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Chapitre 5 : entre représentations communes et divergentes du quartier chinois de

5.7 Les fonctions du quartier 129

5.7.5 Commerces spécialisés et restaurants 140

Le quartier apparaît avant tout comme une destination commerciale spécialisée. Lorsque questionnés sur les motifs qui les amènent à visiter le quartier chinois, les répondants racontent des expériences qu’ils ont vécues dans certains restaurants et au supermarché. Par exemple, ils sont venus y faire des courses et manger une bouchée avec des amis, ou encore ils ont participé à un évènement organisé par une association d’étudiants, qui se tenait dans un restaurant du quartier. Les étudiants disent donc tous venir à l’occasion dans le quartier, mais pour la plupart, ils accompagnent des amis qui souhaitent y aller. Ils disent tous qu’ils ne choisissent pas cet endroit pour aller au restaurant, sortir ou magasiner.

It’s just that everything look a bit strange. It’s like a miniature version of what’s build in China I guess. Everything is smaller here. And also the restaurants are not that good. I don’t enjoy going to restaurants here but I come here because my friends want to. (Entrevue #3)

Les avis concernant la qualité et l’authenticité des restaurants sont très variables d’un répondant à l’autre. La comparaison avec ce qui se fait ailleurs amène les répondants à prendre position sur l’authenticité des produits offerts dans le quartier.

Peut-être que si tu vas à Vancouver ou Toronto, tu peux trouver certains restaurants qui sont très authentiques, similaires aux plats en Chine à cause qu’il y a plus de population chinoise là-bas. (Entrevue #5)

La diversité de traditions culinaires en Chine selon les différentes régions, en plus de l’adaptation des plats à la culture nord-américaine, amènent certains à dire que ce n’est pas du tout similaire à ce qu’ils mangeaient en Chine. Pour ceux qui habitent Montréal depuis plusieurs années et qui connaissent le quartier chinois depuis plus longtemps, ce dernier recèle toutefois des ressources et des endroits qui sont comme des trésors.

Il y a un restaurant qui est un de mes préférés, qui s’appelle Dobbie & Hendy’s qui est un restaurant typiquement hongkongais. Qui a l’air de rien là, c’est au coin de St-Urbain pis René-Lévesque. Ça a l’air d’une place un peu crade là, mais la bouffe est authentique. (Entrevue #7)

Mais au-delà de l’appréciation variable des plats servis, la fréquentation des restaurants serait largement associée à des pratiques sociales et culturelles. En effet, la présence des restaurants peut elle-même être considérée comme un symbole culturel qui répond à des traditions encore présentes chez les jeunes. Pour une étudiante, les rencontres entre amis se font généralement dans les restaurants. Elle compare les pratiques des jeunes en ajoutant en riant qu’ici c’est plutôt dans les bars. À la blague, une jeune femme qui a grandi en banlieue à Laval raconte :

C'est drôle, un chinois quand tu le rencontres dans la rue, ce n’est pas «comment ça va», c'est «as-tu mangé?». «As-tu mangé? Ouais. Ok ben on ira manger ensemble!». C'est toujours tout alentour de la bouffe. C'est très important. On aime ça partagé des plats, on va commander un paquet d'affaires puis on va partager ensemble. C'est très ancré. Si tu viens chez mes parents, leur but principal c'est de te nourrir. (Entrevue #8) Mais si les rencontres au restaurant sont une pratique courante reproduite par les jeunes, celles-ci se font partout en ville. Très souvent, les étudiants se rencontreront au centre-ville, près de leur université. Les restaurants du quartier chinois peuvent répondre à ce besoin de socialisation, mais ils ne sont pas fréquentés plus que d’autres, situés ailleurs. Cela peut-il expliquer le nombre important de locaux fermés, notamment sur la rue Clark où on ne compte plus que quelques adresses dont les fenêtres ne sont pas couvertes de carton? Les photographies ci-dessous présentent une vue de la rue Clark et l’un des bâtiments abandonnés que l’on y retrouve.

Figure 5.11 : La rue Clark Figure 5.12 : Des bâtiments abandonnés Photo par Marie-Ève Charbonneau, 2015. Photo par Marie-Ève Charbonneau, 2015.

Plusieurs personnes interrogées ont abordé la situation difficile que connaissent les entrepreneurs dans le quartier due aux coûts élevés des loyers et aux transformations de la clientèle.

Le quartier chinois en tant que tel fait face à plusieurs problèmes, dont loyers extravagants, loyers trop élevés, gentrification, manque de soutien de la population locale, manque de sentiment d’appartenance communautaire. Hum il y a des Vietnamiens, il y a des Chinois plus mandarins, de Chine continentale, il y a les vieux commerces qui sont toujours des communautés cantonaises. (Entrevue #7)

Il nous apparaît pertinent ici d’établir un lien avec les entrepreneurs de la rue commerciale Rye Lane dans le quartier Peckham au sud de Londres. Né d’un projet d’ethnographie à la London School of Economics, le projet Ordinary Streets met en lumière de nouvelles pratiques commerciales. Devant l’augmentation accrue de la valeur foncière et les inquiétudes face à un processus de gentrification bien enclenché, les commerçants ont cherché de nouvelles stratégies pour s’adapter à ces changements (Misra, 2015). L’une de ces stratégies consiste en la division d’un espace qui accueille plusieurs commerces plutôt qu’un seul. Les commerçants se regroupent ainsi dans un seul local commercial, ce qui a l’avantage de diminuer le coût du loyer et d’encourager la multiplication des achats en présentant aux clients une plus grande diversité de produits. Par exemple, un client qui vient au salon de coiffure sera peut-être incité à acheter un café à la vue du comptoir d’alimentation qui s’y trouve. Or, les commerçants du quartier chinois à Montréal semblent à la recherche de telles stratégies afin de conserver la viabilité de leur commerce.

Au niveau des loyers aussi c’est rendu très insupportable. Même au niveau des loyers pour les restaurants. Il y a un restaurant au coin de La Gauchetière et Clark qui est comme deux restaurants en un là. (Entrevue #7)

En plus de cet exemple où les commerçants partagent les coûts fixes, une autre pratique a attiré notre attention. Un partage au niveau des activités est apparu entre un bar et le restaurant situé à l’étage supérieur dans le quartier chinois. Les deux commerçants auraient pris une entente pour que le bar puisse servir la nourriture cuisinée au restaurant (Entrevue #7).