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DEUXIEME PARTIE : CADRES THEORIQUES.

5.1 Le travail d’éducation spécialisée en internat.

Notre préoccupation est de poursuivre la construction d’un cadre théorique permettant la comparaison et la compréhension du travail d’éducation entre France et Québec. Nous poursuivons notre cheminement vers l’activité en précisant le cadre de nos réflexions concernant l’ancrage de la cognition des acteurs en contexte. En éducation spécialisée, une telle prise de distance n’est pas facile à opérer :

Les problèmes de la culture et de l’apprentissage sont inséparables depuis des siècles pour la bonne et simple raison que l’un des objectifs premiers de l’apprentissage est justement de transmettre la culture de génération en génération. Et pourtant, la plupart des éducateurs ont oublié cet aspect culture jusqu’à ce qu’ils y soient brusquement confrontés dans le contexte bien réel des classes multiculturelles.

(Kozulin, Gindis, Ageyev, Miller, 2003 :7)

Cette dernière citation fait particulièrement écho à notre expérience personnelle de chercheur, de formateur et d’éducateur. En effet, jamais la notion de culture ne fut abordée autrement que comme l’apanage des minorités avec lesquelles nous étions amenés à travailler en tant que professionnel. Des questions nous furent posées telles que : comment travailler avec les minorités turques ? musulmanes ? d’Europe de l’Est ? Avec la communauté des gens du voyage ? Nous avons réfléchi à de telles démarches. Mais qu’en est- il de notre propre culture, de nos propres représentations, outils psychologiques, et de leur impact à propos du travail d’éducation et du travail éducatif ? Comme l’écrivait Wittgenstein (1990 : 55) : « Comme il m’est difficile de voir ce que j’ai sous les yeux ! ». Feuerstein (1990) décrit comment la médiation ne peut exister qu’à partir de la réunion de dix critères, et nous éclaire sur ce que peut être l’impact de la culture via la relation d’éducation :

- L’intentionnalité : l’éducateur attire l’attention du sujet à propos d’une situation particulière, et manifeste ainsi son intention d’éduquer.

- La signification : l’éducateur tente d’expliciter la situation rencontrée, et/ou accompagne l’individu à une recherche d’explicitation.

91 - Le comportement de partage : l’éducateur profite de l’expérience pour développer des valeurs de coopération et de socialisation.

- Le sentiment de compétence : l’éducateur valorise et transmet une certaine confiance à l’individu. Il met l’accent sur ses aptitudes plutôt que sur ses difficultés.

- La régulation et le contrôle du comportement : l’éducateur souhaite ici accompagner les processus décrit précédemment dans une dynamique maîtrisée et rationnelle. L’éduqué est encouragé à mettre de côté l’exploitation spontanée et impulsive de la situation.

- La transcendance : l’éducateur cherche à créer du sens chez le sujet éduqué, à partir d’une expérience vécue via la situation d’éducation.

- La confrontation aux défis : l’éducateur accepte que la situation représente un enjeu à surmonter, avec l’éduqué, et que chacun devra affronter la complexité potentielle et l’inconnu présenté par celle-ci.

- La différentiation individuelle : Particulièrement variable en fonction des contextes, parce que dépendante des représentations que l’on se fait des concepts impliqués, ce dernier critère désigne les tensions entre enjeux individuels et collectifs, lors de l’expérience d’éducation.

- La projection et la planification : L’objectif des éducateurs est de créer une certaine forme d’ordre, qu’elle qu’en soit sa définition et ses modalités. Ce critère désigne les étapes et la méthode que l’éducateur va tenter de transmettre à l’éduqué pour s’approprier la situation. - La conscience de la modificabilité : Ce dernier critère désigne la croyance que chaque individu, quel que soit son profil, ses aptitudes et difficultés, peut être affecté par une relation d’éducation, et dépasser ce qu’il s’impose, ou ce qui est imposé comme limite par son environnement.

Il est aisé de comprendre à quel point ces différents critères seront différents dans leurs modalités d’appropriation et d’exécution, en fonction de leurs contextes et des formes de l’échange nourrissant leur élaboration. La conception de l’individu, du collectif, de l’individu dans le collectif, ou encore la croyance en la modificabilité, sont autant de données pouvant se décliner de multiples façons. De nombreux auteurs ont travaillé sur les liens entre éducation et contexte socio-historique, et dans ce chapitre, nous développerons autour du concept de travail d’éducation, objet de notre recherche, et construirons notre cadre théorique autour de l’approche socio-historique de Vygotski et Bruner. Cette dernière nous semble porter un potentiel de compréhension et d’analyse fort, validé notamment par Ageyev (2003 : 217) :

92 Même si, par exemple, la contribution de Vygotski se limitait à son travail dans l’éducation spécialisée, son impact serait déjà impressionnant sur l’éducation multiculturelle moderne. Si nous incluons les enfants handicapés dans la catégorie générale des « élèves culturellement différents », comme cela se fait volontiers de nos jours, l’apport de Vygotski à l’éducation multiculturelle ne peut être sous-estimé. Je ne peux qu’être d’accord avec Gindis (1995) : « Lev S. Vygotski a proposé un cadre théorique unique pour la pratique la plus complète, inclusive et humaine de l’enseignement spécialisé que l’on ait connu au vingtième siècle ».

Tout d’abord, quel est « l’axe de pertinence » (Odin, 2011) du travail de comparaison mené ici ? Certains termes employés méritent éclaircissement, notamment les définitions que nous retenons de l’éducation, du travail éducatif, du travail d’éducation... Nous nous appuierons pour ce faire sur les travaux de l’équipe Profeor-CIREL (Niewiadomski, Champy-Remoussenard, 2018). Avant cela, rappelons que l’éducation est un fait social total, au sens de Durkheim (1895 : 19). Il s’agit de :

Toute manière de faire, fixée ou non, susceptible d'exercer sur l'individu une contrainte extérieure ; et, qui est générale dans l'étendue d'une société donnée tout en ayant une existence propre, indépendante de ses diverses manifestations au niveau individuel. De même :

Elle est un processus de transmission, la voie par laquelle les générations adultes imposent aux enfants, en exerçant sur eux une pression continue, les différentes manières de voir, de sentir et d’agir que sont les autres faits sociaux.

(Jankélévitch à propos de Durkheim, 2003 : 156)

Ces deux propositions ont été vivement commentées et critiquées (Foucault, 1975), en ce qu’elles viennent signifier d’emblée à propos d’une sensibilité culturelle et sociale propre à la France de la IIIème République. Durkheim (1922) concevait l’éducation en tant qu’outil permettant à l’individu d’évoluer de son état de nature vers la socialisation, les institutions assurant un rôle central en tant que matrice productrice d’une certaine forme de lien social valorisée et reconnue comme pertinente. Il promouvait une relation quasi-automatique entre bonheur et intégration dans un ensemble social cohérent :

L’éducation est l’action exercée par les générations adultes sur celles qui ne sont pas encore mûres pour la vie sociale. Elle a pour objet de susciter chez l’enfant un certain nombre d’états physiques, intellectuels et moraux que réclament de lui et la société politique dans son ensemble et le milieu social auquel il est particulièrement destiné. (Durkheim, 1922 : 41).

Cette dernière proposition a longtemps représenté un paradigme de l’éducation puissant en France, à propos de la reproduction des classes sociales et de leurs habitus, et du développement de l’individu en tant qu’entité appartenant à un ensemble national. Selon Dumont (2005), cette

93 pensée, décrivant un processus recherchant de la part des enfants et adultes une adhésion à des idées, valeurs et connaissances reconnues comme universelles et essentielles à l’intégration au sein de la communauté nationale, serait toujours vivace. Il est bien entendu épistémologiquement impensable, malgré leur passé historique commun, de transposer automatiquement une telle approche dans le contexte québécois. La France est un pays qui s’est construit dans des luttes entre l’État central et les régions. Le Québec, terre d’une double colonisation, a dû défendre son particularisme culturel dans un continent anglo-saxon protestant, en étant jusque dans les années 1960, privé du contrôle économique et politique de ses ressources. De plus, son caractère colonial nécessite une approche anthropologique propre.

Selon Charlot (1987), l’éducation est de différente nature selon son contexte de praxis. C’est à dire qu’en admettant que l’Histoire caractérisant une société A, est différente de celle d’une société B, le travail d’éducation valorisé au sein de la société A sera différent de celui pratiqué au sein de la société B. Idée simple mais complexe dans ses efforts de compréhension. Il nous faut pourtant trouver une définition de notre objet de recherche faisant consensus en France et Québec, qui s’ancre dans les paradigmes actuels majoritaires au sein de ces deux sociétés occidentales (Tröhler, 2013).

L’étymologie du mot : ex-ducere signifie « faire sortir de soi, développer », impliquant d’emblée un mouvement, et l’extraction d’une condition naturelle. Le dictionnaire québécois USITO21, propose la définition suivante de l’éducation :

- Art de former une personne, spécialement un enfant ou un adolescent, en développant ses qualités physiques, intellectuelles et morales ; moyens mis en œuvre pour assurer cette formation.

- Développement méthodique d’un sens, d’une faculté par un entraînement et des exercices appropriés.

- Connaissance et pratique des bonnes manières de la société.

Cette proposition décline l’éducation en tant qu’activité, avec ses moyens, mais également via les effets recherchés (développement individuel et intégration sociale). De son côté et dans la même idée, le dictionnaire Larousse22 écrit que l’éducation est une :

- Conduite de la formation de l'enfant ou de l'adulte.

- Formation de quelqu'un dans tel ou tel domaine d'activité ; ensemble des connaissances intellectuelles, culturelles, morales acquises dans ce domaine par quelqu'un, par un groupe.

21 Premier dictionnaire créé uniquement à partir de corpus linguistiques québécois, et fondé par un

groupe de recherche de l’université de Sherbrooke. Lancé en 2009. https://www.usito.com/

94 - Mise en œuvre de moyens propres à développer méthodiquement une faculté, un organe. - Connaissance et pratique des bonnes manières, des usages de la société ; savoir-vivre.

Ces deux définitions décrivent l’éducation comme processus de développement et de transmission de connaissances, dans des tensions entre culture, société et individus. La définition québécoise invoque un art (reprenant Arendt, 1961), pendant que le Larousse préfère évoquer une conduite. Il est néanmoins difficile d’amorcer une démarche comparatiste à partir de ces deux définitions. Il faut aller plus loin et s’intéresser selon nous au « travail d’éducation ». Ce terme désigne :

Les activités déployées par les différentes instances éducatives en direction d’individus en développement ou en devenir. […] Il participe à engager le travail éducatif. (Starck, 2018 : 49)

Le travail d’éducation désigne donc les pratiques d’éducation mises en place par les professionnels. Il s’agit de la traduction concrète et observable de conceptions, de valeurs et de prescriptions, via des pratiques, outils, médiations…Il désigne les modalités d’élaboration et d’application de l’activité auprès des individus accompagnés. Nous noterons que cette définition peut potentiellement englober des pratiques éthiquement questionnables au regard des normes et valeurs actuelles. Le conditionnement, les punitions, ou autres pratiques pouvant soulever l’opprobre, ne seront pas évacuées de notre analyse. Dans nos entretiens, nous avons en effet identifié certaines de ces pratiques, et nous les considérerons sans discrimination en tant que pratiques d’éducation. Il est important de les analyser dans ce qu’elles viennent signifier de l’activité, tout en distinguant en quoi elle ne vise pas l’établissement d’un « travail éducatif » (Niewiadomski, Champy-Remoussenard, 2018). Piot (2018, même ouvrage : 9) définit ce dernier comme devant viser :

La construction de sujets conscients et autonomes, à la fois héritiers critiques du passé et

créateurs d’un avenir en mouvement.

Mais il reconnaît dans le même temps qu’il s’agit :

d’une acceptation humaniste de la notion de travail éducatif, dans une logique où les perspectives socio-anthropo-culturelles l’emportent devant les préoccupations gestionnaires et la recherche de l’efficacité immédiate. (p.10)

Marpeau (2011) illustre cette perspective humaniste en développant que le travail éducatif est un processus d’autorisation, permettant à la personne accompagnée de se situer, à la hauteur de ses capacités, en tant qu’auteur de ses actes dans un faisceau d’interactions sociales. Le travail

95 éducatif serait un processus, (pro : vers l’avant, cedere : marcher), et une praxis, liant intimement théories et expériences immanentes. L’éducateur chercherait ainsi à créer des espaces d’élaboration sécures et des processus d’autorisation, pour permettre à la personne de se sortir de phénomènes de répétitions et de captations. Quant à la dimension sociale de l’éducation, elle est la prise en compte des rapports sociaux et du rôle tenu par la personne dans les organisations dans lesquelles elle évolue. L’éducateur se doit d’être le plus conscient possible de ces dimensions, de sa propre place et du sens de son accompagnement dans l’histoire et la problématique des personnes. Selon Vallerie (2009), et en France, sa fonction éducative est construite essentiellement via sa formation et ses expériences passées, personnelles et professionnelles. Qu’en est-il de l’éducation spécialisée ? En France et au Québec, il s’agit d’un champ professionnel hétérogène et multiple dans ses réalités. Selon le dictionnaire USITO, l’éducation spécialisée regroupe :

L’ensemble des services éducatifs adaptés à l’enseignement des élèves connaissant des difficultés liées à une déficience d’ordre physique, intellectuel, psychologique ou social. Selon le Larousse, l’éducation spécialisée est :

L’ensemble des mesures organisant la rééducation des enfants inadaptés et handicapés ou la réinsertion sociale des délinquants.

Jaeger (2009 : 125) écrit que :

L’éducation a un sens plus large que l’instruction ou l’enseignement, dont le but est la transmission de connaissances. L’éducation inclut des fonctions d’accompagnement et de médiation. Elle est dite spécialisée lorsqu’elle concourt à l’éducation d’enfants et d’adolescents […] présentant des déficiences psychiques, physiques ou des troubles du comportement ou en difficulté d’insertion.

La mise en place de médiations éducatives constitue le cœur de métier des éducateurs spécialisées et psychoéducateurs, en France comme au Québec. En tant que médiateurs, les professionnels agissent, selon Vygotski, sur la « zone proximale de développement ». Goos (2008 : 293) écrit à ce propos (traduction par nos soins) :

Les perspectives socioculturelles sur l’apprentissage et le développement prennent racine à partir des travaux de Vygostky au début du XXème siècle. Vygostky a introduit le concept

maintenant réputé de Zone Proximale de Développement (ZPD), pour expliquer comme la cognition individuelle trouve ses ressources dans l’interaction sociale. Il proposa que la ZPD est créée lorsque les interactions de l’enfant avec un adulte un pair plus capable éveillent des fonctions mentales n’ayant pas encore maturées.

96 Une partie du travail d’éducation mis en place par les professionnels sera, nous l’anticipons, dirigé vers l’enfant et son développement en tant qu’individu, via des modalités reprenant la définition de Feuerstein (1990) présentée plus haut. Dans quels objectifs sont mis en place des médiations et ce travail d’éducation ? Nous proposons qu’il s’agisse avant tout de combler un manque. Notons en effet que les enfants accueillis sont couramment désignés via une terminologie renvoyant à la carence :

- « Orphelins » ou « abandonnés » : c’est-à-dire absence de parents ou de famille.

- « Carencés affectivement » ou « carencés éducativement » : ces termes renvoient à un manque d’éducation et d’affection.

- « Inadaptés » : manque d’adaptation.

- « Cas sociaux » ou « asociaux » : absence de compétence liée à la sociabilité et à la socialisation.

Ce constat rapide nous amènerait à penser la question de la médiation et du travail d’éducation via une recherche de la compensation de ces manques, qu’ils soient identifiés en tant qu’affectif, éducatif, ou de repère et de cadre. Les éducateurs mobiliseraient ce qu’ils identifient comme pertinent pour toucher et faire évoluer les perspectives de ces enfants, en rétablissant voire en comblant ce manque. Notre souhait est de comprendre les modalités de ce projet.

Mais si, dans ce vaste secteur d’activités qu’est l’éducation spécialisée, nous avons opté pour une recherche à propos du travail d’éducation au sein des internats en protection de l’enfance, c’est parce que les éducateurs sont confrontés au quotidien à des questionnements et enjeux autour de la famille, de la construction psychique, de la justice, de la maltraitance, de l’administration… La relation à l’enfant ne constitue qu’une partie de leur travail. Et il n’est pas possible et pour les professionnels de prendre systématiquement des décisions réfléchies à la lumière de travaux empiriques ou de recherche garantissant la pertinence d’un acte, d’une parole… Il s’agit d’un travail particulièrement riche et diversifié, que nous espérons pouvoir mettre en lumière notamment via l’étude de la mobilisation des ressources culturelles dans la construction de l’activité.

En France et au Québec, le placement d’un enfant dans un foyer de l’enfance est la conséquence d’une décision judiciaire ou administrative. Celle-ci s’appuie sur les signalements de travailleurs sociaux, éducateurs, professeurs des écoles, policiers ou citoyens…Les motifs de placement sont des dangers ou risques de danger dans le développement de l’enfant, sous forme

97 de carences éducatives et affectives, occasionnant ou risquant d’occasionner des comportements inadaptés. En France et au Québec, la notion de danger ou de risque de danger n’est pas sans créer des discussions et débats. Lors d’un entretien avec un éducateur québécois d’origine haïtienne, celui-ci m’a décrit comment les parents haïtiens récemment installés en Amérique du Nord sont déboussolés devant les interdits éducatifs au Québec, par exemple celui de la violence physique. Cette population est en conséquence surreprésentée au sein de la protection de la jeunesse, parce que n’épousant pas les mœurs et pratiques majoritaires. En ce sens, la protection de l’enfance est un :

puissant agent de régulation sociale des comportements individuels ; […] dont la fonction latente consiste à (ré)inclure l’individu déviant dans la structure culturelle. (Macquet, Vrancken, 2003 : 119)

En France, un rapport de la HAS (2008 : 13-14) propose les caractéristiques suivantes à propos du public accueilli :

- Réalité de la maltraitance pour la moitié des enfants. - Problématique grandissante des mineurs non accompagnés - Évidence du handicap pour un certain nombre d’entre eux. - Retard de scolarisation, déscolarisation et décrochage. - Rupture des liens avec leur entourage.

- Souffrance psychique.

C’est dans ce contexte qu’évoluent les éducateurs spécialisés, moniteurs-éducateurs et psychoéducateurs, en France et au Québec.

Malheureusement, la réalité concernant les adolescents est souvent plus complexe et leur placement est jalonné de crises, de passages à l’acte qui le fragilisent […]. Le travail éducatif consiste donc à tenter de comprendre ces épisodes et de déterminer les étayages à mettre en place pour faire évoluer la situation. (Cleuziou, 2006 : 31)

Les parents comme les enfants vivent rarement positivement leur séparation avec leur environnement naturel. Les éducateurs doivent y développer une relation de proximité et un rôle de suppléance familiale, dans un contexte d’autorité, de surveillance et de contrôle. Les relations peuvent donc y être intenses. Les enfants, adolescents, parents et familles, sont pris dans des dynamiques relationnelles, judiciaires et administratives, qui bien souvent les dépassent. Les placements se font dans des structures de la protection de l’enfance en France (Maison d’Enfants à Caractère Social et Foyer de l’Enfance) et de la protection de la jeunesse au Québec (anciennement nommés Centres Jeunesse et intégrés depuis 2015 aux Centres intégrés – parfois, ndlr - universitaire de soins et de services sociaux ou CI(U)SSS). Des

98 modalités d’accueil diverses sont possibles, du placement complet et définitif jusqu’à la majorité (au Québec) au placement séquentiel, voire à domicile (en développement en France ces dernières années).

Notre recherche se déroule auprès de professionnels évoluant en internat. Rappelons ici que ce concept souffre actuellement d’un déficit d’image important. Les représentations négatives renvoyant à la répression et à l’internement se retrouvent dans les discours médiatiques et politiques et réseaux sociaux, exacerbées à l’ère du développement de l’individualisme et du libéralisme. L’enfermement a été historiquement conçu comme une protection de la société face aux dangers, via la prise en charge des populations vulnérables, même si la distinction dehors/dedans est plus complexe (Capul, 2007). En France, les annexes XXIV23 désignent l’internat comme la « dernière mesure pour des situations exceptionnelles ». L’internat étant très rarement le choix de l’enfant ou de la famille, et la décision de justice s’imposant à