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Conclusions : trois ondes de Pentecôte dans le monde pour quelle unité ?

3.2 « La bénédiction de Toronto »

4 Conclusions : trois ondes de Pentecôte dans le monde pour quelle unité ?

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G. MONET, « Les églises émergentes, des églises en marge? », in I. GRELLIER et A. ROY, Eglises aux marges, Eglise

en marche. Vers de nouvelles modalités d’Eglise, Strasbourg, Association des Publications de la Faculté de Théologie

Protestante, 2011, p 51-55. 266

Les auteurs se posent souvent la question de l’origine de ces différents mouvements, de leur continuité ou discontinuité : ainsi se justifient des terminologies différentes. « La question essentielle qui se pose à quiconque veut porter sur le mouvement un jugement sain est de savoir s’il n’est que le produit des forces naturelles de la psychologie religieuse, ou s’il est l’effet d’une action qu’il faut attribuer au Saint-Esprit lui-même.267 » Est-ce uniquement émotionnel, culturel, psychologique, ou bien sans nier l’importance de ces explications, peut-on faire appel à des origines spirituelles, divines, chrétiennes ?

Certains auteurs vont s’attacher à souligner les continuités historiques et humaines entre les différents mouvements spirituels dans l’histoire : c’est comme une longue chaîne sans interruption, sans discontinuités. Il y a là peu de part à l’inattendu divin ou à l’irrationnel.

D’autres au contraire parlent des « surprises » successives de Dieu. Peter Hocken compte ainsi cinq surprises de l’Esprit Saint : la première est le « Mouvement de Pentecôte » du début du XXème siècle, la deuxième « le renouveau charismatique dans les traditions protestantes historiques », la troisième « le renouveau charismatique dans l’Eglise catholique », la quatrième est « l’émergence d’un Judaïsme messianique », et la cinquième « la mouvance des groupements et ministères charismatiques non dénominationnels ou indépendants268. De la succession de ces surprises, qui sont pour lui autant de défis pour l’Eglise, il conclut :

- « 1-Toutes les Eglises ont une signification dans le plan de Dieu.

- 2- La réapparition d’un christianisme judaïque est un élément essentiel de cette œuvre de Dieu.

- 3- Des groupes non dénominationnels appartiennent aussi au plan d’ensemble.

- 4- Le mouvement pentecôtiste a été la matrice de ces surprises.

- 5- Le baptême dans l’Esprit est la grâce commune269. »

Peter Hocken est prêtre catholique, a longtemps vécu aux USA, en Grande-Bretagne. Il vit actuellement à Vienne. Ses contacts sont nombreux avec toutes les confessions chrétiennes et son expérience est longue sur le plan à la fois charismatique et œcuménique. Sa lecture des événements ici décrits est engagée, spirituelle. Pour lui, l’acteur principal de ces différentes « surprises » est l’Esprit Saint ; il a également une interprétation eschatologique de ces mouvements qu’il juge inattendus, même s’il ne nie en rien les facteurs humains, historiques, sociologiques et psychologiques qui entrent également en jeu dans les expressions de ces différents courants de Pentecôte. Il s’interroge aussi sur les raisons profondes du rejet du pentecôtisme :

« Pourquoi le mouvement pentecôtiste s’est-il développé en dehors des Eglises et pourquoi a-t-il donné naissance à une nouvelle famille de dénominations ? Est-ce que cela exprime la sagesse divine, une faiblesse humaine, ou les deux à la fois ? *…+ Si l’on s’en tient aux propos railleurs des églises protestantes traditionnelles qui découvrirent le réveil pentecôtiste, il n’y avait aucun espoir réaliste pour qu’une grâce aussi radicale trouve la place de s’épanouir dans ces églises. Peut-être peut-on voir là, la sagesse de Dieu, qui a permis le rejet de cette Pentecôte, avec toute sa gamme de charismes, de façon à ce qu’elle puisse se développer librement dans de nouveaux cadres. Alors que l’indépendance des pentecôtistes les exposait à des aberrations de doctrines et de comportements, et que leur hostilité à la tradition les conduisait à l’isolement, et à une étroitesse d’esprit, leur liberté leur permettait de développer les dons et les ministères de l’Esprit en dehors des conventions et du scepticisme 270».

Cette interprétation positive et paradoxale du rejet du pentecôtisme déplace la vision œcuménique classique de la réception de ces mouvements. C’est accepter que pour un temps, il soit presque préférable 267 E. O’CONNOR, Ibid., p 35. 268 P. HOCKEN, Ibid., p 14-21. 269 Ibid., p 20-21. 270 Ibid., p 34.

que l’identité ou les dons propres à une dénomination se développent en dehors d’un cadre ecclésial préexistant. C’est toute la question de l’intégration de nouveaux courants à l’intérieur de l’Eglise tout en gardant leur pleine spécificité et leur vigueur. Parallèlement, l’exclusion en dehors du discernement intra- ecclésial comporte tous les risques d’excès, « d’aberrations de doctrines et de comportements », et contribue à en perpétuer le rejet.

Edward O’Connor, prêtre et théologien catholique lui aussi, américain mais ayant fait ses études de théologie à Paris, a été membre de l’université Notre Dame aux Etats Unis, l’une des premières à avoir été traversée par le courant charismatique dès 1967. Son approche est théologique, elle est comme celle de Peter Hocken favorable à ce mouvement qu’il estime venir de l’Esprit Saint. S’il reconnaît la dimension œcuménique des origines du Renouveau charismatique, il insiste cependant sur la redécouverte d’une réalité fondamentale dès les premiers temps de l’Eglise :

« Occasionnellement il m’est arrivé de parler de ‘pentecôtisme’ ou de ‘spiritualité pentecôtiste’. Je ne l’ai fait qu’à regret, car j’estime que ce mouvement ne doit pas être regardé comme une interprétation originale du christianisme, ni comme une nouvelle école de spiritualité, mais comme une résurgence de certains aspects, et des plus authentiques, de la vie chrétienne, aspects qui étaient quelque peu tombés dans l’oubli. A s’en tenir à l’essentiel, il n’y a qu’une seule manière d’être chrétien, une seule forme de spiritualité chrétienne ; et cela consiste à se conformer à l’image de Jésus-Christ par son Esprit qui habite en nous. Tel a toujours été le premier principe de la vie chrétienne ; nous n’avions pas besoin de pentecôtisme pour nous le faire savoir271 ».

Pour lui, il ne s’agit pas d’une nouveauté, et il ne cherche pas de continuité entre l’expérience pentecôtiste protestante, et le renouveau catholique. Il insiste sur le réveil de l’importance donnée à l’Esprit Saint dans la vie chrétienne. La dimension œcuménique est ici atténuée dans sa dimension historique, pour être recentrée avant tout sur le fondement commun de tout chrétien : « se conformer à l’image de Jésus-Christ par son Esprit qui habite en nous » : cette « vérité fondamentale » est pour lui la pierre d’angle de l’Eglise, et cette même convergence construit son unité.

Peter Hocken permet donc un modèle d’unité paradoxal : une unité qui tolère le rejet pour la croissance d’un fondement chrétien oublié, la vie selon l’Esprit Saint. Edward O’Connor en tire les conséquences dans un modèle centré sur l’identité chrétienne renouvelée par le Saint Esprit qui rassemble au-delà des différences confessionnelles. Tous deux insistent donc sur le rôle de la Pentecôte pour l’unité de l’Eglise, et la conversion de chaque confession ou assemblée en vue d’être conformée à l’image du Christ ?

D’autres vont plus loin encore: ils considèrent les passages entre confessions, du fait de cette même expérience de Pentecôte : les frontières délimitant ces trois groupes issues des trois vagues deviennent plus poreuses ; les mélanges et influences réciproques ne sont pas rares. Christopher A. Stephenson parle de « pollinisation croisée des idées théologiques venant des trois vagues, remettant progressivement en cause les frontières qui s’étaient dressées à l’apparition de chaque vague successive »272. Cette acceptation détendue des passages entre appartenances confessionnelles est plus fréquente chez les anglo-saxons et les évangéliques que dans les Eglises institutionnelles françaises.

C A. Stephenson se réjouit également de la montée de la théologie pentecôtiste universitaire : les premiers doctorats en études de la Bible, en histoire du christianisme sont obtenus dans les années soixante (la théologie pratique suit également) ; les doctorats en théologie systématique datent des années 1990 seulement. A partir de 1972, ont commencé cinq phases successives de dialogues théologiques officiels avec l’Eglise catholique.Chaque phase apermis la rédaction d’un rapport ; différents sujets ont été traités,

271 E. O’CONNOR, Ibid., p 35. 272

comme « le baptême dans l’Esprit, la glossolalie, l’Ecriture et la Tradition, Marie, la koinonia, l’évangélisation et le prosélytisme, et l’initiation chrétienne. 273 » D’autres dialogues sont aussi engagés entre l’Alliance mondiale des Eglises réformées et les pentecôtistes comme entre luthériens et pentecôtistes; des dialogues internes entre pentecôtistes (trinitaires et unitariens) sont aussi ouverts. C’est ici un œcuménisme de dialogue afin de mieux définir ce qui reste séparateur, ou ce qui pourrait être réconcilié. C.A.Stephenson conclut en soulignant que le théologien pentecôtiste Henry I.Lederle « identifie le mouvement œcuménique et le pentecôtisme *dans son sens large+ comme deux mouvements de l’Esprit du XXème siècle. *…+ H.I.Lederle suggère que les deux auraient avantage à s’associer plus étroitement à l’avenir, car bien que les deux aient émergé simultanément, ils l’ont fait chacun de leur côté274 ».

Quel est donc l’apport de la troisième vague non dénominationnelle à l’unité de l’Eglise? Comme les deux premières, elle touche des personnes de tous âges, milieux, pays, appartenances chrétiennes, dénominationnelles ou non, ou même d’origine juive ou musulmane. Elle continue à recentrer l’aspiration œcuménique sur une identité chrétienne renouvelée par l’insistance donnée aux trois personnes de la Trinité. Comme les deux autres vagues, elle connaît des déviations, des excès, des déviations et malhonnêtetés graves. Ceux-ci ne peuvent être minimisés mais ils ne peuvent occulter des témoignages positifs de renouvellement. Cette troisième vague donne une impression plus excessive, anarchique et complexe que les précédentes. Elle pénètre à l’intérieur des réalités charismatiques les plus sages. Elle est à l’origine de nouvelles Eglises aux structures plus fluides en réseau. Elle se traduit également par des rassemblements interdénominationnels vivant l’expérience de manifestations et de charismes étonnants et controversés.

La troisième onde de Pentecôte interroge donc et tend à ébranler les frontières œcuméniques ainsi que les définitions données à l’Eglise. C’est là que se situe la croissance la plus forte et même si des crises et des scandales l’atteignent, ceux-ci ne l’éteignent pas. La première onde pentecôtiste, qui demeure en forte croissance dans le monde également, pose aussi question aux Eglises historiques qui ont plus ou moins accueilli la seconde vague, ou renouveau charismatique.

Comme l’image de l’onde voudrait le suggérer, rien n’est immobile ou statique et les évolutions de chacune des vagues sont importantes à souligner : chaque onde paraît être renouvelée ou relayée à partir du centre par une nouvelle onde qui l’englobe et lui permet d’aller plus loin. Ensemble, elles interrogent sur la dynamique de l’Eglise, son cœur, ses limites.

Nous continuons notre recherche en approfondissant désormais le cas de la France, au XXème siècle et au début du XXIème siècle : Les différents courants de Pentecôte qui se sont succédé, ont-ils disparu ? Comment ont-ils été accueillis et ont-ils contribué à modifier les contours de l’Eglise en France ? Qu’en est-il aujourd’hui ?

273 Ibid., p 372, et G.TCHONANG, Ibid., Troisième Partie, p 267 à 412, étude approfondie des dialogues catholiques-pentecôtistes.

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CHAPITRE II : RECEPTION DE LA PREMIERE VAGUE DE PENTECOTE DANS LES EGLISES