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Le coût espéré des erreurs

Dans le document Analyse économique de l'expertise judiciaire (Page 120-125)

2.5 Le coût espéré des erreurs et le choix de la procédure

2.5.1 Le coût espéré des erreurs

Nous distinguons deux différents types d’erreurs : les erreurs d’inertie et les erreurs d’extré- misme22. Une erreur d’inertie correspond à la situation où une décision de statu quo est prise,

alors que la décision correcte est une décision en faveur d’une des deux parties. À l’inverse, une erreur d’extrémisme correspond à la situation où une décision en faveur d’une des deux parties est prise, alors que la décision correcte est une décision de statu quo.

Les probabilités d’erreur d’inertie et d’erreur d’extrémisme sont données dans le tableau 2.2 (en l’absence d’expertise et dans chacune des procédures). Ces probabilités sont calculées à partir des tableaux 2.3 et 2.5, présentés en annexe à la section 2.7.1.

Probabilité d’erreur d’inertie Probabilité d’erreur d’extrémisme

Pas d’expertise 2zβ(1 − zβ) 0

Inquisitoire 0 z 2 − z − 2β + 2zβ2

Accusatoire (sans efforts conjoints) 2z2(1 − β)β 2(1 − z)z(1 − β)

Accusatoire (avec efforts conjoints) 0 0

[Tableau 2.2]

La comparaison de la probabilité d’une erreur d’inertie et de la probabilité d’une erreur d’extrémisme selon la procédure qui est imposée nous permet de retrouver le résultat de De- watripont et Tirole (1999) expliquant que plus d’erreurs d’inertie sont créées en procédure

accusatoire sans efforts conjoints23, tandis que plus d’erreurs d’extrémisme sont créées en

procédure inquisitoire24.

D’où proviennent les erreurs d’extrémisme et/ou d’inertie dans ces deux procédures ? En procédure inquisitoire, lorsque l’expert observe des preuves contradictoires qui s’annulent, ce dernier a intérêt à n’en dévoiler qu’une partie, afin d’éviter que le juge ne prenne la décision (correcte) de statu quo, qui ne rapporte rien à l’expert. Cette stratégie génère des erreurs d’extrémisme. À l’inverse, en procédure accusatoire sans efforts conjoints, un expert i ne va dévoiler que la preuve favorable à la partie qui l’a engagé (Pi) et va cacher toute contre- preuve (Ni). Les experts vont donc régulièrement s’opposer des preuves Pi et Pj générant des décisions de statu quo, alors que la décision correcte est donnée par y = A (respectivement

y = B) si la contre-preuve NB (respectivement NA) existe, tandis que la contre-preuve NA (respectivement NB) n’existe pas. Cette stratégie des experts génère des erreurs d’inertie. Des erreurs d’extrémisme sont aussi générées en procédure accusatoire sans efforts conjoints si un expert i observe un ensemble d’informations {Pi, Ni}tandis que les preuves disponibles sur j sont données par {∅j, ∅j}. Cependant, les erreurs d’extrémisme restent moins fréquentes en procédure accusatoire sans efforts conjoints qu’en procédure inquisitoire. La supériorité de chacune des procédures selon le poids accordé à chaque type d’erreur est étudiée exten- sivement dans le modèle de Dewatripont et Tirole (1999) et les extensions associées, c’est pourquoi nous simplifions notre analyse en considérant que le coût d’une erreur est le même pour une erreur d’inertie et pour une erreur d’extrémisme25.

Compte tenu du tableau 2.2, les probabilités totales d’erreur (la somme de la probabilité d’une erreur d’inertie et de la probabilité d’une erreur d’extrémisme) en l’absence d’expertise, 23. La probabilité d’une erreur d’inertie est supérieure en procédure inquisitoire car la condition 2z2(1 −

β)β > 0 est satisfaite.

24. La probabilité d’une erreur d’inertie est supérieure en procédure accusatoire sans efforts conjoints car la condition z 2 − z − 2β + 2zβ2> 2(1 − z)z(1 − β) est satisfaite. Ce résultat apparaît plus clairement dans

le tableau 2.5 présenté en annexe à la section 2.7.1.

25. Notons que les économies (ou les déséconomies) d’échelle n’ont aucune influence sur le coût espéré des erreurs.

en procédure inquisitoire, en procédure accusatoire sans efforts conjoints et en procédure accusatoire avec efforts conjoints sont respectivement données par :

ǫ ≡2zβ(1 − zβ) (2.45)

ζ ≡ z2 − 2β − z1 − 2β2 (2.46)

η ≡2z (1 − z (1 − β)) (1 − β) (2.47)

γ ≡0 (2.48)

Quelle procédure, entre la procédure inquisitoire et la procédure accusatoire, permet de mi- nimiser le coût espéré des erreurs lorsque des expertises sont menées ? Tout d’abord, le coût espéré des erreurs en procédure accusatoire sans efforts conjoints est inférieur au coût espéré des erreurs en procédure inquisitoire si η < ζ. Cette inégalité est toujours vérifiée. Ensuite, en procédure accusatoire avec efforts de recherche conjoints, le juge prend une décision en information parfaite et ne commet jamais d’erreur26. Ainsi, l’autorité de tutelle minimise le

coût espéré des erreurs en imposant la procédure accusatoire plutôt que la procédure inqui- sitoire.

Sous quelles conditions engager des experts dans chacune des procédures permet de mini- miser le coût espéré des erreurs ? Premièrement, le coût espéré des erreurs en procédure accusatoire avec efforts conjoints est strictement inférieur au coût espéré des erreurs en l’ab- sence d’expertise donc, dans le cadre de cette procédure, engager des experts permet tout le temps de minimiser le coût espéré des erreurs. Deuxièmement, le coût espéré des erreurs en procédure accusatoire sans efforts conjoints est strictement inférieur au coût espéré des erreurs en l’absence d’expertise si η < ǫ, c’est-à-dire si β > 1

2. L’intuition est la suivante.

Pour des valeurs faibles de β, la probabilité que la décision correcte soit une décision de statu

quo est importante (la probabilité qu’une contre-preuve existe est élevée), et faire appel à des

experts augmente la probabilité qu’une erreur soit commise. Troisièmement, le coût espéré 26. On retrouve l’argument formulé par Milgrom et Roberts (1986) en faveur de la procédure accusatoire. Milgrom et Roberts (1986) expliquent que la procédure accusatoire, en mettant en concurrence les parties, permet au juge d’acquérir toute l’information utile à sa prise de décision (en particulier lorsqu’il adopte une stratégie de scepticisme) : chaque partie dévoile les informations qui soutiennent sa cause.

des erreurs en procédure inquisitoire est strictement inférieur au coût espéré des erreurs en l’absence d’expertise si ζ < ǫ, c’est-à-dire si :

1

2 < β <1 et 0 < z < 2

1 + 2β (2.49)

Notons que cette double condition est plus stricte que celle que nous avons obtenue pour que la procédure accusatoire sans efforts conjoints soit préférée à l’absence d’expertise. Ce résultat est assez intuitif : puisque plus d’erreurs sont créées en procédure inquisitoire par rapport à la procédure accusatoire sans efforts conjoints, l’intérêt de la première par rapport à la seconde (dans l’objectif de minimiser le coût espéré des erreurs) est moindre. Ainsi, les conditions sous lesquelles engager des experts dans le cadre de la procédure inquisitoire minimise le coût espéré des erreurs sont plus strictes.

2.5.2 La procédure inquisitoire

L’objectif du juge est de minimiser la somme du coût social des erreurs et du coût lié à l’expertise. Appelons Cs le coût social d’une erreur. Si le juge décide de n’engager aucun expert, une erreur est commise avec une probabilité ǫ, et le coût lié à l’expertise est nul. L’utilité du juge est alors donnée par Uj = −Csǫ. Si le juge décide d’engager un expert afin de réaliser des efforts de recherche conjoints, une erreur est commise avec une proba- bilité ζ, et l’expert obtient la rémunération wι s’il observe une preuve P

A ou une preuve

PB, c’est-à-dire avec une probabilité



1 − (1 − z)2. L’utilité du juge est alors donnée par

Uj = −Csζ −



1 − (1 − z)2

.

Afin de faciliter l’interprétation de nos résultats, supposons dans un premier temps que le juge ne se soucie que du coût espéré des erreurs (Cs tend vers l’infini). Le juge décide d’en- gager un expert pour réaliser des efforts de recherche conjoints seulement si cela permet de minimiser le coût espéré des erreurs. Comme nous l’avons vu dans la sous-section précédente, cela correspond à la condition ζ < ǫ, qui est équivalente à la condition (2.49). L’interpré- tation de cette condition nous apprend que le juge décide d’engager un expert uniquement si la probabilité (1 − β) qu’une contre-preuve Ni existe et si la probabilité z qu’une preuve

favorable Pi existe sont suffisamment faibles. L’intuition est la suivante. Si la probabilité (1 − β) qu’une contre-preuve existe est élevée, alors la probabilité a priori que la décision correcte soit une décision de statu quo est importante. Dans ce cas, et compte tenu de la stratégie de transmission de l’information utilisée par l’expert (voir le tableau 2.4), le juge prend un risque trop important de décision incorrecte en faveur d’une des deux parties s’il engage un expert. De la même manière, si la probabilité qu’une preuve favorable existe (z) est élevée, la probabilité que les preuves existantes s’annulent et que la décision correcte soit une décision de statu quo est importante. Là aussi, le risque d’erreur d’extrémisme est trop important pour le juge s’il engage un expert, compte tenu de la stratégie de ce dernier. Le juge préfère prendre directement une décision de statu quo, plutôt que d’engager un expert et prendre le risque de commettre une erreur d’extrémisme.

Supposons dans un second temps que le juge se préoccupe également du coût espéré des expertises27. La double condition (2.49) doit toujours être satisfaite pour que le juge décide

d’engager un expert, pour les mêmes raisons qu’expliquées dans le paragraphe précédent (engager un expert permet de réduire la probabilité d’erreur). Cependant, cette condition n’est plus suffisante. Une condition supplémentaire doit être satisfaite pour que le juge décide d’engager un expert : le coût social d’une erreur (Cs) doit être suffisamment important. Plus précisément, la condition suivante doit être satisfaite :

Cs>        (1+λ)k z(2β−1)(2−z−2zβ) si λ ≤ λ1 λk(z−2) (1−z)z(2−z−4β+4zβ2 ) si λ > λ1 (2.50) Les calculs sont détaillés en annexe à la section 2.7.2. Le niveau minimum du coût social d’une erreur (Cs) pour lequel le juge décide d’engager un expert est plus important lorsque les économies d’échelle réalisées sur les efforts de recherche sont faibles (λ est élevé). En effet, le juge réalise un arbitrage entre la diminution du coût espéré des erreurs lorsqu’il engage un expert et le coût espéré des expertises, qui est d’autant plus important que les économies d’échelle sont faibles (ou que les déséconomies d’échelle sont importantes).

27. Son utilité diminue avec le coût espéré des expertises : elle dépend ainsi de la rémunération wι à verser à l’expert.

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