• Aucun résultat trouvé

Chapitre 5 : entre représentations communes et divergentes du quartier chinois de

5.1 Le quartier chinois marché par les jeunes 114

La méthode de l’entrevue mobile s’est avérée avantageuse à bien des égards puisqu’elle nous a permis de récolter des informations quant à la manière dont les étudiants se représentent spatialement le quartier. En laissant le soin aux étudiants de choisir leur trajet une fois sur place, nous avons observé que leur connaissance du quartier ne s’étendait pas à toute sa superficie. Celle-ci se limite généralement aux deux artères principales, soit la rue De La Gauchetière et le boulevard Saint-Laurent. Nous retenons d’abord deux choses des déplacements effectués lors des entrevues. Les trajets que les étudiants ont choisi d’emprunter et les endroits qu’ils ont évités sont, d’une part, tous semblables, et d’autre part, ne concernent que la partie est du quartier. Ce constat n’est pas étonnant puisque la partie ouest du quartier est occupée par le Complexe Guy-Favreau, par beaucoup d’associations communautaires, une église catholique et un temple. Bien que nous y comptions plusieurs restaurants, ce sont plutôt des services qui se situent de ce côté du quartier. À l’inverse, les trajets empruntés par les jeunes participants se concentrent là où l’on compte une plus grande densité de restaurants et de supermarchés. Ces trajets, illustrés ci-dessous, avaient tous un point de départ qui leur était imposé, soit à la Place Sun Yat Sen. Même si celui-ci est central et constituait à notre avis un point de repère, certains ne le connaissaient pas.

Figure 5.1 : Carte des trajets empruntés par les étudiants en entrevue mobile Source : OpenStreetMap; Marie-Ève Charbonneau, 2015

Pour comprendre comment les étudiants perçoivent cet espace, nous avons encore une fois fait appel au concept d’imagibilité de Lynch. Ce concept réfère au potentiel «qu’a un objet de créer une forte image chez n’importe quel observateur» (Lynch 1969, 11). Celui-ci nous paraissait particulièrement adapté pour noter comment le paysage urbain structurait le discours des répondants, leurs réactions devant des objets ou des pratiques qui mettent en scène une ethnicité que les étudiants partagent à priori. L’imagibilité de la ville pour un individu sera influencée à la fois par sa signification sociale, c’est-à-dire sa fonction, son histoire ou même son nom, ainsi que par la perception des objets physiques qu’elle comporte. Ces objets physiques peuvent former des voies, des limites, des points de convergence, des points de repère notamment.

Les étudiants ont tous mentionné dès le début du parcours l’existence du supermarché situé dans un sous-sol sur le boulevard Saint-Laurent, ce qui témoigne bien de la principale activité qu’ils font dans le quartier et d’un lieu de convergence important. Ce supermarché, de même que la station de métro et certains commerces qui différaient selon chacun, constituaient des points de repère. Les arches constituaient également des points de repère importants et délimitent l’espace de façon claire.

La construction de l’image de la ville peut nous en apprendre énormément quant à la manière dont une personne s’investit dans un lieu. Comme l’explique Raulin à propos de l’approche de Lynch, la signification de l’espace se construit dans la relation entre le sujet et l’objet. Les cartes mentales présentées au chapitre précédent témoignent bien de l’idée selon laquelle le sens pratique et affectif d’une personne envers un lieu sera variable selon l’expérience que cette personne a de ce lieu. Cette expérience est largement reliée au temps passé à cet endroit (Raulin 2007, 165).

Ensemble, l’imagibilité du quartier de chaque étudiant peut former une image collective. Bien que nous n’ayons pas fait l’exercice avec d’autres types d’usagers du quartier, nous pouvons croire que la manière dont les étudiants se représentent le quartier divergera de celle des autres usagers. Cette dimension spatiale complète leur discours au sujet de la relation qu’ils entretiennent avec ce lieu.

Si les jeunes s’entendent tous pour dire que le quartier est très petit, surtout lorsqu’ils le comparent aux autres quartiers chinois en Amérique du Nord, peu d’entre eux semblent connaître les évènements qui ont modifié ses limites. Seul un jeune homme né de parents de deuxième génération, qui s’implique auprès de la communauté connaît bien l’histoire des luttes sociales dans le quartier.

Dans le temps le quartier chinois était beaucoup plus large que ça. Et c’était déjà, la frontière nord était à René-Lévesque. Dans le sud, puis dans l’ouest, quand ils ont fait la proposition pour le Complexe Guy-Favreau, ils ont décidé de le mettre dans ce quartier- là, parce que, soi-disant c’est de la communauté chinoise qu’ils pouvaient s’attendre à moins de résistance dans ce projet-ci. Donc ils l’ont complété, ils ont complètement rasé les bâtiments, les commerces et les résidences qui étaient du côté sud et est, et qui sont devenus le complexe Guy-Favreau et le Palais des Congrès. La loi 65,13 voulait limiter la construction de commerces chinois au-delà de St-Laurent. Il y a eu une lutte, une manifestation de la part de la communauté pour contester cette loi et ils ont gagné, je ne sais pas, 100 pieds ou quelque chose comme ça. Maintenant ça se rend à St- Dominique. Au-delà de ça, la communauté était effectivement bloquée, ils ne pouvaient plus développer. C’est pour ça donc que ça se limite un peu aux deux coins de rue qu’on connaît maintenant. (Entrevue #7)

Cette taille réduite amène un répondant qui réside dans le quartier à dire que pour l’instant, cette taille permet d’en faciliter la gestion. À cet effet, l’émergence du quartier Concordia pourrait être perçue comme une réponse au manque d’espace pour les jeunes dans le quartier.

I think for the time being, the size of Chinatown is good. If there's a need, people can also go outside of downtown Chinatown and build another Chinatown. Which is happening right now near Concordia and in Brossard. (Entrevue #10)

Pour cette même personne, la localisation est un élément clé qui contribue au développement du quartier. On observe ainsi une vision beaucoup plus tournée vers l’extérieur.

To the east you have the hospital, to the west you have the convention center, and to the south you have the old port, the old Montreal, and to the north, you have the “Quartier des spectacles”. So we are in the middle of everything. I think for us to go one step forward, we need to have the business people participation. (Entrevue #10)

La localisation du quartier chinois est un facteur important dans la redéfinition dont il fait l’objet. La proximité d’équipements institutionnels et de points de destination culturelle et artistique majeurs qui attire de nombreux visiteurs autant locaux que régionaux et internationaux, est certainement en partie à l’origine de transformations de l’offre commerciale dans le quartier chinois. Mais ces transformations ne sont pas si récentes puisqu’elles sont aussi dues aux transformations qui ont graduellement touché les quartiers qui entourent le quartier chinois. C’est le propos d’une participante qui s’est impliquée dans plusieurs associations et fondations depuis 25 ans dans le quartier chinois, interrogée au sujet des transformations récentes de l’offre commerciale et de la clientèle.

Not in the last years you know, I'd be near 40 some years. Chinatown definitely has improved, in every way. The businesses are growing, and it's mostly restaurants and stores and all king of food, much better. And also you have people, from different provinces in China. It is a good thing. The old ones, they are growing old. And they don't feel that all the work that they've done was for nothing. It attracts people. And also, you see local people visiting Chinatown. It's incredible. Between Place des Arts and old Montreal, we are like a passerelle you know. So everybody come to Chinatown. (Entrevue #9)