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Le niveau d’effort de recherche de l’expert

Dans le document Analyse économique de l'expertise judiciaire (Page 155-161)

Nous déterminons dans cette section le niveau d’effort d’équilibre de l’expert, puis nous réa- lisons une étude de statique comparative, à niveau d’effort de contrôle du juge donné, sur ce niveau d’effort de recherche.

Comme expliqué précédemment, l’expert dispose de deux types de gains : un gain de justice sociale dont le poids est donné par λ, et un gain de réputation dont le poids est donné par (1 − λ).

Le gain de justice sociale de l’expert dépend de la probabilité avec laquelle une décision cor- recte est prise. Cette probabilité est identique à celle que nous avons donnée en (3.1) pour calculer le gain de justice sociale du juge.

Le gain de réputation de l’expert dépend de la probabilité avec laquelle la décision du juge (y) correspond au signal de l’expert (se). Cette probabilité est égale à la probabilité (donnée par

ejηeeµ) que le signal de l’expert soit correct et que le juge obtienne une nouvelle information qui confirme le signal de l’expert, à laquelle s’ajoute la probabilité (donnée par (1 − ej)) que le juge n’obtienne aucune nouvelle information et prenne donc une décision qui correspond

au signal de l’expert. Elle est égale à :

Pr (y = se|ej, ee) = ejηeeµ+ (1 − ej) (3.10) Finalement, l’utilité de l’expert est donnée par :

Ue = λPr (y = θ|ej, ee) + (1 − λ) Pr (y = se|ej, ee) − ce(ee) (3.11) Le premier terme de la fonction d’utilité de l’expert (λPr (y = θ|ej, ee)) représente son gain de justice sociale. Le deuxième terme ((1 − λ) Pr (y = se|ej, ee)) représente son gain de ré- putation. Enfin, le troisième terme (ce(ee)) représente le coût de son effort de recherche. L’expert choisit ee de manière à maximiser son utilité. On obtient la condition de premier ordre suivante :

Ue′ = λ(µ (1 − ej))

| {z }

Gain marginal de justice sociale

+ (1 − λ) (µejη)

| {z }

Gain marginal de réputation

ce(ee)

| {z }

Coût marginal

= 0 (3.12)

La condition de second ordre est donnée par ∂Ue

∂e

e = −c

′′

e(ee) < 0. On a donc bien un maxi- mum. On remarque immédiatement que l’effort du juge agit dans des sens opposés sur le gain marginal de justice sociale et sur le gain marginal de réputation. Ainsi, une augmentation de ej va diminuer le gain marginal de justice sociale, et va augmenter le gain marginal de réputation. Nous allons retrouver ce résultat dans l’étude de statique comparative menée par la suite : l’effort de l’expert augmente suivant ej si λ est suffisamment faible (l’expert est carriériste et attache un poids important à sa réputation), et diminue suivant ej si λ est suffisamment important (l’expert attache un poids important à la qualité de la prise de décision, ou autrement dit à la justice sociale). De plus, on remarque que la qualité de l’effort de contrôle du juge (η) a un effet direct sur le niveau d’effort de l’expert uniquement à travers le gain marginal de réputation, tandis que cette qualité (η) n’a aucun impact sur le gain marginal de justice sociale de l’expert. En effet, l’effort de l’expert a un impact sur la probabilité de décision correcte, et donc sur son gain de justice sociale, uniquement si le juge n’obtient aucune nouvelle information de son effort de contrôle. Or, lorsque le juge n’obtient

aucune nouvelle information de son effort de contrôle, la qualité de l’effort de contrôle n’in- tervient pas, ce qui explique que la qualité de cet effort ne soit pas présente dans le gain marginal de justice sociale de l’expert.

Nous menons maintenant une analyse de statique comparative sur l’effort de l’expert, en supposant que le niveau d’effort du juge est donné : nous ignorons encore une fois les inter- actions qui peuvent exister entre les efforts du juge et de l’expert. Le raisonnement est le même que celui que nous avons utilisé pour notre analyse de statique comparative sur l’effort du juge, en considérant un effort donné de l’expert, et nous permettra ici aussi par la suite de dissocier les effets “directs” des paramètres sur le niveau d’effort de l’expert, des effets “indirects” dus aux interactions avec l’effort de contrôle du juge.

Voyons tout d’abord comment varie l’effort de recherche d’équilibre de l’expert (e

e) suivant le poids relatif que ce dernier accorde au gain de justice sociale par rapport au gain de réputation (λ). Le résultat obtenu est ambigu. En effet, en différenciant la condition de premier ordre (3.12) respectivement suivant e

e et suivant λ, nous obtenons :

∂Ue∂ee dee+ ∂Ue∂λ = 0 ⇔ dee = − ∂Ue∂λ ∂Ue ∂ee (3.13) La condition de second ordre du programme de maximisation de l’expert implique que ∂Ue

∂ee < 0, donc le signe dedee 

est identique au signe de ∂Ue∂λ



. Or, nous avons :

∂U

e

∂λ = (1 − ej(1 + η)) µ (3.14)

L’expression (3.14) est strictement positive si ej < 1+η1 , et est strictement négative si

ej > 1+η1 . Nous donnons ci-dessous l’interprétation de ce résultat.

Si ej < 1+η1 , alors une augmentation de λ a un impact strictement positif sur le niveau d’ef- fort de l’expert. En effet, cette condition implique que ej et/ou η sont faibles. Or, lorsque ej est faible, l’expert ne prend pas le risque de voir sa réputation ternie s’il se trompe, car la

probabilité que le juge prenne une décision qui corresponde à son signal se est importante, même si se 6= θ. De plus, si η est faible alors, même si l’expert obtient un signal se correct, la probabilité que le juge prenne une décision contredisant le signal de l’expert est importante. En conséquence, si ej et/ou η sont suffisamment faibles, l’expert a peu d’emprise sur son gain de réputation, et n’est donc pas incité à faire un effort de recherche élevé s’il est principale- ment guidé par sa réputation (λ faible). En revanche, plus l’expert valorise la justice sociale (λ élevé), plus il va être incité à réaliser un niveau d’effort de recherche élevé pour obtenir un signal qui corresponde à l’état de la nature si ej < 1+η1 : l’expert sait que la probabilité avec laquelle le juge prend une bonne décision grâce à son effort de contrôle est faible, car ej et/ou η sont faibles. En particulier, le faible niveau de l’effort de contrôle du juge permet à l’expert d’avoir un impact plus important sur la probabilité de décision correcte : lorsque ej est faible, le juge suit plus souvent le signal de l’expert en prenant une décision y = se(le juge prend en effet cette décision avec une probabilité (1 − ej)). En conséquence, l’augmentation marginale de la probabilité de décision correcte suivant l’effort de l’expert (et donc le gain marginal de justice sociale de l’expert) est d’autant plus importante que le niveau de l’effort de contrôle du juge est faible, ce qui pousse un expert qui accorde un poids important à la justice sociale à augmenter son niveau d’effort de recherche.

Étudions maintenant le cas inverse, c’est-à-dire ej > 1+η1 . Les intuitions sont similaires à celles que nous venons de détailler. Si ej > 1+η1 , cela signifie que ej et/ou η sont élevés. Cela implique que la probabilité avec laquelle le juge obtient une nouvelle information contradic- toire avec le signal de l’expert, si ce dernier réalise un niveau d’effort faible, est importante. Ainsi, si l’expert est guidé principalement par des motivations réputationnelles (λ faible), il est incité à réaliser un niveau d’effort de recherche important, afin d’augmenter les chances que son signal soit identique à la décision prise par le juge. En revanche, si l’expert est prin- cipalement guidé par des motivations de justice sociale (λ élevé), alors il réalise un niveau d’effort faible, car la probabilité que la décision soit correcte est déjà importante, compte tenu du fait que l’effort du juge (ej) et que l’efficacité de cet effort (η) sont importants. En parti-

culier, un niveau important de l’effort de contrôle du juge implique que l’effort de recherche de l’expert a un faible impact sur la probabilité de décision correcte : l’expert va donc réa- liser un effort de recherche relativement faible (son gain marginal de justice sociale est faible). Étudions à présent la manière dont varie l’effort de recherche d’équilibre de l’expert (e

e) suivant la qualité de l’effort de contrôle du juge (η) et suivant la qualité de son propre effort de recherche (µ). En différenciant la condition de premier ordre (3.12) respectivement suivant

e

e et suivant η, puis en faisant de même suivant ee et suivant µ, nous trouvons que le signe de de

e



est identique à celui de ∂Ue

∂η  , et que le signe de dee 

est identique à celui de 

∂Ue∂µ



. Or, nous avons :

∂Ue ∂η = ej(1 − λ) µ > 0 (3.15) ∂Ue ∂µ = λ + ej(η − (1 + η) λ) > 0 (3.16)

La probabilité avec laquelle le signal de l’expert correspond à l’état de la nature augmente suivant la qualité de son effort (µ), ce qui a un effet positif à la fois sur son gain marginal de justice sociale, et sur son gain marginal de réputation. L’effort de recherche d’équilibre de l’expert est donc croissant suivant µ. Cet effort de recherche d’équilibre augmente également suivant la qualité de l’effort du juge, car le paramètre η a un impact positif sur le gain margi- nal de réputation de l’expert (nous avons précisé précédemment que η n’a aucun impact sur le gain de justice sociale de l’expert). En effet, lorsque η augmente, la probabilité avec laquelle un mauvais signal de l’expert se 6= θ est corrigé par le juge (qui prend alors une décision

y 6= se) augmente. L’expert, pour éviter que son signal ne soit contredit avec une probabi- lité trop importante s’il réalise un niveau d’effort trop faible, aura intérêt à augmenter son effort de recherche : le gain marginal de réputation de l’expert augmente suivant η. Notons qu’une augmentation de la qualité de l’effort du juge ou de l’expert a un double effet sur la probabilité de décision correcte, qui augmente par l’intermédiaire de l’augmentation de µ et de η, et également par l’intermédiaire de l’augmentation de l’effort de recherche d’équilibre de l’expert suivant la qualité des efforts, comme nous venons de le détailler. Cependant, ces

effets sur la probabilité de décision correcte sont à dissocier de ceux que nous avons identifiés en réalisant la statique comparative sur le niveau de l’effort de contrôle du juge pour un ni- veau d’effort donné de l’expert. Nous reviendrons sur les interactions entre les différents effets d’une augmentation de µ et de η sur les niveaux d’efforts d’équilibre dans la section suivante. Étudions à présent la manière dont varie le niveau d’effort de recherche d’équilibre de l’expert (e

e) suivant le niveau de l’effort de contrôle du juge (ej). Le résultat obtenu est ambigu. En effet, en différenciant la condition de premier ordre (3.12) respectivement suivant e

e et suivant

ej, nous trouvons que le signe de

de

e

dej 

est identique au signe de ∂Ue∂ej



. Or, nous avons :

∂U

e

∂ej

= (η − (1 + η) λ) µ (3.17)

Le signe de l’expression (3.17) dépend de la valeur de λ et de la valeur de η. Si λ < η

1+η, alors

(η − (1 + η) λ) µ > 0, ce qui signifie que le niveau d’effort de recherche de l’expert augmente suivant le niveau d’effort de contrôle du juge. Autrement dit, si l’expert est principalement préoccupé par sa réputation (λ faible), alors un effort de contrôle élevé du juge entraîne un niveau d’effort de recherche élevé de la part de l’expert. Inversement, si λ > η

1+η, alors

(η − (1 + η) λ) µ < 0, ce qui signifie que l’effort de recherche de l’expert diminue suivant l’effort de contrôle du juge. Autrement dit, si l’expert se préoccupe surtout de la justice sociale (λ élevé), alors un effort de contrôle élevé du juge entraîne un niveau de recherche faible de la part de l’expert. Ce résultat est intéressant car il implique qu’une augmentation du niveau d’effort de contrôle du juge a des effets contradictoires dans la population des experts, en augmentant le niveau d’effort de l’expert s’il est essentiellement motivé par sa réputation, et en diminuant le niveau d’effort de l’expert s’il est essentiellement motivé par la justice sociale (et inversement pour une diminution de l’effort de contrôle du juge). Ainsi, lorsque l’expert a principalement des préoccupations de justice sociale, nous identifions un problème de “hold-up” similaire à celui mis en évidence dans Burkart et al. (1997), où l’effort de contrôle d’un actionnaire important12 (dans notre cas le juge) a pour effet de diminuer

12. La structure de l’actionnariat est telle qu’il existe un actionnaire important, et que le reste est dispersé parmi des petits actionnaires.

l’effort du manager (dans notre cas l’expert).

Nous résumons les résultats de statique comparative trouvés précédemment dans le lemme suivant :

Lemme 3.2. À niveau d’effort de contrôle du juge (ej) donné, l’effort de recherche de l’expert

à l’équilibre (e

e) est croissant (respectivement décroissant) suivant le poids relatif que l’expert

accorde à la justice sociale (λ) si ej < 1+η1 (respectivement si ej > 1+η1 ), et est croissant

(respectivement décroissant) suivant le niveau de l’effort de contrôle du juge (ej) si λ < 1+ηη

(respectivement si λ > η

1+η). De plus, l’effort de recherche d’équilibre de l’expert (e

e) est

croissant suivant la qualité de l’effort de contrôle du juge (η) et suivant la qualité de l’effort de recherche de l’expert (µ).

Notons que nous raisonnons ici à niveau d’effort de contrôle du juge donné. Les résultats que nous venons de présenter ne tiennent pas compte de l’effet indirect d’une variation des paramètres µ, η, Gj et λ sur le niveau d’effort d’un expert via leurs effets sur le niveau de l’effort de contrôle du juge.

Dans le document Analyse économique de l'expertise judiciaire (Page 155-161)