production. Si les revenus sont inégalement distribués, il en va de même pour le prestige social qui constitue le critère de classement des individus dans l’ordre social. Comment définir ce prestige ? Il s’agit selon Weber d’un « privilège positif ou négatif de considération sociale, revendiqué de façon efficace » fondé notamment « sur le mode de vie », le « type d’instruction formelle » ainsi que sur « le prestige de la naissance ou le prestige de la profession » [Edition 1995, p.395-396].

9 Pour éviter toute confusion, il conviendrait plutôt, pour rendre compte de l’analyse de Weber, de parler de « classe

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Il s’ensuit que la position des individus dans l’ordre économique ne suffit pas à définir leur place dans la stratification sociale puisque au-delà de la sphère de la répartition des biens et des revenus, il existe une « sphère de répartition de l’honneur » avec ses propres principes de distinction. Ces derniers sont certes pour partie subjectifs (la considération sociale) mais reposent sur des éléments objectifs (la naissance, la profession).

Corrélat logique, puisque les principes à la base de ces trois hiérarchies sont indépendants et autonomes, les individus peuvent occuper des positions relatives différentes dans chacune de ces hiérarchies. C’est tout le problème de la congruence de statut : trois décennies plus tard, Lenski (1954) montrera que les positions sur les différentes dimensions de la stratification sociale au sens de Weber sont la plupart du temps étroitement corrélées entre elles.

Le second apport de la sociologie de Max Weber concerne plus précisément la notion de mobilité sociale. Si les classes économiques sont nombreuses, Weber distingue quatre classes sociales principales obtenues par agrégation des différentes classes économiques. La première est « la classe ouvrière dans son ensemble, au fur et à mesure que le processus de travail s’automatise davantage ». La seconde est composée de la « petite bourgeoisie » tandis que « les intellectuels et les spécialistes sans biens » (fonctionnaires, techniciens, etc.) constituent une troisième classe sociale. Enfin, la quatrième classe est celle « des possédants et de ceux qui sont privilégiés par leur éducation » [Edition 1995, p.394]. Le niveau de revenu est évidemment un critère central dans la définition de ces quatre classes sociales, mais le niveau d’éducation est également une variable fondamentale chez Max Weber car constituant selon lui un déterminant important du statut. Mais surtout, la possibilité de mouvements intra ou intergénérationnels entre ces classes est un critère constitutif de cette hiérarchie des classes sociales, une condition de leur existence : « on appellera « classe sociale » l’ensemble de ces situations de classe à l’intérieur duquel un changement est aisément possible et se produit de manière typique, pour une personne donnée, dans la succession des générations » [Edition 1995, p.391].

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La stratification sociale décrite par Weber ouvre ainsi de nouvelles perspectives à l’étude de la mobilité sociale. La notion de « classe sociale » diffère alors du sens que lui accorde Marx : à une vision de deux classes irréductiblement opposées dans une lutte qui aboutira au renversement de la société capitaliste, Weber – même s’il ne nie pas l’existence de la compétition et de processus de domination entre les classes – postule que la hiérarchie entre ces classes, non seulement ne reflète qu’une partie de la stratification, mais est également poreuse puisque le passage d’individus entre ces différentes classes est un critère même de la définition de ces classes.

L’analyse de Weber suggère ensuite que la mobilité sociale est un processus complexe car multidimensionnel : on peut imaginer qu’un individu change de classe économique sans modifier sa position dans la hiérarchie statutaire, ou inversement.

L’analyse wébérienne de la stratification sociale laisse une trace profonde dans la sociologie contemporaine et sera mobilisée dans tous les débats sur la mesure de la mobilité sociale.

Ainsi, Pitirim Sorokin (1927) est le premier à formaliser le concept de mobilité sociale et à en instituer le vocabulaire dans son Social Mobility 10. Il définit un champ beaucoup plus large que

celui auquel se cantonnent les sociologues de la mobilité sociale aujourd’hui. Pour Sorokin en effet, la mobilité sociale ne concerne pas seulement des individus, mais aussi des groupes et des « objets culturels » (Merllié, 1994, p.14). Sorokin définit alors le sens de la mobilité sociale, horizontale lorsqu’elle s’effectue entre des groupes situés à un même niveau de la stratification, verticale dans le cas contraire. Mais surtout, il mentionne les échelles le long desquelles peut s’effectuer la mobilité sociale. Comme Weber, il distingue plusieurs principes de stratification qu’il regroupe en trois grandes catégories : « les stratifications économique, politique et professionnelle », ajoutant que si « ces formes sont généralement en étroite corrélation », des décalages sont toutefois fréquents si bien qu’il est impossible « d’analyser globalement les trois

10 Dominique Merllié souligne qu’avant Sorokin, les phénomènes désignés sous le vocable de « mobilité sociale » sont

cependant présents dans l’analyse sous d’autres termes. Pareto évoque « la circulation des élites » dans son Traité de

sociologie générale, tandis que le démographe Arsène Dumont s’inquiète de la « capillarité sociale » responsable selon lui

de la baisse de la fécondité (Dumont, 1890): « dans leur effort pour s’élever dans l’échelle sociale, les individus sont conduits à se décharger du fardeau de la reproduction » (Merllié, 1994, p.24). Quant à Galton, il croit démontrer la nécessité de l’eugénisme : les « grands hommes » sont fils d’autres « grands hommes ». Ce génie héréditaire devrait conduire l’Etat à encourager la fécondité des élites et à contrôler étroitement les unions.

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formes fondamentales de stratification sociale » (Sorokin, 1927, p. 7 et 12, cité in Merllié, 1994, p.52).

Une illustration empirique : Warner et Yankee City (1930-1935)

L’étude empirique réalisée par Warner et son équipe dans une ville moyenne du Massachussets reste comme l’une des plus importantes « études de communauté » qui fleurissent dans la sociologie américaine de la première moitié du vingtième siècle. L’un des objectifs de l’équipe qui enquête sur le terrain de 1930 à 1935 est de décrire la stratification sociale de la ville et d’en expliciter les principaux fondamentaux. Utilisant un double outil (un indice statutaire construit à partir notamment de la profession, du revenu et du quartier ainsi qu’une évaluation subjective de la stratification opérée par des habitants de la ville), Warner distingue trois grandes classes (supérieure, moyenne, inférieure) divisée chacune en deux fragments (supérieurs et inférieurs). Plus on monte dans la hiérarchie, plus les classes sont richement dotées en statut. L’aristocratie locale est ainsi composée de familles certes très riches économiquement mais dont l’implantation locale est très ancienne et jouissent ainsi dans une société d’émigration d’une forte considération sociale. Les classes moyennes sont composées d’individus à la moralité affichée nourrissant un fort désir de respectabilité, alors que les membres de la lower-lower class sont victimes de leur manque de moralité.

Dans la stratification sociale mise en évidence par l’équipe de Warner, le capital économique joue évidemment un rôle important : il permet de distinguer les trois grandes classes, et plus on monte dans la hiérarchie sociale, plus il est élevé. Mais le prestige et le statut, au sens wébérien du terme, constituent également des éléments centraux de classement des individus, permettant notamment, au sein de chaque classe, de distinguer entre les fragments supérieurs et inférieurs.

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Une illustration contemporaine : l’ordre statutaire dans la société britannique (Goldthorpe et Chan, 2004)

Grâce à une rigoureuse analyse empirique, Goldthorpe et Chan tentent de répondre à la question suivante : est-il possible, dans la société britannique contemporaine, de mettre en évidence l’existence d’une hiérarchie statutaire distincte théoriquement et empiriquement de la structure de classe ? Les auteurs définissent l’ordre statutaire comme un ensemble de relations hiérarchiques dans lesquelles s’exprime une supériorité (ou une infériorité, une égalité) sociale qui est acceptée, car attachée non pas à un individu en particulier, mais plutôt à la position sociale qu’il occupe ou à certains de ses attributs « ascriptifs » (ascribed) (appartenance ethnique, naissance, etc.). Cet ordre statutaire se distinguerait de la structure de classe fondée sur les « relations sociales de la vie économique » (social relations of economic life, Goldthorpe et Chan, 2004, p.383).

L’ordre statutaire défini par Max Weber est en effet remis en cause à partir des années 1960. Tout d’abord, peut-on encore parler, dans nos sociétés modernes, de prestige, de reconnaissance sociale ou encore de supériorité sociale acceptée par tous ? Des travaux menés par des historiens et des sociologues tendent à montrer, que dans les sociétés modernes et ouvertes, la supériorité sociale n’est plus acceptée comme telle. Les différences de statut mises en évidence par Warner et son équipe dans le cas d’une ville moyenne des Etats-Unis dans les années 1930 n’existeraient plus sous la même forme dans les sociétés de masse, ouvertes et mobiles (Goldthorpe, 1978). Les auteurs notent que si en France la sociologie de Pierre Bourdieu tente de redonner un contenu théorique et empirique à la notion d’ordre statutaire (grâce aux concepts d’habitus, de style de vie, etc.), la sociologie américaine préfère à partir des années 1960, dans la lignée des travaux de Duncan, la mesure unidimensionnelle de la stratification sociale considérée alors comme un continuum (Duncan, 1961).

Pour tenter de mettre en évidence l’existence d’une telle hiérarchie statutaire, les auteurs analysent la structure des liens d’amitié. Avec qui noue t-on des relations amicales ? Dans la lignée des

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