• Aucun résultat trouvé

Chapitre 4 : mobilité et ancrages de l’immigration chinoise récente 88

4.3 L’émergence d’un nouveau lieu d’ancrage : le quartier Concordia 109

Parmi les lieux évoqués par les étudiants, le quartier Concordia a été abordé par tous. Si certains le visitent occasionnellement pour des sorties, il est un lieu central pour d’autres. L’émergence de ce quartier que certains journalistes surnomment le «nouveau quartier chinois» témoigne des transformations récentes des dynamiques migratoires. Bien que d’autres quartiers connaissent des transformations suite à l’arrivée de populations étudiantes, nous jugeons qu’il est nécessaire de s’attarder davantage à ce cas qui est en quelque sorte le reflet d’une tendance à l’immigration temporaire, un segment important de l’immigration chinoise récente. Le quartier Concordia a la particularité d’être à l’image de la population qui s’y trouve. Une forte population étudiante, qui compte une proportion plutôt élevée d’étudiants chinois fréquente le lieu de manière régulière. L’offre commerciale y est en constant roulement, à l’instar de la population étudiante qui y demeure temporairement.

Il y a un restaurant qui est là il y a six mois, il peut rapidement disparaître, il peut rapidement être remplacé par un autre. C’est un peu représentatif aussi de la population là-bas, qui est un peu de même. Ils viennent, vont louer un appartement puis partent l’année prochaine. Donc c’est pour ça que j’aurais moins tendance à m’attacher à cet endroit-là. (Entrevue #7)

Selon ce jeune homme, c’est la présence de la jeune population d’étudiants et des jeunes d’origine chinoise qui crée un tel paysage urbain. Mais d’abord, spécifions que cet espace où est mise en scène l’ethnicité chinoise est structuré par deux artères commerciales : les rues Sainte-Catherine Est, et Saint-Mathieu. Comme nous l’avons vu au premier chapitre, la stratégie de mise en scène identitaire peut se faire de plusieurs manières. Ici, on parle principalement de pratiques de place-making par l’offre commerciale et son affichage. Cela fait écho à l’exemple du Petit Maghreb, qui a bénéficié d’un branding fort pour attirer la clientèle dans ses commerces, ces commerces qui sont le moyen principal de la mise en scène de l’ethnicité. La clientèle est bien plus diversifiée. Pour l’une des étudiantes interrogées, cette identité qu’on attribue au quartier est avant tout associée aux étudiants chinois qui y résident.

Concordia, I think they have a big amount of students from China, so a lot of Chinese students living around this neighbourhood, and also there are a lot of Chinese restaurants so I think Yeah you can call it a second Chinatown. (Entrevue #4)

Ces étudiants représentent un bassin de clientèle important pour ces commerces, dont l’offre se différencie de ce que l’on retrouve au quartier chinois. Si le quartier chinois apparait aux yeux des étudiants comme une représentation de la Chine figée dans l’époque qu’ont connue les Cantonais qui se sont d’abord approprié l’espace, le quartier Concordia est fidèle aux caractéristiques des migrants récents temporaires. Certains étudiants y perçoivent une plus grande authenticité. La notion d’authenticité semble inhérente à l’attachement qu’ils ont envers ce lieu.

Si tu parles juste des restaurants là-bas, c’est peut-être plus authentique parce qu’il y a beaucoup d’étudiants internationaux chinois qui fréquentent là-bas. Ils font des recommandations donc c’est plus authentique. (...) Bien sûr que c’est très loin des vrais plats chinois, mais c’est meilleur que certains restaurants dans le quartier chinois. (Entrevue #5)

Comme l’indique cette répondante, on retrouve toujours des différences entre les plats servis en Chine et ceux servis ici. Il est alors certainement question d’adaptation, laquelle permet d’élargir la clientèle. Dans la mesure où cette adaptation des mets chinois met en péril l’authenticité de ceux-ci, nous pouvons observer que la manière dont l’authenticité est définie par les répondants tient plus au contexte qu’à la représentation exacte. Les plats seraient certes plus fidèles que pour bien d’autres restaurants du quartier chinois, mais l’authenticité ne peut être définie qu’uniquement par l’offre de produits. Comme l’expliquent Zukin et Pottie-Sherman, l’authenticité doit être perçue au travers de l’expérience quotidienne (Zukin, 2009; Pottie-Sherman, 2013). L’authenticité s’exprime au travers de l’évolution graduelle des expériences quotidiennes de plusieurs générations (Pottie-Sherman 2015, 13). Ainsi, la mise en scène de l’ethnicité asiatique dans les environs de l’université Concordia serait perçue comme plus authentique que l’image du quartier chinois pour les migrants récents dans la mesure où elle reflète les transformations de cette population migrante et des lieux qu’elle fréquente. À l’inverse, le quartier chinois, par la faible présence de la jeune génération dans son développement, apparaît figé dans le temps et dans l’espace et donc, est moins authentique.

Cependant, le discours autour de l’offre commerciale varie énormément d’un répondant à un autre. L’un des étudiants qui habite près de l’Université Concordia dit ne pas y aller souvent puisqu’il préfère se déplacer ailleurs à Montréal ou même dans d’autres villes pour trouver des restaurants qu’il juge meilleurs. Aussi, nous notons que la perception de ce lieu qu’ont les personnes qui se sont impliquées dans le quartier chinois diffère souvent de celle des étudiants, entre autres parce que leurs occupations ne les amènent pas à aller dans le quartier.

Usually, you know, I don’t really eat in quartier Concordia because I think that, certainly there are Asian restaurants in Montreal but if you had better Asian food elsewhere, let’s say in Toronto or in you know New York City I guess, then you would find the Asian restaurants here are not that good. That’s why I don’t usually go. (Entrevue #3)

Moi je n’y vais pas, vraiment. Moi je trouve la qualité de bouffe vraiment moins bonne là et moi je ne considère pas ça comme le deuxième quartier chinois. Ça s’est appelé de même dans les journaux là et tout ça, mais écoute, le vrai quartier chinois est là-bas. (Entrevue #7)

L’émergence de ce quartier en tant que «nouveau quartier chinois» selon l’expression médiatique, pose la question de la définition d’un quartier ethnique. Parler de quartier ethnique comme on le fait pour le quartier chinois n’est peut-être pas approprié. Loin d’avoir la même forme, le quartier où se trouve l’université Concordia ne compte pas d’institutions qui s’adressent à la population d’origine asiatique.

C’est vrai qu’il y a toujours la dimension commerciale qui prend plus de place, mais est- ce qu’il y a autre chose? Des centres communautaires, des centres de diffusion artistique? (...) À ma connaissance, il y a pas de centres autres que des commerces ou des restaurants. (Entrevue #7)

Dans un mémoire qui prend position sur le Plan de développement de Montréal, le Conseil interculturel de Montréal soulignait que les nouvelles dynamiques migratoires et les profils diversifiés des migrants nous amènent à observer «une mutation de la géographie résidentielle des groupes ethnoculturels, tout comme celle du marquage ethnique, à travers lequel ces mêmes groupes continuent de se rendre visibles dans l’espace urbain montréalais.» (CiM 2013, 16). Les commerces mettent en visibilité l’ethnicité asiatique, qu’on réduit aisément à l’ethnicité chinoise dans les médias. Or, il ne s’agit pas de l’unique facteur de marquage ethnique, la présence des étudiants chinois participant aussi à ce marquage de l’espace. Lorsque Raulin

écrit que la mise en scène des façades commerciales cherche à attirer des clientèles spécifiques (Raulin, 1987), nous pouvons comprendre que leur apparition et le roulement qu’on leur connaît montrent qu’elles s’adaptent à la clientèle étudiante.

Pour un homme qui s’est impliqué durant de nombreuses années auprès de la communauté chinoise, ce quartier s’est développé parce qu’il y aurait eu un besoin pour cela. Que ce soit pour combler un besoin ou que ce soit en réaction au potentiel que représente un si grand bassin d’étudiants, il s’agit d’un phénomène nouveau.

If there's a need, people can also go outside of downtown Chinatown and build another Chinatown. Which is happening right now. Near Concordia and in Brossard. But it's the not the same as the one in Chinatown (…) They don't have the institutions. The only thing they have the shops, restaurants and groceries. Mostly restaurants. (Entrevue #10) À l’arrondissement de Ville-Marie, on a bien remarqué que les dynamiques migratoires ont contribué à repositionner ce lieu. Ce qu’on retient est surtout la dimension commerciale et l’on en parle comme un produit, qui pourrait éventuellement avoir le potentiel pour devenir touristique.

On parle d’un pôle commercial, on parle d’un attrait touristique, et quand on parle de ça, on est au centre-ville et la qualité du produit touristique est très importante. (Entrevue #12)

Pour l’instant, aucun plan n’a été conçu à cet effet. On dit qu’il reste beaucoup à faire si l’on veut soutenir la concurrence internationale. Il sera pertinent de suivre l’évolution de ce quartier et les stratégies mises en place par la Ville.