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3.1. INTRODUCTION

Le caractère national (le concept étant ici pris dans une large acception de façon à pouvoir intégrer les styles de leadership et les pratiques organisationnelles d'une nation) est amalgamé à sa culture. La notion de caractère suppose des types de comportement profondément ancrés, cohérents et relativement durables, c'est à dire la façon habituelle par laquelle un individu maîtrise la réalité externe et interne. La notion de culture, de son côté, incarne les idéaux, les valeurs et les postulats de base qui servent de fondement à la Société, sont largement répandu dans la population et servent de modèles comportementaux. La culture peut être considérée comme «la régularité d'un comportement partagé» ou « la programmation collective de l'esprit ». Les idéaux, les valeurs et les postulats de base incarnés par la culture contribuent aux normes communes, aux coutumes, aux rituels, aux cérémonies et aux perceptions «du bien et du mal ». Ces valeurs culturelles sont apprises, transmises de générationàgénération par les parents, les enseignants et tous les autres individus ayant de l'influence dans la communauté. Ces pratiques éducationnelles spécifiques à une culture donnée jouent un rôle important dans la formation des modèles cognitifs, affectifs et comportementaux des individus.

Les caractéristiques structurelles d'une organisation sont fortement influencées par la culture nationale. Les principales différences culturelles entre Sociétés se retrouvent dans la forme et le fonctionnement de leurs organisations (Child, 1981; Crozier, 1964; Dore, 1973; Lammers & Hickson, 1979; Landsberger, 1970). Selon Crozier (1964), les organisations françaises sont modelées par l'ensemble distinctif des croyances culturelles uniqueàla France. Les situations et les relations d'autorité sont, selon lui, déterminés par des traits culturels fondamentaux.et les renforcent en retour. Lammers et Hickson (1979),

dans une synthèse de plusieurs études sur les différences interculturelles au sein des organisations, décrivent l'existence d'au moins trois formes culturelles distinctes. L'une d'entre elles, le type latin, présente dans les organisations françaises, italiennes et espagnoles, se caractérise par une forte centralisation, une stratification rigide, des inégalités sensibles entre niveaux hiérarchiques et des conflits autour des domaines d'incertitude.

Les explications historiques des différences culturelles montrent que si les modes de pensée et de comportement des acteurs sociaux peuvent être analysés comme un Produit culturel, les diverses cultures sont elles-mêmes le produit de l'histoire de leur peuple et de leur civilisation. C'est particulièrement vrai dans le cas de la France (Platt, 1994). Les Français sont très conscients de leur histoire, qui influence tous les domaines, jusqu'au monde des affaires. Les Français se considèrent comme les héritiers des Grecs pour la pensée abstraite- mathématiques et philosophie-et dans la poursuite des arts et des sciences. Des Romains, les Français ont hérité l'ingénierie, la hiérarchie, la splendeur impériale et la gloire, l'hégémonie masculine et leur langue. Pour comprendre la façon dont le pays fonctionne, il faut s'attacher aux sources historiques du développement des organisations actuelles et au comportement de ses acteurs sociaux.

Il existe une tradition de leader en France, dotée de pouvoir et de prestige, qui puise sa source dans la tradition romaine (platt, 1994). Les bureaucrates romains possédaient rang et privilèges ( défendus avec autant d'acharnement que des grades dans l'année) au sein d'une hiérarchie fortement centralisée qui aboutissait directement à l'Empereur. Louis XIV a adapté un système similaire en France. Il a augmenté les rangs des fonctionnaires royaux et centralisé leur organisation en une pyramide rigide qui culminait àsa personne, le représentant de Dieu sur terre. Avec l'aide de l'ingénieur Colbert et une force de police secrète, il connaissait jusqu'au moindre détail ce qui se passait dans son royaume et, ce, en partie parce qu'il tenait àapprouver personnellement chaque dépense engagée. A cette époque, le monde des affaires et du commerce étaient traditionnellement moins prestigieux, parce qu'interdits à l' Aristocratie qui ne pouvait se distinguer que dans le domaine militaire. Les ingénieurs jouissaient eux aussi d'un grand prestige, Louis XIV

voyant dans les fortifications et les machines de guerre qu'ils concevaient la promesse de triomphes militaires. En temps de paix, ces artisans fournirent la France en réalisations architecturales prestigieuses. Cet ordre de choses continua à travers de l'histoire jusqu'à la Révolution, qui était censée de tout changer. Or, ceci ne fut pas le cas.

Tocqueville parle, dans L'Ancien Régime et la Révolution (1887), de la continuité paradoxale de l'ancienne France dans la nouvelle, de la monarchie absolue et du radicalisme révolutionnaire. Tocqueville démontre que la Révolution était inéluctable, nécessaire, légitime, malgré ses excès, car c'était la seule fàçon de détruire les abus, d'affianchir le peuple et notamment les paysans. Selon Tocqueville, la Révolution n'a d'aucune façon créée la centralisation exagérée dont elle est accusée, ni les instruments de sa tyrannie, car tout cela existait avant elle. Bien que «le corps physique» du Roi fut éliminé, la centralisation excessive et la fàçon extrêmement administrative donc fut géré le pays déjà à l'époque de Louis XIV continue jusqu'à nos jours. Tocqueville propose aussi que la Révolution ait repris toute la machine gouvernementale de l'ancien régime et qu'elle a, à son tour, constitué un Etat tel qu'au bout de quelques années, la France a été ramenée à une tyrannie plus logique, plus égale, mais plus profonde que l'ancienne.

Napoléon Bonaparte poursuivit dans la même verne en resserrant les rangs d'une administration déjà centralisée et en rétablissant un gouvernement encore plus autoritaire et centralisé que celui de Louis XIV. A l'image du gouverneur ou préfet Romain dans la Gaule antique, haut fonctionnaire de l'armée ou de l'administration, avec des droits « divins» et responsable seulement devant l'Empereur, Napoléon Premier installa des dieux-préfets dans tous les départements, responsables seulement à Paris. De même, l'organisation des entreprises françaises plonge ses racine dans l'armée (cadre, le mot :françaispour manager, signifie officier), ce qui lui donne de la clarté, de l'élégance et de l'importance (Platt, 1994).

Héritier de leur histoire, le principe d'organisation adopté par les Français face aux dilemmes et aux demandes organisationnelles (D'lnDame, 1989) vise à d'abord assurer l'ordre et la perfonnance en clarifiant les rapports hiérarchiques d'autorité entre les

acteurs. Dans son étude comparative de trois organisations, une française, une américaine et une hollandaise, Philippe D'lnbame (1989) qualifie le principe d'organisation à la française de «logique de l'honneur ». Ce principe, déjà présent dans la monarchie française avant Napoléon, signifie que chacun possède un rang, mais que l'appartenance à ce rang est moins imposée par le groupe que détenniné par la tradition. Ce n'est pas «tant ce que l'on doit à d'autres que ce que l'on doit à soi-même» (D'lnbame, 1989:59). On pourrait presque dire une forme stratifiée d'individualisme.

Toujours selon D'Iribane, les Français possèdent un grand sens de l'honneur. Ce sentiment est plus important que des choses comme l'argent, la carrière, etc. La logique est ici d'accomplir les devoirs qui sont définis par l'usage. Dans la Société française, les groupes trouvent leur identité dans les devoirs qu'ils sont censés avoir: leur logique est de bien faire son travail et d'être fière de ce travail bien fait. La notion de « connaître son travail» recouvre non seulement les aspects techniques du travail mais aussi les objectifs et les devoirs que cela impose. Devoirs et privilèges fabriquent l'identité de chaque groupe social.

D'lnbame (1989) emploie la définition d'honneur développée par Montesquieu qui dit que l'honneur est le préjugé de chaque personne et de chaque condition. L'honneur n'est ainsi défini ni par la loi, ni par la raison. Seule la tradition détennine quel genre du travail et quel groupe social est honorable ou ne l'est pas. Traditionnellement, être ingénieur est honorable, être commerçant ne l'est pas. «Les Français sont fiers de leurs accomplissements dans histoire et de leurs contnbutions à la culture mondiale» (Hall & Hall, 1990:94. L'importance que revêtent la fierté et le respect de soi en France est ainsi un facteur qui influence fortement la culture organisationnelle française.

Un des aspects les plus importants de la culture nationale française est le concept de l'autorité du leader. « Servir» n'a pas de tradition culturellement détenninée en France, tandis que l'autorité de leadership en a. Pour les managers français, le modèle de l'organisation est centré sur la personne et son aspect social (Amado, Faucheux, &

géré, un système de personnes organisées dans une hiérarchie sociale. L'autorité est distnl>uée verticalement, chaque acteur possédant l'autorité nécessaire pour apporter la contnl>ution exigée de sa personne dans le système

Hall et Hall, en étudiant la psychologie du caractère français, (1990 :105-06) ont constaté que, avec quelque généralisation, les Français ont «une nette préférence pour l'individualité au détriment de la conformité; une tendance au comportement autocratique; du perfectionnisme dans leur style et leurs manières; sont préoccupés de statut, de rang et de forme; sont impatients; ressentent des conflits intérieurs entre émotions et pragmatisme ou logique; sont pessimistes; ont un sens de l'humour; sont traditionnels et créatifs».

Hofstede (1984), dans son analyse de la variation, entre différentes Sociétés, des valeurs culturelles entrant en ligne de compte dans les organisations, identifie quatre dimensions-la distance au pouvoir, la tendance à éviter l'incertitude, l'individualisme et la masculinité. La plus ou moins grande valeur associée àces dimensions est directement corrélée aux caractéristiques des structures et pratiques de l'organisation. Par exemple, les cultures avec une grande inégalité de pouvoir sont celles qui possèdent les organisations les plus fortement centralisées, une plus grande proportion de personnel d'encadrement et de gestionnaires et qui présentent les plus fortes disparités entre niveaux de qualification et de salaire.

Dans la recherche de Hofstede (1991) sur la hiérarchie au sein de différentes cultures, la France occupe le rang 15/16 sur 53, avec la première position représentant la plus grande distance du pouvoir et la 53ème la plus petite. Ce classement attribue une haute valeur à la

distance du pouvoir en France, allant de paire avec une dépendance considérable des subordonnés envers leurs patrons. La France a une longue tradition de rigidité hiérarchique, de respect pour l'autorité et de centralisation. La position du Président de la République en France en est l'exemple par excellence: il est un des Présidents les plus puissants du monde démocratique (The Economist, 2000); il est le chef de l'exécutif: le chef de l'Etat et le commandant en chef de l'armée ; il a le pouvoir de nonnner le Premier

ministre, de dissoudre l'Assemblée Nationale, de choisir les juges suprêmes; il est également le chef du Conseil Constitutionnel, peut déclarer l'état d'urgence, envoyer les soldats à la guerre et appuyer sur le bouton nucléaire.

Beaucoup d'études sont arrivées à des résuhats comparables dans le monde des affaires. Selon Barsoux & Lawrence (1997), les entreprises françaises sont fortement hiérarchiques avec un pouvoir très centralisé entre les mains du président-directeur- général (pDG). Selon Hall et Hall (1990), le comportement des dirigeants français est nettement autocratique. Les décisions sont le fait du leader et les cadres se réfèrent à leurs cadres supérieurs pour toute transaction. D'Inbarne (1989) décrit les images d'Epinal de la hiérarchie française : la centralisation, le pouvoir fort du patron, la distance entre supérieur et subordonné. La prédominance d'un individu prévaut particulièrement dans les petites entreprises, mais également dans les plus grandes où le PDG est aussi le fondateur et a une vision forte de l'entreprise (Jack, 1999: 175).

Une autre dimension joue un rôle important dans la culture managériale en France :il s'agit de la tendance très individualiste de la culture nationale. Dans le classement d'Hofstede des pays individualistes à l'opposé des pays collectivistes, la France occupe la position 10/11 parmi 53 pays (plus le chi:l:ITeest bas, plus le pays est individualiste). La France a, ainsi, la réputation d'une société individualiste avec tous ses attributs: par exemple l'absence d'esprit d'équipe, l'insensibilité aux besoins d'autrui, une aversion à suivre la foule (Hall et Hall, 1990). La France pour les Français est unique, remarquable, différente de tous les autres pays. L'importance qui est ainsi conférée au fait d'être différent, le respect dont jouit l'individualité ne facilite pas le développement d'un esprit d'équipe ou la coopération entre personnes. La coopération est réalisée au moyen de l'autorité.

La France combine une distance moyenne au pouvoir avec un individualisme fort. Selon la vision sociale française de l'organisation, l'autorité est un attnbut de la personne qui l'exerce. Aucune différentiation n'est faite entre l'autorité fonctionnelle et l'autorité personnelle. Nous trouverons un modèle plus charismatique dans les pays Anglo-saxons

et ceux de l'Amérique latine. Les Américains et les Américains du Sud attendent de leurs leaders qu'ils soient affinnatifs et décisifs. Ils aiment que leurs leaders prennent les choses en main. Ils veulent qu'ils soient colorés, visibles. Ils recherchent des personnes avec qui s'identifier. Ils cherchent des leaders qui contournent les règles et qui les guident d'une manière forte et charismatique.

Puisque l'autorité est investie dans la personne plutôt que dans la fonction (Hofstede, 1984), le manager français se subordonnera à son patron, démontrant sa fidélité, parfois même sa déférence. La relation hiérarchique est personnalisée : l'autorité ne peut être remise en cause sur des bases rationnelles. En cas de désaccord, le subordonné exprimera sa réaction à travers son comportement, sous forme de replis ou, souvent, de rébellion. Souvent, les sacro-saints principes de hiérarchie supposés régler les relations entre personnes sont plus forts que «la loi de la situation» si cher aux Anglo-Saxons. Le contournement hiérarchique est inacceptable. Tout ce qui peut mettre en question le dogme de la commande unique, la barrière mentale du réflexe de centralisation et les exigences de contrôle sont rejetées. Les structures organisationnelles sont le reflet de la stratification sociale, elle-même induisant la différence de statut.

3.2. LES SOURCES DES MODELES

CULTURELS

CHEZ