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La procédure accusatoire avec efforts conjoints

Dans le document Analyse économique de l'expertise judiciaire (Page 106-111)

2.3 La rémunération des experts

2.3.3 La procédure accusatoire avec efforts conjoints

Nous avons jusqu’ici considéré que l’expert, en procédure inquisitoire, réalise des efforts de recherche conjoints tandis qu’il réalise un unique effort de recherche sur la partie qui l’a engagé en procédure accusatoire. Nous allons maintenant nous intéresser à la réalisation d’efforts de recherche conjoints en procédure accusatoire18: la rémunération de chaque expert

18. Cette question a déjà été abordée par Palumbo (2006), dont les résultats montrent que la réalisation par les experts d’efforts de recherche conjoints permet un contrôle mutuel des preuves rapportées : chaque partie recherche des contre-preuves aux preuves apportées par la partie adverse. Cependant, ce contrôle mutuel a un coût qui peut être important. Palumbo (2006) ignore cependant les possibles économies (ou déséconomies) d’échelle qui peuvent être réalisées sur les efforts de recherche. De plus, la comparaison de la procédure accusatoire avec efforts conjoints et de la procédure inquisitoire reste assez limitée. Enfin, Palumbo (2006) ne précise pas sous quelles conditions la procédure accusatoire avec efforts conjoints apparaît à l’équilibre lorsque la recherche d’information est assurée par les parties. Palumbo (2006) précise seulement les conditions sous lesquelles la réalisation d’efforts conjoints en procédure accusatoire est optimale.

est choisie de manière à l’inciter à réaliser des efforts de recherche conjoints dans l’objectif de trouver (et révéler) les preuves favorables à la partie qui l’a engagé et les contre-preuves aux preuves rapportées par l’expert de la partie adverse. Si les deux experts réalisent des efforts de recherche conjoints, alors à l’équilibre toutes les preuves disponibles sont révélées au juge19. L’expert A présente les preuves P

A et NB à chaque fois qu’il les observe. De la même manière, l’expert B présente les preuves PB et NA à chaque fois qu’il les observe20. La probabilité pour un expert d’obtenir une décision en faveur de la partie qui l’a engagé est donnée par :

zβ(z (1 − β) + (1 − z)) = zβ(1 − zβ) (2.21)

La probabilité de décision de statu quo est alors donnée par :

1 − 2zβ(1 − zβ) (2.22)

L’utilité de l’expert, s’il réalise des efforts de recherche conjoints, est :

= wαzβ(1 − zβ) + wα0(1 − 2zβ(1 − zβ)) − (1 + λ)k (2.23)

Le premier terme représente le gain espéré de l’expert lié à une décision en faveur de la partie qui l’a engagé. Le deuxième terme est le gain espéré de l’expert lié à une décision de statu quo. Le troisième terme représente le coût des efforts de recherche de l’expert. Puisque chaque expert réalise des efforts conjoints, les économies (ou les déséconomies) d’échelle jouent à nouveau ici un rôle important.

Pour assurer la réalisation d’efforts de recherche conjoints, la rémunération des experts doit satisfaire certaines contraintes. Les contraintes (2.24), (2.25) et (2.26) assurent qu’un expert n’a pas intérêt à dévier unilatéralement de l’équilibre dans lequel les deux experts réalisent

19. Ce résultat a déjà été mis en évidence par Milgrom et Roberts (1986). 20. Voir le tableau 2.4 présenté en annexe à la section 2.7.1 pour plus de détails.

des efforts de recherche conjoints : (wα 0 + (wα2wα0) (β (1 − zβ))) z − (1 + λ) k ≥ 0 (2.24) (wα 0 + (wα2w0α) zβ) z (1 − β) − λk ≥ 0 (2.25) (wα(1 − zβ) − wα 0 (1 − 2zβ)) zβ − λk ≥ 0 (2.26)

La contrainte (2.24) est satisfaite si la rémunération de l’expert est telle que ce dernier pré- fère effectuer des efforts de recherche conjoints plutôt que de dévier et de ne fournir aucun effort de recherche. La contrainte (2.25) est satisfaite si la rémunération de l’expert est telle que ce dernier préfère effectuer des efforts de recherche conjoints plutôt que de dévier pour ne fournir qu’un effort de recherche en faveur de la partie qui l’a engagé. Enfin, la contrainte (2.26) est satisfaite si la rémunération de l’expert est telle que ce dernier préfère effectuer des efforts de recherche conjoints plutôt que de dévier pour ne fournir qu’un effort de recherche sur la partie adverse, dans l’objectif de trouver des contre-preuves.

Le lemme 2.3 détermine la rémunération optimale de l’expert en procédure accusatoire lorsque les parties souhaitent inciter les experts à réaliser des efforts de recherche conjoints.

Lemme 2.3. La rémunération optimale des experts en procédure accusatoire avec efforts

conjoints est donnée par wα

0 = 0 et wα = (1+λ)k zβ(1−zβ) si λ ≤ λ2 ou w α = λk z2 (1−β)β si λ > λ2, avec λ2 = z(1−β)1−z .

Démonstration. On résout le programme suivant :

min

{wα,wα

0}

wαzβ(1 − zβ) + w0α(1 − 2zβ(1 − zβ)) − (1 + λ) k (2.27)

sous les contraintes (2.24), (2.25), (2.26), wα 0, wα

0 ≥0

Supposons premièrement que seule la contrainte (2.24) est saturée. La résolution du pro- gramme (2.27) donne le schéma de rémunération suivant :

       = (1+λ)k zβ(1−zβ) 0 = 0 (2.28)

La contrainte (2.25) est également satisfaite grâce à l’utilisation de ce schéma de rémunéra- tion si et seulement si λ ≤ z(1−β)

1−z = λ2. De même, on peut montrer que la contrainte (2.26)

est toujours satisfaite par l’utilisation du schéma de rémunération (2.28). Plus précisément, pour λ < λ2, seule la contrainte (2.24) est saturée (les contraintes (2.25) et (2.26) sont libres).

Pour λ = λ2, les contraintes (2.24) et (2.25) sont saturées, et la contrainte (2.26) est libre.

Ainsi, la rémunération des experts est donnée par le schéma de rémunération (2.28) si λ ≤ λ2.

Supposons deuxièmement que seule la contrainte (2.25) est saturée. La résolution du pro- gramme (2.27) donne le schéma de rémunération suivant :

       = λk z2 (1−β)β 0 = 0 (2.29)

La contrainte (2.24) est également satisfaite grâce à l’utilisation de ce schéma de rémuné- ration si λ > λ2. De même, on peut montrer que la contrainte (2.26) est toujours satisfaite

par l’utilisation du schéma de rémunération (2.29). En conséquence, pour λ > λ2, seule la

contrainte (2.25) est saturée (les contraintes (2.24) et (2.26) sont libres), et la rémunération des experts est donnée par le schéma de rémunération (2.29).

La rémunération versée par une partie à l’expert qu’elle a engagé dépend de la contrainte qui est saturée à l’équilibre. La contrainte (2.26) n’est jamais saturée à l’équilibre et peut donc être ignorée. Si la contrainte (2.24) est saturée, c’est-à-dire si λ ≤ λ2, alors la rente de

l’expert est donnée par :

= 0 (2.30)

L’expert n’obtient pas de rente dans ce cas. Si c’est la contrainte (2.25) qui est saturée, c’est-à-dire si λ > λ2, la rente de l’expert est donnée par :

= k λ(1 − z) z(1 − β) −1

!

Cette rente est décroissante suivant z et est croissante suivant β, λ et k21. En effet, nous avons : ∂Uα ∂z = −kλ z2(1 − β) <0 (2.32) ∂Uα ∂β = (1 − z) λk z(1 − β)2 >0 (2.33) ∂Uα ∂λ = k(1 − z) z(1 − β) >0 (2.34) ∂Uα ∂k = λ(1 − z) z(1 − β) −1 >0 pour λ > z(1 − β) 1 − z = λ2 (2.35)

L’étude de l’impact du coût des efforts de recherche (et en particulier de l’impact de λ) sur la rente des experts nous permet de retrouver des résultats ressemblants à ceux que nous avons obtenus avec la procédure inquisitoire. Pour des valeurs importantes des économies d’échelle, avec λ ≤ λ2, les rentes des experts sont nulles. Pour des valeurs relativement

faibles des économies d’échelle (voire pour des déséconomies d’échelle), avec λ > λ2, l’expert

obtient une rente strictement positive qui augmente suivant k, λ et β, et qui diminue suivant

z. Pour les paramètres k et λ, les intuitions sont les mêmes que celles que nous avons détaillées dans le cadre de la procédure inquisitoire, lorsque l’expert obtient une rente. Pour les paramètres z et β, l’intuition est la suivante. L’incitation d’un expert à effectuer un effort pour rechercher des contre-preuves aux preuves apportées par la partie adverse, afin d’augmenter la probabilité avec laquelle il obtient la rémunération wα, augmente lorsque la probabilité d’obtenir effectivement une contre-preuve de cet effort, donnée par z(1 − β), augmente. Ainsi, plus z va prendre des valeurs élevées et plus β va prendre des valeurs faibles, plus la rente qu’aura à verser une partie à un expert pour inciter ce dernier à rechercher des contre-preuves va diminuer. Inversement, lorsque z diminue et β augmente, la rente à verser par une partie pour inciter un expert à réaliser des efforts de recherche conjoints va augmenter.

21. La condition λ > z(1−β)

1−z est tout le temps vérifiée lorsque la rente de l’expert est strictement positive

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