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Nous proposons un modèle où, dans le cadre d’un litige opposant deux parties (A et B), un juge neutre au risque doit trancher un litige en prenant une décision y ∈ {A, B, 0}. Les décisions y = A et y = B correspondent respectivement à une décision en faveur de la partie A, et à une décision en faveur de la partie B. Une décision y = 0 correspond à une décision de

statu quo (la décision n’est favorable à aucune des deux parties). En procédure inquisitoire,

pour s’aider dans sa prise de décision, le juge peut engager un expert judiciaire. En procédure accusatoire, afin de chercher des preuves qui leur sont favorables, les parties peuvent engager chacune un expert.

La structure de l’information. Avec une probabilité z ∈ (0, 1), une preuve Pi favorable à la partie i = A, B existe. Lorsqu’une telle preuve existe, un expert l’observe s’il réalise un effort de recherche (inobservable par le juge) sur la partie i. Avec une probabilité (1 − β), il existe une contre-preuve Ni à cette preuve Pi. La probabilité (1 − β) ∈ (0, 1) est une probabilité conditionnelle : c’est la probabilité avec laquelle il existe une contre-preuve Ni, sachant qu’une preuve Pi existe. Si un expert réalise un effort de recherche et observe la preuve Pi, il observe en même temps la preuve Ni lorsque celle-ci existe (sans effort de

recherche supplémentaire). Avec une probabilité (1 − z), il n’existe pas de preuve Pi. Si la preuve Pi n’existe pas, alors la contre-preuve Ni n’existe pas non plus. Pour résumer, un expert qui réalise un effort de recherche sur une partie i observe un des trois ensembles d’informations suivants : {Pi, Ni}avec une probabilité z(1 − β), {Pi, ∅}avec une probabilité

zβ, et {∅, ∅} avec une probabilité (1 − z).

Le juge. Il est chargé de trancher le litige. Son objectif est de minimiser la somme du coût

social espéré des erreurs et du coût espéré des expertises. La décision prise par le juge dépend des preuves et des contre-preuves qui sont présentées par les experts. Le tableau 2.1 présente la décision prise par le juge suivant tous les ensembles de preuves et de contre-preuves qui peuvent lui être présentés.

Preuves sur i {∅, ∅} {Pi, ∅} {Pi, Ni}

Preuves sur j {∅, ∅} {Pj, ∅} {Pj, Nj} {∅, ∅} {Pj, ∅} {Pj, Nj} {∅, ∅} {Pj, ∅} {Pj, Nj} Décision y y = 0 y = j y = 0 y = i y = 0 y = i y = 0 y = j y = 0

[Tableau 2.1]

Le mécanisme de prise de décision du juge décrit dans le tableau 2.1 est tel qu’en information parfaite, le juge prend toujours une décision correcte. Autrement dit, s’il existe une preuve

Pi favorable à une partie i sans contre-preuve Ni, tandis qu’il n’existe pas de preuve Pj en faveur de la partie adverse j (ou qu’il existe une preuve Pj ainsi qu’une contre-preuve Nj), la décision correcte est donnée par y = i. Sinon, les preuves et contre-preuves existantes sur les deux parties s’annulent (ou il n’existe aucune preuve), et la décision correcte est donnée par y = 0.

L’autorité de tutelle. L’autorité de tutelle définit le cadre législatif en imposant soit

l’utilisation d’une procédure inquisitoire, soit l’utilisation d’une procédure accusatoire. Nous supposons que les intérêts de l’autorité de tutelle et du juge sont parfaitement alignés : tous

deux ont pour objectif de minimiser la somme du coût social espéré des erreurs et du coût espéré des expertises.

L’expert. La rémunération des experts est contingente à la décision. Si l’autorité de tutelle

décide d’imposer une procédure inquisitoire, le juge décide de la rémunération de l’expert, qui est alors donnée par wι 0 si y = A ou y = B6, et par wι

0 ≥0 si y = 0. En revanche,

si l’autorité de tutelle décide d’imposer une procédure accusatoire, chaque partie rémunère l’expert qu’elle engage. La rémunération d’un expert est alors donnée par wα 0 si une décision est prise en faveur de la partie qui l’a engagé, par wα

0 ≥ 0 si une décision de statu

quo est prise (avec wα > wα

0), et par 0 si une décision en faveur de la partie adverse à celle

qui l’a engagé est prise. Quelques commentaires doivent être faits sur notre hypothèse de rémunération contingente à la décision de l’expert. Nous supposons que la rémunération des experts ne peut pas dépendre des preuves Pi et Ni présentées au juge. Cette hypothèse peut être interprétée de deux manières. La première interprétation est la suivante. Les preuves présentées par les experts ne sont pas directement observables par le juge. Le juge observe seulement les “conclusions générales” des rapports d’expertise, et prend la décision qui cor- respond, comme illustré dans le tableau 2.1. La rémunération de l’expert ne peut donc pas dépendre des preuves présentées, puisque celles-ci sont inobservables. La seconde interpré- tation est la suivante. Comme expliqué par Palumbo (2001)7, la rémunération d’un expert

peut être interprétée comme un gain réputationnel. En procédure accusatoire, une décision du juge en faveur de la partie qui a engagé l’expert est interprétée comme un signal montrant que l’expert a défendu efficacement cette partie, procurant à l’expert un gain en réputation8.

En procédure inquisitoire, une décision du juge différente de la décision de statu quo, peut être interprétée comme un signal montrant que l’expert a présenté au juge une information utile à sa prise de décision, ce qui lui procure un gain en réputation9 (pour rappel, la dé-

cision de statu quo est la décision par défaut du juge en l’absence d’expertise). Même si la 6. La rémunération de l’expert est la même pour y = A et pour y = B du fait de la symétrie du modèle. 7. Palumbo (2001) s’intéresse essentiellement à la rémunération des avocats. Cependant, sa justification de la rémunération contingente à la décision s’applique également au cas des experts.

8. Nous montrons dans la section 2.3 qu’en procédure accusatoire, nous obtenons à l’équilibre wα≥ wα

0.

9. Nous montrons dans la section 2.3 qu’en procédure inquisitoire, nous obtenons à l’équilibre wι≥ wι

rémunération des experts peut être interprétée sous l’angle d’un gain en réputation, nous maintenons l’hypothèse d’une rémunération sous forme monétaire afin de simplifier l’analyse du modèle.

L’expert décide de réaliser ou non un effort de recherche sur chacune des parties. Un expert peut ne réaliser aucun effort de recherche, réaliser un effort de recherche uniquement sur la partie A ou uniquement sur la partie B, ou réaliser des efforts de recherche conjoints10 sur

chacune des deux parties. Une fois les efforts de recherche réalisés, l’expert observe les preuves et contre-preuves qui existent sur chacune des parties sur lesquelles il a réalisé un effort de recherche, puis décide de celles qu’il présente au juge parmi celles qu’il a observées. Les experts ne peuvent pas présenter de preuves ni de contre-preuves qu’ils n’ont pas observées : la fabrication de fausses preuves par l’expert est trop risquée et/ou trop coûteuse11.

Le coût des efforts de recherche. Pour observer une preuve Pifavorable à une partie i et la contre-preuve Ni(lorsque celles-ci existent), l’expert doit réaliser un effort de recherche sur la partie i. Le coût de cet effort12de recherche est donné par k > 0. Nous nous intéressons aux

économies (respectivement aux déséconomies) d’échelle sur le coût des efforts de recherche des experts : le coût d’un effort de recherche sur une partie diminue (respectivment augmente) si l’expert réalise également un effort de recherche sur l’autre partie, c’est-à-dire s’il réalise un effort de recherche à la fois sur la partie i et sur la partie j. Ainsi, si l’expert décide de réaliser un effort de recherche sur les deux parties, le coût des efforts de recherche conjoints est donné par (1+λ)k, avec λ ≥ 0. Le paramètre λ représente le niveau des économies (ou des 10. Dans une extension de Dewatripont et Tirole (1999), Palumbo (2006) explique que la procédure ac- cusatoire permet un contrôle mutuel des parties en cas d’efforts de recherche conjoints. Ce type de contrôle domine celui qui est obtenu par l’utilisation d’amendes ou par un contrôle exogène (par exemple avec une agence dédiée au contrôle).

11. Si l’expert fabrique de fausses preuves pour appuyer une décision en faveur d’une des deux parties (c’est-à-dire dans le cadre de notre modèle s’il rapporte des preuves qu’il n’a pas observées), ce dernier s’expose à des sanctions importantes. De plus, si la falsification de preuves est détectée, l’expert risque une perte de réputation qui peut lui être extrêmement coûteuse en termes de rémunération future (impossibilité de renouvellement de son statut d’expert, manque de crédibilité de sa parole, etc.).

12. Afin de rester aussi simple que possible, nous considérons dans notre modèle que les efforts réalisés sont discrets (l’expert décide de réaliser un effort de recherche ou non sur une cause). Voir Palumbo (2001) pour une comparaison des procédures inquisitoire et accusatoire avec des efforts continus.

déséconomies) d’échelle réalisées. Par exemple, pour λ = 0, le coût des efforts de recherche conjoints est k, ce qui signifie que le coût du deuxième effort est nul. Concrètement, cela signifie que les investigations à réaliser sur la partie A et sur la partie B sont les mêmes : l’expert profite d’économies d’échelle importantes. Lorsque λ tend vers l’infini, le deuxième effort devient infiniment coûteux. Le coût des efforts de recherche conjoints tend vers l’infini. Concrètement, cela signifie qu’il n’est pas possible de mener les investigations sur chacune des deux parties pour un seul expert (par exemple pour des raisons de contraintes de temps, de moyens, ou parce que des connaissances spécifiques sont requises pour réaliser chacun des efforts) : l’expert est confronté à d’importantes déséconomies d’échelle. L’hypothèse employée implicitement par Dewatripont et Tirole (1999) et dans les extensions de ce modèle est λ = 1 : le coût du deuxième effort de recherche est identique à celui du premier, c’est-à-dire qu’il n’existe aucune économie (ni déséconomie) d’échelle sur le coût des efforts de recherche.

Déroulement du jeu. Le jeu suit les étapes suivantes. Premièrement, des preuves et

contre-preuves sur chacune des parties sont créées ou non. Celles-ci définissent la décision correcte du juge. Deuxièmement, l’autorité de tutelle choisit d’imposer la procédure inqui- sitoire ou la procédure accusatoire. Troisièmement, en procédure inquisitoire, le juge choisit la rémunération de l’expert, donnée par wι et wι

0. En procédure accusatoire, chaque partie

choisit la rémunération de l’expert qu’elle engage, donnée par wα et wα

0. Quatrièmement,

chaque expert décide des efforts de recherche qu’il va réaliser, puis observe les preuves et contre-preuves sur chacune des parties pour lesquelles il a réalisé un effort. Enfin, il décide des preuves qu’il présente au juge, qui prend une décision y ∈ {A, 0, B}.