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Chapitre 1 : Éléments de problématique 4

1.4 La visibilité ethnique dans le paysage urbain 20

1.4.1 L’ethnicité : éléments de définition 20

Nous entendons l’ethnicité avant tout comme l’une des dimensions de l’identité. Précisons par ailleurs que nous nous appuyons sur les recherches de Deirdre Meintel qui propose que l’ethnicité englobe l’identité ethnique. Meintel définit l’ethnicité comme un sentiment d’appartenance envers un groupe, dans lequel les individus se sentent unis par un passé et un avenir communs à une communauté. Il faut toutefois faire attention de ne pas voir l’ethnicité comme le conservatisme culturel d’un groupe donné, mais plutôt comme le résultat de l’interaction entre des groupes sociaux, à un moment donné (Meintel 2004, 11). L’approche préconisée par les théories essentialistes qui ont longtemps perçu les groupes ethniques comme une unité stable et un assemblage de traits culturels, est aujourd’hui largement remise en question par les théories constructivistes. Considérant que le terme ethnie provient du grec

ethnos, qui signifie nation, nous ne pouvons nous étonner que la notion d’ethnicité ait longtemps

été pensée relativement à la nation. Les théories constructivistes, qui critiquent l’accent trop important attribué au passé et la manière trop rigide dont est pensée la culture, sont toutefois loin d’être récentes. Déjà en 1922, Weber affirmait que les groupes ethniques sont construits par les acteurs sociaux. Selon Weber, l’ethnicité est un concept qui compte une grande part de subjectivité et qui résulte en partie d’une auto-attribution à un groupe ethnique (Juteau, 1999).

D’un point de vue constructiviste, nous concevons l’ethnicité comme un processus qui se recompose dans les expériences migratoires. Les expériences migratoires font partie du concept large de mobilité et l’on a tendance à les associer à des expériences migratoires internationales. Or, la migration, qui est une dimension physique de la mobilité, doit être saisie à toutes les échelles. Les expériences migratoires internationales redéfinissent certes la construction de l’ethnicité, mais les migrations intra-régionales et intra-urbaines font également partie de ce processus identitaire. Pour Barth, la mobilité et le contact culturel sont des facteurs qui donnent un caractère évolutif aux catégories ethniques auxquelles peuvent s’identifier les individus. Ainsi, l’individu et l’autre se recomposent continuellement au fil de leurs interactions. Sa théorie apparaît tout à fait d’actualité dans l’optique où il explique que «les frontières ethniques persistent en dépit du flux de personnes qui les traversent» et que l’interpénétration et l’interdépendance entre les groupes ne doivent pas être perçues comme un brouillage des identités ethniques, mais comme les conditions de leur perpétuation (Poutignat et Streiff-Fenart 2008, 67).

Pour comprendre le sens de l’expression «frontière ethnique», nous nous référons à Danielle Juteau, qui explique que l’ethnicité est constituée de dimensions interne et externe: c’est ce que l’auteur appelle la double logique relationnelle. Ainsi, la dimension interne se construit au fil du temps, selon l’héritage culturel réel ou imaginé commun. Puis, à la dimension interne s’ajoute une dimension externe, c’est-à-dire une dimension qui relève du rapport à autrui, à l’intérieur du groupe comme à l’extérieur. Ces deux dimensions interdépendantes se présentent comme des frontières. Les frontières doivent être comprises au sens strictement social et renvoient à des distinctions entre les individus. Pour Juteau, les frontières sont construites à partir d’un rapport social inégal, engendré par des rapports de domination dans un contexte de colonialisme, de même que dans les migrations internationales contemporaines (Juteau 1996, 99).

Chez Barth, les groupes ethniques sont perçus comme des groupes organisationnels et non pas des groupes statiques. Ces groupes organisationnels résultent de l’auto-attribution des individus à des identités ethniques et de la catégorisation des autres. L’individu et l’autre, ou le «nous» et le «eux» pour Barth, se recomposent continuellement au fil des interactions entre les individus. Les frontières entre les groupes, entre le «nous» et le «eux», sont marquées par des contrastes culturels hautement sélectifs, des référents culturels mobilisés pour organiser les interactions. Barth précise que ces référents culturels sont utilisés de façon emblématique (Barth, 1984 : 80 cité dans Poutignat, Streiff-Fenart et Barth 2005, 200). Il précise : «En d’autres

peuvent être mis des contenus de formes et de dimensions variées dans des systèmes socioculturels différents. Ces catégories peuvent être extrêmement pertinentes au niveau des comportements, mais elles peuvent aussi ne pas l’être; elles peuvent infiltrer toute la vie sociale, ou n’être pertinentes que dans certains secteurs d’activités.» (Barth dans Poutignat et Streiff- Fenart 2008, 212).

Enfin, nous concevons l’ethnicité comme une construction sociale qui évolue avec le temps, en nous situant dans le sillage des théories de Barth et de Juteau. Comme le soulignaient Felouzis et Fouquet-Chauprade, le facteur temporel est aussi très important. Les théories que nous avons abordées ici mettent en évidence la subjectivité de l’ethnicité et les facteurs qui contribuent à sa construction. Mais ces théories, qui ne sont qu’une infime partie de ce qui se trouve dans la littérature existante, montrent que la conceptualisation est elle-même toujours en construction.

Dans ce contexte de globalisation, les identités peuvent certainement être multiples et, comme l’indique Vertovec au sujet de communautés transnationales, les références culturelles deviennent hybrides (Vertovec, 1999). Soulignons que la construction de l’ethnicité au fil d’interactions sociales doit être comprise au sens large, c’est-à-dire en relation avec les contacts établis avec le pays d’origine durant le parcours migratoire et selon différentes temporalités, allant des interactions quotidiennes à celles qui sont plutôt occasionnelles. Le portrait des nouveaux migrants d’origine chinoise est aujourd’hui si diversifié qu’il suppose que les individus aient de nombreuses manières de percevoir leur ethnicité. Surtout, cette construction évolutive de l’ethnicité se poursuit au pays d’accueil. D’après Bhabba, la ville, encore plus que le groupe ethnique, est un terrain fertile pour l’émergence de nouvelles pratiques et de nouvelles identités (Bhabba 1990, 320, cité dans Barabantseva 2016, 103).