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Le besoin d’un concept de Dieu

Dans le document L'ontologie réaliste du théisme (Page 37-41)

Premi` ere d´ efense du r´ ealisme th´eiste

2.1 Le besoin d’un concept de Dieu

Pour parler de Dieu et penser Dieu, il faut toujours tenir compte de la singularit´e de Dieu, c’est l`a une ´evidence que nous avons toujours `a

prit. Les religions comme les philosophies font de Dieu un ˆetre disons `a part, en le qualifiant de transcendant, parfait ou maximal. ˆEtre attentif `a cette singularit´e n’est pas seulement un probl`eme de pi´et´e mais avant tout, pour notre travail, un probl`eme de v´erit´e. Penser Dieu suppose une pens´ee qui ne d´etruise pas la r´ef´erence `a Dieu `a cause de m´ethodes incom-patibles avec Dieu lui-mˆeme. Tel est en effet le reproche que l’on pourrait adresser `a l’analyse conceptuelle et `a l’enquˆete ontologique quand elles sont utilis´ees pour penser Dieu : en proposant un discours ou une pens´ee dont les cat´egories sont inad´equates `a l’objet, elles ont un sens mais pas de r´ef´erence, c’est-`a-dire qu’elles sont fausses a priori, avant mˆeme toute discussion des arguments. Nous rencontrerons cette objection `a notre projet `a diff´erents moments, dans la critique de toute th´eorisation en mati`ere religieuse dans la section 3.1, dans la s´eparation de Dieu et de la question de l’ˆetre dans la section 3.5 et `a propos de la simplicit´e divine dans le chapitre 11. Pour ce premier chapitre, nous allons montrer que l’usage de concepts et le r´ealisme ontologique sont non seulement indispensables pour le travail philosophique `a propos de Dieu mais aussi parfaitement d´erivables des croyances et pra-tiques religieuses. Ainsi, l’analyse conceptuelle et le r´ealisme ontologique seront-ils consid´er´es comme des prolongements r´eflexifs des croyances1 et non comme des greffes philosophiques artificielles par rapport `a la nature des croyances et des pratiques. C’est une autre mani`ere de dire que l’oppo-sition entre Ath`enes et J´erusalem, si elle existe, ne peut ˆetre pouss´ee trop loin et que l’autre oppositon entre le Dieu des philosophes et le Dieu des croyants n’a pas beaucoup de sens si elle doit d´ecrire les rapports de tous les philosophes `a la question de Dieu.

Notre premier argument pour d´efendre l’analyse conceptuelle, qui n’est pas encore une analyse ontologique, des croyances religieuses consiste `a montrer que le concept de Dieu est donn´e et non invent´e ou construit par des philosophes. Les d´ebats entre ath´ees et th´eistes ne peuvent prendre une forme philosophique que s’ils discutent un mˆeme concept de Dieu et des

1. Ces prolongements appartiennent de plein droit `a ce que l’on nomme l’intelligence de la foi.

concepts communs appliqu´es `a Dieu. Un d´ebat sur la coh´erence du concept d’omnipotence et donc sur la possibilit´e d’un ˆetre omnipotent n’existerait pas sans la mise en jeu d’un concept d´efinissable d’omnipotence. Mais s’il paraˆıt assez ´evident que les philosophes utiliseront un concept de Dieu, il faut justifier son lien avec les pratiques et les croyances religieuses.

Il semble bien que celles-ci pr´esupposent un concept de Dieu. Comment s’assurer que c’est bien de Dieu dont on parle ou auquel on pense sans un concept pr´ecis de Dieu ? Celui qui invalidera telle ou telle repr´esentation de Dieu ou tel ou tel comportement, le fera au nom d’un concept de Dieu qui le guide dans sa r´eflexion et son ´evaluation. Par cons´equent, les d´ebats phi-losophiques quand ils portent sur Dieu au moyen d’analyses conceptuelles sont `a la fois dans le prolongement des croyances religieuses puisqu’ils en ´etudient un aspect, l’aspect conceptuel, et ils sont dans leur plein droit philosophique puisqu’ils soumettent le concept `a l’analyse philosophique2.

Le deuxi`eme argument est une critique de l’objection que l’on pour-rait appeler l’objection de la transcendance3. Certes, si une pratique ou une croyance existe, il est probable que des concepts lui sont associ´es et que la philosophie ait pour tˆache d’en fournir l’analyse. Mais dans le cas de Dieu, l’objet lui-mˆeme interdirait, selon certains, l’analyse conceptuelle. Parce qu’il est transcendant, Dieu ne peut ˆetre pens´e ad´equatement par des concepts dont l’usage ne vaut que pour des objets mondains ou d’exp´erience. L’argument sous-jacent a la forme suivante :

(1) Par d´efinition, Dieu est transcendant.

(2) Aucun concept (aucun pr´edicat) ne peut s’appliquer `a Dieu.

L’argument propose de passer d’une transcendance m´etaphysique `a une transcendance conceptuelle (ou linguistique). La transcendance conceptuelle (ou pr´edicative) serait le propre d’un ˆetre qui reste inaccessible `a

l’acti-2. Michon, C. (2006) Il nous Faut bien un Concept de Dieu, Critique, 62(704-05) : 92–104. Ce texte d´efend clairement la n´ecessit´e d’un concept de Dieu pour le d´ebat ath´eisme/th´eisme et pour le croyant.

3. Sur cet argument, voir : Plantinga, A. (1980). Does God Have a Nature ?, Marquette University Press, Milwaukee, p.23-6 ; Alston, W. (1995). Realism and the Christian Faith, International Journal for Philosophy of Religion, 38(1), p.53.

vit´e conceptuelle et `a l’attribution. La transcendance m´etaphysique est la diff´erence radicale entre Dieu et le cr´e´e tandis que la transcendance concep-tuelle signifie que Dieu est au-del`a de tout concept ou de tout discours. Le passage de la transcendance m´etaphysique `a la transcendance conceptuelle ne semble pourtant pas ´evident du tout. De (1), on peut aussi d´eduire.

(3) J’utilise le concept de transcendant pour penser Dieu.

Les propositions (3) et (2) sont contradictoires et il semble plus l´egitime d’affirmer que (3) est conclue de (1). Par cons´equent, l’on peut utiliser des concepts pour penser Dieu si Dieu est d´efini comme transcendant. Il est manifeste que l’objection repose sur deux pr´esuppos´es massifs, tr`es discu-tables et li´es. Le premier consiste `a estimer que les concepts ne peuvent s’appliquer qu’`a ce qui nous est empiriquement accessible. Pourtant, les math´ematiciens, pour ne pas parler des m´etaphysiciens, semblent parfaite-ment capables d’utiliser des concepts qui ne d´erivent pas de l’exp´erience comme le concept de z´ero ou de vide. Nous reviendrons pr´ecis´ement sur ce point quand nous ´etudierons l’analyse kantienne (section 3.3). Le se-cond pr´esuppos´e identifie la transcendance conceptuelle et la transcendance m´etaphysique, cette confusion soutenant le premier pr´esuppos´e. Ce pr´esup-pos´e consiste `a croire que Dieu ´etant transcendant par rapport au cr´e´e, il transcende le domaine d’application de tous nos concepts. Cela renforcerait la restriction de l’application l´egitime des concepts `a ce qui est dans notre monde ou `a ce qui est accessible empiriquement. Pourtant, celui qui pense et mˆeme argumente `a propos de la transcendance de Dieu doit bien avoir un concept de Dieu pour affirmer qu’il est transcendant, ne serait-ce que le concept de transcendance divine qui bien que difficile `a d´efinir et `a utiliser n’en reste pas moins un concept.

Le troisi`eme argument pour l’analyse conceptuelle appliqu´ee `a Dieu permet de lever un malentendu sur la port´ee de l’analyse conceptuelle. Le refus de l’analyse conceptuelle est souvent due `a une m´efiance devant

l’imp´erialisme du concept �4, si cette expression a un sens. Pourtant

4. Cette expression est litt´eralement utilis´ee par Cioran, E. (1987). Aveux et Anath`emes, Gallimard, Paris,. Il s’agit de fragments sur la musique o`u le concept est d´enonc´e comme prenant la place de l’expressivit´e de la musique. On entend plus

sou-l’analyse conceptuelle n’a pas `a ˆetre r´eductrice ou exhaustive. Produire un concept de Dieu et utiliser une batterie de concepts pour penser Dieu, ce n’est 1) ni r´eduire Dieu `a un concept ; comment le pourrait-on ? il est probable que Dieu ne se laisserait pas faire ( !), 2) ni pr´etendre, grˆace `a une bonne analyse, ´epuiser tout ce qu’il y a `a penser et `a dire sur Dieu ; qui ne l’a jamais dit ? L’analyse conceptuelle n’interdit ´evidemment pas d’autres types de discours sur Dieu tout aussi l´egitimes et n´ecessaires pas plus qu’elle n’interdit la possibilit´e d’une vision de Dieu au sens des m´edi´evaux. Elle a sa l´egitimit´e dans son domaine et nous ne cesserons pas d’insister sur ce point. Le r´ealisme du th´eisme est une approche tr`es modeste et partielle de la question de Dieu, mais elle reste n´ecessaire5.

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