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L’affirmation du vieux khmer grâce et face au sanskrit

II.1. Le mythe de Kambu 119 chez les Khmers

II.1.1. Le mythe de Kambu du point de vue sanskritique

Nous ne disposons pas de moyen pour savoir quand le mythe de Kambu ait été créé, mais des inscriptions nous donnent des indices qui semblent montrer qu’il s’agit d’une légende locale inspirée de la littérature classique du sous-continent indien. En premier lieu, nous allons présenter un mythe de Kambu dans le Skandapurāṇa, comme la seule attestation, à notre connaissance, du nom dans les sources littéraires indiennes et examiner comment l’épigraphie du Cambodge fait allusion à ce personnage. En second lieu, nous aborderons le mythe du couple Kambu et Merā attesté dans la K. 286 et démontrerons que ces noms « étranges » qui semblent sanskritiques et absents de la littérature classique indienne sont peut-être à l’origine de l’ethnonyme kmer / khmer selon la tradition sémantique de l’Inde connue sous le nom de

119 Il faut signaler que le nom de l’ascète est attesté sous deux formes : Kambu et Kamvu car les consonnes v et b sont interchangeables en vieux khmer. Nous adoptons les formes Kambu et kambuja dans le texte et nous citons parfois les formes Kamvu et kamvuja telle qu’elles figurent dans des sources épigraphiques. Il faut signaler que dans la publication du Skandapurāṇa de Tagare (2010), comme nous le verrons ci-dessous, le nom de l’ascète s’écrit Kaṃbu, alors que dans celle de Maharshi Vedavyās (1962), le nom s’écrit Kambu.

nirvacana, « interprétation, étymologie ». Nous comparerons le cas de Kambu avec celui des

Pallavas et des Chams. En troisième lieu, nous comparerons le mythe de ce couple avec l’histoire de l’ascète Viśvāmitra et de la femme céleste Menakā, qui a peut-être été la source d’inspiration du mythe. En dernier lieu, nous attirerons l’attention du lecteur sur l’étendue du mythe. La légende de Kambu figure non seulement dans la généalogie royale, mais également dans celle d’un savant dans l’inscription K. 156. Par ailleurs, une légende locale d’une femme nommée Kāmbujā sera citée comme un autre exemple de l’influence du mythe de Kambu.

Avant d’examiner des attestations du nom Kambu dans la littérature sanskrite classique, il faut souligner qu’en sanskrit, le mot kambu signifie littéralement « conque ». L’inscription sanskrite du VIIe siècle, K. 367 entre autres, utilise l’expression kamvu-grīva120

« (dont) la nuque ressemble à une conque ». Par ailleurs, l’emploi du mot comme nom commun est attesté dans une inscription khmère, la K. 1034, du Xe siècle : une conque à manche d’or (kaṃvū kanakadaṇḍa) y est mentionnée parmi les objets de dons au dieu Yaśodhareśvara. En l’état actuel de nos recherches, c’est la seule occurrence connue des inscriptions en khmer. En revanche, son synonyme śaṅkha, « conque », est plus fréquent.

Le nom Kambu ne semble pas être attesté comme nom d’ascète (ṛṣi) dans la littérature sanskrite classique. De grands sages (maharṣi) comme Vasiṣṭha, Viśvāmitra, Agastya, Durvāsas, etc., sont connus à travers les mythes, alors que Kambu, que des sources épigraphiques du Cambodge appellent un ascète, n’y figure guère. Dans l’état actuel de nos connaissances, nous en trouvons une référence dans le Skandapurāṇa (Tagare 2010 : 370‒372). Le chapitre 120 de la section 3 (Revākhaṇḍa) du volume 5 (Āvantyakhaṇḍa)121 s’intitule : « La merveille de Kaṃbukeśvara Tīrtha ». Il présente Kambu comme un asura « démon », fils de Śaṃbara, petit-fils de Bāṇa, arrière-petit-fils de Bali, arrière-arrière-petit-fils de Virocana, arrière-arrière-arrière-petit-fils de Prahlāda et arrière-arrière-arrière-arrière-petit-fils du Daitya Hiraṇyakaśipu. Kambu renonça au monde et pratiqua un ascétisme rigide. Le dieu Śiva, satisfait de son effort, lui accorda un vœu. Kambu demanda à devenir indestructible et un être éternel, à pouvoir se déplacer partout, à ne jamais s’évader des batailles entre les démons et les dieux et à n’avoir peur de personne sauf de Kṛṣṇa (gadādhara). Le lieu de leur

120 Une des caractéristiques de l’orthographe dans l’épigraphie du Cambodge consiste en le remplacement de la consonne –b- en –v-, cf. Jenner, 2009a : xii. Pour avoir une brève description de l’orthographe du vieux khmer, voir le chapitre I.1., p. 35-38. De ce fait, le mot kambu s’écrivait souvent kamvu et le mot kambuja s’écrivait

kamvuja.

121 Tagare ne donne pas de date de composition de cet ouvrage. En effet, dater des œuvres du type purāṇa « (récit) antique » est problématique, en particulier le Skandapurāṇa. D’après Renou et Filliozat (1947 : 421), ce

purāṇa est un « ouvrage récent, dans lequel rien ne rappelle la disposition authentique des purāṇa. » Cependant,

conversation est nommé Kambu Tīrtha, « la pièce d’eau sacrée de Kambu », qui peut anéantir tous les péchés122.

Si la littérature sanskrite classique n’atteste pas Kambu comme ascète, il existe un poème, probablement récent, intitulé « ekātmatāstotram ». Ce poème semble avoir été composé par un des paṇḍita associé à la Samvādaśālā123 qui est, à son tour, affiliée à un institut nommé Saṃskṛt Bhāratī. Il s’agit d’un poème de trente-trois stances en mètre

anuṣṭubh qui énumère des noms de montagnes, de rivières, de villes, etc., du sous-continent

indien. Il cite parmi les ascètes (dans la stance 22), Agastya et Kauṇḍiṇya parmi d’autres, et les décrit comme des gens de « de bonne conduite (sunītimān) » :

agastyaḥ kambukauṇḍinyau rājendraścolavaṃśajaḥ | aśokaḥ puṣyamitraś ca khāravelaḥ sunītimān ||

« Agastya, Kambu, Kauṇḍinya, Rājendra qui est né dans la lignée des Colas, Aśoka, Puṣyamitra et Khāravela ; ils sont de bonne conduite ».

La littérature sanskrite du sous-continent indien divise les ṛṣi en trois catégories. La première s’appelle devarṣi, « les saints célestes », la deuxième brahmarṣi ou viprarṣi, « les saints de caste brahmane » et la dernière rājarṣi, « les saints d’origine princière. » Nārada, Vyāsa et Viśvāmitra sont respectivement des exemples-types de chaque catégorie. À quelle catégorie appartient Kambu ? Dans l’état actuel de nos connaissances, quatre inscriptions

122 Dans ce présent chapitre, nous ne pouvons reproduire en entier le texte en sanskrit du chapitre 120 de la section 3 du volume 5 du Skandapurāṇa. Nous ne citerons que les passages pertinents à notre recherche sur le nom Kambu ; autrement dit nous citons les stances qui donnent la généalogie de Kambu, la conversation entre Śiva et Kambu et la déclaration de la sainteté de Kambutīrtha :

avadhyaḥ sarvalokānāṃ triṣu lokeṣu viśrutaḥ tasya putro mahātejāḥ prahlādo nāma nāmataḥ ||2|| viṣṇuprasādād bhaktyā ca tasy rājye pratiṣṭhitaḥ virocanas tasya sutas tasyā pi balireva ca ||3|| baliputro bhavadbāṇas tasmād api ca śambaraḥ śambarasyā nvaye jātaḥ kambur nāma mahāsuraḥ ||4||

[...]

tatas tutoṣa bhagavān devadevo maheśvaraḥ | uvāca dānavaṃ kāle meghagambhīrayā girā || bho bho kambo ! mahābhāga ! tuṣṭo haṃ tava suvrata !|

iṣṭaṃ vratānāṃ paramaṃ maunaṃ sarvārthasādhanam ||10||

[...]

kambur uvāca

yadi prasanno deveśa yadi devo varo mama |

akṣayyaścāvyayaścaiva svecchayāvicarāmyaham daityadānavasaṅghānāṃ saṃyugeṣvapalāyitā | bhayañ cānanyannavidyeta muktvā devaṃ gadādharam

tasyā haṃ saṃyuge sādhyo yenopāyena śaṅkara | bhavāmi na sadā kālaṃ taṃ vadasva varaṃ mama ||14|| īśvara uvāca

[...]

ityuktvā darśanaṃ gataḥ

gateścā darśanaṃ deve tatra tīrthe mahāmatiḥ | [...] tadā prabhṛtitatpārthakambutīrtham iti śrutam vikhyātaṃ sarvalokeṣu mahāpātakanāśanam ||20|| kambutīrthe naraḥ snātvā vidhinā bhyarcya bhāskaram

ṛgyajuḥsāmamanvaiś ca stūyamāno nṛpottama ||21|| (Maharshi Vedavyāsa, 1962 : 870‒871). 123 Cette école se trouve dans le temple Mātā Mandira Galī, Jhanḍevālā, New Delhi – 55.

mentionnent le personnage Kambu comme étant un ascète (ṛṣi). En premier lieu, la stance 8 de l’inscription de Prasat Andong, K. 675 (début du Xe siècle), vénère Kambu (kamvum

īde124) parmi les dieux et les déesses brahmaniques, à savoir : Śiva, Gaṅgā, Viṣṇu, Brahmā, Umā et Bhāratī. Il est considéré comme l’ancêtre de tous les rois des Kambujas (samagrān yo

vidhatte kamvujādhipān125). En deuxième lieu, l’inscription K. 958 (947 apr. J.-C.) sous le règne du roi Rājendravarman (944–968 apr. J.-C.) et l’inscription K. 156 (du Xe siècle) présentent Kambu comme un sage brahmanique (vrahmarṣi). La stance 2 de l’inscription K. 958 mentionne qu’il était le père du premier roi des Kambujas, nommé Śrī Śrutavarman (vrahmarṣikamvuputreṇa śrīśrutavarmmaṇā ādyena kamvujendrānāṃ126). En troisième lieu, la stance 11 de l’inscription du temple de Baksei Chamkrong, K. 286 (948 apr. J.-C.), lui accorde un statut divin : « né de soi-même » (svāyambhuva). En outre, la stance 12 de la même inscription relate un mythe d’union du grand ermite (maharṣi) Kambu avec la femme céleste (suranārī) Merā, que nous allons étudier ci-dessous. En dernier lieu, la stance 39 de l’inscription de Pālhāl, K. 449 (du milieu du XIe siècle), mentionne l’installation d’une image de l’ascète Kambu (ṛṣikamvunāmadevam127) par un certain Śrī ou Gurudeva.

L’inscription de Baksei Chamkrong présente ainsi le mythe de Kambu :

svāyambhuvan namata kamvum udīrṇnakīrttiṃ yasyārkkasomakulasaṅgatim āpnuvantī

satsantatis sakalaśāstratamopahantrī tejasvinīmṛdukarākalayābhipūrṇnā || merām udārayaśasaṃ surasundarīṇām īde trilokaguruṇāpi hareṇa nītā

yādakṣasṛṣṭyatiśayaiṣaṇayā maharṣer akṣitrayādaravatāmahiṣītvam uccaiḥ ||

« Honorez Kambu Svāyambhuva dont la gloire (comme un astre) s’est levée à l’horizon, et dont la bonne lignée, ayant obtenu la conjonction de la race solaire avec la race lunaire, écarte de tous les śāstra l’ignorance [ou : les ténèbres], répand sa puissance [ou : son éclat], lève des impôts légers [ou : des rayons doux], et est accomplie dans tous les arts [ou : a ses kalā au complet]. »

« J’implore Merā, la plus illustre des femmes célestes, que Hara, guru des trois mondes, très désireux de surpasser au bénéfice de ses trois yeux la protection de Dakṣa, a donné d’en haut du ciel comme reine au maharṣi. »128

124 Cœdès, IC I : 62. Nous proposons de le comprendre comme « (kamvum) īḍe », puisque les scribes écrivaient souvent les consonnes rétroflexes comme des dentales.

125 Cœdès, IC I : 62.

126 Cœdès, IC VII : 142.

127 Cœdès, 1913b : 30.

128 Cœdès, IC IV : 90, 95. Il semble y avoir des confusions sur les consonnes rétroflexes. Nous proposons de corriger : dans la première stance udīrṇna en udīrṇṇa et pūrṇnā en pūrṇṇā et dans la seconde stance īde dans le deuxième pied en īḍe. Il faut signaler que le verbe īde (pour īḍe) est attesté, à notre connaissance, dans trois inscriptions en sanskrit, à savoir : K. 675, K. 286, K. 139 et K. 287. Il s’agit d’un verbe assez rare dans la

Le nom Merā ne semble être connu ni des sources littéraires sanskrites de l’Inde, ni des inscriptions du Cambodge à l’exception de la K. 286. Étant donné qu’il a deux syllabes, on aurait pu envisager qu’il était peut-être d’origine khmère. Mais cette hypothèse ne semble pas plausible, puisque dans la langue khmère ancienne, des termes dissyllabiques, purement khmers ayant la voyelle e dans la première syllabe comme merā ne nous sont pas connus à l’heure actuelle.

Si le Cambodge du Xe siècle rattache la lignée royale à un personnage mythique non populaire comme Kambu, l’épigraphie du Campā rattachait la sienne à l’ascète Bhṛgu. Pour ne citer qu’un exemple connu, la stèle de Hoá-Quê, sous le règne du roi Bhadravarman III (datée de 831 śaka), mentionne que le roi était de l’excellente famille de Bhṛgu (bhṛguvaravaṃśa)129. À ce propos, Huber (1911 : 295, n. 1) souligne que : « Tous les roitelets de cette dynastie prétendent remonter aux Bhargava. Ils se sont taillé un arbre généalogique dans l’Ādivaṃśāvataraṇaparvan du Mahābhārata. » Par ailleurs, chez les Pallavas, d’après Francis (2009, vol. 1 : 155, 161), les inscriptions royales relatent des généalogies de rois en référant aux personnages historiques, mythiques et pseudo-historiques. Les personnages mythiques qui y sont mentionnés sont : Viṣṇu, Brahmā, Aṅgiras, Bṛhaspati, Śaṃyu, Bharadvāja, Droṇa, Aśvatthāman et Pallava.

Pourquoi les Khmers d’autrefois ont-ils choisi Kambu, cet ascète mal connu de l’Inde, et la femme céleste inconnue Merā pour devenir leurs ancêtres ? Cela demeure une énigme. Des chercheurs comme Cœdès proposent que les deux noms ont été peut-être choisis pour donner une étymologie à l’ethnonyme « kmer ou khmer » :

kambu + merā = kmer ~ khmer

Cœdès (IC IV : 95-96, n. 2) se demande « si le nom de Merā n’a pas été forgé pour expliquer le nom des Khmers et lui fournir une sorte d’étymologie ». Antelme (1998) dans son article intitulé « Quelques hypothèses sur l’étymologie du terme “Khmer” », a signalé cette hypothèse parmi d’autres qui sont des exemples soit indiens, soit indigènes, sans pour autant la cautionner. Cette hypothèse de Cœdès ne peut pas être justifiée car nous ne disposons pas à l’heure actuelle de textes, en sanskrit ou en khmer, qui font explicitement le lien entre ce couple mythique et l’origine du nom khmer.

Toutefois, si l’on considère l’hypothèse du point de vue des locuteurs de l’époque ancienne, plus précisément du Xe siècle, elle est toute à fait possible. Pour nous au XXIe siècle,

littérature du sous-continent indien ; son attestation bien connue se trouve dans le Ṛgveda. Il n’est pas impossible que les auteurs de ces quatre inscriptions fissent allusion au Ṛgveda.

129 Majumdar, 1985 (tome III) : 113. Sur la dynastie de Bhṛgu au Campā, voir l’information fournie par Majumdar, 1985, tome I, chapitre 6.

ce mythe n’est qu’une histoire fictive, mais il a probablement été considéré comme vérité pour les locuteurs de l’époque ancienne et cette vérité reflète une croyance populaire de l’époque. Le sous-continent indien de l’époque ancienne a développé une tradition d’interprétation sémantique appelée en sanskrit nirvacana130. Le terme nirvacana signifie littéralement « interprétation, explication, étymologie » (Monier-Williams 2005 : 557). La date de cette tradition peut remonter à l’époque du Mahābhārata (entre le IVe siècle avant J.-C. et IVe siècle le après J.-C.). Prenons par exemple l’étymologie de l’ethnonyme bāhlīka en tant qu’ancien nom des Punjabis (les habitants du Punjab, un État du nord de l’Inde) dans le Mahābhārata (8.30.44) :

bahiś ca nāma hlīkaś ca vipāśāyāṃ piśācakau tayor apatyaṃ bāhlīkā naiṣā sṛṣṭiḥ prajāpateḥ131

« Il y avait deux piśāca (classe de démons cannibales) nommés Bahi et Hlīka. Leurs descendants qui n’étaient pas la création de Prajāpati (s’appellaient) Bāhlīka. »

Cet exemple est comparable au cas de kmer ~ khmer, dans la mesure où le nom des enfants des deux fantômes Bāhlīka est une combinaison des éléments des noms de leur mère

Ba- et de leur père –hlīka ; d’où la forme Bahlīka. La voyelle a de la première syllabe

s’allonge pour le transformer en un dérivé du type taddhita qui exprime l’idée de progéniture (voir infra, p. 116, n. 147).

On ne peut donc pas nier l’hypothèse que les noms des géniteurs Kambu et Merā ont été choisis ou créés pour donner une étymologie savante à l’ethnonyme kmer. Nous verrons plus loin dans ce chapitre que le mythe est attesté plus tardivement que les expressions composées en kambuja-.

Bien que les noms du couple Kambu-Merā ne soient pas connus des sources littéraires indiennes, leur mythe semble suivre le modèle indien. Le mariage d’un ascète avec une femme céleste (apsaras) est un thème récurrent des mythologues indiens. Il existe un couple

ṛṣi-apsaras portant les noms de Śāṇḍilya et Satyavatī. En outre, une des plus belles apsaras

du nom de Rambhā est connue comme femme du ṛṣi Parāśara.

L’union du couple Kambu et Merā semble être inspirée du mythe de l’ascète nommé Viśvāmitra et d’une femme céleste Menakā, cité dans la pièce de théâtre Abhijñānaśākuntalam du grand poète Kālidāsa132. La stance 12 de l’inscription de Baksei Camkrong (voir supra, p. 108) raconte que la nymphe Merā a été amenée du ciel par le Maître

130 Sur l’explication de la tradition de nirvacana, on consultera l’ouvrage Indian Semantic Analysis. The

Nirvacana Tradition de Kahrs (1998) dans lequel l’auteur a examiné la litérature sanskrite du Kashmir śivaïte. 131 Sukthankar et Belvalkar et al, 2003 : 264.

132 D’après Macdonell (1997 :274), le grand poète Kālidāsa vivait au début du Ve siècle de notre ère. Dans le même ordre d’idées, il sera utile de remarquer que dans les royaumes khmérisés, des noms propres de l’épopée du Rāmakerti (la version khmère du Rāmāyaṇa) ont été des sources d’inspiration des noms de rois et de villes, à savoir : Indrajit, Ayodhyā, Rāmaghāṃheeṅ (Rama Khamheng), Rāmādhipati.

des Trois Mondes (trilokaguru), Śiva en personne, pour s’unir à Kambu. Pareillement, la femme céleste Menakā133 a été envoyée par les dieux (devaiḥ) pour déranger le ṛṣi Viśvāmitra absorbé dans sa méditation (ugretapasi)134. De cette union naquit l’héroïne Śākuntalā, qui, à son tour, s’est mariée (de façon gāndharva) avec le roi de Hastināpura nommé Duṣyanta et a donné naissance au futur souverain héroïque des Indiens, Bharata135. En outre, la tradition considère ce dernier comme le premier des souverains universels (cakravartin). De la même manière que Bharata, descendant indirect du couple Viśvāmitra-Menakā, est considéré comme le premier cakravartin, Śrutavarman, premier-né de Kambu et Merā, est reconnu comme le géniteur de la lignée des rois du Cambodge.

La légende de Kambu était vraisemblablement une source d’inspiration importante pour des poètes qui rédigeaient des généalogies non seulement pour des rois mais également pour d’autres personnages. Les stances 11 et 12 de l’inscription de Vat Moha (K. 156) du Xe siècle, par exemple, réfèrent au mythe de Kambu pour louer un ascète, lui aussi nommé Kambu et probablement l’auteur de l’inscription :

vrahmarṣeḥ kamvunāmnā yas sa vabhūva kulodvahaḥ vidyayā tapasā kṣāntyā dānaiḥ kamvur ivāparaḥ ||

« Portant le nom de Kambu et descendant du Brahmarṣi, par sa science, son ascétisme, sa patience et sa libéralité, il était comme un autre Kambu. Il était celui qui soulève la lignée. »

dharmmakṣayakṛto dharmmī vrahmarṣiḥ kamvuvaṅśajaḥ yo sadvṛttes tapaś cakre kaler iva jigīṣayā ||

« Observant la Loi, ayant pris la Loi pour demeure, ce Brahmarṣi, né dans la famille de Kambu, brûlait la mauvaise conduite, comme désir de vaincre Kali. »136

Le Kambu historique était comparable au Kambu mythique par sa science, son ascétisme, sa patience et sa libéralité (vidyayā tapasā kṣāntyā dānaiḥ kamvur ivāparaḥ). Ces qualités du Kambu mythique, qui ne semblent pas être connues des sources indiennes, laissent entendre que le mythe était suffisamment répandu parmi des lettrés khmers pour que le poète s’en soit inspiré pour composer son œuvre.

Par ailleurs, l’inscription de Phnom Preah Net Preah, K. 216S (début du XIe siècle), mentionne le nom Kāmvujā. Il n’est pas impossible que ce nom kāmvujā ait un rapport avec le nom Kambu. Autrement dit, il peut être un dérivé de kambuja (en prolongeant les deux voyelles) et signifier « fille d’un descendant de Kambu ». La stance 3 compare une certaine

133 Le nom Menakā se retrouve également dans la généalogie tamoule.

134 Panta, 2009 : 113.

135 De son nom vient l’expression bharatavarṣa pour désigner l’« Inde » que les Indiens utilisent jusqu’à présent.

femme Madhyadeśā à Kuntī vivant dans la forêt (vanacarī kuntīva) et à Kāmvujā comme première femme brahmane (vrāhmaṇīvāpikāmvujā)137. Contrairement à Kuntī qui est un nom tiré de l’épopée du Mahābhārata, Kāmbujā n’est pas connue de la littérature sanskrite indienne. Elle était probablement le personnage d’une légende locale.

En bref, le mythe de Kambu était peut-être une légende locale qui a été inspirée des sources littéraires indiennes. Il servait à la généalogie des rois du Cambodge, comme le mythe de l’ascète Bhṛgu a été exploité pour donner une généalogie noble aux rois du Campā et tout comme d’autres mythes attestés dans les généalogies des Pallavas. Le mythe de Kambu était aussi une source d’inspiration pour des généalogistes en dehors de la cour royale. De nombreuses expressions, qui sont construites à partir de ce nom Kambu, sont attestées dans des inscriptions en sanskrit et en khmer que nous examinerons ci-dessous.

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