• Aucun résultat trouvé

Le maintien de bastions interconfessionnels

CHAPITRE III. RECEPTION DE LA DEUXIEME VAGUE EN FRANCE DANS LES EGLISES INSTITUTIONNELLES

11 L’intégration intraconfessionnelle prédomine sur les rapprochements interconfessionnels. 1982 à 1994

11.3 Le maintien de bastions interconfessionnels

11.3.1 Le Centre Chrétien de Gagnières

Au départ, c’est un camping chrétien sur un grand terrain de 19ha, achetés en 1971 par quelques chrétiens évangéliques (dont certains appartiennent au mouvement ACTE : Association de Chrétiens Témoins dans leurs Entreprises). L’objectif est de « créer un Camping chrétien, où toute l'année on pourrait apporter l'Évangile à des vacanciers407». Ceux qui participent au débroussaillage et à la restauration des lieux sont au début évangéliques et pentecôtistes, des jeunes et moins jeunes de Suisse, d’Alsace, du Midi : des baptêmes par immersion ont lieu dans la rivière qui traverse la propriété ; puis avec le Renouveau charismatique, en 1972, viennent des luthériens, des réformés ; en 1973, ce sont les premières réunions avec Thomas Roberts et en 1974 le centre accueille les premiers catholiques, à commencer par le curé du village de Gagnières dont les premières réticences tombent, et qui reçoit le baptême dans le Saint-Esprit ; autorisation est donnée par l’évêque de Nîmes d’ouvrir l’église de Gagnières aux retraitants.

Du 29 juillet au 5 septembre 1974 : « c'est la Convention Spéciale Jeunes, dont le Rallye du début août, sous la direction de Thomas Roberts : cultes au Centre à 7h30, messes simultanées à l'église du village, puis réunions oecuméniques et charismatiques, tous ensemble, sous les grandes tentes louées408» Prêtres, pasteurs pentecôtistes, réformés se succèdent pour prêcher ensemble, accompagner, prier avec et pour les jeunes venus en grand nombre. D’une centaine en 1973, ils sont environ un millier en 1976 et 1977. Mais le nombre des jeunes évangéliques tend à diminuer sans doute du fait de l’orientation très œcuménique de

407 P. GOLD-AUBERT, http://www.science-foi.org/gagnieres/historique.shtml 408

ces rallyes de jeunes. Des tâtonnements concernant le re-baptême de jeunes catholiques ou réformés traduisent les questions et tensions entre ce qui est vu par certains comme « nécessaire liberté de l’Esprit » et par d’autres comme un non-respect des institutions ecclésiales. Mais tous se rejoignent sur les thèmes des carrefours et conférences centrées sur « la préparation à l’effusion du Saint-Esprit, la reconstruction de l’homme intérieur, la prière personnelle, la pratique des charismes, comment rencontrer et suivre le Christ, Parole de Dieu et vie dans l’Esprit, travail, profession et Evangile, mariage et célibat, Evangile et médecine, beauté et Evangile409

Environ quarante ans après, le centre continue à accueillir des conventions et des rencontres tout au long de l’année. La double dimension charismatique et interconfessionnelle demeure au cœur de la vocation du centre :

« Etre un lieu de rencontre, d’évangélisation et de ressourcement, avec vocation à travailler à l’unité des Chrétiens et à l'approfondissement des racines juives de la foi. Elle reconnaît, à la base de son enseignement et de son action, l’autorité souveraine de la Bible telle que la fonde le témoignage intérieur du Saint Esprit. Elle ne se situe à l’intérieur d’aucune dénomination religieuse, tout en étant affiliée à la Fédération Protestante de France, dans le cadre de son Département « Dialogue, témoignage, Bible et théologie »410.

Quelle évolution peut-on souligner ? Le centre est resté fidèle à sa vocation, tout en s’ouvrant à une dynamique de renouvellement permanent.

-Le centre d’origine évangélique a gardé son orientation plus interconfessionnelle qu’œcuménique, si l’on adopte cette distinction contestée par certains (que l’on reprendra dans la partie théologique): insistance est donnée à tout ce qui réunit, toutes les convergences, bibliques, théologiques et expérientielles, considérées bien plus nombreuses que les divergences. On n’en discute pas (ce serait le lieu des dialogues œcuméniques), mais on vit ensemble, on apprend à se reconnaître frères et on témoigne ensemble.

-Les évangéliques présents disent ressentir la présence catholique : une certaine douceur, un amour plus tangible et sensible, une patience dans l’accueil et l’accompagnement des personnes. Les catholiques à leur tour, sont édifiés par la foi des protestants et des évangéliques, par leur feu missionnaire et la puissance de leur prière d’intercession, pour la guérison et la délivrance.

-Des conventions touchées par la « troisième vague » (Paris tout est possible) côtoient celles plus classiques issues du renouveau et de la deuxième vague (la convention charismatique interconfessionnelle de juillet, la session d’expression artistique Psalmodia).

11.3.2 Les « Montées à Jérusalem»

La vision de Thomas Roberts, précisée lors du grand rassemblement à Strasbourg à la Pentecôte 1982, a été de rassembler des chrétiens de diverses dénominations, dans « l’écoute et l’accueil de la diversité des dons et charismes confiés par le Seigneur à chacun411 », à Jérusalem ; l’objectif est aussi de rencontrer des membres des églises chrétiennes en Israël, afin de leur exprimer un soutien fraternel, spirituel et matériel. La première Montée a eu lieu en 1984 et elle a rassemblé 700 personnes ; 30 ans plus tard, ils ne sont plus qu’une trentaine. Est-ce la fin des « Montées » ? Non, il a été décidé de continuer pour être ce signe d’unité

409

Ibid.

410http://centrechretiendegagnieres.fr/ Statuts.

411 Ô ma joie, Jérusalem, Recueil de témoignages, Fribourg, Editions Saint-Paul, 1985, collection Sources vives, quatrième de couverture.

de l’Eglise réunie par le Christ. Le témoignage du pasteur Martin Hoegger412 en souligne plusieurs traits, citant les nombreuses personnes qui sont devenus là-bas ses amis et ses frères :

-Il n’y a « pas d’unité sans humilité », affirment Mgr Jules-Joseph Zerey, archevêque de l’Eglise melkite (grecque-catholique) de Jérusalem, et Nabil Abou Nicola, melkite et responsable de la communauté œcuménique « New Life » :

« L’unité des chrétiens ne pourra se réaliser qu’à la suite d’une véritable humilité, qui prendrait ses racines dans une profonde conversion et d’un véritable repentir de nous tous sans exception, à commencer par nous les chefs des différentes Eglises, en nous prosternant en premier lieu devant le Saint Esprit de Dieu que nous avons attristé par nos nombreux péchés ». (Mgr Jules-Joseph Zerey.)

« Jésus est notre humilité. Il s’est humilié au plus profond pour nous ouvrir la porte de l’humilité. C’est le mystère qu’a vécu Marie à Nazareth. Son chant du Magnificat le dit : « Il a renversé les orgueilleux et élevé les humbles ». L’humilité est un mystère. C’est une grâce à demander. Seule la grâce permet d’en vivre et de se quitter soi-même. »

-Il n’y a « pas d’unité sans relations » : Pour Ruben Berger, pasteur d’une communauté messianique de Jérusalem, l’Eglise se tisse sur les relations : elles conduisent au pardon, aux réconciliations, plus puissantes que les déchirures du passé.

« Sans elles, la théologie demeure morte. Dans la vie de Jésus, nous voyons combien cela lui a coûté d’établir des relations. Quand je suis venu ici il y a quarante ans, j’ai habité pendant cinq ans à Béthanie, un village arabe. Dieu a rempli mon cœur d’amour pour les musulmans. Ce furent les meilleures années de ma vie. Il y avait une présence particulière de la tendresse et de l’amour de Dieu. J’ai alors aussi travaillé pour des allemands, qui avaient tué mes grands-parents et mes oncles. Dieu voulait que je travaille avec eux, avec ceux qui se sont repentis. Oui, Dieu peut changer les cœurs, j’en suis convaincu. Juifs et arabes, juifs et allemands ont à marcher ensemble ».

-Il n’y a « pas d’unité sans le peuple juif » : Sergei, pasteur d’une communauté messianique à Nazareth Illit (ville juive construite sur les hauts de Nazareth) est un juif d’origine russe. Il témoigne de la croissance des juifs messianiques, mais aussi de leur place face à la division entre les Eglises :

« Quand les Eglises en Israël sont séparées, elles ne peuvent accomplir véritablement leur mission. Mais je crois qu’un jour cette division prendra fin, car le Messie a détruit le mur de séparation ». (Ep. 2,14 : entre juifs et païens).

-Il n’y a « pas d’unité sans l’Esprit-Saint » : Pour Anis Barhoum, pasteur arabe baptiste, responsable d’une communauté de jeunes juifs et arabes « House of Light », le Saint-Esprit conduit à poser des actes d’unité et des signes de réconciliations visibles impensables sans l’Esprit-Saint :

« L’invocation de l’Esprit-Saint nous donne l’amour. Qu’est-ce-qui nous unit tous ? C’est l’amour et le désir d’unité. Mais l’unité a un grand prix. Si je raconte ce que nous vivons aujourd’hui, la communion que j’ai avec Serguei, certains vont me traiter de fou : comment est-il possible de vivre ainsi ensemble ? Celui qui nous conduit, Serguei et moi, c’est l’Esprit Saint. Sans Lui, rien ne serait possible. Si j’avais considéré uniquement l’aspect politique, je n’aurais jamais eu le courage de franchir ce pas ».

Ainsi ceux qui participent à une Montée à Jérusalem vivent un œcuménisme large, humble, qui repousse les frontières de la raison. Ce sont des français de tous âges, de toutes appartenances ecclésiales, Eglises traditionnelles ou nouvelles Eglises et communautés, clercs et laïcs, dans la mouvance charismatique. Ils sont unis par un même appel : prier sur la terre d’Israël, pour l’unité du Corps du Christ, qui a abattu en son

412 M. HOEGGER, « Les Montées à Jérusalem : un œcuménisme spirituel », In Chrétiens en Marche, Oct-Décembre 2011, n°112. Martin Hoegger est pasteur de l’Eglise évangélique réformée du canton de Vaud. Il est responsable de l’œcuménisme et secrétaire exécutif de la communauté des Eglises chrétiennes de ce canton.

Corps tous les murs de séparation « faisant des Juifs et des non-Juifs un seul peuple » (Ep 2,14) et rencontrer les membres de ce Corps. Ils tissent ainsi des relations fraternelles avec les membres et responsables des différentes Eglises chrétiennes présentes en Israël, et particulièrement avec certains membres d’Eglises messianiques. C’est à Strasbourg 1982 que Thomas Roberts et les pasteurs de l’Union de Prière présents rencontrent Benjamin et Ruben Berger. Juifs orthodoxes d’Europe centrale, mais élevés aux USA, ayant abandonné toute pratique, ils ont l’un et l’autre, seul et séparément, vécu une expérience de rencontre avec le Dieu de leurs pères, et avec Jésus-Christ, Messie d’Israël. 413En Israël, ils ont fondé une communauté messianique, à la fois enracinée dans le peuple juif et également ouverte aux autres églises chrétiennes. Ainsi « ils ont une vocation très particulière de trait d’union entre les deux parties de l’Eglise pour rétablir l’unité du Corps du Christ.414 »

Certes, ces Montées semblent peu de choses, mais pour un dernier témoin de ces rencontres, Nabil Abou Nicola :

« Le Seigneur voit. Quand il est venu parmi nous, il était seul. Quand il était sur la croix, il s’est senti abandonné. C’est le mystère de la croix. Pourtant, sur la croix, il n’y a pas eu de plus grand amour entre Jésus et le Père…et cela n’était pas du sentiment. L’amour est basé sur la foi et la confiance, pas sur les sentiments. Sur la croix, Jésus est entré dans le moment le plus difficile et il a réalisé l’unité. Avec les Montées de Jérusalem, nous montons au Golgotha.415 »