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Ath´ eisme de facto 29 ?

Dans le document L'ontologie réaliste du théisme (Page 131-136)

R´ eponses aux objections antir´ealistes

3.1 Religion, pratique et th´ eorie

3.1.6 Ath´ eisme de facto 29 ?

La critique du th´eisme est, comme nous l’avons vu, tr`es discutable, et cette critique de type fid´eiste se r´ev`ele aussi une forme surprenante d’ath´eisme. Wittgenstein (1985, p.72) reconstruit la foi en deux temps : d’abord, il ´etudie l’engagement envers des principes d’existence, puis il ajoute la confiance par opposition `a la peur pour faire de cet engagement un engagement religieux et pas seulement une superstition. Pour penser la foi dans le cadre d’un fid´eisme religieux, il devrait poser Dieu comme celui qui donne la foi. Il ne peut pas le faire car Dieu n’a de sens que dans une pratique `a laquelle Wittgenstein (1985, p.56) ne participe pas `a cause d’une certaine raideur aux genoux. L’antir´ealisme accompagne bien le relativisme et le fid´eisme moral mod´er´e car la possibilit´e d’un Dieu exis-tant ind´ependamment de la pratique religieuse n’est pas envisageable. L’ap-proche anti-th´eorique aussi soucieuse soit-elle de reconnaˆıtre une valeur aux pratiques religieuses ne se d´eveloppe que sur le fond d’une n´egation impli-cite de l’existence de Dieu, au sens d’un ˆetre dont l’existence ne d´epend pas de ceux qui y croient. Les th`eses de Wittgenstein seraient donc souvent marqu´ees par son ath´eisme, mˆeme si celui-ci est temp´er´e par son int´erˆet profond et sinc`ere pour la vie religieuse.

Pour temp´erer cet ath´eisme de facto, il faudrait que l’on puisse d´efendre un r´ealisme du sens commun pour le th´eisme, un r´ealisme interne `a la pratique religieuse. Tout comme il est possible de d´efendre un r´ealisme des objets de la perception `a partir d’une th´eorie du sens commun (par exemple Pouivet, 2006a, chap. 1), on devrait imaginer un r´ealisme propre aux pratiques religieuses qui affirmant que Dieu existe seraient justifi´ees par un sens commun th´eiste. Ce serait une position proche de celle de Plantinga (2000, III, 6 et 8) mais on voit mal o`u trouver, dans l’œuvre de Wittgenstein, un d´ebut d’argument en ce sens. Rien ne vient introduire le moindre th´eisme r´ealiste dans les ´ecrits de Wittgenstein sur la religion.

Cette prise de position se manifeste dans l’anthropologie de la religion.

29. L’expression est de Harris, J. (2002). Analytic Philosophy of Religion, Kluwer Aca-demic Publishers, Dordrecht, p.189.

Wittgenstein fait de la religion une expression de la nature humaine, notam-ment dans ses r´eflexions sur Frazer. Il cherche `a tracer l’histoire naturelle des religions (De Lara, 2005)30, plutˆot qu’`a les comprendre comme des relations possibles entre les ˆetres humains et un ˆetre transcendant. Si ce proc´ed´e est n´ecessaire pour une anthropologie scientifique, elle est plus discutable pour une anthropologie philosophique. R´eduire la foi `a l’engagement pour des va-leurs religieuses, elles-mˆemes int´egralement interpr´et´ees par rapport `a une culture dont on expose l’histoire naturelle fait d’une religion une pratique difficilement compatible avec la possibilit´e d’une foi en un Dieu au sens o`u peut l’entendre un croyant. Clack (1999, p.125) cite ainsi une remarque de Searle qui serait tout `a fait pertinente pour Wittgenstein et Phillips.

Vous devez ˆetre une sorte d’intellectuel religieux tr`es recherch´e31 pour continuer `a prier si vous ne pensez pas qu’il existe un Dieu r´eel, hors du langage, et qui ´ecoute vos pri`eres.

C’est donc la question de l’ath´eisme non seulement de Wittgenstein mais de toute approche absolument non r´ealiste comme le fid´eisme moral mod´er´e qui se repose comme au chapitre 2.

Phillips qui ne veut pas d´efendre un fid´eisme moral o`u la foi n’est qu’un engagement, ne semble pas mieux arm´e que Wittgenstein pour affronter l’accusation d’ath´eisme. Phillips reprend la mise en garde contre une in-terpr´etation factuelle des ´enonc´es religieux et l’absolutise en niant la pos-sibilit´e d’une quelconque proposition interpr´et´ee de mani`ere r´ealiste. Cette critique de l’interpr´etation factuelle des ´enonc´es religieux appartient au tra-vail philosophique depuis au moins Socrate et Platon sinon H´eraclite. Mais en distinguant entre un r´ealisme na¨ıf au sein de la pratique religieuse et un r´ealisme critique au sein d’une tradition religieuse avec ou sans travail philosophique, on pr´eserve la possibilit´e d’un d´ebat sur l’existence et les attributs de Dieu. C’est ce r´ealisme critique qui paraˆıt indispensable et sur lequel Phillips ne peut s’appuyer. Car qu’est ce que la r´ealit´e de Dieu si l’on choisit la voie wittgensteinienne d´evelopp´ee par Phillips ?

30. De Lara, P. (2005). Le Rite et la Raison : Wittgenstein Anthropologue. Ellipses, Paris.

Phillips ne serait sˆurement pas prˆet `a laisser son travail interpr´eter `a partir de l’opposition entre r´ealisme et antir´ealisme m´etaphysiques, car il r´ecuse d`es le chapitre 1 de The Concept of Prayer, l’id´ee d’un usage non contextualis´e des mots r´eel ou r´ealit´e. Ces mots ne sont pas dou´es de sens pour le croyant jouant ses jeux de langage religieux.

Phillips distingue l’existence des objets physiques ou empiriques de l’exis-tence de Dieu. Quand le th´eiste pense l’exisl’exis-tence de Dieu hors d’un jeu de langage religieux, il pratique un autre jeu de langage, peut-ˆetre celui des objets physiques ou de la perception. Une authentique relation `a Dieu se-rait compromise par une telle attitude. Mais dire que l’existence de Dieu n’est pas celle d’un objet physique ou empirique ne suffit pas `a prouver que penser l’existence de Dieu hors d’un jeu de langage religieux implique n´ecessairement de penser Dieu comme un objet physique ou empirique. Il faut avoir, par avance, s´epar´e r´eflexion th´eorique et contenu de croyances religieuses. Tel est le point que nous avons refus´e, notamment en soulignant l’existence de contenu propositionnel implicite dans les croyances religieuses. Le fid´eisme religieux mod´er´e de Phillips, que l’on ne confond pas avec le fid´eisme moral mod´er´e de Wittgenstein, semble par son non-cognitivisme mener, lui aussi, `a un ath´eisme de facto : Dieu n’existe que pour ceux qui le prient ou le v´en`erent. Pourtant, cette derni`ere formulation ne traduit pas encore ce qu’est la r´ealit´e de Dieu d’apr`es Phillips.

En apprenant par la contemplation, l’attention, la renonciation, ce que pardonner, remercier, aimer etc. signifient dans ces contextes, le croyant participe `a la r´ealit´e de Dieu ; c’est ce que nous voulons dire par r´ealit´e de Dieu. (Phillips, 1970, p.55)

La r´ealit´e de Dieu n’est pas ce qui est contempl´e ou objet d’attention, de remerciement, d’amour et pourtant Phillips semble vouloir dire que le croyant peut participer `a la r´ealit´e de Dieu qui n’est pas que d´ependante de lui. Est-ce une concession au r´ealiste et une reconnaissance de (T1) avec comme condition de v´erit´e qu’un Dieu existe ind´ependamment du croyant qui y participe ? La citation pr´ec´edente parait placer la r´ealit´e de Dieu en premier par rapport `a la participation `a cette r´ealit´e par le croyant. La r´ealit´e de Dieu serait bien ind´ependante du croyant qui peut la rencontrer.

Phillips n’a jamais pr´etendu nier l’existence de Dieu, il pourrait reconnaitre la v´erit´e de (T1) mais `a condition de ne pas associer (T1) `a (T2), c’est-`a-dire `a condition de ne pas rapporter le Dieu qui existe `a un Dieu qui a telle ou telle propri´et´e. Phillips propose une analyse de la r´ealit´e de Dieu `a partir de la grammaire qui ne semble pas reconnaitre ce r´ealisme. Son point de d´epart n’est pas la grammaire de Dieu existe mais celle du mot grˆace�32.

C’est une m´esinterpr´etation que d’essayer d’aller au-del`a de la grˆace jusqu’`a Dieu, puisque grˆace est synonyme de Dieu . Comme pourla g´en´erosit´e est bonne, avec l’expressionla grˆace de Dieunous n’attribuons pas un pr´edicat `a un sujet ind´efinissable. Nous donnons une r`egle pour les usages respectifs de bonne et deDieu. La r´ealit´e de Dieu et la divinit´e de Dieu, c’est-`a-dire sa grˆace et son amour, reviennent au mˆeme. Dieu n’est r´eel dans aucun autre sens. (Phillips, 2005, p.461)33

Ici (T2) est refus´ee, Phillips refuse l’attribution de propri´et´es `a Dieu. Ce type de remarques doit normalement manifester des r`egles grammaticales implicites et semble plutˆot formuler des r`egles injustifi´ees. Comme Witt-genstein, Phillips l´egif`ere tout en pr´etendant d´ecrire. Pourquoi interdire des expressions pr´edicatives commela grˆace de Dieu? Pourquoigrˆaceet

Dieu seraient synonymes ? Rien dans la pratique du croyant n’autorise une telle r´eduction. On peut penser que certaines croyances religieuses in-cluent des expressions comme demander la grˆace de Dieu ce qui n’est pas exactement demander Dieu. Phillips ne fournit donc pas de raisons

suffi-32. On peut parfois se demander si la discussion des th`eses de Phillips d’un point de vue r´ealiste ne tourne pas au dialogue de sourds. Phillips ne cesse de prendre des exemples disons peu m´etaphysiques et tr`es religieux. Car la philosophie est une description et non une th´eorisation pour tout bon wittgensteinien. C’est justement une id´ee radicalement rejet´ee par les philosophes analytiques de la religion qui pratiquent aussi bien la th´eologie naturelle que l’´epist´emologie r´eform´ee. Dans son panorama de la philosophie anglaise de la religion, Byrne s’inqui`ete aussi de cette incommunicabilit´e. Voir Byrne, P. (2000). Contemporary Philosophy of Religion in Lehtonen, T. et Koistinen, T., (´eds) (2000). Perspectives in Contemporary Philosophy of Religion. Luther-Agricola-Society, Heksinki. 33. Phillips, D. (2005). Wittgensteinianism, in Wainwright, W., (´ed) (2005). The Ox-ford Handbook of Philosophy of Religion. OxOx-ford University Press, OxOx-ford.

santes pour contester l’implication de (T2) `a partir des pratiques religieuses. R´esumons les probl`emes pos´es par l’approche de Phillips en tant qu’exem-ple de fid´eisme religieux mod´er´e.

(1) Phillips souligne que les ´enonc´es religieux n’ont de sens que par rap-port `a ceux qui les utilisent correctement. La question est alors : qu’en conclure sur la nature et l’existence de Dieu ?

(2) `A l’´etape 1, on voit encore mal comment nier que le croyant peut utiliser et discuter des propositions comme Dieu existe ou Dieu a la propri´et´e d’ˆetre omniscient. Mais si le croyant peut utiliser ces propo-sitions, elles ont une forme qui les prˆete `a la discussion philosophique. Pour le dire autrement, le croyant semble utiliser un langage qui n’est pas exclusivement religieux mais qui est d´ej`a, mˆeme pour une tr`es faible part, m´etaphysique.

(3) Phillips bloque cette ouverture sur une discussion m´etaphysique en r´eformant le langage religieux et non en d´ecrivant sa grammaire comme il le pr´etend, ce que Wittgenstein faisait aussi.

(4) Cette r´eforme semble injustifi´ee et donc, si l’on veut ´eviter l’id´ealisme linguistique ou le constructivisme, c’est-`a-dire un ath´eisme de facto peut compatible avec l’interpr´etation du th´eisme, il faut bien re-connaˆıtre que la r´ealit´e de Dieu n’est pas seulement ce que le croyant rencontre dans ses pratiques mais aussi quelque chose qui peut (mi-nimalement faut-il le rappeler) s’´etudier de mani`ere r´ealiste.

Croire en Dieu sans croire que Dieu existe ind´ependamment d’une pra-tique ou du langage d’un groupe semble presque absurde car l’on voit mal ce que l’antir´ealisme qui est la cons´equence de ce fid´eisme peut avoir de diff´erent de l’ath´eisme qui reconnaˆıtrait la valeur humaine ou morale des pratiques religieuses. Mais croire que Dieu existe sans croire en Dieu au sens de prier, esp´erer, s’´evaluer moralement etc. semble aussi assez ´etrange. Ce serait une forme de d´eisme o`u les ˆetres humains n’ont pas d’autre relation avec Dieu que celle d’une montre dont le seul ´etat mental serait de croire que l’horloger existe. Le r´ealisme n’est certes qu’un aspect de la croyance, mais

un aspect n´ecessaire. Cela ne signifie pas encore que l’on puisse connaˆıtre que Dieu existe ou qu’il est omniscient. Cela ne signifie pas non plus que les noms et les concepts que nous utilisons soient aptes `a nous faire connaˆıtre Dieu. Mais il faut reconnaˆıtre la pr´etention cognitive de certaines affirma-tions religieuses et ne pas esquiver l’´etude th´eorique de leur valeur de v´erit´e.

Dans le document L'ontologie réaliste du théisme (Page 131-136)