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Le choix de la procédure par l’autorité de tutelle

Dans le document Analyse économique de l'expertise judiciaire (Page 128-133)

2.5 Le coût espéré des erreurs et le choix de la procédure

2.5.4 Le choix de la procédure par l’autorité de tutelle

Quelle procédure doit imposer l’autorité de tutelle pour minimiser la somme du coût social des erreurs et du coût des expertises ? Nous avons déjà précisé que la procédure accusatoire permet de minimiser le coût espéré des erreurs.

Cependant, la liberté laissée aux parties de décider de la conduite d’expertises ou non, en procédure accusatoire, n’est pas toujours optimale. En effet, un des avantages de la procédure inquisitoire est que l’alignement des préférences du juge et de l’autorité de tutelle peut se ré- véler avantageux en termes de coût espéré des expertises : le juge décide d’engager un expert uniquement si cela permet de minimiser la somme du coût espéré des expertises et du coût social espéré des erreurs. À l’opposé, en procédure accusatoire, le fait que des experts soient engagés ou non, et le choix de la rémunération qui leur est versée, dépendent directement du montant des dommages et intérêts. Or, il peut se révéler difficile d’agir sur cette variable pour l’autorité de tutelle, car il est généralement considéré que la fonction première des dommages et intérêts est de fournir une compensation financière destinée à réparer un préjudice subi, et non de fournir les incitations adéquates aux parties dans la recherche d’informations. Le fait que les préférences des parties ne soient pas alignées avec celles de l’autorité de tutelle peut conduire à la réalisation d’efforts de recherche en procédure accusatoire sous-optimaux ou sur-optimaux31, selon l’importance du coût social d’une erreur (C

s) et du montant des dommages et intérêts (D).

31. On peut ainsi observer des efforts de recherche sur-optimaux (respectivement sous-optimaux) en pro- cédure accusatoire si le montant des dommages et intérêts est élevé (respectivement faible), tandis que le coût social d’une erreur est faible (respectivement élevé).

Un autre avantage de la procédure inquisitoire, comme nous l’avons vu dans la section consa- crée au coût des expertises, est que celle-ci est moins coûteuse que la procédure accusatoire si les économies d’échelle sur le coût des efforts de recherche conjoints sont importantes. La procédure inquisitoire présente alors l’avantage d’offrir au juge la possibilité d’engager un expert pour améliorer la qualité de sa prise de décision à moindre coût. Inversement, pour des valeurs faibles des économies d’échelle (voire pour des déséconomies d’échelle), la procédure inquisitoire est strictement plus coûteuse que la procédure accusatoire sans efforts conjoints, et peut même être plus coûteuse que la procédure accusatoire avec efforts conjoints (selon la valeur des paramètres), du fait de la rente à verser à l’expert. Dans ce cas, le fait que chaque partie engage son expert dans le cadre d’une procédure accusatoire est préférable au fait que le juge engage un expert dans le cadre d’une procédure inquisitoire : le coût espéré des expertises et le coût espéré des erreurs sont tous deux inférieurs en procédure accusa- toire. Globalement, si le montant des dommages et intérêts (D) et le coût social d’une erreur (Cs) sont tous deux suffisamment importants, l’autorité de tutelle aura intérêt à imposer la procédure accusatoire quelle que soit la valeur des économies d’échelle réalisées : la décision des parties d’engager chacune un expert est alors socialement optimale car le coût espéré des erreurs est minimisé par la procédure accusatoire.

2.6 Conclusion

Nous avons discuté des avantages et des inconvénients liés à la conduite d’expertises judi- ciaires dans le cadre d’une procédure inquisitoire et dans le cadre d’une procédure accusatoire. Plus précisément, nous avons comparé celles-ci selon deux critères : le coût espéré des erreurs et le coût espéré des expertises. Pour mener à bien cette comparaison, nous avons utilisé un modèle dans lequel une autorité de tutelle impose l’utilisation d’une procédure donnée. En procédure accusatoire, chacune des parties décide d’engager ou non un expert, et détermine le schéma de rémunération de ce dernier. En procédure inquisitoire, c’est au juge de décider d’engager ou non un expert, et de déterminer son schéma de rémunération.

Premièrement, nous avons montré que le résultat de la comparaison du coût espéré des ex- pertises en procédure inquisitoire et en procédure accusatoire dépend en grande partie du niveau des économies (ou des déséconomies) d’échelle sur le coût des efforts de recherche. En particulier, pour des économies d’échelle importantes sur le coût des efforts de recherche, la conduite d’expertises est moins coûteuse en procédure inquisitoire qu’en procédure accusa- toire. Deuxièmement, nos résultats montrent que le coût espéré des erreurs est plus faible en procédure accusatoire qu’en procédure inquisitoire. Du point de vue du bien-être social, qui dans notre modèle diminue lorsque la somme du coût des erreurs et du coût des exper- tises augmente, il existe donc un arbitrage à réaliser entre le coût espéré des erreurs, qui est minimisé par la procédure accusatoire, et le coût espéré des expertises, qui est minimisé par la procédure inquisitoire lorsque les économies d’échelle sont suffisamment importantes32.

Troisièmement, nous avons expliqué qu’un avantage considérable de la procédure inquisi- toire est que le choix est laissé au juge d’ordonner ou non une expertise : une expertise est conduite seulement si cela est socialement optimal. À l’inverse, dans le cadre d’une procé- dure accusatoire, cette décision appartient aux parties, ce qui peut mener à une utilisation sur-optimale ou sous-optimale des expertises judiciaires, si les incitations des parties ne sont pas suffisamment alignées avec celles du juge et de l’autorité de tutelle.

Notre modèle possède un certain nombre de limites. Parmi celles-ci, nous avons supposé que les incitations de l’autorité de tutelle et du juge sont parfaitement alignées. En réalité, le fait que les préférences du juge et de l’autorité de tutelle soient identiques est discutable. Posner (1993) et Levy (2005), parmi d’autres, montrent que le juge peut orienter sa décision pour suivre des intérêts qui lui sont propres, et qu’il possède en particulier des préoccupations réputationnelles. Il semble cependant raisonnable d’affirmer que les motivations du juge sont plus proches de celles de l’autorité de tutelle que ne le sont les motivations des parties. 32. Dans certains cas où, en procédure accusatoire, les parties incitent les experts à une réalisation d’efforts de recherche conjoints, la procédure inquisitoire peut être moins coûteuse que la procédure accusatoire, quel que soit le niveau des économies d’échelle (voir le graphique 2).

Même si ce n’est pas le cas, l’autorité de tutelle peut plus facilement réguler l’utilisation des expertises judiciaires en procédure inquisitoire qu’en procédure accusatoire, en agissant sur le comportement du juge plutôt que sur celui des parties. Une deuxième limite du modèle est que nous avons seulement considéré une structure de l’information symétrique pour les parties. Or, comme l’a montré Shin (1998), dans le cadre d’une procédure accusatoire, une structure de l’information favorable à une des deux parties peut être bénéfique à la prise de décision. Shin (1998) montre en effet que la procédure accusatoire permet au juge de tirer profit de l’information de la partie ayant la capacité à s’informer la plus importante, en lui laissant supporter la charge de la preuve : si cette partie n’apporte aucun élément d’information, le juge prend une décision en faveur de la partie adverse.

Il est important de noter que les critères de comparaison que nous avons utilisés pour dis- tinguer la procédure accusatoire de la procédure inquisitoire ne sont pas exhaustifs. Premiè- rement, nous n’avons pas pris en compte l’effet de chacune des deux procédures étudiées sur le contrôle exercé par les parties à travers les mécanismes d’appel de la décision. Iossa et Palumbo (2007) développent ce point, en expliquant que la procédure accusatoire a l’avan- tage de rendre les recours en appel plus efficaces : le contrôle des décisions du juge est plus important, et le risque que ce dernier abuse de son pouvoir discrétionnaire pour prendre une décision incorrecte est ainsi réduit. Deuxièmement, nous avons supposé que les experts peuvent cacher de l’information, mais qu’ils ne peuvent pas manipuler de preuves, ou en créer de fausses. Or, la possibilité pour les experts de “falsifier” des preuves est à même de modifier nos résultats : Emons et Fluet (2009) montrent par exemple que la procédure inqui- sitoire souffre moins de la possibilité de falsifier des preuves. Plus précisément, ils trouvent que, lorsque les parties peuvent “gonfler” leurs témoignages au prix d’un effort coûteux, la procédure inquisitoire domine si les coûts de falsification sont élevés. Si ces coûts de falsifica- tion sont faibles, la comparaison des procédures inquisitoire et accusatoire dépend des poids relatifs des coûts de falsification et du coût des erreurs. Les problématiques liées à la falsifica- tion de preuves ont déjà été mises en évidence également par Tullock (1975), qui argumente

en faveur de la procédure inquisitoire. Il explique en effet qu’en procédure accusatoire, une partie importante des ressources investies est utilisée pour influencer la décision en faveur d’une des deux parties, au lieu d’être employée à la recherche de la vérité.

Pour conclure, il apparaît que le système idéal n’est ni totalement inquisitoire, ni totale- ment accusatoire. Les avantages et inconvénients de chacune des procédures dépendent des conditions spécifiques dans lesquelles se place un litige, et en particulier de la structure de l’information considérée, comme le montrent (parmi d’autres) Froeb et Kobayashi (2001) et Block et al. (2000). Nous montrons dans notre modèle qu’en plus de dépendre de la structure de l’information (qui a un impact important sur la rente à verser à l’expert), la supériorité relative de chacune des procédures dépend également de l’alignement des incitations entre les parties, le juge, et l’autorité de tutelle.

Dans le document Analyse économique de l'expertise judiciaire (Page 128-133)