• Aucun résultat trouvé

Compr´ ehension et conditions de v´ erit´ e

Dans le document L'ontologie réaliste du théisme (Page 74-81)

Premi` ere d´ efense du r´ ealisme th´eiste

2.2 Le r´ ealisme du th´ eisme

2.3.2 Compr´ ehension et conditions de v´ erit´ e

La d´efense de l’antir´ealisme d´epend donc d’une th´eorie de la compr´ehen-sion. Le d´ebat entre r´ealisme et antir´ealisme est d’abord rapport´e au pro-bl`eme de la signification des ´enonc´es, puis `a celui de la compr´ehension des ´enonc´es. Pour expliciter parfaitement les conditions de v´erit´e des ´enonc´es, il faut donner la th´eorie de la compr´ehension de ces conditions par le locuteur. La signification est l’usage dit Dummett `a la suite de Wittgenstein65. Un ´enonc´e comme une proposition n’existe pas ind´ependamment de toute ´enonciation, de toute assertion au moins possible. Un ´enonc´e ind´ecidable est un ´enonc´e qui n’a pas de sens, c’est un outil inop´erant. Mais Dummett (1991a, p.174) va au-del`a de la question de l’usage car il faut distinguer ce qui est dit d’ordinaire et ce que l’on a raison de dire. Les conditions de v´erit´e d’un ´enonc´e ne sont pas seulement des r`egles d’usage mais surtout des conditions d’assertion garantie de cet ´enonc´e.

La s´emantique n’a pas `a invoquer des faits ind´ependants du locuteur pour d´ecrire l’apprentissage de la signification, la compr´ehension et in fine la signification elle-mˆeme. La capacit´e `a utiliser des concepts ou des ´enonc´es n’implique pas, lors de l’apprentissage, l’observation ou la connaissance de faits sur lesquels le locuteur se r´eglerait pour ´enoncer des v´erit´es. Aucune connaissance de ce type n’est couramment utilis´ee et ne d´etermine ce que c’est que comprendre la signification. Pourtant, cette absence de connais-sance pourrait ˆetre aussi une critique de la s´emantique de l’assertabilit´e ga-rantie. Une connaissance explicite des conditions d’assertion garantie semble difficile `a pr´esupposer chez tous les locuteurs. Dummett reconnaˆıt ce point

La d´ecision n’est pas toujours possible, on peut s’en approcher sans n´ecessairement l’at-teindre. Alston note ainsi que, comme les positivistes, Dummett est pass´e d’un id´eal de v´erification `a un id´eal de confirmation sans bien pr´eciser les effets de cette limite sur sa s´emantique. Voir Alston, W. (1996). A Realist Conception of Truth. Cornell University Press, Ithaca, New York, p.111-2.

65. Dummett (1991a, chap. XII) pr´esente l’importance de Wittgenstein pour l’ap-proche s´emantique des probl`emes philosophiques.

auquel il faut ajouter le risque d’une r´egression `a l’infini. Si pour com-prendre, il faut une connaissance explicite, c’est-`a-dire explicit´ee, il faudrait des ´enonc´es dont la signification soit comprise pour que l’on puisse explici-ter nos connaissances permettant de comprendre la signification de l’´enonc´e initial (Alston, 1996, p.106).

Dummett d´efend en r´ealit´e l’id´ee d’une connaissance implicite des condi-tions de v´erit´e66. Cette connaissance est un savoir-comment et non un savoir-que. Cette connaissance rel`eve de capacit´es `a faire un usage correct et non `a connaˆıtre que telle et telle conditions doivent ˆetre remplies. Et, cette connaissance implicite doit pouvoir se manifester, elle n’est donc pas ad hoc. La manifestabilit´e des conditions de v´erit´e ´elargit alors l’intuitionnisme et le rapproche du b´ehaviorisme.

La connaissance implicite ne peut en toute rigueur ˆetre attribu´ee `a quelqu’un que s’il est possible de dire en quoi consiste la manifesta-tion de cette connaissance. Il doit y avoir une diff´erence observable entre le comportement ou les aptitudes de quelqu’un qui est cens´e avoir cette connaissance et le comportement ou les aptitudes de quel-qu’un `a qui elle est cens´ee faire d´efaut. (Dummett, 1991b, p.82)

La manifestabilit´e se situe donc `a deux moments de l’usage du langage : l’apprentissage et l’explicitation de la compr´ehension. Le locuteur apprend `a partir des comportements et en reconnaissant les conditions d’assertabi-lit´e correcte. Le locuteur montre sa compr´ehension en suivant l’usage cor-rect que l’on doit faire des ´enonc´es. La manifestabilit´e est une condition n´ecessaire de la v´eritable compr´ehension de la signification tout comme de l’apprentissage (Dummett, 1991b, p.93-4).

Devitt (1997, p.274)67 souligne le probl`eme d’une telle conception de l’apprentissage qui pr´esuppose une int´eriorisation des conditions d’assertion garantie : ces conditions de v´erit´e rel`event d’abord de la s´emantique plutˆot

66. Sur ce point, Dummett (1991c, p.93-95) dit se s´eparer de Wittgenstein car il refuse d’expliquer l’usage par une capacit´e, ce qui ne rendrait pas compte de la compr´ehension qui rel`eve bien d’une connaissance.

67. Devitt, M. (1997). Realism and Truth. Princeton University Press, Princeton, 2e ´edition.

que de la pratique quotidienne. Il faut une forte th´eorisation du langage pour pouvoir identifier et ensuite ´eventuellement int´erioriser ces conditions. Cette remarque vaut aussi pour l’´eventuelle connaissance des conditions factuelles de v´erit´e. Il paraˆıt plus simple de consid´erer que les locuteurs int´eriorisent une grammaire, des r`egles d’usage et du vocabulaire. Ceci pourrait suffire `a comprendre les ´enonc´es. Le r´ealiste demandera ensuite que l’on distingue la connaissance (ou l’ignorance) des conditions de v´erit´e par les locuteurs de l’existence des conditions de v´erit´e ind´ependantes de nos pens´ees. Un ´enonc´e peut avoir des conditions de v´erit´e sans que les locuteurs utilisant ces ´enonc´es connaissent actuellement ces conditions.

Mˆeme s’il ´etait le cas que les locuteurs associent r´eflexivement avec S seulement la condition de son assertion correctement justifi´ee, il ne s’en suivrait pas que S n’avait aucune propri´et´e s´emantique autre que l’association avec cette condition : l’acte d’association peut conf´erer `

a S des propri´et´es que nous ne reconnaissons pas [dans la pratique quotidienne]. (Devitt, 1997, p.283)

La th´eorie de la v´erit´e ne se r´eduit donc pas `a l’´epist´emologie ou `a la s´emantique, c’est un des principes r´ealistes auxquels nous pouvons res-ter attach´e apr`es l’examen de Dummett. En bon r´ealiste, Devitt con¸coit des conditions de v´erit´e comme des propri´et´es des ´enonc´es qui n’ont pas `a ˆetre n´ecessairement mentionn´ees dans l’explication des comportements linguistiques et Dummett n’a pas v´eritablement d’argument pr´ecisant que les conditions factuelles de v´erit´e sont incompatibles avec l’apprentissage norm´e par l’assertabilit´e garantie.

Ainsi, la caract´erisation de cette th´eorie, selon laquelle la significa-tion d’une phrase est donn´ee par ses condisignifica-tions de v´erit´e, comme

r´ealiste (Dummett, 1993, chap. 13)68 est pour nous ironique. Une connaissance des conditions de v´erit´e est au plus une ´etape vers la r´ealit´e : on peut sˆurement envisager de comprendre une phrase (en connaˆıtre la signification), tout en ayant en mˆeme temps qu’une

68. Dummett, M. (1973/1993). Frege : Philosophy of Language. Harvard University Press, Harvard.

connaissance partielle de la nature de ses possibles v´erifacteurs. (Mul-ligan et al., 1984, p.10)69

L’assertion garantie ou correcte ram`ene le langage `a sa dimension sociale et communicationnelle, mais la d´efinition de conditions de v´erit´e impose une relation `a la r´ealit´e qui semble perdue et impossible `a retrouver. La signification d´ependant int´egralement de nos pratiques, l’on peine `a com-prendre comment l’ind´ependance de la r´ealit´e, au sens o`u nous n’avons pas cr´e´e les dinosaures, peut ˆetre prise en compte dans notre explication de la connaissance70. L’id´ee d’une correction de l’usage semble insuffisante pour rendre raison de la v´erit´e d’un ´enonc´e. Dummett ne propose pas une th´eorie suffisante des conditions de v´erit´e d’un ´enonc´e. On peut mˆeme penser que Dummett ne peut pas renoncer compl`etement `a la notion r´ealiste de v´erit´e, c’est-`a-dire `a des conditions de v´erit´e ind´ependantes de l’´enonc´e.

Si nous disons que le mieux que nous puissions faire avec, par exemple, un jugement th´eorique en science est d’ajouter des preuves empi-riques qui le rendent plus ou moins probable, mais que nous ne pou-vons pas manifester des preuves donnant une v´erification concluante, en vertu de quoi faisons-nous le jugement que l’´evidence disponible pour nous est insuffisante pour une v´erification stricte ? Nous devons avoir une saisie de ce qui est assert´e par le jugement qui va au-del`a de n’importe quelle preuve possible que nous pouvons obtenir. Et si, comme Dummett l’assume, une telle compr´ehension consiste en la saisie soit des conditions (r´ealistes) de v´erit´e soit des conditions de v´erification, et, puisque par hypoth`ese, la derni`ere n’est pas dispo-nible dans ce cas, alors ce qui est pr´esuppos´e ici est une saisie des conditions r´ealistes de v´erit´e pour ce jugement. (Alston, 1996, p.126)

La seule mani`ere d’accorder ce point tout en conservant la s´emantique de Dummett serait de pr´esupposer une connaissance sans point de vue, sauf

69. Mulligan, K., Simons, P., et Smith, B. (1984). Truth-makers. Philosophy and phe-nomenological research, 44(3) :287–321.

70. Notre critique de Dummett est parall`ele `a celle que Granger oppose `a l’analyse des cat´egories ontologiques aristot´eliciennes par Benv´eniste. La structure de la langue et les conditions de signification sont peut-ˆetre des guides mais il est loin d’ˆetre prouv´e qu’elles soient architectoniques. Voir Granger, G.-G. (1976). La Th´eorie Aristotelicienne de la Science. Aubier- Montaigne, Paris, p.59-60.

celui de Dieu comme ˆetre omniscient. Nous allons donc examiner et contes-ter cet usage de la possibilit´e d’un ˆetre omniscient ind´ependamment d’une th´eorie r´ealiste de la v´erit´e.

2.3.3 Omniscience et antir´ealisme.

Si la s´emantique v´ericonditionnelle invoque des faits ind´ependants de notre recherche ou de notre pens´ee et qu’elle tient compte de l’acc`es aux conditions de v´erit´e, elle doit s’appuyer sur l’hypoth`ese m´etaphysique sui-vante : il existe un ˆetre omniscient qui connaˆıt toutes les valeurs de v´erit´e des propositions ou ´enonc´es.

Selon cette hypoth`ese, les valeurs de v´erit´e sont d´etermin´ees pour toutes les propositions et ind´ependamment de nous, y compris les propositions ou ´enonc´es portant sur le futur ou sur l’infini en math´ematiques. La s´emantique v´ericondition-nelle est donc r´ealiste si elle peut invoquer la d´etermination des valeurs de v´erit´e et la connaissance objective de ces valeurs par un ˆetre transcendant nos limites et n’ayant pas de point de vue limit´e sur le monde. Cette omniscience constitue pour nous une forme d’id´eal r´egulateur de la connaissance. Dummett formule alors deux objections contre cet argument. (1) L’existence d’un Dieu omniscient ne nous est d’aucun secours pour la s´emantique des ´enonc´es que nous utilisons. Nous ne connaissons pas comme Dieu connaˆıt. Quand bien mˆeme Dieu aurait la connaissance de la valeur de v´erit´e de toutes les propositions, la signification des ´enonc´es assertant ces propositions nous resterait inaccessible.

(2) Mais Dummett (1991c, p.351) remarque aussi qu’invoquer le th´eisme pour d´efendre une s´emantique r´ealiste ne r´esout rien. Admettre que Dieu connaˆıt la v´erit´e ou la fausset´e de chaque proposition m`ene `a une p´etition de principe. En effet, pour que Dieu puisse, par son om-niscience, connaˆıtre la valeur de v´erit´e de toutes les propositions, il faut que ses propositions aient une valeur de v´erit´e que Dieu d´ecouvre. Cette conception r´ealiste de la s´emantique, ici appliqu´ee `a Dieu, serait pr´esuppos´ee par le th´eiste visant `a d´efendre sa s´emantique r´ealiste. On peut objecter que de nombreux th´eistes n’ont jamais pens´e que

l’omniscience de Dieu devait ˆetre int´egralement comprise `a partir d’une pr´ed´etermination de toutes les valeurs de v´erit´e des propositions ind´ependantes de Dieu. Citons, malgr´e leurs diff´erences, aussi bien Augustin, Descartes ou Leibniz ou bien encore plus r´ecemment Plan-tinga qui font d´ependre, de mani`ere diff´erente, les v´erit´es ´eternelles de leur affirmation par Dieu plutˆot que de faire d´ependre l’entende-ment de Dieu de v´erit´es ext´erieures ou ind´ependantes de lui71. Par ailleurs, il existe une forte ambigu¨ıt´e dans l’argument de Dummett sur le lien entre Dieu et les v´erit´es : sont-elles d´ecouvertes ou affirm´ees ? Dummett n’utilise pas explicitement le terme d´ecouverte mais sa description de la connaissance divine semble bien faire de Dieu un ex-plorateur des conditions de v´erit´es pr´ed´etermin´ees. Cette ambigu¨ıt´e est la marque de son constructivisme mod´er´e qu’il faut maintenant discuter.

2.3.4 Le constructivisme mod´er´e

L’antir´ealisme s´emantique est intrins`equement li´e `a une forme de con-structivisme mod´er´e dont on peut contester la pertinence. Selon le construc-tivisme mod´er´e, le monde n’est pas constitu´e int´egralement par notre es-prit ou notre langage, il existe bien un monde en soi pour Dummett. Les caract´eristiques et l’ordre du monde ne sont pourtant pas ind´ependants de notre activit´e s´emantique. Comment comprendre cette construction de l’ordre du monde ext´erieur ou de l’esprit d’autrui ?

Nous adoptons in´evitablement l’image de cette r´ealit´e qui la repr´e-sente comme ´etant le produit de notre pens´ee, ou tout du moins, comme venant `a exister seulement quand elle est pens´ee. (Dummett, 1991b, p.103)

Si nous comprenons la nuance introduite au milieu de cette phrase, nous n’inventons pas toute la r´ealit´e, mais la r´ealit´e avec ces d´eterminations n’existent que par notre activit´e cognitive ou linguistique. Nous sommes

bien dans le cas d’un constructivisme mod´er´e72. On retrouve le mˆeme type de formulation dans l’ouvrage le plus r´ecent de Dummett.

D’un point de vue justificationiste, ce que nous pouvons connaˆıtre s’´etend aussi loin que que nos moyens effectifs de trouver [la v´erit´e] : l’implication ne va pas d’ˆetre vrai `a la possibilit´e de le connaˆıtre, mais dans la direction oppos´ee. Ce serait faux de dire que nous construi-sons le monde, puisque nous n’avons pas de contrˆole sur comment nous le trouvons ; mais le monde est, pour ainsi dire, form´e `a partir de notre exploration de ce monde. (Dummett, 2006, p.92)73

Quelle est la diff´erence entre construire et former lors de notre explora-tion ? Si l’on peu, en mˆeme temps, former et explorer un monde, il s’agit bien d’un constructivisme mod´er´e. Ce constructivisme repose sur une confu-sion relev´ee par exemple par Alston (1996, p.98). L’argument constructi-viste suppose que puisque l’acc`es aux faits n’est pas direct comme dans le mod`ele de l’astronome si l’on admet que la lunette n’est que le prolonge-ment de l’œil, ce qui est pens´e, per¸cu ou ´enonc´e ne peut pas correspondre aux faits ext´erieurs ou ind´ependants. Le contenu pens´e, per¸cu ou ´enonc´e serait constitu´e, au moins en partie, par notre activit´e cognitive ou linguis-tique. Mais c’est une confusion entre le quoi (what) et le comment (how ) de la connaissance. Ce qu’il y a `a connaitre ne peut pas ˆetre construit par la recherche. Les moyens d’acc`es perceptif, cognitif ou conceptuel n’empˆechent pas par eux-mˆemes une croyance vraie au sens de rendue vraie par des en-tit´es ind´ependantes. Ce qui est construit est la repr´esentation de ce qu’il y a `a connaitre et ce qui fait de cette repr´esentation une connaissance d´ependra, entre autres, de sa relation avec ce qu’elle repr´esente et qui fonde ou non la v´erit´e de la repr´esentation. Dummett tombe donc dans un antir´ealisme g´en´eralis´e par g´en´eralisation abusive de la d´ependance conceptuelle, an-tir´ealisme que nous avons d´ej`a critiqu´e dans la section 2.2.2.

72. Byrne qualifie mˆeme les th`eses de Dummett d’id´ealistes `a cause de l’importance de la construction des connaissances. Voir : Byrne, P. (2003). God and Realism. Ashgate Publishing, Aldershot, Eng, p.98.

2.3.5 Illustration des limites de l’antir´ealisme : une

Dans le document L'ontologie réaliste du théisme (Page 74-81)