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La procédure inquisitoire

Dans le document Analyse économique de l'expertise judiciaire (Page 100-104)

2.3 La rémunération des experts

2.3.1 La procédure inquisitoire

En procédure inquisitoire, le juge choisit la rémunération de l’expert de manière à minimiser la rente13 de ce dernier, tout en l’incitant à mener des efforts de recherche conjoints14.

Cela implique pour le juge de fixer une rémunération wι > wι

0. En effet, dans le cas inverse

(wι ≤ wι

0), l’expert a intérêt à ce que le juge prenne une décision de statu quo (y = 0) :

l’expert ne réalise aucun effort de recherche, ne présente aucune preuve et obtient la décision souhaitée (y = 0). À titre de comparaison, si le juge décide de ne pas engager d’expert, la décision prise est la même (y = 0), mais les coûts d’expertise sont inférieurs car aucune rémunération n’est versée à l’expert. Il n’est donc pas optimal pour le juge d’engager un expert et de lui proposer une rémunération wι ≤ wι

0. Au contraire, avec une rémunération

> wι

0, le juge peut inciter l’expert à réaliser des efforts de recherche conjoints. À chaque

fois qu’il en a la possibilité, l’expert présente une preuve PA ou une preuve PB au juge, afin que ce dernier prenne une décision y ∈ {A, B} différente de la décision de statu quo, qui lui permet d’obtenir une rémunération wι. La stratégie de transmission de preuves de l’expert est détaillée dans le tableau 2.4 présenté en annexe à la section 2.7.115. Lorsque l’expert

13. Si la rémunération de l’expert est fixée de manière à exactement rembourser (en espérance) le coût de ses efforts de recherche, l’utilité espérée de l’expert sera alors nulle. Cependant, afin d’éviter que les experts ne réalisent un niveau d’effort trop bas, le juge (en procédure inquisitoire) ou les parties (en procédure accusatoire avec efforts conjoints) devront parfois verser une rémunération plus importante à l’expert. Nous appelons rente l’utilité supplémentaire obtenue par l’expert dans ce cas.

14. Nous déterminerons plus tard si cette situation est préférable à celle où le juge n’engage pas d’expert. 15. Nous supposons que la stratégie de l’expert en procédure inquisitoire est telle que, lorsque ce dernier observe une preuve PAet une preuve PB(il peut induire au choix une décision y = A ou une décision y = B), et lorsque la décision correcte est différente du statu quo, l’expert décide de sa stratégie de manière à ce que

réalise des efforts de recherche conjoints, la probabilité avec laquelle il observe une preuve

PA et/ou PB qui lui permet d’obtenir une décision différente du statu quo (y ∈ {A, B}) est donnée par :

1 − (1 − z)2 (2.1)

À l’inverse, la probabilité avec laquelle il n’observe aucune de ces deux preuves et obtient une décision de statu quo (y = 0) est donnée par :

(1 − z)2 (2.2)

Finalement, l’utilité de l’expert s’il réalise des efforts de recherche conjoints est donnée par :

= wι1 − (1 − z)2+ wι

0(1 − z)2−(1 + λ) k (2.3)

Le premier terme représente la rémunération espérée de l’expert liée à une décision autre que le statu quo, le deuxième terme représente la rémunération espérée de l’expert liée à une décision de statu quo et le troisième terme représente le coût des efforts de recherche conjoints. Pour inciter l’expert à réaliser des efforts de recherche conjoints, la rémunération de l’expert doit être fixée de manière à satisfaire certaines contraintes que nous allons maintenant dé- terminer. L’utilité de réserve de l’expert s’il ne réalise aucun effort est supposée égale à 0. L’expert préfère réaliser un effort de recherche sur chacune des parties plutôt qu’aucun effort de recherche si sa rémunération est telle que :

≥ wι

0 ⇔(wι − w0ι) z (2 − z) − (1 + λ) k ≥ 0 (2.4)

Son utilité, s’il réalise un effort de recherche en faveur d’une partie seulement, est donnée par

z+ wι

0(1 − z) − k. L’expert préfère réaliser un effort de recherche sur chacune des parties

plutôt que sur une seule partie si sa rémunération est telle que :

≥ wι

z+ wι0(1 − z) − k ⇔ (wι − wι

0) z (1 − z) − λk ≥ 0 (2.5)

Le juge choisit la rémunération de l’expert de manière à satisfaire les contraintes (2.4) et (2.5), tout en minimisant la rente de l’expert. Le résultat est donné dans le lemme 2.1. le juge prenne une décision correcte.

Lemme 2.1. La rémunération optimale de l’expert en procédure inquisitoire est donnée par 0 = 0 et par wι = 12 (1+λ)k z(1−z 2) si λ ≤ λ 1 ou wι = z(1−z)λk si λ > λ1, avec λ1 = 1 − z.

Démonstration. On résout le programme suivant :

min

{wι,wι

0}

1 − (1 − z)2+ w0ι(1 − z)2−(1 + λ) k (2.6)

sous les contraintes (2.4), (2.5), wι 0, wι

0 ≥0

Supposons premièrement que seule la contrainte (2.4) est saturée. La résolution du pro- gramme (2.6) donne le schéma de rémunération suivant :

         = 1 2 (1+λ)k z(1−z 2) 0 = 0 (2.7)

La contrainte (2.5) est également satisfaite grâce à l’utilisation de ce schéma de rémunéra- tion si et seulement si λ ≤ 1 − z = λ1. Pour λ < λ1, seule la contrainte (2.4) est saturée (la

contrainte (2.5) est libre). Pour λ = λ1, les contraintes (2.4) et (2.5) sont saturées simulta-

nément. Ainsi, la rémunération de l’expert est donnée par le schéma de rémunération (2.7) pour λ ≤ λ1.

Supposons deuxièmement que seule la contrainte (2.5) est saturée. La résolution du pro- gramme (2.6) donne le schéma de rémunération suivant :

       = λk z(1−z) 0 = 0 (2.8)

La contrainte (2.4) est également satisfaite grâce à l’utilisation de ce schéma de rémunération si λ > λ1. En conséquence, pour λ > λ1, seule la contrainte (2.5) est saturée (la contrainte

(2.4) est libre), et la rémunération des experts est donnée par le schéma de rémunération (2.8).

La rémunération versée par le juge à l’expert dépend de la contrainte qui est saturée à l’équilibre. Si c’est la contrainte (2.4) qui est saturée (on a λ ≤ λ1), la rente de l’expert est

donnée par :

= 0 (2.9)

L’expert obtient une rente nulle dans ce cas. Si c’est la contrainte (2.5) qui est saturée (on a λ > λ1), la rente de l’expert est donnée par :

= k(z + λ − 1)

1 − z (2.10)

Cette rente est croissante suivant k, z et λ. En effet, nous avons :

∂Uι ∂k = z+λ−1 1−z >0 pour λ > λ1 (2.11) ∂Uι ∂z = λk (1−z)2 >0 (2.12) ∂Uι ∂λ = k 1−z >0 (2.13)

Lorsque λ > λ1, les économies d’échelle sur le coût des efforts de recherche sont faibles, voire

négatives. L’expert obtient une rente positive en procédure inquisitoire car le juge doit lui fournir les incitations suffisantes à la réalisation d’efforts de recherche conjoints. En effet, si l’expert réalise un effort de recherche sur une partie i uniquement, il obtient une preuve

Pi qui aboutit sur une décision y = i et lui permet d’obtenir une rémunération wι avec une probabilité z. En revanche, si l’expert réalise un effort de recherche sur chaque partie, un effort sur la partie j n’est décisif pour l’obtention d’une rémunération wι qu’avec une probabilité z(1 − z), c’est-à-dire seulement si l’effort de recherche en faveur de la partie j lui permet d’obtenir une preuve Pj tandis qu’il n’observe aucune preuve sur la partie i suite à son effort de recherche sur celle-ci. Autrement dit, en cas d’efforts conjoints, le gain du premier effort de recherche est supérieur au gain du second effort de recherche. Le juge va devoir compenser l’expert pour la diminution de son gain marginal de l’effort de recherche en lui versant une rente. Cette rente est d’autant plus importante que le coût de l’effort supplémentaire de l’expert est important, c’est-à-dire que k et λ sont élevés. De même, plus la probabilité qu’une preuve Pi existe (z) est élevée, et plus la rente versée à l’expert

devra être importante, car la diminution du gain marginal de l’effort de recherche de l’expert est d’autant plus importante que la probabilité z est élevée. Lorsque λ ≤ λ1, les économies

d’échelle réalisées sont suffisamment importantes pour que la diminution du gain lié à l’effort supplémentaire produit par l’expert soit plus que compensée par la diminution du coût de l’effort supplémentaire. Il n’est plus nécessaire pour le juge de compenser l’expert en lui versant une rente pour l’inciter à réaliser des efforts de recherche conjoints : la rente de l’expert est nulle (ce qui n’apparaît pas chez Dewatripont et Tirole (1999) où les économies d’échelle sur les efforts conjoints sont ignorées).

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