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L'approche socio-économique de la consommation d'objets de luxe

FOURNISSEUR D'OBJETS DE LUXE

6.3. LES RESTAURANTS GASTRONOMIQUES: LES

6.3.3. L'approche socio-économique de la consommation d'objets de luxe

Les modèles sociologiques se réfèrent au concept d'utilité sociale, expliquant la préférence pom un certain produit et la satisfaction tirée de sa consommation par les influences de l'environnement. Ce point de vue se retrouve dans la théorie de la consommation ostentatoire, dont font partie le plaisir ou le gaspillage ostentatoire.

6.3.3.1. La théorie de la consommation ostentatoire

Le terme de «consommation ostentatoire» a été inventé par Thorstein Veblen en 1889. Selon le dictionnaire Le Robert (1974) l'ostentation est «la mise en valem excessive et indiscrète de quelque avantage matériel ou moral» (t. 4, p. 795). Le Random Bouse

Dictionary (1966) définit de son côté la consommation ostentatoire comme la jouissance

publique de biens réputés coûteux pom souligner sa capacité à payer pom telles choses (p. 313) ; et le gaspillage ostentatoire comme la démonstration publique que l'on n'a pas besoin d'économiser, illustré par un gaspillage extravagant (p. 313). Les définitions de l'ostentation et de la consommation ostentatoire attribuent généralement différentes

connotations négatives au concept, comme «le fait d'être gaspilleur », «l'indiscrétion », «l'excès », « la prétention », ou« la manière de se faire remarquer de façon indésirable ».

Veblen analyse la consommation des produits de luxe à la lumière de la position sociale de l'acheteur. Selon sa théorie, un individu acquiert un produit de luxe pour s'élever ou maintenir sa position sociale par rapport à un groupe de référence. Un des points soulignés par Veblen est que, petit àpetit, la consommation ostentatoire s'est substituéeà

l'expression originale de la position sociale élevée-Ie loisir ostentatoire-comme indicateur de richesse et de statut. Ce changement est dû à différents facteurs. Un d'entre eux tient au fait que la majorité des individus acquièrent aujourd'hui leur richesse non par héritage, mais par le travail et que la notion de loisir est désormais associée à celle de chômage et n'est plus, comme ce fut le cas, le symbole de la noblesse inoccupée.

Un autre élément qui a concouru au remplacement de la consommation par le loisir est que la consommation ostentatoire est, par définition, visible par un public beaucoup plus large que celui du loisir, d'habitude réduit à l'environnement immédiat. Le gaspillage ostentatoire est, selon Veblen, la forme extrême de la démonstration de la richesse individuelle, qui consiste à montrer aux autres que sa fortune est telle que l'on peut se permettre de détruire des produits de valeur et les remplacer par de nouveaux de valeur semblable.

Un autre phénomène décrit par Veblen, connu aujourd'hui sous le nom «d'effet Veblen », est que la demande pour certains produits augmente avec leur prix, l'augmentation de leur valeur indiquant la richesse de leur propriétaire.

Leibenstein 1950) a complété les théories de Veblen par la description de deux autres phénomènes : «l'effet d'imitation» (<< bandwagon effect ») et «l'effet de snobisme»

(<< snob effect »). L'effet d'imitation implique le besoin de ressembler aux autres provoquant l'achat de produits qui ont été acquis par ceux là mêmes à qui l'on désire ressembler. L'effet de snobisme est exactement l'inverse: c'est le besoin de se

différencier des autres, en acquérant les objets que seule l'élite possède et en se détournant des produits plus répandus.

Selon Leibenstein, il y a une différence entre le prix réel d'un produit et son prix « ostentatoire », ce dernier reflétant le prix que les autres pensent que l'individu a payé. C'est ce prix ostentatoire qui détermine l'attraction du produit pour l'acheteur. Mason (1981) définit de son côté la consommation ostentatoire comme «motivée par le désir d'impressionner les autres avec la capacité à payer des prix particulièrement élevés pour des produits de prestige ». Selon lui, la consommation ostentatoire est d'avantage motivée par des considérations sociales que par l'utilité économique des produits.

En construisant sa recherche sur les théories psychologiques de la motivation individuelle d'Adam Smith, Mason (1981) s'attache à décrire l'histoire de la consommation des objets de luxe, en citant différents facteurs à l'origine d'un tel comportement. Parmi les facteurs psychologiques Mason cite l'auto gratification, l'indépendance, le désir d'une satisfaction personnelle maximale, la vanité, la dominance, la compétitivité, l'agressivité, (c'est-à-dire le besoin de s'estimer supérieur aux autres individus). Netemeyer, Burton, & Lichtenstein (1995) appellent le fait de se préoccuper de son aspect physique « la vanité physique », à l'inverse de « la vanité du succès» qui est la préoccupation excessive de son le succès extérieur. La première est responsable du plaisir hédoniste dérivé de la possession d'objets de luxe, tandis que la seconde se situe plutôt dans la catégorie sociologique de la consommation ostentatoire.

Les facteurs sociologiques décrits par Mason ont trait à l'environnement social de l'individu, à la rigidité de la stratification sociale, aux normes et valeurs sociales et culturelles qui exercent une force considérable sur son besoin de reconnaissance en terme de position et de statut social. Mason distingue entre le besoin de montrer son statut social afin d'acquérir un statut plus élevé (l'orientation verticale) en accédant à un groupe social différent et celui qui a pour but de maintenir son statut social (l'orientation horizontale) au sein de son groupe de référence actuel. Mason souligne d'avantage

l'importance des variables sociologiques, versus les variables psychologiques, selon l'argwnent que l'acte de consommation implique le plus souvent plus d'un individu.

Mason évoque également l'influence sociologique que les variables économiques peuvent avoir, comme la relativité des revenus en comparaison avec d'autres membres de son environnement social et l'inégalité de la distribution de revenus dans un groupe social.

6.3.3.2. Bourdieu et la théorie de la reproduction sociale

Bourdieu, dans sa théorie de la reproduction sociale, explique comment les individus développent leurs goûts et l'influence que ceux-ci ont sur leur comportement d'êtres sociaux et de consommateurs (Bourdieu, 1979; Moingeon, 1993).

Selon Bourdieu, la société est subdivisée en différentes sphères sociales (ou champs sociaux). Les individus agissent dans une certaine sphère sociale déterminée, dans laquelle ils possèdent une certaine quantité de « capital » sous forme de ressources et de pouvoir. Ces ressources peuvent être subjectives, comme les dispositions individuelles, ou objectives, comme la richesse, les titres hérités ou les titres scolaires, etc.

La position occupée par chaque individu dans sa sphère particulière est déterminée par trois sortes de «capital» que chacun possède à un certain degré : «le capital économique », «le capital culturel» et «le capital social». La notion de capital économique est utilisée dans son sens classique et induit le fait qu'un individu peut acquérir des produits de luxe. Bourdieu ne s'approfondit pas dans ce sujet et préfere se concentrer sur les questions plus complexes du capital culturel et du capital social.

Le capital culturel est un acquis qui nécessite un investissement considérable de la part de l'individu. La façon dont le capital culturel est acquis dépend en partie des dispositions individuelles mais dans une plus grande mesure du capital culturel de l'environnement, à travers la famille, la classe sociale et l'éducation auxquelles l'environnement expose tout

individu. Le capital culturel s'enracine profondément dans l'individu et se transforme en habitus. La notion d'habitus a d'abord été définie par Mauss (Reitter, 1985). L'habitus est formé par le conditionnement social, qui crée un système de dispositions que la personne acquiert au cours de son histoire personnelle dans un environnement social donné. Ce système profondément enraciné de dispositions structure alors l'individu et détermine culturellement et socialement sa pensée et son comportement. Les classes sociales sont une collection d'individus ayant des habitudes et des comportements semblables, signalant que ces individus ont été élevés dans le même environnement social. Ainsi, l'habitus et le comportement d'un individu indiquent clairement son appartenance à une certaine classe sociale. Les classes sociales nommées par Bourdieu sont la classe ouvrière, la petite bourgeoisie et la grande bourgeoisie. Bourdieu souligne le caractère inconscient du développement de l'habitus chez une personne et de sa position dans une classe sociale donnée.

Puisque le capital culturel est transmis de génération à génération par l'environnement de l'individu, ses aptitudes et ses connaissances individus sont appropriées à sa classe sociale. De ce fait, en se fondant sur leurs modèles de consommation de produits et de services culturels, on peut classer les individus dans leur classe sociale respective. Le capital économique permet aux individus d'acquérir des habitudes de consommation propre aux classes sociales supérieures à la leur et auxquelles ils aspirent. Néanmoins, ce capital économique ne compense pas toujours les défauts culturels et éducatifs dont souffre l'individu, faute d'avoir été exposé dès ses débuts à l'environnement culturel de la classe sociale à laquelle il ou elle aspire.

Le capital social, selon Bourdieu (1979), est composé d'un réseau de contacts et de rapports utiles qu'un individu est capable d'utiliser et d'exploiter, à court et à long terme. La quantité de capital social que possède chaque individu dépend de la taille de son réseau et de la quantité de capital économique, culturel et social de chacun des membres de ce réseau. De ce fait, les individus ont tendance à bénéficier eux-mêmes du capital économique, social et culturel de leur réseau social. La possession du capital économique, culturel et social sert des buts différents selon les différentes sphères sociales.

En effet, toujours selon Bourdieu, c'est la sphère sociale de l'individu qui détermine sa motivation pour la consommation d'objets de luxe socialement visibles. La signification d'une telle consommation, pour les élites anciennement établies, est d'indiquer leur appartenance à une sphère exclusive et de se différencier des autres sphères, inférieures. Les individus qui ne se trouvent pas au sommet de la hiérarchie sociale désirent se différencier des membres de leur propre sphère sociale en essayant d'entrer dans celle des élites anciennement établies. Ils le font en acquérant d'avantage de cap~omme la richesse, l'éducation, ou les titres. Les individus des sphères sociales inférieures qui s'engagent dans la consommation d'objets de luxe sont ainsi motivés par le désir de créer une distance d'avec leur sphère sociale d'origine et de se procurer un sens de légitimité en faisant montre d'une style de vie semblable aux membres de la classe sociale dans laquelle ils espèrent entrer.

Les élites anciennement établies des classes supérieures sont, de leur côté, préoccupés de protéger, autant qu'ils le peuvent, leur propre sphère sociale de «la menace» que représentent ces« étrangers». Leur façon d'agir et de prévenir les membres de leur classe du danger que comporte l'infiltration de ces «parvenus» dans leurs cercles est de dénoncer le mauvais goût de leur richesse ostentatoire et leurs prouesses financières. En opposant la richesse et la position nouvellement acquise de leurs adversaires àleur propre capital cuhurel et social, à leurs goûts traditionnels dont la valeur vient du fait qu'ils ont été acquis sur plusieurs siècles et qu'on ne peut les répliquer sur la durée d'une vie, les anciennes élites réussissent à élever le conflit à un niveau où leur supériorité est incontestée.

En conséquence, les représentants des classes dominantes, s'ils veulent maintenir leur position dominante dans la détermination du goût et des manières, doivent se détourner des produits et des services trop répandus et « vulgarisés» par les individus prétendants à

statut social plus élevé, et se tourner plutôt vers d'autres produits et services qui rétablissent leur propre distinction. Cette dynamique aboutit au phénomène du

développement constant des goûts et des manières et, donc, des modèles de consommation dans la société.

6.3.3.3. Les clients des restaurants gastronomiques

Parmi les clients de restaurants gastronomiques, observés au cours de cette étude, qu'il s'agisse de clients réguliers ou de clients épisodiques, on a pu observer que certaines classes sociales étaient très souvent représentées, tandis que d'autres l'étaient moins. Ainsi les membres des élites anciennement établies ont tendance à avoir un restaurant de prédilection auquel ils retournent à maintes reprises. Taillevent à Paris est l'un de ces restaurants. Il s'agit du restaurant le plus ancien (depuis 1973) parmi les trois étoilés Michelin, qui comprend de nombreux habitués venant chaque semaine, ainsi que des membres de différentes générations d'une même famille venant régulièrement pour célébrer des événements familiaux. Dans de pareils cas, la visite au restaurant est devenue une tradition fàmilialeprofondément enracinée ou, comme Bourdieu l'appelle, un habitus.

Un certain segment de clients, parmi lequel les individus nouvellement enrichis, ont tendance à se disperser entre plusieurs grands restaurants. Les résultats de la recherche montrent que les membres de cette sphère sociale ont tendanceà fréquenter fréquemment certains établissementsàdéjeuner dans un but de représentation et d'en visiter d'autres pour des occasions fmnili~les,lors du déjeuner du week-end ou le dîner. Dans ce groupe nous trouvons les individus, qui, après avoir considérablement accru leur capital économique, se sont également engagés dans la poursuite de l'élévation de leur capital social et cuhureL

Les excursionnistes suivent, quant à eux, un modèle différent. Ils ont tendance à ne fréquenter des restaurants gastronomiques que rarement et, quand ils le font, ils ne se sentent pas complètement à l'aise. Ces individus sont souvent les membres d'une sphère sociale où le capital culturel n'inclut pas les règles implicites et le comportement que la fréquentation d'un grand restaurant exige. Ce groupe de consommateurs est le plus

exigeant de toutes les catégories et aussi le plus facilement déçu par l'expérience. Ce qui est en partie attribuable aux très fortes attentes qu'ils entretiennent, en raison de leur manque d'expérience réelle de ce type de restaurant, et en partie à la rareté avec laquelle ils fréquentent de tels restaurants et donc de l'importance qu'ils accordent à ces occasions.

6.3.3.4. L'interactionnisme symbolique

Le modèle de l'interactionnisme symbolique mène la théorie de la consommation ostentatoire un pas plus loin en détaillant l'influence et les demandes que le rôle social d'un individu lui impose en ce qui concerne la consommation de produits de luxe. Selon ce modèle, c'est l'insécurité inhérente à l'individu par rapport àson rôle occupé dans la société qui motive l'acquisition de produits correspondant au prestige exigé pour bien remplir son rôle.

La théorie de l'interactionnisme symbolique a d'abord été développée par G. H. Mead (Dubar, 1995). Son point de départ porte sur le processus de socialisation auquel enfant est soumis et au cours duquel son identité sociale se forme par l'interaction avec les membres de son groupe social de référence. L'acquisition de l'identité sociale est définie comme un long processus au travers duquel un individu acquiert les compétences, les attitudes, les valeurs et les connaissances qui règlent les différents aspects de la vie sociale.

Solomon (1983) a utilisé cette perspective pour analyser le comportement des consommateurs d'objets de luxe. Selon lui, ces consommateurs utilisent le contenu symbolique des produits pour s'aider à accomplir les rôles sociaux qu'on attend d'eux. L'identification de la signification du contenu symbolique de ces objets commence dans l'enfance. Le but est d'influencer le comportement de l'individu point où tout ceci est intériorisé d'une fà.çon qui correspond au rôle qu'il ou elle doit jouer au sein de son groupe social. L'objet symbolique facilite le processus qui consiste à assumer son rôle approprié. En conséquence, les individus qui appartiennent au même groupe social ont

tendance à attribuer le même contenu symbolique à un produit donné. Cette similitude d'associations règle l'interaction panni les membres du groupe social et crée une prévisibilité de comportement qui rend les individus du groupe à l'aise dans leur environnement.

Selon la théorie de l'interactionnisme symbolique, non seulement l'acte d'acquérir un produit de luxe est la conséquence d'un certain besoin (c'est-à-dire faire impression) mais aussi, la possession ou la non-possession de certains objets de luxe peut détenniner le comportement d'un individu en facilitant ou en gênant son accomplissement social. Autrement dit : non seulement le comportement est causé par la présence ou l'absence de besoins, mais l'accomplissement ou la non-réalisation des besoins peuvent également influencer le comportement (Solomon, 1983). Ainsi, le fait de posséder certains objets sert à déterminer «la valeur sociale» de leur possesseur, signalant par là à son environnement s'il ou elle est ou on qualifié et peut être inclus dans des rapports sociaux.