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DEVELOPPEMENT DURABLE ET VALORISATION DES PFNL, ETAT DES LIEUX EN CHIQUITANIE

1. Cadre conceptuel : Développement durable et valorisation commerciale des PFNL commerciale des PFNL

1.2. Le développement durable

1.2.2. Le Développement territorial durable

La « rhétorique du développement durable » accorde une place de plus en plus centrale à la participation des acteurs locaux en matière de gestion des milieux. Dans les dernières décennies du XXème siècle on assiste ainsi dans les pays « développés » à une certaine réhabilitation des pratiques et savoirs vernaculaires des paysans, pourtant méprisés durant les décennies précédentes au profit de l’agriculture moderne reposant sur le marché, la science et la technologie (Auclair 2006).

Dans les pays « en développement », on assiste en parallèle à la revalorisation croissante des savoirs et pratiques des peuples autochtones, aussi dénommés indigènes, aborigènes, natifs ou peuples premiers (Bellier 2008). Certains généraliseront jusqu’à considérer que les pratiques -supposées ancestrales- des peuples autochtones vont nécessairement dans le sens d’une relation symbiotique avec leur environnement (Buege 1996). Par contraste dans le contexte latino-américain, les conceptions européennes de la Nature sont alors considérées comme responsables de la destruction écologique, selon ce que Soulé (1995) appelle « le mythe d’infériorité morale occidental ». Le développement est alors considéré comme un concept occidental créé pour en dominer un autre, non-occidental (Pantaleón 2000) et « l’intégration économique est assimilée à un

néo-colonialisme, avec un effet fortement destructeur des cultures autochtones » (Bellier 2008).

Dans la pratique, ces réflexions donnent naissance en Amérique Latine à une multitude d’expériences de gestion communautaire des ressources naturelles, appuyée par les agences internationales de Conservation et de Développement, avec des résultats souvent mitigés faute d’une vision complexe de la nature des communautés (Agrawal et Gibson 1999) et de leur fonctionnement dans un contexte évoluant sans cesse.

Malgré leurs limitations, ces conceptions laissent entrevoir certains principes clés du développement durable : l’importance des pratiques et savoirs locaux (qui doivent néanmoins être bien analysés et enrichis afin de suivre les évolutions du contexte) et le rôle central des acteurs locaux dans la gestion. Cette revalorisation du local gagne cependant à être conçue à l’échelle du territoire. La notion de territoire gagne d’ailleurs progressivement en importance dans la réflexion sur le développement sous ses différentes facettes : local, rural ou encore durable.

Avant de continuer notre réflexion, précisons que nous entendons le territoire dans le sens que lui donne le courant de la nouvelle géographie socio-économique, qui trouve son origine dans les publications d’auteurs comme Benko, Lipietz, Camagni, etc. Le concept de territoire y dépasse la simple dimension spatiale ou politique, pour devenir une entité complexe dont il est d’ailleurs difficile d’établir une définition. Le territoire est conçu comme

une « construction commune des acteurs qui le font vivre » (Dayan et al. 2004), « résultat de très longues et complexes sédimentations géo-culturelles et socio-économiques » et « constituant à part entière de la société comme phénomène général de l’organisation des Hommes entre eux » (Loinger 2004), ou encore « espace abstrait de coopération entre différents acteurs avec un ancrage géographique » (Pecqueur 2010). Il englobe donc une

-décor mais aussi histoire et culture du lieu- et dans un tissu de relations en réseau (Pecqueur 2010).

Certains annonçaient la disparition des territoires à l’heure de la mondialisation, dans un monde dominé par les firmes multinationales ou encore par les grandes métropoles. Des auteurs comme Bourdeau-Lepage et Huriot (2009) par exemple affirment la domination des villes dans l’économie, reléguant au second plan le rôle des nations et des régions. Ils construisent leur analyse sur plusieurs arguments : d’une part le fait que « les villes

contribuent à la production -et à la croissance- de leurs pays et de leurs régions plus que proportionnellement à leur population », d’autre part que « les activités de haut niveau technologique, informationnel ou décisionnel y sont les plus fortement surreprésentées ». Sur

la base d’exemples essentiellement européens, ils observent ainsi que les régions les plus performantes sont souvent celles qui s’organisent autour d’une métropole, ou celles qui sont le plus fortement urbanisées ; ils en concluent que dans l’économie globalisée, les performances régionales seraient soumises à celles des villes. Si leurs arguments ne sont plus à démontrer, ce raisonnement consiste par contre, selon Polèse et Shearmur (2004) à renverser la causalité : ce serait plutôt le développement économique qui entraînerait la polarisation géographique des populations et des activités économiques. L’analyse des impacts de la stratégie de « pôle de développement », entre autres au Québéc, où elle a été mise en place à partir des années 1970, montre d’ailleurs les limites de ce raisonnement. Cette stratégie, consistant à stimuler les activités économiques dans un nombre limité de pôles (urbains) en y concentrant les investissements, afin d’encourager le développement économique régional, s’est montrée largement inefficace (Polèse et Shearmur 2004). En particulier, elle ne tient pas ses promesses en termes d’effet d’entraînement pour l’économie régionale et ne permet donc pas une réduction des inégalités -régionales dans ce cas-, composante clé du concept de développement durable.

De nombreuses études récentes soulignent alors l’intérêt de la territorialisation, comme “processus qui assure l‘émergence d’une capacité endogène de développement” (Maillat 2010). Elles montrent que les territoires en tant que tels sont capables non seulement de résister mais également de s’insérer dans le phénomène de mondialisation, qui contribue plutôt à les différencier qu’à les homogénéiser (Arocena 2004). Face aux nouvelles menaces et opportunités amenées par la mondialisation, il serait cohérent de renforcer la territorialité, conçue comme « l’ensemble de relations qui permet de donner

cohérence à une société qui cherche à construire consciemment sa dynamique d’aptitude, autour d’un projet territorial »5 (Mazurek 2007). Ainsi une politique cherchant à encourager le développement local devrait-elle favoriser le contexte territorial (Mazurek 2007).

La territorialité renvoie alors non seulement à la notion de proximité d’essence spatiale (aussi appelée proximité physique ou géographique), mais également à celle de proximité d’essence non-spatiale (aussi appelée proximité organisationelle, économique ou socio-économique). Selon les termes de Bouba-Olga et Grossetti (2008), cette dernière désigne ce qui rapproche les individus, c'est-à-dire aussi bien leurs caractéristiques individuelles (activités, ressources) que les facilités ou obstacles à leur coordination (réseaux ou dispositifs structurant la coordination). Elle fait l’objet de nombreuses dénominations et segmentation. Nous vous proposons en Figure 1 la classification de Bouba-Olga et Grossetti (2008), qui sub-divisent la proximité socio-économique en pas moins de quatres types de

5

Traduction propre de l’espagnol : “La territorialidad es el conjunto de relaciones que permite dar coherencia a una sociedad que busca construir conscientemente su dinámica de aptitudes, alrededor de un proyecto territorial”

proximité. Les dynamiques de proximités ont une forte influence sur les dynamiques territoriales et leur analyse apporte alors un éclairage intéressant sur les différentes trajectoires de développement des territoires (Colletis-Wahl et al. 2008).

Figure 1 : Types de proximité selon Bouba-Olga et Grossetti (2006)

Pour certains auteurs comme Laganier et al. (2002), le développement durable des territoires ne serait pas une déclinaison locale des principes du développement durable, mais plutôt le socle permettant d'appréhender celui-ci de manière pertinente. D’après Theys (2002), « c’est essentiellement à l’échelle des territoires que pourront être construites,

démocratiquement, les articulations indispensables entre les dimensions sociales et écologiques du développement durable ». Cette prise de position se justifie d’une part, par

l’hétérogénéité géographique, c'est-à-dire l’énorme différenciation des situations locales, difficilement appréhendable à une échelle supérieure (Theys 2002) ; d’autre part par la meilleure possibilité au niveau local de saisir la complexité des situations et d’assurer la transversalité des actions ; finalement par l’observation que nombre de problèmes globaux sont également locaux, ce qui justifie de les appréhender à l’échelle locale (Camagni et al. 1998). En outre à l’échelle locale, il sera plus commode de mener une démarche fédérative des acteurs privés et publics autour d’un projet d’ensemble, qui atteindra un degré de légitimité que n’ont pas nécessairement les approches nationales ou internationales.

L’irruption du concept de territoire dans l’analyse économique s’accompagne de la notion de compétitivité et de concurrence. Le territoire serait un acteur de la compétitivité à la fois direct et indirect, pour ses caractéristiques intrinsèques et son rôle de plateforme systémique (Boisier 2005), sur la base desquels se construit le projet territorial. Herbaux et Chotin (2004) affirment par ailleurs que « le projet territorial se place de par son existence

dans une logique de concurrence », étant « l’outil d’un pacte de promotion des potentialités locales et des intérêts individuels mutualisés ». Cet outil devra viser à construire les

avantages comparatifs du territoire, ceux-ci étant en effet « créés, plutôt que subis comme

des données exogènes comme le dit la théorie standard du commerce international »

(Pecqueur 2010). Le projet territorial et la vision stratégique locale qui le sous-tend sont alors fondamentaux pour le développement économique du territoire, déterminant sa réussite ou son échec. D’ailleurs comme l’indique Dominique Voynet dans la préface de Benko et Lipietz (2000): « il n’y a pas de territoires condamnés, il n’y a que des territoires

sans projet ».

Si chaque territoire a sa propre trajectoire de développement, marquée entre autres par ses institutions héritées et ses systèmes de valeur propres, il existe cependant des critères généraux déterminant leur capacité à devenir des « régions qui gagnent » (Benko et Lipietz 1992): bon fonctionnement des institutions, bonne gouvernance, esprit d’entreprise,

capacités d’innovation, de coopération et d’adaptation, etc. On le voit, les capacités organisationnelles et synergiques des acteurs locaux (qui renvoient à la question de la proximité socio-économique) sont la clé de voûte du développement territorial. La compétitivité d’un territoire dépendra en particulier de la « chimie » de la coopération au sein du système territorial de production ou Système de Production Local (SPL), défini comme un « ensemble d’activités interdépendantes, techniquement et économiquement

organisées, et territorialement agglomérées » (Maillat 2010). Selon Benko (2001), cette

forme d’organisation se basant sur les relations de partenariat, la loyauté et la confiance mutuelle serait à la base du développement réussi.

Néanmoins comme le rappellent Cary et Joyal (2010), « le local ne pourra pas tout » ; les politiques nationales en matière de recherche, d’éducation ou d’infrastructures restent déterminantes pour construire, maintenir ou renouveler les trajectoires locales de succès. La vision du gouvernement central sera en outre déterminante dans le processus de territorialisation, car comme l’indique Maby (2008) « mettre en place une gouvernance

territoriale suppose que l'on tranche une opposition essentielle entre jacobinisme et subsidiarité ». Favoriser le contexte territorial implique d’abandonner la vision centraliste et

sectorielle au profit d’une véritable « politique globale de développement local » selon l’expression d’un expert espagnol reprise par Arocena (2004). Une telle politique implique des mesures telles la décentralisation, la désectorisation des approches pour la transversalisation de l'action publique et au-delà, le transfert de pouvoir vers la société civile. Ainsi d’après Dayan et al. (2004), « le développement local durable requiert de passer

du gouvernement du territoire à sa -bonne- gouvernance et de préférer une approche plurale et interactive du pouvoir à une construction institutionnelle de la décision ».

On le voit, le concept de la gouvernance est central dans la réflexion sur le développement local ; si bien que certains auteurs l’ajoutent même comme quatrième pôle du développement durable (Brodhag 2001; Rastoin et Ghersi 2010).