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Des employés et des ouvriers plus souvent qualifiés…

qui sont les déclassés ?

3.1. Les déterminants du statut social

3.3.1. Des employés et des ouvriers plus souvent qualifiés…

Les employés

Plus l’origine sociale est élevée, plus la part des employés qualifiés augmente (FIG.3.7). Alors que dans l’ensemble de la population, 49% des employés sont des employés non qualifiés, ces derniers sont surreprésentés parmi les enfants d’ouvrier (55%) et assez nettement sous- représentés parmi les enfants de cadre et de profession intermédiaire (36%). Les « déclassés » ne

sont donc pas des employés comme les autres : tout se passe comme si parmi les employés jouait une « prime » à l’origine sociale en terme de qualification.

FIG.3.7. Niveau de qualification des employés selon la profession du père (%) 0 20 40 60 80 100 Ouvrier Agriculteur Artisan,commerçant Employé Profession intermédiaire CPIS

Employés non qualifié Employé qualifié

Source : FQP 2003

Champ : employés âgés de 30 à 45 ans

Lecture : seuls 36% des employés dont le père est cadre supérieur sont des employés non qualifiés contre près de 55% des employés dont le père est ouvrier

Dans le détail des sept catégories d’employés ainsi identifiées, il apparaît surtout que les enfants de père cadre ou exerçant une profession intermédiaire sont plus souvent employés qualifiés du privé (près de 40% d’entre eux sont dans ce cas contre 26% dans l’ensemble des employés et 23% des enfants d’ouvriers). Les enfants de cadre sont à l’inverse moins souvent employés non qualifiés de la fonction publique et beaucoup moins souvent employés dans le service direct aux particuliers, emplois situés vers le bas de la hiérarchie des employés, tant par les conditions de travail que par la rémunération.

Lorsque l’on ne s’intéresse qu’aux employés qualifiés, les enfants de cadre se distinguent là encore des enfants d’employés ou d’ouvriers. Les employés qualifiés dont le père est cadre supérieur sont assez sensiblement moins souvent employés de la fonction publique (environ 38% si l’on compte les policiers et militaires) que les autres (48% en moyenne). A l’inverse, les mobiles descendants sont bien plus souvent employés du privé : près de deux enfants de père cadre supérieur sur trois sont dans ce cas, contre à peine un sur deux pour les enfants d’employés ou d’ouvriers.

TAB.3.9. Type d'employé qualifié selon la profession du père (%) Père… Employés administratifs de la fonction publique, aide-soignant Policiers, militaires Employés administratifs d'entreprise Agriculteur (N=254) 50 2,4 47,6 Artisan, commerçant (N=301) 35,9 5,3 58,8 CPIS (N=207) 29,5 9,2 61,4 Profession intermédiaire (N=218) 36,2 11,5 52,3 Employé (N=590) 41,4 12,5 46,1 Ouvrier (N=1136) 40,9 7,9 51,2 Ensemble (N=2706) 40 8,5 51,5 Source : FQP 2003

Champ : employés qualifiés âgés de 30 à 45 ans

Lecture : 50% des employés qualifiés dont le père est agriculteur sont des employés administratifs de la fonction publique.

Pour ces derniers, ainsi que pour les enfants d’agriculteurs, l’accès à la fonction publique et à ses postes d’employés semble constituer une véritable « avenue de mobilité » (Sorokin, 1927), un moyen de s’élever dans la hiérarchie sociale (Gollac, 2005).

Cette surreprésentation du secteur privé parmi les employés issus de milieux sociaux plus aisés se retrouve chez les employés non qualifiés : alors que 27% des employés non qualifiés issus d’un père ouvrier sont agent de service de la fonction publique, ils ne sont que 20% des enfants de cadre dans ce cas. A l’inverse, ces derniers sont dans près de 40% des cas employés de commerce contre 24% des enfants d’ouvriers.

Les ouvriers

L’interprétation des résultats pour les ouvriers est plus compliquée en raison de la faiblesse des effectifs, puisque seuls 133 ouvriers âgés de 30 à 45 ans sont enfants de cadre supérieur dans notre échantillon. Les grandes tendances soulignées ci-dessous sont donc à considérer avec prudence.

TAB.3.10. Type d'ouvrier selon la profession du père (%)

Père Ouvriers qualifiés Chauffeurs Ouvriers non qualifiés Ouvriers agricoles Agriculteur (N=434) 49,3 12,4 28,3 9,9 Artisan, commerçant (N=354) 61,3 9,6 25,7 3,4 CPIS (N=133) 54,9 15 24,1 6 Profession intermédiaire (N=149) 53,7 18,1 25,5 2,7 Employé (N=571) 56 11,7 29,3 3 Ouvrier (N=2619) 51,9 9,6 34,9 3,7 Ensemble (N=4260) 53,1 10,6 32,1 4,2 Source : FQP 2003

Champ : ouvriers âgés de 30 à 45 ans

Lecture : 55% des ouvriers dont le père cadre supérieur sont des ouvriers qualifiés.

L’avantage des enfants de cadre et professions intellectuelles supérieurs ne semble pas résider dans une plus grande proportion d’ouvriers qualifiés : avec 55% dans ce cas, ils sont certes plus nombreux que les enfants d’ouvriers, mais l’écart reste limité. Par ailleurs, ils sont dépassés de ce point de vue par les enfants d’employés et d’artisans ou commerçants. Leur spécificité semble davantage résider dans la relative protection dont ils bénéficient à l’égard des emplois d’ouvrier non qualifié : seuls 24% des ouvriers dont le père est cadre sont des ouvriers non qualifiés, contre 32% en moyenne, et 35% pour les ouvriers dont le père était ouvrier. Même si précisons-le une

nouvelle fois, la faiblesse des effectifs doit inciter à la prudence, il semble que lorsque l’on est ouvrier, une origine sociale cadre protège relativement des emplois non qualifiés.

3.3.2… car souvent plus diplômés

Si lorsqu’ils sont employés ou ouvriers, les enfants de cadre sont plus souvent qualifiés que les autres, c’est parce que leur niveau de diplôme est plus élevé.

FIG.3.8. Niveau de diplôme des employés selon la profession du père (%)

0 20 40 60 80 100

Ouvrier Ag ricult eur Pro fes s io n

int erméd iaire Au moins bac+2

Bac

Inférieur au bac Sans diplôme

Source : FQP 2003

Champ : employés âgés de 30 à 45 ans

Lecture : 26% des employés dont le père était cadre supérieur sont titulaires d’un diplôme égal ou supérieur au niveau bac+2.

En effet, plus l’origine sociale est élevée, plus la part des employés qui possèdent au moins un niveau de diplôme bac+2 augmente. Ainsi, seuls 5% des employés dont le père est ouvrier possèdent un diplôme égal ou supérieur à bac +2, contre 9% de ceux dont le père est employé, 14% de ceux dont le père exerce une profession intermédiaire et 26% de ceux dont le père est cadre ou profession intellectuelle supérieure. Au total, si l’on ajoute les titulaires du baccalauréat seul, plus de 53% des employés dont le père était cadre on au moins le niveau bac, contre 19% des employés issus de père ouvrier.

Parmi les ouvriers, même si la faiblesse des effectifs évoquée plus haut incite toujours à la prudence, la tendance est identique.

FIG.3.9. Niveau de diplôme des ouvriers en fonction de la profession du père (%)

0 20 40 60 80 100

Ouvrier Ag ricult eur Pro fes s io n int erméd iaire

Au moins bac+2 Bac

Inférieur au bac Sans diplôme

Source : FQP 2003

Champ : employés âgés de 30 à 45 ans

Lecture : Environ 20% des ouvriers dont le père était cadre supérieur sont titulaires d’un diplôme égal ou supérieur au niveau bac+2

Certes, les détenteurs de diplômes élevés sont très rares parmi la population des ouvriers (2% des ouvriers de notre échantillon ont un diplôme supérieur ou égal au niveau bac+2), mais on constate de réelles différences en fonction de l’origine sociale. En effet, si moins de 1% des ouvriers dont le père est ouvrier sont dans ce cas, ils sont 5% dans le cas des ouvriers dont le père exerce une profession intermédiaire et 10% des ouvriers dont le père est cadre ou profession intellectuelle supérieure. Mieux encore, 20% des ouvriers dont le père est cadre ont au moins le baccalauréat, contre 5% des ouvriers dont le père est ouvrier et 10% des ouvriers dont le père est employé. Là encore, plus l’origine sociale est élevée, plus la proportion de diplômés parmi les ouvriers augmente.

Ainsi, bien des déclassés sont trop qualifiés pour la nature de l’emploi qu’ils exercent, si bien que dans leur cas, le déclassement intergénérationnel se double d’un déclassement scolaire, au sens du concept d’overeducation.

Dans un contexte où le poids de l’éducation dans le statut atteint par les individus diminue au fil des générations au profit des caractéristiques de la naissance (l’origine sociale), l’analyse des déterminants du devenir professionnel des enfants de cadre souligne le rôle ambigu du diplôme. Si l’accès aux emplois d’encadrement est conditionné par le fait d’être très diplômé (détenir un deuxième ou troisième cycle universitaire), la protection qu’offre le diplôme n’est pas sans faille. De ce point de vue, on observe parmi les individus issus de lignées de cadre fragiles le développement d’une part croissante de jeunes salariés, qui malgré des niveaux de diplôme significatifs (enseignement supérieur, bac+2 et bac+3), viennent gonfler les rangs des salariés d’exécution. Dans leur cas, le déclassement scolaire (au sens du concept anglo-saxon d’overeducation, déclassement mesuré par rapport au niveau de qualification d’individus alors sous- embauchés) s’ajoute au déclassement intergénérationnel, de sorte que le paradoxe souligné par Duru-Bellat selon lequel « les enfants de milieu populaire qui accèdent aujourd’hui à des diplômes plus élevés que leurs parents n’en obtiennent pas pour autant des positions sociales plus élevées parce que le rendement de ces diplômes sur le marché du travail a dans le même temps baissé (Duru-Bellat, 2006, p.31) » peut être étendu, dans certains cas, aux enfants issus de milieux sociaux plus favorisés : bien que plus diplômés que leurs parents, un certain nombre d’enfants de cadre n’en occupent pas moins des emplois d’ouvriers ou d’employés.

Chapitre 4