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Le style analytique

Dans le document L'ontologie réaliste du théisme (Page 31-36)

On l’aura compris, notre travail s’inscrira principalement dans la tradi-tion analytique. Engel (2002)42a discut´e cinq crit`eres possibles pour d´efinir la d´emarche des philosophes analytiques, crit`eres auxquels un sixi`eme est `a ajouter.

(1) Un crit`ere g´eographique. La philosophie analytique serait anglo-saxon-ne mais ce crit`ere n’est ni juste ni tr`es ´eclairant sur la nature de l’approche.

41. Pouivet, R. (2003). Qu’est-ce que Croire ? Vrin, Paris.

42. Engel, P. (2002). Petits D´ejeuners Continentaux et Goˆuters Analytiques. LTE, Presses de Paris VIII, 20, Nouveaux Passages Transatlantiques.

(2) Un crit`ere historique permettant de tracer des filiations. Mais ce crit`ere suppose une possible identification de qui est analytique et de ce qui ne l’est pas et donc sous-entend au moins un autre crit`ere. (3) Un crit`ere th´ematique permettrait de situer le domaine d’´etude des

philosophes analytiques mais tous les domaines sont ´etudi´es.

(4) Un crit`ere doctrinal permettrait de d´efinir ce que pensent les philo-sophes analytiques mais `a peu pr`es toutes les positions sont d´efendues43. (5) Un crit`ere stylistique permettrait d’insister sur une forme commune

plutˆot que sur un improbable contenu commun. C’est ce crit`ere que nous allons retenir.

(6) Un crit`ere m´ethodologique44 pourrait sembler pertinent d’autant plus que la philosophie analytique est souvent r´eduite au prolongement de son moment logico-linguistique. Mais l’exclusivit´e de cette m´ethode ne correspond plus `a la pratique actuelle des philosophes analytiques. Reste donc le crit`ere stylistique qu’il nous faut pr´eciser. Le style analy-tique consiste 1) `a poser les probl`emes directement et `a placer les mises en perspectives historiques en second, ce qui n’est pas les ignorer et 2) `a proposer des th`eses et des arguments les plus pr´ecis et les plus clairs pos-sibles pour pouvoir les discuter. Pour le dire autrement, le d´epouillement sera la vertu des textes analytiques45. Le lien entre ce style et le th´eisme n’est pas ext´erieur. D`es le prochain chapitre, nous allons montrer que le th´eisme n’a de sens que grˆace `a un minimum de litt´eralit´e et d’univocit´e. Pour le comprendre, il faut donc un style de philosophie qui soit familier de la litt´eralit´e et qui sache fournir les outils d’une analyse au premier degr´e des probl`emes et des th`eses philosophiques46.

43. Engel souligne malgr´e tout que certaines th`eses sont impossibles `a d´efendre dans le style analytique. Un heideggerianisme analytique est hautement improbable alors qu’un marxisme analytique existe chez Jon Elster.

44. Sur les liens entre style et m´ethode, voir : Nef, F. (1997). Eloge de la Clart´e, la Philosophie Analytique, Style ou M´ethode ? in Vienne, J.-M., (´ed) (1997). Philosophie Analytique et Histoire de la Philosophie. Vrin, Paris..

45. Nef (2006, p.14) parle d’un amour du style d´epouill´e auquel j’essaierai de me tenir. 46. Sur le lien interne entre philosophie analytique et litt´eralit´e, nous suivons les d´eveloppements de Pouivet, R. (2008). Philosophie Contemporaine PUF, Paris,

p.40-Mais est-ce une originalit´e des philosophes dits analytiques que de d´efendre le style analytique ? On peut en douter car ce style se retrouve dans la tradition la plus classique, chez Aristote, Thomas, Duns Scot ou Leibniz pour ne citer que ceux que nous utiliserons principalement. Il y aurait donc avant tout une opposition de style au cœur de la tradition philosophique et pas seulement dans la philosophie contemporaine (Nef, 1997, p.138).

Notre usage de l’histoire de la philosophie sera conforme `a ce style. Nous privil´egierons les reconstructions rationnelles fond´ees sur le principe de pertinence plutˆot que les reconstructions historiques mettant seulement en avant le crit`ere de fid´elit´e47. La reconstruction historique ne nous servira qu’`a mieux cerner les th`eses et arguments des auteurs dans le but explicite de savoir si ce qui est dit peut ˆetre tenu pour vrai. Ainsi, un probl`eme, une th`ese ou un concept n’aura pas seulement de sens relativement `a une confi-guration historique mais aussi, une fois interpr´et´e correctement, pour nous. Cette m´ethode de reconstruction, nous chercherons `a l’appliquer ´egalement aux auteurs non analytiques, sans quoi le dialogue serait impossible48.

On pourrait craindre une certaine violence exerc´ee `a l’encontre des textes car la traduction des concepts des auteurs du pass´e dans l’idiome contem-porain ressemble `a une instrumentalisation. Mais il y aurait une certaine na¨ıvet´e `a croire que l’exigence de fid´elit´e, au nom de laquelle la recons-truction rationnelle serait disqualifi´ee, soit la marque de la reconsrecons-truction historique. L’herm´eneutique nous a appris `a toujours penser notre relation au pass´e sur le mode d’une interpr´etation `a partir d’un donn´e qu’il faut as-sumer, reconnaitre et expliciter. Mais la diff´erence entre ces deux pratiques de l’histoire de la philosophie se situe plus dans le retour du pass´e vers le pr´esent que dans l’attention `a ce qui a ´et´e dit.

3.

47. Sur le style analytique en histoire de la philosophie, nous suivons Panaccio, C. (2000). Philosophie Analytique et Histoire de la Philosophie, in Engel, P., 2000.

48. Le moment le plus complexe sera la lecture de la th´eologie n´egative et de la th´eologie mystique dans la section 3.5.

La reconstruction historique en se voulant fid`ele pr´esente un auteur (et son œuvre) tel qu’il pourrait se reconnaitre sans directement le confronter `a l’´etat actuel des d´ebats. La reconstruction rationnelle pr´esente les th`eses et les arguments d’un auteur tels qu’ils pourraient ˆetre si l’auteur pre-nait part aux d´ebats contemporains. Deux raisons, au moins, empˆechent g´en´eralement les tenants de la reconstruction historique de faire ce re-tour vers le pr´esent. Premi`erement, une conception plus historiciste du d´eveloppement de l’esprit, comme on la trouve exemplairement chez He-gel, Heidegger ou Foucault. Deuxi`emement, une pratique de la philosophie o`u les arguments et les th`eses ne peuvent pas ˆetre isol´es d’une œuvre, de sa dynamique interne, des d´ebats avec les contemporains, de sa langue et souvent de ses conditions socio-politiques, c’est-`a-dire d’un contexte qui lui-mˆeme est pens´e ou `a penser en mˆeme temps que les th`eses. Or, il nous semble, `a l’inverse, d’une importance anthropologique essentielle d’affirmer que les grands probl`emes philosophiques et les crit`eres g´en´eraux de rationa-lit´e pr´esidant `a la recherche de la v´erit´e sont assez souvent transhistoriques. Ainsi, on peut tenir `a la fois 1) qu’il n’existe pas de discours transhistorique pour travailler les questions philosophiques et donc qu’il faut formuler les th`eses et les arguments du pass´e dans l’idiome contemporain et 2) que l’as-pect transhistorique ou universel des probl`emes et des crit`eres g´en´eraux de rationalit´e s’oppose `a l’´eventualit´e d’une totale incommensurabilit´e entre notre mani`ere actuelle de penser les probl`emes et celles du pass´e49. Enfin, on peut retourner l’accusation de trahison contre les d´efenseurs de la recons-truction historique. La plupart des auteurs que nous utiliserons cherchaient bel et bien des th`eses et posaient r´eellement des arguments `a discuter de leur temps et apr`es. En rester `a l’´etablissement historique de leur discours et de leur pens´ee sans se les r´eapproprier minutieusement et donc sans les

49. Voir Panaccio (2000, p.333-7) qui reprend le d´ebat entre Davidson et Putnam d’un cˆot´e et Kuhn et Feyerabend de l’autre. On pourra aussi se reporter, pour l’histoire de la philosophie m´edi´evale, `a l’article suivant : Raveton, C. (2009). Pourquoi et Comment Etudier la Philosophie M´edi´evale ? Kl´esis, 11, `a propos du d´ebat entre Panaccio et De Libera soutenu par Flasch. Nous la rejoignons quand elle montre que les enjeux sont bien ceux de l’universalit´e de la raison humaine et de la philosophie dans sa dimension th´eor´etique.

int´egrer `a notre propos pour une ´evaluation est peut-ˆetre une trahison et non un effort de lucidit´e et de fid´elit´e.

Le plan de notre travail sera donc le suivant. Dans le chapitre qui vient, nous commencerons par pr´esenter le probl`eme de mani`ere g´en´erale puis nous l’approfondirons en fonction des questions contemporaines relatives `a la v´erit´e et `a la s´emantique. Les chapitres 3 et 4 porteront sur les alter-natives au th´eisme interpr´et´e de mani`ere r´ealiste. Ensuite, nous pourrons chercher la ou les ontologies qui peuvent ˆetre `a l’arri`ere-plan du th´eisme (Partie II). Tout au long de ce parcours nous aurons `a nous confronter `a des reconstructions doctrinales, notamment de Wittgenstein (section 3.1), de Kant (section 3.3) ou Thomas d’Aquin (chapitre 11).

Dans le document L'ontologie réaliste du théisme (Page 31-36)