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La contribution de la psychologie culturelle et de l’approche historico-culturelle.

DEUXIEME PARTIE : CADRES THEORIQUES.

5.2 La contribution de la psychologie culturelle et de l’approche historico-culturelle.

« Where, oh where is the social in social cognition ? » s’exclame-t-il (Schneider, 1991) en effet en constatant le peu d’études sur la cognition qui se rattachent véritablement à des variables d’interaction sociale. Si l’effet des variables sociales et culturelles sur les processus cognitifs n’ont pas eu beaucoup d’écho parmi les psychologues dit-il, c’est […] parce que personne n’est bien certain des paradigmes et méthodes à utiliser… (Delahousse, 2017 : 114)

Notre analyse du travail des éducateurs nécessite la construction d’un cadre théorique faisant lien entre processus cognitifs et interactions sociales. Nous poursuivons en basculant petit à petit du niveau macro au niveau micro, vers une articulation entre analyse de l’activité et présentation contextuelle. La psychologie du développement et les travaux de deux de ses principaux protagonistes : Piaget (1896-1980) et Vygotski (1896-1934), sont tout d’abord mobilisés, dans leurs accords et divergences.

Piaget comme Vygotski, malgré leurs controverses, s’accordent sur le fait que les mécanismes de la pensée et de son développement se trouvent à la croisée des boucles extérieur/intérieur et milieu/sujet. Ils dépassent ainsi le dualisme matière/esprit pour aborder le développement cognitif du sujet inscrit dans son environnement, vu comme matériel chez Piaget et vu à la fois comme matériel et social chez Vygotski.

(Nijimbere, 2013 : 2)

Notre recherche se situe autour des processus cognitifs et de leurs interactions avec l’environnement. Kagan (1992) propose que les croyances et connaissances des éducateurs,

100 parce qu’elles sont socialement et culturellement ancrées, forment un cadre de référence normatif relativement stable et résistant au changement. Le travail d’éducation serait contextuellement adossé aux éléments constituant la culture (dont les formes de l’échange) au sein d’une société donnée. Vygotski sera plus sensible à ce sujet que Piaget. Vandenplas (2006 : 210) écrit en effet que :

L’enfant piagétien est un sujet épistémique, désinséré de ses milieux de vie, qui construit sa connaissance seul par le jeu des processus de l’assimilation et de l’accommodation, reposant sur la maturation et induits par l’activité spontanément entreprise par l’enfant pour explorer son environnement. L’enfant vygotskien est au contraire inséré dans sa culture et guidé lorsqu’il s’approprie celle-ci.

Précisons que Vygotski n’adhérait pas précisément à la définition de « culture » telle que nous l’utilisons ici. Comme le rappelle Ageyev (2003), et en tant que ressortissant de l’Union Soviétique, la « culture » sous la plume de Vygotski doit plutôt s’entendre comme le « social », ce qui s’ancrerait d’autant plus dans les formes de l’échange. En effet, l’Union Soviétique, dans son projet d’homogénéisation idéologique des nombreux peuples évoluant sur son territoire gigantesque, ne portait pas en odeur de sainteté la « culture », concept sous-entendant que chacune des populations présente des caractéristiques et particularités diverses, éloignées du projet uniformisant de création de « l’Homo sovieticus ». Gardons en tête cette proposition dans notre travail de compréhension culturelle des pratiques d’éducation, tout en admettant que cette conception de la culture est cohérente avec l’orientation sociologique du paradigme de la forme.

Au-delà des approches complémentaires de Piaget et Vygotski, ce postulat rappelle que la connaissance du monde est une construction, qui se développe via des médiations avec les individus, l’environnement et la culture. La dimension relationnelle est une composante centrale du travail d’éducation, a fortiori spécialisée (Fablet, 2002). Les éducateurs mettent en place, au quotidien, des médiations aux enfants, sous la forme d’activités, de discussions, de sanctions… Et utilisent massivement un outil que Vygotski met au centre des liens entre culture et éducation : le langage. Ce dernier permet selon lui de penser le monde, et d’échanger des informations jugées pertinentes à son propos, dans un contexte culturel donné. Et c’est cette dernière donnée qui va donner du sens à l’expérience et à la validité des éléments langagiers énoncés. Selon Bruner (Houdé, Meljac, 2000 : 250) :

Pour saisir comment un sujet interprète ou comprend quelque chose, ce qui était l’ambition de Vygotski, il faut prendre en considération ses connaissances culturelles et linguistiques et le contexte dans lequel il se trouve, au sens restreint de la situation particulière de communication comme au sens large de système culturel.

101 C’est que Vygotski, le « Mozart de la psychologie » (Toulmin, 1978), a poursuivi un vaste chantier en décrivant une compréhension des apprentissages via une perspective socioculturelle. Le concept « d’instrument psychologique » avance qu’un ensemble d’artéfacts symboliques permette l’accompagnement des individus dans leur construction de la perception du monde et de leurs propres capacités. Les différentes cultures possèderaient ainsi un éventail d’outils validés en leur sein comme pertinents.

Dans la continuité de cette approche, Bruner (2008) insiste à propos de l’importance d’autrui dans le processus de développement. Cette perspective est cruciale, en ce qu’elle nous impose l’utilisation d’un modèle d’analyse de l’activité impliquant l’environnement et la culture. En allant plus loin, on pourrait affirmer que disserter de l’éducation en tant que concept advenant téléologiquement et hors-contexte, constitue un biais épistémologique, tant elle serait indissociable du social et du culturel. Bruner (2008) considère les interactions entre éducateurs et éduqués comme vecteurs de culture, et la cognition comme produit des relations sociales. Les outils, connaissances, institutions sont impliqués dans la construction de structures recherchées par l’enfant. Bruner démontrera expérimentalement que les individus mettent en place des hypothèses, puis des stratégies dynamiques et opératoires, via un système de sélection d’informations utiles à la résolution d’une tâche donnée. Il attribue ces capacités, bien entendu, aux éducateurs et aux pédagogues, mais aussi aux enfants, et encourage conséquemment les premiers à en tenir compte dans leur accompagnement. Dans cette idée, Barth (1985 : 49) écrit que :

L'enfant, comme le scientifique, cherche donc à établir une structure, à reconnaître les constantes dans ce qu'il perçoit pour comprendre les relations entre les choses. Il aura compris lorsqu'il aura réalisé pourquoi un élément est un exemple d'un cas plus général et il pourra alors confier à sa mémoire la règle générale sous forme d'une formule, d'un mot ou d'une image qui porteront le sens et l'aideront à reconstituer les détails. Une fois que la structure a été établie, elle sera un moyen de conserver dans la mémoire à long terme les exemples de cette structure et elle sera aussi un moyen de reconnaître des exemples inconnus.

Bruner (1996) développe ainsi deux perspectives à l’évolution de l’être humain vers et à travers la culture. La première renvoie à la construction et appropriation de significations par l’individu, via le langage notamment. La seconde correspond à la transaction de ces éléments de sens via la relation à autrui, par l’apprentissage, la pédagogie et l’éducation. L’esprit crée la culture et la culture à son tour donne forme à l’esprit, pour reprendre le titre de son ouvrage (Bruner, 1990).

102 Nous admettons donc que la culture, et les formes de l’échange, se transmettent et circulent dans le secteur professionnel de l’éducation spécialisée, et que le travail d’éducation mené en son sein participe à ces transactions. Ces contraintes et ressources ne sont pas nécessairement conscientisées en tant que telles par les acteurs, mais constituent néanmoins des conditions d’échange dont la forme va engendrer la pérennisation et l’inscription de l’individu dans une socialisation située. Les éducateurs sont des producteurs de médiations, et à ce titre, participent de la double fonction décrite par Vygotski (1978). La première est l’interaction avec les jeunes, quotidienne, sur le terrain, que nous nous attacherons à comprendre. L’autre se développe sous une forme intériorisée et intrapsychique, dans le processus de construction des enfants. Tout du moins, c’est l’espoir et la volonté des professionnels d’engager ces démarches, et c’est cette activité que nous tâcherons d’analyser et comprendre en France et au Québec. Comme notre objet est le travail d’éducation, nous ne nous poserons pas la question de savoir si cela fonctionne ou non, encore moins en termes de performances.

Les formes de l’échange, telles que décrites par Macquet et Vrancken (2003), constituent une référence théorique et des réflexions illustrant les « médiations » valorisées en contexte d’éducation français et nord-américain. Elles renvoient à la dimension pragmatique de la culture telle que décrite par Pastré (2014 : 17) :

La dimension pragmatique marque le fait que dans toute culture il y a aussi des manières de faire associées à des valeurs, c’est-à-dire des éléments qui orientent et dirigent l’activité. Car si l’éducation est une médiation, elle est un échange en ce que l’éducateur reçoit un feedback, positif ou négatif, de son positionnement, et réagit en fonction de ses propres marges de manœuvres, conscientisées ou non. Nous entrons dans un jeu de réciprocité (mais pas d’égalité), et d’interactions entre le tuteur et l’enfant. Et nous proposons que les formes de l’échange soient des ressources dans la construction des interactions éducatives au sein de la protection de l’enfance et de la jeunesse. Comment accéder ainsi à l’activité ?