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L’impact des aphorismes sur l’orthographe du vieux khmer

La conscience du rôle du sanskrit (comme langue de pouvoir)

I.1. À propos des redoublements de consonnes dans les mots d’origine khmère : Sont-ils inspirés des aphorismes de Pāṇini ?

I.1.2. L’impact des aphorismes sur l’orthographe du vieux khmer

Le redoublement des signes-consonnes après le r est un phénomène qui se produit ré-gulièrement en vieux khmer, comme le souligne Jenner (2009a : xii)37. Cetauteur n’explique pas davantage quels termes ont subi le redoublement. Il semble que par « vieux khmer », il entend des emprunts au sanskrit. Rappelons que le vocabulaire du vieux khmer se composait de deux catégories principales : les emprunts au sanskrit et les mots d’origine khmère. Les termes d’origine khmère, eux aussi, ont connu ce phénomène du redoublement. Dans les pages qui suivent, nous examinerons tout d’abord les mots sanskrits qui ont des consonnes redoublées après la r, tout en comparant leurs attestations dans des textes en khmer et en sanskrit. Ensuite, nous étudierons les termes d’origine khmère dissyllabiques qui semblent

36 Goodall, 2015 : 159‒161.

37 L’auteur affirme que le phénomène est courant en vieux khmer, en vieux javanais et en sanskrit, en ces termes : « doubling of consonant symbols following r, found widely both in Sanskrit and Old Javanese and occurring as a nearly regular feature in Old Khmer. »

avoir des consonnes redoublées. Enfin, nous expliquerons que le redoublement de la consonne

r dans les mots khmers monosyllabiques était une pratique sanskritique, bien que l’application

de l’aphorisme aux monosyllabiques ne semble pas être conforme à la règle. L’explication sera accompagnée par un tableau des termes d’origine khmère susceptible de redoublement et par une comparaison avec le vieux môn, une langue très proche du vieux khmer.

Dans les inscriptions sanskrites à l’époque préangkorienne, quand la consonne r se trouve à l’intérieur d’un mot ou dans une position médiane, la règle du redoublement des consonnes n’a pas été scrupuleusement respectée. Si les consonnes dans des mots comme

ācāryya (K. 54, st. 1), sārddham (K. 54, st. 3), duṣkarttā (K. 1028, st. 2), kuryyān (K. 1028,

st. 2) et durllabha (K. 9, st. 1), se redoublent, celles dans des mots comme karkaṭake (K. 926, st.1) et bhāryayā (K. 54, st. 3) ne le font pas. Pareillement, quand la consonne r se place à la fin du premier mot et est suivie par une consonne, celle-ci se redouble optionnellement, par la règle de l’aphorisme. Nous constatons que les consonnes g, y et v dans les expressions

viśikhair ggate (K. 447, st. 8), tanubhir yyo (K. 561, st. 1) et pitṛbhir vvādhavais (K. 561,

st. 4) se redoublent après la consonne r, tandis que les consonnes v et y dans les expressions

hastendur vṛṣabhodayah (K. 505, st. 1) et tapassiddhair yasya (K. 447, st. 1) ne se redoublent

pas. Un phénomène semblable se produit dans les textes sanskrits de l’époque angkorienne. Quant aux textes en khmer de l’époque préangkorienne et angkorienne, ils présentent de nombreux emprunts sanskrits dont les consonnes sont redoublées. Ils sont divisés en quatre catégories en fonction de leur orthographe et de leur attestation dans des inscriptions, à savoir : 1. les emprunts sanskrits qui s’écrivent avec ou sans redoublement des consonnes et apparaissent dans les inscriptions khmères et sanskrites ; 2. les emprunts qui s’écrivent avec redoublement des consonnes et sont attestés dans les textes khmers et sanskrits ; 3. les emprunts qui s’écrivent sans redoublement des consonnes et sont attestés dans les textes khmers et sanskrits ; et 4. les emprunts qui s’écrivent avec ou sans redoublement des consonnes dans les textes sanskrits, mais sont attestés seulement sans redoublement dans les textes khmers. Comme exemple d’emprunts de la première catégorie : la forme sans redoublement tarka « raisonnement, réflexion » est attestée dans K. 600 (611 apr. J.-C. en khmer) et K. 352 (IXe śaka en khmer) entre autres ; et la forme avec redoublement tarkka est retrouvée dans K. 129 (VIIe śaka en khmer), K. 13 (604 apr. J.-C. en sanskrit préangkorien), K. 269 (921 apr. J.-C. en khmer) et K. 692 (1195 apr. J.-C. en sanskrit). Les mots dharmma « ordre, droit, loi » et argha « valeur, prix » sont des exemples-types pour la deuxième catégorie et la troisième catégorie respectivement. Leurs attestations sont particulièrement nombreuses. Pour donner un exemple de la dernière catégorie : le mot arjuna « Arjuna » est courant dans les inscriptions en khmer et en sanskrit, alors que sa variante arjjuna est rare et

semble être attestée seulement dans les textes sanskrits. La stance 55 de la K. 323, par exemple, compare le roi Yaśovarman à deux héros du Mahābhārata ; il est comparable à Arjuna par la gloire et à Bhīma par la vélocité (nārjjunaḥ kevalaṃ kīrttyā bhīmo bhūd api

raṃhasā)38.

Nous constatons que le redoublement se manifeste plus sporadiquement dans les inscriptions en khmer que dans celles en sanskrit. À notre connaissance, il n’existe pas encore de recensement des emprunts au sanskrit dans le vieux khmer, dont des consonnes après le r se redoublent. Cependant, d’après notre étude préliminaire, les regroupements -rtt-, -rdd-, -rmm-, -ryy- et -rvv- sont attestés en grande quantité, alors que les groupes -rpp-, -rll- et -rṣṣ- ne sont attestés que dans les textes sanskrits. Il est utile de donner une liste des redoublements des consonnes qui sont attestés dans les inscriptions en khmer et des mots dans lesquels ces redoublements apparaissent. Il faut signaler que la majorité de ces mots est retrouvée également dans les textes sanskrits. Ce sont : -rkk- (tarkka, arkka, karkkaṭa) ; -rgg- (dīrggha) ; -rcc- (arccā, arccana, arccaṇa) ; -rjj- (nirjjitasiṅha, garjjita, cāturjjātam) ; -rṇṇ- (suvarṇṇa, purṇṇamī, varṇṇa ~ barṇṇa, cūrṇṇa, karṇṇa, nirṇṇaya) ; -rtt- (tīrttha, mūrtti,

cortta, etc.) ; -rdd- (varddhaye, mūrddha, arddhacandra, etc.) ; -rdhdh- (phalārdhdham) ;

-rnn- (pūrnnamī [pour purṇṇamī], nirnnaya [pour nirṇṇaya], suvarnna [pour suvarṇṇa]) ; -rbb- (pūrbbāsādha ṛkṣa) ; -rbhbh- (ratnagarbhbha) ; -rmm- (dharmma39, varmma, karmma, etc.) ; -ryy- (ācāryya, kāryya, etc.) ; -rvv- (sarvva, gurvvartha, etc.) et -rśś- (guṇadoṣadarśśi). Quant aux termes d’origine khmère, connaissaient-ils la pratique du redoublement ? Avant de répondre à cette question, il faut rappeler que la règle concerne des mots ayant deux syllabes ou davantage et que par l’effet de la règle, il y aura des groupements de trois consonnes. Ces conditions ne semblent pas favorables pour le vocabulaire khmer pour deux raisons. En premier lieu, rappelons que la langue khmère est une langue dissyllabique à tendance monosyllabique (voir supra, p. 23). En second lieu, le vieux khmer est particulièrement riche en groupes consonantiques à l’initiale mais n’en admet que deux dans chaque groupe40. Prenons comme exemple les mots suivants : sruk « village », dnal « limite »,

kloñ « chef », etc. Cela ne signifie pas qu’il n’a pas emprunté des mots à trois consonnes au

sanskrit. Des inscriptions en langue khmère en mentionnent, comme : śāstra « sciences » et

strī « femme ». Ces mots s’écrivaient avec trois consonnes, mais ils se prononçaient

probablement avec seulement une consonne ou deux, d’une façon similaire à celle des locuteurs actuels : /saːh/ ou /satraː/ et /srei/.

38 Bhattarcharya, 2009 : 110. La traduction anglaise de la demi-stance est la suivante : « He was not only an Arjuna by glory, but also a Bhīma by velocity. »

39 Il faut signaler que l’orthographe dharmma figure aussi dans des inscriptions en vieux môn, en vieux javanais et en vieux cham.

À notre connaissance, il n’existe que cinq mots dissyllabiques ayant le r en position médiane, dont trois ont des consonnes après le r redoublées, à savoir : paryyaṅ « huile » (sa variante préangkorienne est pareṅ), paryyan ~ paryyān « enseigner » et garyyak ~ garyyāk (terme dont le sens reste à identifier). Les mots varñāss et varvo (les sens de ces deux mots restent à identifier) sont dépourvus de redoublement. Les trois premiers sont attestés dans les inscriptions à partir du IXe siècle. Le mot paryyaṅ (ayant environ soixante attestations) est le plus courant parmi les trois. Si les mots paryyaṅ et paryyan n’apparaissent que dans la prose en khmer, le terme garyyak est trouvé en prose en khmer dans la K. 221 (sre jrai garyyak « la rizière Jrai Garyyak ») et dans la stance 28 de la K. 449 en sanskrit (garyyak-sthitaḥ « situé à Garyyak »). Tous les trois comportent un regroupement consonantique identique : -ryy-. Ils ne figurent pas sous forme sans redoublement : *paryaṅ, *paryan, *garyak. Une question se pose : comme nous l’avons mentionné (voir supra, p. 37), le ya a été utilisé pour noter la diphtongue /iə/ en vieux khmer qui est absente du système vocalique du sanskrit ; faut-il considérer le ya (après le r) comme une consonne comme c’était le cas en sanskrit ? Il est peu probable que les locuteurs khmers ont regardé le yya comme une gémination consonantique de ya mais plutôt comme une sorte de diphtongue, plus précisément une variante de la diphtongue /iə/ notée par ya. Il faudra attendre une étude approfondie de la phonétique historique du khmer pour savoir davantage des nuances de la nature et de la valeur entre le ya et le yya. En considérant que le yya est le signe d’une diphtongue, non pas d’une gémination consonantique après le r, il semble que la règle de Pāṇini (VIII.4.46) ne s’appliquait pas aux termes d’origine khmère.

Néanmoins, la règle semble être appliquée aux mots monosyllabiques d’origine khmère dans la mesure où des consonnes après le r se redoublent assez régulièrement. Nous recensons vingt-deux termes khmers monosyllabiques à consonne redoublée et vingt-deux à consonne non-redoublée après le r. Dans le tableau ci-dessous, nous présentons les quarante-quatre termes monosyllabiques ainsi que les cinq termes dissyllabiques susmentionnés. Nous les divisons en deux périodes : préangkorienne et angkorienne. Deux termes, rnnoc et rddeḥ, qui sont attestés aux deux périodes, sont classés dans la période angkorienne car leurs attestations angkoriennes sont plus nombreuses que celles à l’époque préangkorienne. Par souci d’exhaustivité, nous donnons également des variantes monosyllabiques ou dissyllabiques de tous les termes comme rmañ, rapam et ralmās, (dont la plupart sont de la période préangkorienne).

Tableau 1 : Termes d’origine khmère à consonne redoublée et à consonne non redoublée après le r41

Époque préangkorienne

Formes redoublées Formes non-redoublées Définitions

1. rddal (K. 18) (Terme restant à

identifier)

2. rpam (K. 155) ~ rapaṃ

(K. 137) ~ rapam (K. 51)

Danse en groupe, ballet

3. rmmeṅ (K. 451, K. 726) Jeune

4. rmmen (K. 424, K. 155) Prospère

5. rmmel (K. 134) Vu, considéré

6. rgāl (K. 562) ~ ragāl

(K. 600)

En pleine évolution, croissance

7. rlep (K. 78) Brillant, moiré

8. rval ~ rhval ~ rahval

(K. 926, K. 480, K. 562)

Se préoccuper de

9. rhvaṅ (K. 115) Rond, circulaire

10. varñāss (K. 877) (Terme restant à

identifier) Époque angkorienne

Formes redoublées Formes non redoublées Définitions

11. garyyak (K. 221) ~ garyyāk (K. 449, K. 229) (Terme restant à identifier) 12. paryyaṅ (K. 165N, entre autres)

pareṅ (variante

préangko-rienne attestée dans K. 124, K. 451 et K. 726) Huile 13. paryyan (K, 175S, K. 235C, K. 235D, K. 393S, K. 194) ~ paryyān (K. 444B) ~ paryyann (K. 444B) ~ paryyaṇ (K. 868A) Enseigner 14. rkkā (à partir du Xe siècle, K. 34, entre autres)

rkā (K. 195, K. 206) Arbre, Bombax ceiba ; dixième année du cycle

duodécimale

15. rṅāl (K. 420, K. 650A) ~

rṅāll (K. 650A)

Rouge sang, étincelant

16. rṅeṅ (K. 957) Arbre à feuilles

comestibles, Cratoxylon

cochinchinensis (Hypéric)

17. rṇṇoc (K. 99S, K. 231 entre autres) ~ rnnoc (attesté dans une inscription

préangkorienne, K. 562, et dans trois angkoriennes, K. 258C, K. 397E, K. 809) ~

rṇnoc (K. 238B, K. 343N

entre autres)

rṇoc (K. 231, K. 572A, entre

autres) ~ rnoc (K. 809)

Quinzaine obscure du mois

18. rddeḥ (attesté dans deux inscriptions préangkoriennes K. 44B et K. 18 et dans sept angkoriennes K. 347E,

K. 158B entre autres) ~ rddoḥ (variante préangkorienne attestée dans K. 341N)

rdeḥ (K. 1198A) ~ rdeṣ

(K. 206, K. 542N) ; radeḥ (variante préangkorienne attestée dans K. 749) véhicule, charrette 19. rnnāṃ (K. 165N) Forêt inondée 20. rpā (K. 183) (Terme restant à identifier) 21. rpek (K. 872) Séparé

22. rpel (K. 178) (Terme restant à

identifier)

23. rpes (K. 566, K. 168) Ce qui a été trouvé et amené

24. rpvaṅ (K. 693) (Terme restant à

identifier)

25. rmmañ (K. 1152B) rmañ (variante

préangkorienne attestée dans

K. 76) ~ ramañ (variante préangkorienne attestée dans K. 66, K. 926)

26. rmmāṅ (K. 158A, K. 814, entre autres)

ramaṅ (variante

préangkorienne attestée dans K. 129)

Cerf d’Eld (à bois palmés), Cervus eldi, 27. rmmās (K. 947A) ralmās (K. 571) Rhinoceros sondaicus

28. rmmāṃ (K. 809N, K. 270S, entre autres) rmāṃ (K. 99N) ~ ramaṃ (variante préangkorienne attestée dans K. 600) Danseur, danseuse 29. rmes (K. 318b, K. 324A, K. 374)

Trieur (de grains de riz) 30. rmmyat (K. 380E) rmyat (K. 352N) Liane, Coscinium

usitatum (Ménisp.)

31. ryyan (K. 258A, K. 342, entre autres) ~ ryyān (K. 444B, K. 235D) ~ ryyaṇ (K. 413, K. 177)

ryān (K. 868A) Apprendre

32. ryyap (K. 349) ~ ryyāp (K. 957A)

Ranger, arranger. Être en bon ordre, bien pré-paré

33. ryyu (K. 241) ~ ryyū (K. 650) (Terme restant à

identifier)

34. ryyuṅ (K. 682) ryoṅ (K. 353) Qui pend (en groupe, en grappe)

35. rllaṃ (K. 353N) rlaṃ (variante

préangko-rienne attestée dans K. 341N ; à l’époque angkorienne attestée dans K. 190, K. 257S, K. 158B, K. 720B, K. 258A) ~ rlāṃ (K. 229) ~ rlām (K. 691) ~ rlam (K. 343S) S’écrouler, s’effondrer 36. rlā (K. 420) Crâne humain

37. rlāp (K. 34B, K. 158) Recouvrir d’une couche légère, effleurer

38. rlik (K. 221N) Penser à, réfléchir

39. rlek (K. 235D, K. 380) Répartir, détacher un morceau de

40. rviṅ (K. 331) (Terme restant à

identifier)

41. rvvac (K. 347E, K. 413B) rvac (K. 809, K. 269,

K. 153, K. 618, K. 352N) Achever, se libérer, culminer 42. rvvat (K. 158B, K. 211, K. 413B) rvātt (K. 70) ~ rvāt (K. 158B, K. 845) ~ rvat (K. 413A)

Étage, couche, fois

43. rvvāṅ (K. 366B, K. 467) Marcher en rond.

Surveiller, garder

44. rvvau (K. 690N) Citrouille, Cucurbita

axima

45. rvvyaṅ (K. 462) rvyāṅ (K. 257S) Arbuste de forêt, Randia

tomentosa (Rub.)

46. rhā (K. 760, K. 235) Largement ouvert, béant

47. rhek (K. 32) Déchiré

48. rhvit (K. 158) Nom d’une espèce de

manguier

49. varvo (K. 219) (Terme restant à

identifier)

Nous constatons que parmi les termes monosyllabiques, la pratique de gémination des consonnes après le r a commencé à la période préangkorienne. Six termes ont vu leurs consonnes redoublées (rddal, rddeḥ, rnnoc, rmmeṅ, rmmen et rmmel), quatre ne l’ont pas été (rgāl, rlep, rval, et rhvaṅ) et deux auront la consonne redoublée à la période angkorienne (rmañ et rlaṃ). Les groupements consonantiques des mots monosyllabiques d’origine khmère, connus à l’époque préangkorienne, sont -rdd-, -rnn- et -rmm-.

À l’époque angkorienne, les trois groupements continuent à apparaître. Parallèlement, il y en a cinq autres, à savoir : -rkk-, -rṇṇ-, -ryy-, -rll- et -rvv-. Certains d’entre eux se présen-tent sous deux formes (rkkā ~ rkā, rddeḥ ~ rdeḥ, rmmañ ~ rmañ, rmmāṃ ~ rmāṃ, rmmyat ~

et d’autres n’ont pas de variantes à consonne non redoublée (rnnāṃ, ryyu, rmmās, rvvau et

rvvyaṅ). Quant aux mots suivants rpaṃ, rpā, rpel, rpes, rmes, rlā, rlāp, rlik, rlek et rviṅ, ils

n’ont pas de variantes à consonne redoublée.

Par ailleurs, les mots avec des redoublements des semi-voyelles -ryy- et -rvv- sont douteux. Comme nous l’avons mentionné (p. 44), le va représente la diphtongue /ua/ et ya la diphtongue /iə/ et la combinaison des lettres yya ne devraient pas être considérée comme un redoublement consonantique mais comme une variante de la diphtongue ya. Les mots ryyan ~

ryyān et ryyap ~ ryyāp, comme paryyan ~ paryyān (voir p. 44), renvoient à une diphtongue

plutôt qu’au redoublement consonantique. Comme le cas de yya, le vva ou le vvā pourraient renvoyer à une diphtongue, une variante de va /ua/, qui reste à déterminer. Quant à ryyu ~

ryyū, ryyuṅ, rvvau et rvvyaṅ, ce sont probablement des cas de redoublement puisqu’ils ont les

voyelles u, au et une diphtongue ya respectivement.

À l’exception des mots avec des semi-voyelles redoublées (yya et vva), le reste a cha-cun un groupement de trois consonnes ; cela est étrange en khmer car, rappelons-le (voir p. 44), la langue khmère n’admet en général que deux consonnes à l’initiale. Il s’agit d’une caractéristique de la famille môn-khmère. La langue mône connaît aussi des groupements consonantiques dans les termes d’origine mône ayant le r comme la première consonne, mais les consonnes après le r ne se redoublent pas. Selon Shorto (1971 : 324‒326), le vieux môn a des mots comme rgoḥ « in that manner, thus », rjuṅ « to be clear, passionless, in mind, to still

one’s mind in contemplation », rjuḥ « to be deep, profound », rmeṅ « to hear », rlim / rlaṃ

« to be in ruins », etc. Le mot rlim ou rlaṃ « s’effondrer » est très probablement l’équivalent du mot khmer rlaṃ qui a une variante à consonne géminée rllaṃ. Si les consonnes de ces mots d’origine mône ne se redoublent pas, des emprunts au sanskrit et au pāli en vieux môn qui ont des consonnes géminées sont par contre attestés. Pour n’en citer que les plus connus :

dharmma « rule of conduct, duty, obligation », nirbbān « Nirvana, a state of liberation from passion and the cycle of rebirth » et arttha « matter »42. À la différence du môn, le khmer accepte les redoublements non seulement dans les emprunts au sanskrit, mais aussi dans les mots d’origine khmère. Les mots commençant par trois consonnes comme rnnoc et rmmel ont une apparence non khmère. Ce sont pourtant des dérivés des verbes roc « éteindre le feu » et

mel « regarder » avec l’infixe -n- et le préfixe -r- respectivement ; roc > r-n-oc > rnnoc et mel> r-mel > rmmel. Le redoublement de nn et de mm ne peut pas être justifié mieux que par l’influence des aphorismes de Pāṇini.

D’ailleurs, comme les règles ne permettent pas de redoublement pour les mots à groupement de trois consonnes et après le h, les mots rhvaṅ, rhā, rhek et rhvit n’ont pas de

gémination de consonne. Les mots rhvaṅ, rhā et rhek ont la consonne h après le r et le mot

rhvit a non seulement trois consonnes mais aussi un h après le r.

La règle grammaticale sanskrite semble bien s’appliquer aux termes monosyllabiques d’origine khmère. Elle y est appliquée partiellement ou sans respecter la condition que le r doit se placer derrière une voyelle (la condition aco « après une voyelle » n’est pas respectée). Toutefois, il est hasardeux de considérer la grammaire sanskrite comme cause directe des redoublements de consonnes en vieux khmer. Les lettrés à l’époque n’avaient peut-être pas l’intention d’appliquer les règles sanskrites directement dans l’orthographe du vieux khmer, puisqu’ils trouvaient peut-être que les règles en sanskrit n’ont pas à être appliquées au vocabulaire khmer, mais ils suivaient des habitudes orthographiques de l’Inde qui avaient été transmises au Cambodge (et aussi dans d’autres États sanskritisés de la région)43. Les lettrés indiens avaient probablement l’habitude de redoubler la consonne r dans certains mots et non pas dans d’autres, sans être influencés par l’Aṣṭādhyāyī. Si c’était une influence directe de Pāṇini, on s’attendrait peut-être à voir tout l’éventail d’options qu’il évoque, tandis qu’on trouve plutôt les mêmes redoublements qui sont fréquents dans les manuscrits en Grantha, etc., comme, par exemple, dharmma, karmma, arttha, kapardda. D’ailleurs, la gémination de la consonne v dans sarvva, garvva, etc. est apparemment fréquente au Népal mais rare dans les manuscrits en grantha44.

Les habitudes communes de la région s’avèrent à travers des mots comme dharmma (ayant un groupement consonantique rmm), qui figure dans des sources anciennes en vieux khmer, vieux môn, vieux javanais et vieux cham entre autres. Dans le contexte khmer, le groupement rmm (comme dans les mots dharmma, varmma et karmma) est retrouvé, depuis la haute époque, non seulement dans des emprunts au sanskrit mais aussi dans des termes d’origine khmère (rmmeṅ, rmmel et rmmen). Outre le rmm, le vieux khmer utilise assez régu-lièrement trois autres regroupements, à savoir : rdd, ryy et rvv. Tous les trois sont aussi cou-rants parmi des emprunts sanskrits attestés dans les inscriptions en sanskrit et en khmer que parmi les mots d’origine khmère.

Il semble que les scribes n’ont fait qu’appliquer certaines des habitudes répandues dans la région sanskritisée, dont le redoublement des consonnes après le r en était peut-être une des plus importantes. L’orthographe du vieux khmer, en particulier à l’époque préangko-rienne, était contrôlée par un certain nombre des lettrés, souvent bilingues ; de ce fait, ils étaient bien habitués à l’orthographe du sanskrit et étaient peu sensibles aux caractéristiques linguistiques (pour ne pas dire phonétiques) du khmer. Les scribes qui avaient d’habitude de

43 Griffiths, communication personnelle, juin 2016.

doubler des consonnes après le r quand ils écrivaient des mots d’origine sanskrite, avaient na-turellement tendance à doubler également les consonnes après le r quand il écrivait des mots d’origine khmère. Ils ne se rendaient pas compte que le groupement de trois consonnes qu’ils écrivaient, était maladroit ou étrange pour la langue khmère. En perpétuant leurs habitudes, ils ont créé une sorte d’idiolecte. Selon le tableau ci-dessus, la majorité des inscriptions qui attestent des redoublements à l’époque préangkorienne proviennent des provinces de la région sud, à savoir : Takeo, Kampot, Kompong Speu et Prey Veng. Quant à l’époque angkorienne, les attestations de redoublement se retrouvent très souvent dans des inscriptions découvertes dans des provinces de la région nord, à savoir : Siem Reap, Kompong Thom, Preah Vihear, Battambang et Sa Kaeo. Ces indices ne sont pas suffisamment convaincants pour affirmer que les scribes qui avaient la tendance à redoubler des consonnes, se sont déplacés du sud au nord comme le changement des capitales du pays (du sud au nord). Cet idiolecte n’apparaît pas assez important pour devenir une divergence dialectale. Autrement dit, il ne présente pas des traits réguliers d’un parler khmer d’une région en opposition à celui d’un autre. D’ailleurs, à l’époque ancienne, la prononciation des mots écrits avec une consonne comme karma ne différait guère chez les gens qui l’écrivaient avec deux m (karmma). La pratique du redoublement des consonnes n’appartenait pas à un dialecte particulier du vieux khmer. Elle est différente à certains traits dialectaux, comme la longueur des voyelles qui, par exemple, distinguent le parler khmer du centre du Cambodge du parler khmer de la provonce de Surin en Thaïlande. Par exemple, à Surin, « épais » se dit krās /kraːh/ (avec une voyelle longue) alors que les locuteurs du centre du Cambodge disent krās’ /krah/ (avec une voyelle brève).

Les habitudes orthographiques n’étaient pas peut-être le seul facteur qui a engendré la pratique du redoublement sous forme d’idiolecte. La connaissance de la grammaire sanskrite chez des auteurs d’inscriptions y a également contribué, comme cause indirecte. Les réfé-rences à la grammaire sont nombreuses dans les inscriptions en khmer comme en sanskrit. Il

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