• Aucun résultat trouvé

LES INDIVIDUS

4.2. L'IDSTOIRE DE LA CREATIVITE

La réflexion des anciens grecs sur la créativité recouvrait deux activités humaines, la sculpture et la poésie. Ils eurent tendance, cependant, à préférer cette dernière en tant que spécimen idéal de l'ingéniosité humaine, car sa substance était par nature exactement adaptée à la philosophie du Logos des Platoniciens. Platon lui-même avait, dans sa jeunesse, été poète. Il a mis en exergue le rôle de l'inspiration « divine» dans le travail créateur et considérait tout créateur comme le favori des dieux. Aristote fut le premier à unir les différentes disciplines que représentaient la philosophie, l'esthétique et la rhétorique dans la poésie, réunissant ainsi la primauté platonicienne de l'inspiration et la reconnaissance du métier, la compétence, la construction et la pratique. Les Pythagoriciens ont, de leur côté, souligné un autre aspect de la créativité, à savoir la

découverte, qui incluait les mathématiques et la capacité à une abstraction de haut niveau dans le spectre du travail créateur (Pruyser, 1979).

L'héritage grec considérait ainsi une grande variété d'activités comme étant des travaux créateurs : la poésie, les jeux, les objets d'art, la musique, les mythes et les théories. Il considérait les théories comme travaux créateurs si, comme les mythes, elles pouvaient révéler quelque chose de la nature, autrement insondable, de la volonté des dieux. Platon et Aristote étaient fortement convaincus que, pour qu'un travail puisse être appelé créateur, il devait avoir un impact social, soit plaire, soit créer une catharsis d'attitudes ou de sentiments en conflit, soit donner à l'humanité une compréhension plus aiguë de la bonté, de la beauté et de la vérité. Selon eux, les travaux créateurs étaient des cas particuliers de marchandises culturelles, civilisés et éducatifs, élevant l'humanité au- dessus des soucis de la vie quotidienne. Les grecs ont également vu un rapport entre la créativité et l'éducation, dans la mesure où ils observaient une multiplication de travaux créateurs dans la polis, la cité organisée, où l'éducation était une des valeurs fondamentales.

Avec l'apparition de la civilisation occidentale, d'autres travaux créateurs ont été ajoutés à ceux qui existaient déjà, sans, cependant, susciter de réelle réflexion sur la créativité au niveau social. La création y était considérée comme la prérogative de la Sainte Trinité chrétienne et les mortels étaient limités à la conservation de l'ordre existant et à la construction de choses diverses à partir de ses cadeaux. L'homme était capable de faire, mais pas de créer et certainement pas à partir de rien.

Ce fut seulement après le début de la"Renaissance, dont l'esprit a été décrit comme «la découverte de l'individu», qu'on a pu s'inquiéter explicitement de la créativité humaine et du désir humain d'être créateur. Les copistes médiévaux et les artisans ont commencé à le céder au.'{inventeurs, aux innovateurs, aux découvreurs, aux penseurs et aux individus déterminés à découvrir quelque chose de nouveau. Il y eut à cette époque un désir très fort dans l'ensemble de la société de laisser le passé derrière soi et de construire une nouvelle image du monde. Ceci, dans un certain sens, n'était que la redécouverte d'un

passé ancien et oublié, comme les travaux perdus d'Aristote et l'héritage négligé de la Grèce et de Rome. L'homme de la Renaissance avait également l'ambition d'exceller dans différents domaines et non plus dans un seul et se concentrait sur un large éventail de travaux pour exprimer ce désir. Les arts visuels, l'ingénierie civile et militaire, la poésie, les sciences humaines, l'astronomie, les sciences naturelles et même les joutes érotiques--tout était sujet à expérimentation et toutes les activités étaient considérées comme se renforçant mutuellement les unes les autres, et donnant l'occasion aux individus créateurs d'exercer leurs talents. La pratique de plus en plus répandue de commissions, de bourses et de mécénat de la part des puissants autours des travaux créateurs ont abouti à leur validation sociale, tant que ces produits nouveaux n'étaient pas en contradiction avec les doctrines officielles de l'Église ou de l'État. L'activité créatrice de la Renai~ce prit un tel essor, qu'elle donna des travaux tels que ceux de Grotius qui a formulé une loi des mers et une loi des relations internationales et ceux de Descartes qui a remplacé la méditation sur Dieu par celle sur la conscience humaine.

Les siècles après la Renaissance ont w l'apparition d'un nombre croissant de travaux créatifs au caractère plus éphémère que les œuvres qui les avaient précédés. Cela a coihcidé avec l'émergence des sciences expérimentales ou de laboratoire, avec leur concentration sur la méthode, l'observation prudente, la vérification, le contrôle et l'isolement de variables, la formation et la mise à l'épreuve des hypothèses. Dans la mesure où la nature inaccessible de ces travaux en à écarté la validation ou une récompense sociale immédiate, au contraire des oeuvres tangIbles, la notion de validation sociale et l'appréciation de ces travaux comme critères d'une créativité reconnue ont commencé à perdre de la force. La validation populaire qui a précédé, seule habilitée à reconnaître les travaux créateurs, a été suivie par une époque d'experts, qui en sont devenus les interprètes, les avocats ou les vulgarisateurs, et dont ils ne présentaient que quelques segments au public.

Le mouvement Romantique est né de cette vision élitiste de la création, qui a surtout contnbué aux arts et la littérature. Les artistes Romantiques, les poètes, les écrivains se considéraient comme des âmes sans foyer, par définition étrangers aux masses, et qui ne

pouvaient trouver de consolation qu'auprès d'un petit groupe d'âmes également étrangères. Ils se considéraient non comme des artisans mais comme de purs artistes. Le manque d'appréciation du grand public ne les déroutait pas, tant que quelques-uns appréciaient leurs travaux, ce qui contnbua à renforcer leur sentiment d'être des génies mal compris. L'unique but de leur travail était d'exprimer leur personnalité, indépendamment du goût des convenances et souvent d'une façon à provoquer le scandale public. L'art était pratiqué pour l'amour de l'art, indépendamment du soucis de l'utile ou des aspects pratiques. Leurs intentions intimes validaient leur travail, plutôt que la reCOllnaissancesociale de la créativité validant leur talent créateur.

Cette pratique a, jusqu'à un certain degré, perduré jusqu'aux temps modernes, en ce sens que popularité et créativité sont souvent considérées comme des notions antagoniques. Cette attitude fàit que le recensement des œuvres considérées, de l'avis général, comme créatives, comprend une très grande marge d'incertitude. Dans le même temps, avec l'émergence des disciplines psychologiques et psychiatriques, de nouvelles œuvres, intanglbles, ont été reconnues comme créatives. Les blagues et les rêves en sont deux. Les psychanalystes considèrent les blagues, les bons mots comme étant créateurs dans le sens qu'ils sont un compromis entre des émotions ou des idées moralement incompatibles et ont un impact puissant sur leur auditoire en le faisant rire. L'élément créatif dans les rêves a été largement décrit, particulièrement le rôle auxiliaire du rêve dans la préparation d'un individu à une nouvelle idée créatrice. Du moment où ces produits éphémères de l'esprit humain ont été acceptés comme des manifestations créatives, il y eut un changement radical de la perspective habituelle sur la créativité. L'attribution d'une créativité potentielle ou réelle est devenue accessible à un large nombre d'individus, attribuable à de nombreux produits, processus ou circonstances.