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Des dialogues bilatéraux entre théologiens

CHAPITRE III. RECEPTION DE LA DEUXIEME VAGUE EN FRANCE DANS LES EGLISES INSTITUTIONNELLES

9 Les débuts du renouveau charismatique en France

10.1 Des dialogues bilatéraux entre théologiens

Ces dialogues officiels ont été largement étudiés dans la thèse de Gabriel Tchonang320, et David du Plessis en livre également le récit321 : il en a été l’un des principaux initiateurs.

Gabriel Tchonang rappelle que « W.Hollenwegger dégage quatre étapes importantes de la démarche œcuménique du pentecôtisme, et met en relief les obstacles majeurs à cette démarche322 », chacune correspondant environ à une génération. Les débuts du pentecôtisme aux USA se sont considérés comme un mouvement œcuménique, puisque différentes dénominations protestantes étaient touchées par la même expérience de Pentecôte. Mais le rejet des Eglises instituées a encouragé la formation de communautés autonomes et au repli : c’est la deuxième étape suivie d’une troisième, caractérisée par leur organisation et consolidation ; la quatrième phase est celle d’une nouvelle ouverture œcuménique et des dialogues. « Deux facteurs importants décidèrent le pentecôtisme à s’impliquer dans les dialogues bilatéraux, tant au Conseil Œcuménique des Eglises, qu’avec le Secrétariat pour l’Unité des Chrétiens : Ce

320

G. TCHONANG, Ibid., p 267-291. 321 D. du PLESSIS, Ibid., p 275-285.

322 W.HOLLENWEGGER, The Pentecostals : the Charismatic Movement in the Churches, Minneapolis, Augsburg Pub House, 1972, p 355-356, cité par G.TCHONANG, Ibid., p 270.

furent le charisme personnel de David du Plessis, leader pentecôtiste, et la percée du néo-pentecôtisme [le renouveau charismatique] dans les Eglises instituées323 ».

En France, la situation présente des différences en particulier du fait de la grande majorité confessionnelle catholique ; les protestants, de quelque dénomination qu’ils soient, sont largement minoritaires. Le pentecôtisme en France est entré par l’intermédiaire de quelques personnalités d’origine pentecôtiste, comme nous l’avons décrit rapidement ci-dessus. L’accueil dans les Eglises luthéro-réformées est soit bienveillant, soit indifférent, soit hostile. Mais c’est le développement du renouveau charismatique catholique qui va changer les rapports œcuméniques progressivement.

La première phase des dialogues (1972-1976) voit la présence de deux théologiens catholiques français, proches du renouveau charismatique, les pères Jean-Miguel Garrigues et Albert de Monléon, et du pasteur réformé Jean-Daniel Fischer, membre de l’Union de prière de charmes et grand ami de Thomas Roberts. Le père Régimbal est le traducteur. La déclaration officielle à l’issue de la première rencontre, en Suisse, en juin 1972, insiste sur la spécificité de ces rapprochements :

« Dans le mouvement de Pentecôte, l’accent est mis d’une manière particulière sur la prise de possession, dans sa plénitude, de la réalité qui consiste à être baptisé dans le Saint-Esprit. Il est admis que cela se produit par le moyen d’une expérience déterminante par laquelle le Saint-Esprit s’empare de la personne ; cet événement transforme sa vie, lui confère de la puissance, et donne à cette personne une perception nouvelle de toute la réalité du mystère chrétien. Les participants au dialogue ont pu se mettre d’accord sur le fait que c’est l’Esprit du Christ qui fait de quelqu’un un chrétien, et que la vie du croyant est ‘chrétienne’ dans la mesure où elle reste sous l’influence et la direction du Saint-Esprit. Ce dialogue n’est pas appelé, dans sa phase actuelle, à aborder les questions en rapport avec l’unité de l’Eglise, ni de s’immiscer dans celles des structures ecclésiastiques. Il a davantage pour ambition de découvrir quelle est l’unité qui existe déjà dans la vie, dans l’esprit et dans l’expérience des diverses traditions représentées autour de la table de conférence. 324»

David du Plessis donne deux autres exemples partiels des documents officiels rédigés à la fin des sessions :

« Une prise de conscience reconnaissante des progrès récents réalisés tant du côté de l’Eglise catholique romaine que de celui des mouvements pentecôtistes, a marqué notre discussion, permettant un développement nouveau de la compréhension ainsi que la victoire sur d’anciennes difficultés qui étaient causes de divisions. Cela s’est révélé particulièrement vrai dans le domaine de la louange. Le pentecôtisme met de plus en plus l’accent sur l’aspect communautaire de la louange, avec la discipline que cela implique, et l’Eglise catholique redécouvre la prière spontanée. »

« Un point sur lequel on est constamment revenu tout au long de la rencontre, a été la volonté même de Christ, que ceux qui le suivent soient unis, et la puissance qu’a le Saint Esprit de rendre cette unité effective dans leur vie et dans la communauté chrétienne. Les perceptions spirituelles et les richesses de chacun des groupes de chrétiens sont nécessaires à la plénitude du Corps du Christ.325 »

Ces dialogues sont donc très différents dans leurs objectifs de ceux déjà en cours entre les Eglises protestantes institutionnelles et l’Eglise catholique. « Contrairement aux dialogues bilatéraux menés avec les Eglises issues de la Réforme, dont la visée est l’unité organique et structurelle, le dialogue catholique-pentecôtiste n’a pour finalité qu’une unité spirituelle, dans une logique de compréhension et d’accueil mutuels de la différence326 ». On est ici dans les années 1970 et deux visions de l’unité sont ici juxtaposées, sans attente d’une possible interférence. La première phase des dialogues accueille des néo-pentecôtistes ou charismatiques des Eglises institutionnelles. Partant des fondements de la spiritualité pentecôtiste et 323 G.TCHONANG, Ibid., p 274-275. 324 D. du PLESSIS, Ibid., p 280. 325 Ibid., p 281-282. 326 G. TCHONANG, Ibid., p 283.

charismatique (baptême dans l’Esprit, vu comme expérience déterminante dans la vie du chrétien), exprimés dans des termes très pentecôtisants, c’est la réalité de l’unité déjà là, déjà présente qui est recherchée, dans la première phase des dialogues. Les convergences d’un œcuménisme spirituel sont soulignées. Dans les phases suivantes, (1977-82 ; 1985-89 ; 1990-97 ; 1998-2006), ceux-ci ne sont plus convoqués, afin de clarifier les positions ; les pentecôtistes commencent en outre des recherches théologiques, avec la mise en œuvre de plusieurs thèses de doctorat, dans les domaines de théologie biblique et pratique, puis plus tardivement en théologie fondamentale dogmatique. L’évolution va tendre progressivement vers un œcuménisme plus doctrinal et une réflexion commune plus académique.

La deuxième phase est centrée sur « la foi et l’expérience, le parler en langues, la guérison dans l’expérience pentecôtiste, les questions d’herméneutique, la Tradition, l’Eglise comme communion, Marie, les ministères327». On sent bien dans cette liste le glissement progressif des thématiques pentecôtistes-charismatiques aux thématiques plus ecclésiales et institutionnelles.

Plus spécifiquement en France, de 1974 à 1985, les « Rencontres de Versailles » rassemblent des responsables engagés ou ouverts au Renouveau charismatique, des protestants réformés, (Paul Bechdolff et Jean-Marie Bouillon, membres de l’Union de Prière de Charmes, par exemple, et des réformés à sensibilité pentecôtiste, Gaston Ramseyer, Charles Schinkel), des baptistes (comme Jules Thobois, Daniel Lhermenault), des pentecôtistes (Yvon Charles de la communauté de Carhaix, Clément le Cossec), et des catholiques (responsables des communautés du Chemin Neuf et de l’Emmanuel). Thomas Roberts est présent et Jean-Marie Bouillon est le secrétaire de ces rencontres.

On ose y aborder les sujets difficiles comme la prière à Marie dans les assemblées de prière, les définitions de l’Eglise ; même le baptême dans l’Esprit est vu différemment par les catholiques et les pentecôtistes, en lien ou non avec le baptême sacramentel. Certains échanges sont tendus ; mais la volonté de maintenir le dialogue est plus forte, en particulier chez les réformés et une partie des catholiques. Leur nombre est minoritaire dès la première rencontre, et ne cesse de diminuer ensuite. Seuls se maintiennent les plus œcuméniques, comme Laurent Fabre, Bertrand Lepesant, René Jacob. Dès la deuxième réunion, du 22 au 24 septembre 1975, les membres protestants du groupe jugent nécessaire d’établir un texte clarifiant les points de convergence et de divergences à travailler :

« Afin d’éviter toute confusion possible et de se trouver sur une base saine leur permettant de pouvoir discuter, les frères Evangéliques et Réformés présents ont demandé la mise au point suivante : Dans le dessein de clarifier une situation qui risquerait de devenir confuse et donc d’hypothéquer les rencontres futures, des frères de différentes confessions, réunis à Versailles les 22, 23, 24 septembre 1975, se sont entretenus, dans un climat de franchise et de fraternité, examinant des points de convergence et de divergence.

Nous avons conclu à la nécessité de préciser par écrits les points sur lesquels nous rencontrons des difficultés : Ecriture Sainte et tradition.

Mariologie.

Communion des saints. Problèmes de formulation.

Par contre, nous rendons grâces pour ce qui unit : Repentance.

Conversion.

Unique médiation de Jésus-Christ. Salut par la foi en Jésus-Christ.

Expérience commune du baptême dans le Saint Esprit.

Ainsi, nous ne pouvons pas nous dérober à la vision d’une marche commune ; l’Esprit, en effet, nous

327

permet de :

Prier ensemble.

Etudier et partager la Parole de Dieu.

Faire sentir et voir, au monde, à cause de notre foi en Jésus-Christ, notre union dans la lutte pour la justice et dans l’annonce du royaume qui vient.

Dans toutes les rencontres œcuméniques, considérer la reconnaissance des divergences comme une réelle souffrance. C’est pourquoi, dans un souci de vérité et pour ne pas compromettre le cheminement futur, nous voulons en informer nos fidèles. 328»

La démarche insiste ici sur la recherche de ce qui unit, dans une exigence de vérité et de connaissance de l’autre, malgré les difficultés possibles de communication. Au fil des différentes rencontres, les participants ont souvent changé ; les réformés de l’Union de Prière ont gardé une importance constante. Le père orthodoxe Bernard Frinking a été présent dès 1975. Henri Lefèvre, responsable du Centre Chrétien de Gagnières est là en 1978, Hervé-Marie Catta, de la Communauté Emmanuel en 1979. Mais George Appia meurt en 1977, et son départ réunit tous les participants, comme le souligne Laurent Fabre : « En de telles occasions, nous comprenons combien l’Eglise est Une, au-delà des blessures de nos séparations329 ». Cependant, malgré toute leur importance et leur permanence sur plusieurs décennies, la réception de tels dialogues par les communautés locales est extrêmement faible. Sur le terrain, la réalité vécue est le plus souvent ignorante des rapprochements et des liens établis. Pourtant un autre pionnier de l’œcuménisme, ami de David du Plessis, Thomas Roberts, travaille vers d’autres expressions d’une même unité spirituelle.