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Quelles constantes et quelles différences avec les montanistes et les messaliens ?

4 Le prophétisme cévenol entre 1688 et 1702

4.3 Quelles constantes et quelles différences avec les montanistes et les messaliens ?

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4.3.1 En ce qui concerne le contexte

Comme pour le Montanisme, le prophétisme cévenol naît dans un contexte d’intolérance et de persécutions. Ce n’est par contre pas le cas pour les Messaliens, qui connaissent au contraire un risque d’attiédissement de l’Eglise. Face à l’oppression, ou à la tiédeur, l’attente et l’émotion eschatologique proposent une réponse. Les trois mouvements touchent principalement des milieux populaires, citadins ou ruraux ; mais ce n’est pas le cas pour certains des chefs de ces courants, comme Tertullien, ou quelques messaliens dont l’appartenance est difficile à affirmer clairement, ou encore le prédicant cévenol Brousson. Cependant, la culture biblique imprègne fortement les mentalités, dans une attente eschatologique omniprésente.

4.3.2 Caractéristiques de ces courants

Dans deux de ces trois courants, (montanisme et inspiration cévenole), le charisme principal est la prophétie, sous toutes ses formes (directe, ou par une exhortation, un conseil, une prédication inspirée). Les prophètes peuvent être hommes ou femmes, mais ce qui est particulier dans le phénomène cévenol, c’est l’âge des prophètes, et leur nombre très important, se multipliant au fil des mois et des années, de villages en villages. Toute une région est touchée, presque une personne sur deux au sein des assemblées du désert. Chez les messaliens également, le courant enthousiaste touche un grand nombre alors que dans le montanisme il semble se limiter à seulement une poignée de prophètes. Les prophéties s’accompagnent des mêmes manifestations physiques, très déroutantes pour la raison et la bienséance : tremblements, convulsions, évanouissements, cris, étouffements, extases. Aussi extraordinaires qu’elles paraissent, elles ne semblent pas avoir d’effet sur la personne, une fois la manifestation terminée. Les fruits décrits chez les Inspirés dépendent totalement des auteurs qui en témoignent : les détracteurs des messaliens ne peuvent être plus négatifs, au contraire de toutes les déclarations cévenoles, témoignant de conversions, de vies transformées, de repentance, par opposition aux débauches et hystéries collectives décrites par les anti-messaliens. La prière, la ferveur, la foi vivante et radicale, l’aspiration à une Eglise de chrétiens « complets » ou « parfaits » sont en écho constant. La dimension eschatologique sous-tend ces exigences. La contestation affirmée par ces courants n’est ni christologique, ni pneumatologique ; l’attachement à l’Ecriture est le plus souvent littéral, pour une lecture qui doit s’incarner et se vérifier visiblement. C’est principalement l’Eglise institutionnelle qui est remise en cause, accusée de tiédeur, de compromission avec le « monde ».

4.3.3 Questions posées à l’Eglise institutionnelle par ces courants enthousiastes

Une première question fondamentale est de l’ordre du discernement : d’où viennent ces phénomènes ? Sont-ils psychologiques, émotionnels, culturels, spirituels et dans l’affirmative, quels esprits se manifestent ? Y-a-il également une part de mimétisme, d’effet de foule ou de psychose collective expliquant le nombre des Inspirés cévenols ? Qui peut examiner et juger, et comment ? Donne-t-on le primat à la conscience individuelle ? S’il n’y a plus de pasteurs, les prophètes peuvent-ils juger les prophètes ? Qui reçoit l’autorité ? La reprise en main a été le fait des Conciles, et des empereurs avec les condamnations et excommunication, pour les Montanistes et les Messaliens ; la refonte du protestantisme Réformé a été opérée par Antoine Court et les synodes (catéchismes, formations, autorités élues et reconnues).

La question de l’autorité est de plus en plus vive du fait de l’évolution de ces trois courants : celle-ci présente des points comparables, en particulier dans l’isolement croissant vis-à-vis de l’Eglise officielle.

Pour les prophètes cévenols, il est à la fois géographique et spirituel, même si les assemblées au désert, garde contact de temps à autre avec les exilés. Plus les années passent, plus l’incompréhension, les différences de langage et d’expérience creusent la distance et l’ignorance réciproque. Les excès sont plus fréquents et la fragilité des mouvements enthousiastes se vérifie (« guerre sainte » des Camisards, « nouvelle prophétie » montaniste et la nouvelle révélation de Montan, dérives des messaliens avec leur « pélagianisme » de la prière). Par exemple dans le cas cévenol, on est passé d’un discours axé sur la repentance devant l’infidélité et l’abjuration avec un appel au retour à la foi réformée, à une convocation divine à la « sainte guerre », aux accents très vétérotestamentaires. Il semble donc être important, pour notre étude, de distinguer les premières années, ou même la première génération qui connaît le phénomène, des générations suivantes. Au bout de plusieurs dizaines d’années, pour l’Eglise institutionnelle, il ne semble plus y avoir de solution autre que dans la condamnation ou l’oubli.

4.3.4 Dans les trois cas, quelles ont été les conséquences sur les définitions et les limites de l’Eglise ? Le prophétisme cévenol est un cas bien particulier : l’Eglise catholique est l’ennemie, et l’Eglise protestante institutionnelle est exilée. D’une part, le phénomène enthousiaste a été rejeté et constitue encore aujourd’hui une expérience négative, lourde dans la réception du courant charismatique du XXème et du début du XXIème siècle. Le plus souvent il a été comme ignoré et la guerre des Camisards seule demeure évoquée, coupée de ses origines et souvent de ses excès. Cette guérilla de résistants pour leur foi reste profondément ancrée dans la mémoire collective protestante. Elle fait partie de l’identité réformée, bien au-delà d’une référence ecclésiale. Mais ses conséquences œcuméniques restent pesantes, et tout un travail de mémoire et de réconciliation reste à poursuivre.

Si la guérilla des Inspirés Camisards n’a pas eu d’impact positif sur les limites et définitions de l’Eglise, le Montanisme lui aussi est bien souvent un frein au renouveau charismatique et au déplacement des frontières œcuméniques. L’institution ecclésiale et la raison se dressent comme deux étendards de sagesse et de prudence face à toutes ces expériences paranormales. En Occident, le Messalianisme est fort peu connu, et il n’a intéressé, dans le passé, souvent que des détracteurs ; on observe cependant que son intérêt croissant actuel est sans doute à rapprocher des nouveaux courants charismatiques, présents dans les différentes confessions, et à l’échelle du monde entier.

4.3.5 L’importance de l’évolution de ces mouvements

Pour achever de conclure sur cette troisième évocation d’un courant enthousiaste dans le passé, nous voudrions à nouveau souligner l’importance de l’évolution de ces mouvements. C’est ce que met en exergue Philippe Joutard lorsqu’il replace le prophétisme cévenol dans une continuité sur plusieurs décennies, et non pas une rupture encourageant au rejet, le rapprochant de la phase antérieure des prédicants, puis de la phase de Guerre des Camisards.

En effet, on peut observer comme une répétition régulière des différents moments de ces courants : - Les contextes de leur naissance, avec leur aspiration commune au renouveau spirituel d’une Eglise jugée affadie et trop institutionnelle.

- La première génération de leurs disciples.

- Leur évolution soit vers l’intégration, soit vers une radicalisation suivie d’un rejet comme hérésie, ou d’une occultation dans les mémoires.

Dans la deuxième moitié du XVIIème et les débuts du XVIIIème siècle naissent plusieurs mouvements spirituels, celui de la « Société des Amis », fondée en 1652 par George Fox, et le piétisme dont on rattache les origines à la parution des Pia Desideria de l’Alsacien Philipp Jakob Spener (1635-1705). A nouveau, ces courants présentent des points de rapprochement avec les mouvements étudiés ci-dessus : leur contexte de naissance, la priorité donnée à la « nouvelle naissance », la conversion individuelle, l’attente pressante d’une parole divine reçue sans médiation, l’ouverture aux manifestations irrationnelles attribuées au Saint-Esprit (« tremblements » en particulier, d’où le nom de « Quakers » pour la Société des Amis), la dimension fraternelle et communautaire, une éthique « ascétique » radicale (prière, jeûne, sobriété, moralité). Leur évolution et leur rayonnement dépassent largement les frontières de leurs lieux d’origine : le Quaker William Penn (1644-1718) fonde en 1682 un territoire d’asile en Nouvelle Angleterre (la « Pennsylvanie »), terre de justice, d’égalité, de paix, de fraternité entre tous, Indiens aussi bien que colons qui durera plus de soixante ans. De même l’influence piétiste est immense ; en particulier, le Comte Nikolaus Ludwig von Zinzendorf (1700-1760) crée une communauté sur ses terres de Moravie « l’Eglise de l’unité ou des frères moraves ». Elle s’appuie elle aussi sur les mêmes fondements de « nouvelle naissance », accompagnée des charismes divins, la communauté, la soif d’un renouvellement des Eglises de l’intérieur, sans création d’une nouvelle division.

L’évolution de ces mouvements, après des débuts très spirituels et « enthousiastes ou charismatiques», les oriente vers un engagement social sous de très nombreuses formes. Les frères moraves ont joué un rôle important dans la naissance du méthodisme. C’est ce que nous avons choisi d’approfondir maintenant: John Wesley, et les débuts du méthodisme. Nous chercherons à voir dans quelle mesure les origines de cette nouvelle confession chrétienne présentent d’une part des convergences avec les mouvements spirituels étudiés précédemment, mais d’autre part des spécificités importantes pour notre étude des rapports entre « inspiration et institution ».