• Aucun résultat trouvé

La pri` ere selon Phillips

Dans le document L'ontologie réaliste du théisme (Page 121-125)

R´ eponses aux objections antir´ealistes

3.1 Religion, pratique et th´ eorie

3.1.4 La pri` ere selon Phillips

La reprise du second Wittgenstein au sein d’une philosophie de la reli-gion est l’occasion, pour Phillips, d’une ´etude des pratiques comme la pri`ere ou de la signification pratique de croyance comme l’immortalit´e. La question est alors de savoir s’il existe un antir´ealisme et un fid´eisme religieux dans cette descendance de Wittgenstein et surtout si cette voie est coh´erente.

Phillips (1965, p.9-10 et 1970, p.4)18 refuse de faire une interpr´etation cognitive des croyances religieuses que l’on pourrait comparer avec une

15. Pouivet, R. (2002b). Wittgenstein, in Lacoste, 2002.

16. Glock, H. (1996/2003). Dictionnaire Wittgenstein. Gallimard, Paris.

17. Voir aussi Wittgenstein (2005,§23) qui dit qu’un langage, c’est-`a-dire ici un jeu de langage, fait partie d’une forme de vie, ce qui souligne qu’une forme de vie est plus large qu’un jeu de langage. Glock (2003, p.251) d´efinit ainsi les formes de vie :�une forme de vie est une culture ou une formation sociale, la totalit´e des activit´es d’une communaut´e dans laquelle s’ins`erent des jeux de langage�.

18. Phillips, D. (1965). The Concept of Prayer. Routledge and K. Paul, London ; Phil-lips, D. (1970). Death and Immortality. Macmillan, London.

r´ealit´e donn´ee ind´ependamment du langage religieux et des pratiques re-ligieuses. C’est une erreur philosophique typique que de se placer hors de la pratique pour comprendre et juger la pratique `a partir de crit`eres qui lui sont ext´erieurs (Phillips, 1965, p.3-7). Ainsi ˆetre r´eel est un pr´edicat qui vaut relativement `a un contexte, dans un jeu de langage et une forme de vie. Le philosophe n’a pas `a dire si Dieu existe ou non mais seulement ce que cela change pour un individu que Dieu existe ou non (Phillips, 1965, p.10). Le concept de v´erit´e est lui aussi vid´e de sa substance puisqu’il n’est que l’expression d’une adh´esion, d’un engagement.

Demander `a quelqu’un s’il pense que ces croyances sont vraies n’est pas la mˆeme chose que lui demander de produire des preuves empi-riques, mais c’est plutˆot lui demander s’il peut vivre grˆace `a elles, s’il peut les dig´erer, si elles sont une nourriture pour lui. (Phillips, 1970, p.71)19

Si r´eel, existence, v´erit´e ne sont des mots dou´es de sens que pour qui les dig`ere ( ! ?) et les vit, alors ils deviennent des non-sens ou des superstitions une fois utilis´es hors de leur milieunaturel qu’est la forme de vie religieuse. Les crit`eres de signification des termes religieux ne sont pas `a chercher hors de la religion. Une mise entre parenth`eses m´ethodologique des pratiques religieuses pour analyser le contenu cognitif des croyances religieuses constituerait un nouvel objet qui ne correspondrait pas `a ce que croit le croyant, tout comme utiliser la r`egle du jeu de dame ne permet pas de gagner une partie d’´echec (sauf face `a un enfant de 2 ans).

Pour illustrer la d´emarche de Phillips, sa distinction entre la pri`ere de demande authentique et la pri`ere de demande superstitieuse est instructive `a la fois par ses points forts et par ses points faibles. D’apr`es les croyants qui la pratiquent, la pri`ere de demande semble devoir faire une diff´erence par rapport `a l’absence de pri`ere. Cette exigence parait bien n´ecessaire pour que le jeu de langage fonctionne. Reste `a savoir ce que veut dire le croyant quand il s’attend `a une diff´erence produite par la pri`ere. Phillips souligne que ce n’est pas la diff´erence entre parler dans le vide et dialoguer. On

19. On notera la composante pragmatiste de cette conception de la v´erit´e en remar-quant cependant que tout pragmatisme n’est pas aussi anti-r´ealiste.

´evitera de confondre prier Dieu et dialoguer avec quelqu’un dans le monde pour l’influencer.Une pri`ere n’est pas une conversation(Phillips, 1970, p.55). La superstition arrive justement quand on croit en l’efficacit´e causale de la demande capable de produire un changement en Dieu. La d´ependance ne serait plus une relation orient´ee de l’ˆetre humain vers Dieu mais de Dieu vers l’ˆetre humain. En r´ealit´e, la pri`ere de demande authentique fait une diff´erence dans la vie de l’individu, c’est la volont´e de se transformer soi-mˆeme pour ˆetre meilleur et non une action sur Dieu. La demande culmine dans l’acceptation de la volont´e de Dieu c’est-`a-dire dans l’acceptation de l’´etat du monde. La pri`ere de confession et la pri`ere de demande sont donc tr`es proches.

Dans les pri`eres de confession et dans les pri`eres de demande, le croyant essaie de trouver un sens et un espoir qu’il sera d´elivr´e des ´el´ements de sa vie qui menace de le d´etruire : dans le premier cas, sa culpabilit´e, dans le second cas, ses d´esirs. (Phillips, 1965, p.121)

Une pri`ere est donc une r´esolution `a vivre dignement et `a affronter l’ad-versit´e. On retrouve ici le fid´eisme moral mod´er´e de Wittgenstein qui place l’engagement personnel au centre de la vie religieuse20. Ce fid´eisme n’est donc pas radical puisque la raison joue un rˆole critique en ´eliminant la su-perstition.

Le probl`eme est maintenant de savoir si l’analyse de Phillips minore la relation r´eelle `a Dieu qui est cens´ee avoir lieu dans la pri`ere. Car on se souvient que Wittgenstein d´eporte l’analyse des croyances religieuses d’une relation ˆetre humain / Dieu vers une relation ˆetre humain / ˆetre humain au sein d’une forme de vie. En d´enon¸cant une superstition dans la pri`ere de demande qui demanderait instamment une action de Dieu, Phillips semble pointer du doigt le probl`eme d’une pri`ere qui imposerait une dette de Dieu envers le croyant r´eclamant un dˆu l´egitime. Mais le croyant n’a pas de droit

20. Phillips d´eveloppe d’une mani`ere similaire le sens v´eritable de la croyance en l’im-mortalit´e. Croire que la mort ne peut rien contre l’unit´e d’une famille, c’est-`a-dire que la famille est une au paradis, consiste `a adopter l’attitude qui consiste `a ne pas ˆetre ´ego¨ıste et `a ˆetre solidaire.

sur Dieu parce qu’il prie. Aussi la pri`ere de demande n’est l´egitime selon lui que si elle permet la reconnaissance d’une d´ependance de tout ce qui est cr´e´e par rapport `a Dieu. La superstition vient quand le croyant imagine qu’il y a une relation individuelle entre lui qui prie et Dieu qui ´ecouterait et, surtout, se laisserait influencer (Phillips, 1965, p.17).

Il est cependant difficile d’exclure la possibilit´e d’une interaction indi-viduelle avec Dieu sur la seule base d’une ´etude de la grammaire profonde des mots religieux. La pri`ere de demande n’est pas qu’adress´ee `a soi sous le regard de Dieu. La pri`ere concerne la personne qui prie mais s’adresse `a Dieu. Le constat de Swinburne peut difficilement ˆetre consid´er´e comme faux, ind´ependamment de savoir si Dieu existe ou non.

L’immense majorit´e de ceux qui ont fait des pri`eres de demande ont esp´er´e que leurs pri`eres feraient une diff´erence quant `a la mani`ere dont les choses arrivent. (Swinburne, 1993, p.95)

Attentif `a la grammaire des concepts religieux, Phillips (1965, p.54-5) cor-rige cette croyance en une interaction possible en distinguant dialoguer et prier. On retrouve ici une ambigu¨ıt´e pr´esente chez Wittgenstein : il y a un passage probl´ematique de la description `a la correction de la pratique. Le croyant ne doit pas s’imaginer avoir un interlocuteur qu’il pourrait af-fecter en lui apprenant des secrets personnels ou en lui manifestant un d´esir qu’il ignore car Dieu n’apprend rien quand le croyant lui parle, Dieu est omniscient. Phillips a raison sur un point : la pratique religieuse re-connaˆıt l’omniscience qui est incompatible avec l’interpr´etation de la pri`ere de demande comme une information adress´ee `a un Dieu ignorant un aspect de la vie int´erieure de l’individu. Mais pourquoi refuser une intervention particuli`ere ? Pourquoi ne pas consid´erer que la demande ajoute une rai-son `a celles que Dieu a d’intervenir ? Le partage fait par Phillips entre la d´ependance g´en´erale du cr´e´e qui est une croyance l´egitime et l’interaction particuli`ere qui est une superstition ne semble pas correctement d´efendu au sein du fid´eisme. C’est l’analyse r´ealiste qui devrait ´eclairer ce choix en pr´ecisant les relations possibles de Dieu au monde. Car la seule ´etude des pratiques religieuses ne d´etruit pas l’id´ee d’une interaction entre Dieu et un ˆetre particulier ayant recours `a la pri`ere de demande. Ainsi, on pourrait

distinguer entre le fait d’avoir un d´esir, ce que Dieu sait n´ecessairement, et l’expression de ce d´esir en demandant l’aide de Dieu. Dans le dernier cas, il faudrait que Phillips nous explique ce qui dans la nature de Dieu et dans la pratique de la pri`ere, empˆeche la possibilit´e d’une r´eponse particuli`ere de Dieu. Cette r´eponse particuli`ere possible est ainsi tout `a fait compatible avec l’acceptation de la volont´e de Dieu et avec la reconnaissance d’une d´ependance g´en´erale du cr´e´e.

La pratique de la pri`ere comme l’´evaluation critique de celle-ci manifeste donc des pr´esuppos´es plus r´ealistes que ce que peut admettre le fid´eiste. (T1) est suppos´ee ainsi que l’ind´ependance de celui `a qui l’on s’adresse. (T2) est aussi pr´esuppos´ee puisque certaines propri´et´es sont `a attribuer `a Dieu pour que la pri`ere ait un sens. Ainsi, il faut au moins attribuer la propri´et´e d’ˆetre juste ou d’ˆetre digne de v´en´eration `a Dieu pour lui adresser des pri`eres. On retrouve le r´ealisme implicite d´ecrit dans la section 2.2.4 et l’analyse grammaticale se r´ev`ele insuffisante pour ´etudier parfaitement les possibles superstitions du croyant. Il faut aussi montrer que certaines attributions sont incompatibles avec la nature de Dieu, par exemple si l’on prie en fonction d’une attribution `a Dieu de la propri´et´e avoir une pr´ef´erence injuste pour X au d´etriment de Y. Ce n’est pas un probl`eme de grammaire de la pri`ere mais bien de compatibilit´e entre les attributions (implicites ou non) du croyant et les attributions l´egitimes `a Dieu. Dans notre exemple, la justice et la perfection divines seraient incompatibles avec l’attribution d’une pr´ef´erence injuste. Nous voudrions montrer ensuite que le th´eisme comme th`ese m´etaphysique et l’analyse r´ealiste philosophique apparaissent bien ˆetre des moments n´ecessaires de toute philosophie de la religion.

Dans le document L'ontologie réaliste du théisme (Page 121-125)