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LES INDIVIDUS

4.3. LES APPROCHES MODERNES A LA CREATIVITE

5.3.2. Le Guide Rouge Michelin

Le premier Guide Michelin a été imaginé par André Michelin comme un intelligent stratagème de marketing, afin de donner le goût du voyage aux automobilistes, à une époque où le dictionnaireLarousse qualifiait le mot «tourisme» de «terme peu utilisé ». L'objectif d'André Michelin était d'augmenter, à travers ce guide, les ventes de pneumatiques qu'il avait inventés avec son frère Edouard en 1891. En 1900, quand le nombre de voitures roulant sur les routes françaises était de 2897, les frères Michelin ont d'abord offert gratuitement 35.000 copies du livre (à 400 pages) aux automobilistes français (Mesplède, 1998).

Le petit livre incluait une quantité impressionnante d'informations : l'emplacement des stations de chemin de fer et des postes ; les adresses des docteurs et des pharmaciens ; des instructions pour la maintenance des pneus et leur réparation ; mais également des indications sur les endroits où trouver du carburant, des pièces de rechange et « des hôtels sans cafard» dans plus de 2000 endroits. Le célèbre système d'étoiles était déjà en place, pas tout à fait comme aujourd'hui où elles expriment la qualité des repas, cependant, mais comme une catégorisation des hôtels et des restaurants selon la gamme des prix-une

étoile pour le meilleur marché, trois pour le plus onéreux. Le Guide Michelin fut l'objet d'améliorations et d'enrichissement constants de la part des frères Michelin. Les cartes des villes furent ajoutées comme une convenance dans le livre. Le premier Guide

Michelin fut consacré entièrement à la France, mais a été bientôt suivi par des guides des

pays étrangers. A partir de 1910, Michelin a commencé à publier des cartes routières détaillées.

En 1911, le guide acquis son symbole figuratif : l'Homme Michelin, entièrement « construit », par le réalisateur de dessins animés D'Galop, de pneumatiques. Sur l'affiche inaugurale on peut voir l'Homme Michelin levant un gobelet plein de clous, de pierres et de verre cassé, prétendant qu'il s'agissait de choses que seul un pneu Michelin pouvait «avaler ». Le titre disait : «Nunc est bibendum», une expression latine empruntée au poète Horace, signifiant «il faut maintenant boire». Presque immédiatement, l'expression devint un slogan populaire et l'Homme Michelin fut rebaptisé «Bibendum ». TI symbolise les guides de voyage et est devenu un objet d'identification instantanée dans le monde entier.

Après une interruption dans la parution entre 1915-1918, du fait de la Première Guerre Mondiale, les frères Michelin améliorèrent encore leur guide. A partir de 1920, le guide ne fut plus distribué gratuitement. Au même moment le Guide Michelin refusa toute publicité comme ressource financière, ce qui est toujours la règle aujourd'hui, les Michelin ayant la conviction que c'était la seule façon de rester impartial. En 1920, pour la première fois, le livre présentait une section consacrée aux excursions et en 1923 le système des étoiles comme système d'évaluation de qualité pour les restaurants a été arrêté. Au début, seuls les restaurants provinciaux y étaient classés, la classification n'est devenue complète qu'en 1933, quand les restaurants parisiens ont rejoint le Guide. À

l'époque, les étoiles signifiaient déjà la classification d'aujourd'hui: une étoile pour «une bonne table dans sa catégorie», deux étoiles pour «une cuisine excellente, valant un détour», et trois étoiles pour «une des meilleures tables de France, valant un voyage spécial». La première année, 23 restaurants ont reçu trois étoiles. En 1934, Michelin a

sollicité pour la première fois l'aide de ses lecteurs afin de recueillir des informations sur les hôtels et la qualité de restaurants partout en France.

Dans les années 1930, le guide fut séparé en deux, les Guides Rouges contenant les hôtels et la liste des restaurants, le Guide Vert couvrant les visites des villes et les itinéraires de voyages, toutes informations auparavant présentée dans le guide original. L'édition de 1939 gagna encore en notoriété quand les Forces Alliées le distribuèrent aux chefs de toutes les unités envoyées en Normandie, les cartes des principales villes de la région étant jugées de très bonne qualité. Entre 1940 et 1944, il Y eut, de nouveau, une interruption dans la parution du guide. TIfut à nouveau distribué en 1945 et le nombre de copies vendues n'a cessé de croître depuis. Chaque année, environ 500.000 copies sont vendues en France. Aujourd'hui, Michelin édite 400 publications diverses en huit langues différentes. En 1997, 18 millions de Guides Rouges et de Guides Verts Michelin ont été vendus dans le monde entier, les ventes en France représentant 60 pour cent du marché des cartes et 45 pour cent du marché des guides.

Le Guide Rouge Michelin-consacré aux hôtels et aux restaurants~st publié chaque année en dix éditions différentes (France, Allemagne, Bénélux, Espagne, Portugal, Italie, Grande-Bretagne et Irlande, Suisse et Europe). Le Guide Rouge Michelin France de 2000 inclut 9.798 hôtels et restaurants: dont 5.661 hôtels et 4.137 restaurants. Parmi ceux-ci, 22 se sont vus attribuer trois étoiles (un seul ayant gagné sa troisième étoile cette année, le Grand Véfour du chef Guy Martin), 70 établissements deux étoiles (parmi eux, sept restaurants à trois étoiles l'année précédentes qui en ont perdu une et quatre qui en ont gagné une) enfin 407 cuisines possèdent une étoile (40 nouveau, 36 dégradés par rapport à l'année dernière) (Rabaudy, 2000).

5.3.2.1. Le système de classification du Guide Rouge Michelin

Pour la première fois en 1936 le Guide Michelin inclut une explication de l'utilisation et de l'interprétation de son système de classification. Son but, comme décrit dans le guide,

n'est pas de classifier tous les hôtels et les restaurants en France dans un ordre de mérite. La classification par étoiles est conçue pour tenir compte de la gamme de prix de chaque établissement. Pour les restaurants à une et à deux étoiles, on attribue les étoiles pour la qualité de chaque restaurant dans son genre. Un restaurant meilleur marché, à deux étoiles, est comparablement supérieur à un restaurant à une seule étoile dans la même gamme de prix: les restaurants ne doivent pas être comparés à travers des gammes de prix. Certaines régions, comme la région lyonnaise, ont une grande tradition de bonne cuisine. Une telle région ne peut être comparée avec une région moins pourvue en matière culinaire. Les étoiles signalent «ce qu'il y a de meilleur parmi les bons» (Mesplède, 1998: 12). Les restaurants à trois étoiles sont l'objet de considérations différentes. Ils sont «au-delà de tout classement », le sommet du sommet de ce que la cuisine française peut offrir. Indépendamment de la région où ils se trouvent, tout doit être parfait : les plats, le vin, le service et le confort. Les prix ne sont pas pris en compte dans le classement des trois étoiles.

Les détails du système de classement du guide sont entourés d'un secret absolu. Très peu d'information est disponible. Le peu que l'on sait c'est que Michelin emploie des inspecteurs professionnels à temps plein, qui circulent de restaurant en restaurant. L'inspecteur Michelin typique a environ 30 ans, une formation dans l'hôtellerie et a environ dix ans d'expérience pratique dans le domaine. II y a environ 18 inspecteurs pour la France, mais leur nombre exact, comme l'ensemble du système, n'est pas révélé par Michelin. La moyenne du trajet annuel d'un inspecteur de restaurants en France est de 25.000 à 30.000 km (Rabaudy, 2000).

Chaque inspecteur est personnellement formé par le responsable (ou directeur des Services) du Guide Rouge-actuellement un Anglais (le premier non-français dans l'histoire du Guide!) Derek Brown, qui a remplacé Bernard Naegellen le premier janvier· 2001, après 32 ans au service du Guide (Sarraute, 2000). La procédure d'inspection demeure inchangée, telle qu'elle fut mise en place immédiatement après la Deuxième Guerre mondiale. Les inspecteurs visitent chaque restaurant anonymement, cachant leur vraie identité. Ils se présentent seulement si nécessaire-après avoir payé la facture-

règle dont on ne dévie jamais chez Michelin. Après chaque visite, ils écrivent un rapport détaillé qui est lu attentivement par les Services du Guide. Entre juillet et octobre de chaque année, les Services reçoivent 3000 rapports par mois, ce qui implique 12.000 appréciations. Les restaurants sont d'habitude visités entre une et cinq fois par an, les restaurants à trois étoiles étant parfois visités jusqu'à dix-sept fois dans une même année afin de s'assurer de leur constance dans l'excellence. En octobre de chaque année, les visites cessent et les inspecteurs Michelin entreprennent avec le directeur des Services de Guide de longues discussions avant d'attribuer les étoiles de l'année suivante. Le consensus est capital dans les décisions et le directeur de Services intervient seulement dans les cas rares où il n'y a pas unanimité entre les inspecteurs.

Une des caractéristiques principales du processus de sélection est le secret dont il est entouré. TI n'est permis à aucune information de filtrer jusqu'à la parution du Guide Rouge, une date traditionnellement fixée au premier mercredi du mois de mars de chaque année. Les appréciations écrites restent enfermées dans un endroit absolument secret et sont transmises à la presse 48 heures avant l'apparition du guide. Jusqu'au moment de sa sortie, même les chefs ne sont pas notifiés du destin qui les attend pour l'année à venir. L'aspiration du Guide Rouge est de conférer, si possible chaque année, une étoile supplémentaire à un restaurant à deux étoiles. Cette quasi-règle n'a été que très rarement enfreinte, lorsque à six occasions plusieurs restaurants ont été récompensés de trois étoiles la même année et quand, pendant vingt années (non-consécutives) de l'existence du Guide, aucun restaurant nouveau n'a pu atteindre la sphère sacro-sainte des établissements à trois étoiles.

Dans un pays où la cuisine est considérée comme une forme d'art, synonyme de l'âme de ses habitants, la parution de la nouvelle édition du Guide représente un événement médiatique majeur. Les gens attendent, en retenant leur souffle, de voir qui sera le nouveau chef couronné par la plus haute distinction Michelin, mais aussi quels seront les perdants, déchus de la grâce du guide-une tragédie souvent pour les acteurs.

Pour un chef français, atteindre au pinacle ou en tomber n'est pas chose insignifiante. L'obtention d'une étoile signifie une célébrité instantanée et des ventes qui, pour un restaurant nouvellement couronné par trois étoiles, peuvent grimper de 30 à 45 pour cent la première année. Les gens sont prêts à, littéralement, voyager des centaines de kilomètres pour déguster la cuisine d'un des restaurants trois étoiles. Avec seulement une vingtaine de restaurants trois étoiles dans toute la France, un dîner dans chez l'un d'eux est considéré comme étant le summum de l'expérience gastronomique française. La perte d'une étoile peut être également significative, entraînant environ 40 pour cent de pertes de revenu (Badie, 1995). Tout le monde se souvient du cas de ce chef qui s'est tué après la perte de sa troisième étoile.

La Société Michelin est très consciente de son immense pouvoir et fait très attention en donnant, et plus encore en retirant, des étoiles. La fierté de l'entreprise est d'être d'une intégrité et d'une cohérence absolues, facteurs que beaucoup considèrent comme le secret de son influence et de son succès. La politique de n'accepter aucune publicité a été renforcée en 1937, quand le guide a clairement exposé qu'« aucun hôtelier ne doit son inscription à un paiement quelconque ou à une faveur directe ou indirecte » et que «l'inscription d'un hôtel est absolument gratuite» (Mesplède, 1998 :13).

Le Guide Rouge Michelin a du faire face à de nombreuses critiques et à une non moindre concurrence. Les inspecteurs anonymes du Michelin sont réputés conservateurs, lents à

récompenser un nouveau talent ou à déclasser les établissements fatigués vivant sur leur réputation.

n

est vrai que si l'on pouvait être sûr de ne jam.ais avoir un mauvais repas en suivant le Guide Rouge, le repas pouvait, cependant, s'avérer ennuyeux et manquant de fantaisie. Au fil du temps, d'autres guides gastronomiques «plus chics» sont ainsi apparus. Derek Brown, le PDG du Guide Rouge répond à cette critique de la façon suivante:

Les gens disent que le Guide Rouge Michelin est démodé? Et Marc Veyrat ? Et Pierre Gagnaire ? Et Alain Passard ? Ils ont tous trois étoiles. Comment les gens peuvent-ils dire que le Michelin est démodé? Il n'y a personne, aujourd'hui, qui cuisine bien, d'une

façon imaginative et intéressante dont nous ne tenons pas compte. Nous pouvons être un peu lents à réagir, je l'admets, mais il y a une bonne raison pour cela. Nous devons être prudents face aux tendances dans la cuisine qui apparaissent un jour et disparaissent le lendemain. Le guide est valable pour une année entière. Nous devons nous assurer qu'un lecteur qui choisit un restaurant le trouvera bien tel qu'il est décrit dans le guide. Nous ne donnons pas d'étoile avant de pouvoir constater que la cuisine se maintient au même niveau sur une longue période. Nous sommes ici pour nos clients, pas pour les chefs. Est- ee que celui ou celle qui fait la cuisine peut assurer la même qualité chaque fois? Nos étoiles récompensent la constance, la régularité et la cohérence. Si vous y allez aujourd'hui et que j'y vais dans six mois, nous devons tous deux avoir la même qualité de repas. Pas juste un plat, mais l'ensemble. Ce n'est pas une excuse que le chef ait eu une mauvaise journée ou qu'il était absent. De même, nous ne nous précipitons pas à enlever une étoile non plus, nous donnons aux chefs une seconde chance, nous allons les voir, plusieurs fois par an, nous attendons souvent dix-huit mois, et c'est seulement si nous constatons que quelque chose est régulièrement mauvais que nous retirons l'étoile. La distinction entre une cuisine de très haut niveau et celle qui ne l'est pas est souvent infime. La moindre distraction peut résulter en un repas qui ne vaut pas trois étoiles, mais nous attendons, avant d'enlever une étoile, de voir quelque chose de réellement mauvais.

Nous nous méfions des commentateurs qui se considèrent comme les leaders d'opinion et les porte-parole de la mode, nous faisons nos guides pour le grand public. Nous disons: tel restaurant est un excellent restaurant et vaut toujours la peine d'y aller, même s'il n'est pas «branché ». Les gens critiquent Rocuse et disent qu'il ne mérite plus ses trois

étoiles, mais c'est faux. Peut-être ne fait-il pas de.fa cuisine contemporaine, mais il y a beaucoup de gens qui aiment son restaurant, la cuisine y est excellente, le restaurant a du style et il est toujours plein. Nous n'avons absolument aucun intérêt àpriser qui que ce soit, cela nous est égal qu'un chef ait une, deux ou trois étoiles: nous donnons les étoiles àcelui qui les vaut.

Malgré la critique, le Guide Rouge Michelin résiste à la concurrence, grâce à son absolue cohérence et grâce, en partie, à la prise en compte des quelques 23,000 lettres qu'il reçoit par an de ses lecteurs avec leurs commentaires (Rabaudy, 2000). Avec ses cartes pratiques et ses symboles, le Guide Rouge est toujours le best-seller parmi les guides gastronomiques en France. En 2000, 880.254 copies de la seule édition française ont été imprimées. TI est toujours considéré comme étant «la bible » par les critiques de restaurants, les cuisiniers et les clients.