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Les aphorismes de Pāṇini liés au redoublement des consonnes et son application en sanskrit sanskrit

La conscience du rôle du sanskrit (comme langue de pouvoir)

I.1. À propos des redoublements de consonnes dans les mots d’origine khmère : Sont-ils inspirés des aphorismes de Pāṇini ?

I.1.1. Les aphorismes de Pāṇini liés au redoublement des consonnes et son application en sanskrit sanskrit

Connu sous le nom d’Aṣṭādhyāyī « Huit chapitres », la grammaire de Pāṇini (IVe siècle avant J.-C.) est considérée comme un facteur qui a fixé la langue sanskrite, en particulier sur le plan orthographique. Cette grammaire consiste en plus de 4000 règles grammaticales formulées par des lettres ou des syllabes singulières pour nommer les cas, les temps, les voix, etc.32 À propos du redoublement des consonnes, la grammaire prescrit au moins six aphorismes, connus sous les numéros suivants : VIII.4.46, VIII.4.47, VIII-4.49, VIII.4.50, VIII.4.51 et VIII.4.52. Parmi eux, le VIII.4.47 est accompagné de suppléments (vārtika). Nous allons tout d’abord les expliquer en les illustrant avec des exemples pour pouvoir ensuite discuter leur application en citant des exemples d’une édition récente qui emploie l’orthographe d’un manuscrit népalais du IXe siècle (Goodall et al. 2015). Il s’agit d’une édition critique de la Niśvāsatattvasaṃhitā, le premier des traités śivaïtes qui nous sont parvenus, dont la première couche textuelle daterait du Ve siècle apr. J.-C.

Le premier des aphorismes consiste en un redoublement optionnel d’une consonne qui se trouve après la consonne r ou la consonne h qui suit une voyelle :

aco rahābhyāṃ dve

31 Il faut signaler que ce n’est qu’à partir de l’époque moyenne que les Khmers vont créer de nouveaux signes.

32 Pour une description plus détaillée de cette grammaire et de son impact sur la langue sanskrite, nous invitons le lecteur à se référer au chapitre IX « Language and Literature » dans l’ouvrage The Wonder that was India de Basham (2004), en particulier p. 390-391.

« (Toute consonne autre que h est optionnellement) géminée après un r ou un h faisant suite à une voyelle. »33

Renou (1966 : 423) donne comme exemple : arkaḥ ~ arkkaḥ « le soleil » et brahmā ~

brahmmā « dieu Brahmā ».

Si la règle (VIII.4.46) porte sur des groupements consonantiques dont le premier composant est un r ou un h, celle de VIII.4.47 semble couvrir des groupements consonantiques plus généraux que ceux mentionnés dans VIII.4.46 :

anaci ca

« (Toute consonne autre que h est) également (géminée après une voyelle) en présence d’un phonème autre que voyelle. »

Prenons comme exemple : uggraḥ ~ ugraḥ « violent » et daddhy atra ~ dadhy atra « il y a du lait caillé par ici »34.

Renou (1966 : 423) explique que cette règle a les quatre suppléments (vārtika) suivants : 1. il y a une gémination optionnelle des occlusives et nasales (sauf ñ) après une semi-voyelle : ulkkā ~ ulkā « brandon », ou l’inverse : śakyyaḥ ~ śakyaḥ « qui peut » ; 2. il y a une gémination optionnelle des sourdes après des sifflantes : sthālī ~ sththālī « plat », ou l’inverse : kṣīram ~ kṣṣīram « lait » (selon certains) ; 3. il y a une gémination optionnelle des consonnes en position finale : vāk ~ vākk « parole » ; 4. Selon Pauṣkarasādi, on a optionnellement les sourdes aspirées à la place des non-aspirées devant sifflantes : vāk śete ~

vākh śete « la parole repose ». Selon d’autres, lesdites aspirées s’ajoutent comme accréments : kkhṣīram ~ kṣīram, ou sont géminées : kṣīram ~ khkhṣīram.

Après ces deux aphorismes qui prescrivent dans quels cas un redoublement des consonnes peut se produire, quatre autres règles traitent des cas dans lesquels un redouble-ment n’est pas produit. L’aphorisme VIII.4.49 interdit le redoubleredouble-ment aux consonnes sifflantes devant une voyelle, alors qu’il devient optionnel devant une consonne. Prenons comme exemple : ādarśaḥ « miroir » qui ne peut pas se transformer en *ādarśśaḥ, tandis que

darśyate peut devenir darśśyate « il est montré ». En outre, la règle VIII.4.50 interdit le

redoublement aux consonnes en groupe de trois ou davantage et la VIII.4.52 empêche le redoublement des consonnes après une voyelle longue. Les groupements consonantiques dans les mots indraḥ « dieu Indra » et pātram « réceptacle », par exemple, ne peuvent recevoir de consonne. Par ailleurs, la règle VIII.4.51 explique que Śākalya censure toute sorte de redoublement de consonne 35.

33 Renou, 1966 : 422‒423.

34 Renou, 1966 : 423. Nous avons ajouté la traduction de l’expression dadhy atra.

Nous constatons que ces règles concernent, à l’exception du supplément no 3, des groupements consonantiques dans des mots ayant deux syllabes ou davantage. Autrement dit, elles ordonnent (de façon optionnelle) un rajout d’une consonne aux groupements consonantiques variés. Donc, en suivant ces règles, certains mots peuvent avoir quatre consonnes successives. Les suppléments nos 1 et 2 permettent, par exemple, quatre variantes orthographiques possibles : madhu + ariḥ = madhvariḥ ~ madhvvariḥ ~ maddhvariḥ ~

maddhvvariḥ. Un groupe de quatre consonnes n’est pas étonnant ; en sanskrit, un mot peut

avoir jusqu’à cinq consonnes comme montre le cas de kārtsnya « totalité ».

Les deux caractéristiques – de nombreuses consonnes et deux syllabes ou plus – ne sont pas conformes à celles de la langue khmère qui est une langue dissyllabique à tendance monosyllabique et dans laquelle un groupement consonantique n’admet pas plus de deux consonnes. On aura l’occasion de voir dans quelle mesure les règles sanskrites ont été appliquées en khmer plus loin.

Comme les prescriptions sont optionnelles, il semble qu’il n’y avait pas d’uniformité orthographique. Une question se pose : quels sont les mots qui s’écrivent avec des consonnes redoublées ? C’est une question difficile pour deux raisons. En premier lieu, la pratique de redoubler les consonnes après la consonne r varie de région en région et selon l’époque. En second lieu, dans l’état actuel de nos connaissances, il nous manque un recensement des pourcentages de mots des textes anciens du sous-continent indien auxquesl sont appliqués ces règles. Il ne semble pas facile de mener un sondage sur l’orthographe attestée dans une littérature extrêmement riche comme celle de l’Inde, en particulier dans des manuscrits qui ont perdu leur authenticité à force d’être copiés à plusieurs reprises. Cependant, il faut souligner que certaines règles sont plus respectées que d’autres. La gémination des sourdes après des sifflantes (supplément no 2 de l’aphorisme VIII.4.47), par exemple, apparaît moins souvent que celle des consonnes après les consonnes r ou h (VIII.4.46).

Rappelons que l’aphorisme VIII.4.46 est optionnel. De ce fait, il y avait forcément des préférences pour certaines formes selon le caprice des auteurs. Autrement dit, le choix de la gémination des consonnes semble arbitraire. Prenons l’exemple du manuscrit ancien transmettant le premier des traités śivaïtes intitulé Niśvāsatattvasaṃhitā (datant d’entre le Ve et le VIIe siècle). La stance 1.27 donne deux orthographes d’un seul mot : parikīrttitam ~

parikīrtitam. Le t derrière le r est redoublé dans le premier cas, mais il ne l’est pas dans le

- VIII.4.49 : śaro ci « Les sifflantes (ne sont pas géminées) devant voyelle (après une consonne, contrairement à 46). Devant consonne, il y a option (46).

- VIII.4.50 : triprabhṛtiṣu śākaṭāyanasya « Selon Śākaṭāyana (la gémination de consonnes en groupe) de trois ou davantage (n’a pas lieu).

- VIII.4.51 : sarvatra śākalyasya « Selon Śākalya (la gémination de consonnes n’a lieu) nulle part. - VIII.4.52 : dīrghādācāryāṇām « Selon tous les maîtres (la gémination de consonnes n’a pas lieu)

second. En outre, à la stance 1.18, un mot composé de sarva et de varṇa s’écrit sarvavarṇṇa ; le ṇ après le r est redoublé alors que le v après le r ne l’est pas. Pareillement, des mots comme paramadurllabham (dans la stance 1.23) et mārkkaṇḍo (dans la stance 1.38) ont des consonnes redoublées après le r, mais tel n’est pas le cas pour les mots dharmendrau (dans la stance 1.35) et mātṛbhir guhyakaiś (dans la stance 1.36)36. Cela témoigne de l’absence d’uniformité totale ; à la même époque, dans le même ouvrage et dans la même ligne, on a des variantes orthographiques.

Le redoublement des consonnes après le r était également courant dans les écrits des États sanskritisés du Cambodge, du Campā, de Java et du sous-continent indien. Ce n’est que par une convention récente des chercheurs, que la pratique du redoublement des consonnes a été abandonnée pour simplifier l’orthographe d’une part et, de l’autre, parce que l’on considère que le redoublement est optionnel depuis l’époque de Pāṇini. En effet, le redoublement a été typiquement pratiqué jusqu’à aujourd’hui d’une manière peu irrégulière dans les régions où les formes sud-indiennes de l’écriture ont circulé. C’est surtout dans certaines régions du « Hindi-belt » (les régions parlant le hindi) que l’on a cessé de le pratiquer, d’où l’orthographe standardisée (sans redoublement) des éditions modernes en écriture Devanāgarī. La règle du redoublement en question est d’un grand intérêt pour nos recherches, parce qu’elle concerne non seulement les emprunts sanskrits mais aussi les termes d’origine khmère. En outre, la règle du redoublement des consonnes en position finale semble aussi être appliquée aux termes d’origine khmère. Les deux cas du redoublement font l’objet d’un examen de notre dans les pages qui suivent.

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