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DEVELOPPEMENT DURABLE ET VALORISATION DES PFNL, ETAT DES LIEUX EN CHIQUITANIE

2. La Chiquitanie dans le contexte bolivien

2.3. Le développement de la Chiquitanie depuis la deuxième moitié du XXème siècle dans le contexte régional, national et international

2.3.5. Bilan sur le développement humain en Bolivie

Selon les résultats du recensement national de 2012 et les rapports du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD 2010; 2013), les différents indicateurs utilisés de manière presque universelle pour mesurer le développement humain et les sondages d’opinion sur le sujet montrent des améliorations dans ce domaine en Bolivie durant les dernières décennies. L’Indice de Développement Humain est ainsi passé de 0,49 dans les années 1980 à 0,68 en 2012. La Bolivie arrive 108ème sur 187 pays et est alors classée dans les pays à « développement humain moyen ».

Accès aux services basiques

La Bolivie est le pays le plus « jeune » d’Amérique du Sud, avec 42% de sa population mineure (moins de 18 ans) et un âge moyen de 22 ans. Une certaine transition démographique est néanmoins en cours : le taux de fécondité est tombé à 3,2 enfants par femme, perdant 1 point en à peine plus d’une décennie. La Bolivie est en fait en pleine phase de « bonus démographique » selon les termes de la CEPAL, ce qui signifie qu’une proportion significative de sa population entre actuellement dans la vie active. L’espérance de vie moyenne a quant à elle grimpé à 67 ans, alors qu’elle atteignait à peine 45 ans dans le milieu des années 1970.

Les indicateurs de la santé montrent des améliorations mais il reste un long chemin à parcourir. 79% de la population ont à présent accès à l’eau potable, la mortalité infantile a reculé des deux-tiers en 30 ans (actuellement 49/1000 pour les moins de 1 an) et la sous-nutrition ne touche plus que 4,3% des enfants de moins de 5 ans. Cependant une grande partie de la population, 55% pour la strate basse, n’est couverte par aucune sécurité sociale ou mutuelle de santé ; tandis que les hôpitaux publics sont réputés pour leur manque de personnel et de matériel médical. Malgré cela le gouvernement n’a pas fait de la santé une priorité, puisque l’investissement de l’État dans ce domaine ne représentait que 3% du PIB en 2010 (contre 3,7% en 2000).

L’éducation capte un part supérieure du budget de l’État, qui reste néanmoins plutôt faible, les investissements dans ce domaine ayant représenté 6,3% du PIB entre 2005 et 2010. L’analphabétisme a reculé, puisqu’il ne concerne plus que 9% de la population totale et 1% des jeunes entre 15 et 24 ans. Néanmoins le nombre d’années d’éducation reste faible, à peine 9 en moyenne. Actuellement seuls 56% des adolescents continuent leur scolarité jusqu’à l’équivalent du baccalauréat. L’abandon scolaire serait d’ailleurs croissant du fait de la forte demande de travailleurs non-qualifiés (dans les secteurs de la construction, du commerce, etc.) et de la baisse du retour sur les études : l’augmentation des revenus par années d’étude n’est plus que de 6% en 2011 alors qu’elle était de 14% à la fin des années 1990. Le travail infantil reste une pratique courante, concernant 26% des enfants (5-14 ans) sur la période 2001-2010. Le gouvernement a d’ailleurs approuvé en 2014 une loi fortement polémique baissant l’âge légal du travail à 14 ans, 12 ans avec autorisation des parents voire même 10 ans si l’enfant le « souhaite ».

En termes d’accès à la technologie et aux moyens de communication, la Bolivie connaît un boom. En 2010 l’électrification atteignait 78% de la population, 20% de la population avaient accès à internet et 81% à un téléphone fixe ou portable (+10% par an depuis 2005).

L’accès à tous ces services basiques (éducation, santé, communication, etc.) et leur qualité restent cependant très inégaux, perpétuant les inégalités historiques qui marquent la société bolivienne entre hommes et femmes, urbains et ruraux et enfin indigènes et non-indigènes. Dans son rapport, le PNUD (2010) souligne ces inégalités en démontrant par exemple qu’une femme indigène en milieu rural étudie en moyenne presque 4 fois moins qu’un homme non-indigène en milieu urbain (3,5 contre 12,2 ans). Si celle-ci appartient de plus à la strate de population des 20% les plus pauvres et lui à celle des 20% des plus riches, le rapport grimpe à plus de 7 (2 contre 14,4 ans). Les brèches constatées dans le domaine de la santé et autres services basiques sont toutes aussi saillantes.

L’importance des inégalités spatiales est illustrée sur la Figure 24, qui montre également une certaine différence entre l’IDH des communes andines et celles des terres basses. Nous avons ajouté la délimitation de la Chiquitanie sur ces cartes afin de montrer que même au sein de cette région, l’IDH varie significativement entre les différentes communes.

Figure 24 : IDH par commune en 2001, selon le calcul classique et avec ajustement prenant en compte les inégalités

Égalité politique et légale

Si les inégalités économiques et sociales persistent, l’égalité politique et légale serait par contre en meilleure voie. La nouvelle Constitution Politique d’État a élargi le régime de droits, incluant entre autres les droits collectifs des nations et peuples « indigènes originaires, paysans ». D’après le PNUD (2010), les groupes historiquement marginalisés tels que les femmes et les indigènes jouissent d’une inclusion politique croissante et l’on observe une expansion de la démocratie au travers des organes de participation populaire.

Cependant la discrimination positive actuellement opérée vis-à-vis de certains segments de la population auparavant marginalisés ne fait pas l’unanimité et tend plutôt à accentuer les conflits (Arreghini 2011). Certains segments de la population tels que la classe moyenne, les travailleurs professionnels et entrepreneurs ressentent une nouvelle forme d’exclusion et critiquent l’autoritarisme du gouvernement (PNUD 2010). L’insatisfaction grandit particulièrement dans les régions orientales, car comme l’explique Arreghini (2011) :

« Plutôt qu’une approche consensuelle à la recherche d’un compromis qui tiendrait compte de toutes les composantes de la société bolivienne, y compris sa part allochtone, position sans doute périlleuse et inconfortable, le MAS au pouvoir a opté pour une logique de marginalisation et de conquête de l’Orient. ».

Notons que l’affaiblissement ou la disparition d’un groupe de pouvoir ne signifie pas nécessairement la réduction des inégalités, car elle peut s’accompagner de l’émergence d’un nouveau groupe de pouvoir, comme cela s’est déjà observé lors de la révolution bolivienne des années 1950 (Klein et Kelley 1981). Espérons que l’histoire ne se répètera pas.

Les extraits suivants, tirés d’un livret racontant l’histoire de la communauté chiquitanienne de Palmarito de la Frontera (Bariqui 2004), en disent long sur la réalité de l’expression politique des populations rurales et sur les pratiques de campagne des partis politiques jusqu’à une époque récente :

« Les Politiques :

Ils ont toujours été des personnes qui font des promesses et ne les tiennent pas. Ils trompaient les membres de la communauté avant les élections. Ce n’était que des conflits »

« Année 1966 – Élection présidentielles :

A cette époque les membres de la communauté furent conduits à Concepción pour assister aux élections présidentielles. […] A l’époque on voyageait à pied. A mi-chemin d’autres politiques phalangistes apparurent et ils menacèrent les membres de la communauté avec des armes à feu pour qu’ils montent dans leur véhicule. En arrivant à Concepción sur la place la police commença à tirer avec des fusils sur le véhicule. Les membres de la communauté s’échappèrent. Par chance personne ne mourut ni ne fut blessé. »

« Année 2002 :

[…] Les politiques donnèrent du fil de fer barbelé (à la communauté) : MNR 10 rouleaux ; MIR 5 rouleaux » 34

La corruption, le clientélisme et le détournement de fonds de l’État sont des problèmes récurrents dans l’histoire de la Bolivie, dont il ne semble pas que le gouvernement actuel ait su se défaire (Wanderley 2011), comme en témoignent ces dernières années l’accumulation des scandales impliquant des membres du gouvernement. Il existe en outre des dysfonctionnements notables au sein et entre les différentes administrations, entre autres en ce qui concerne le système judiciaire (Flores Mamani 25 mars 2014). Pour ne prendre qu’un exemple, le tribunal agro-environnemental, supposé résoudre les litiges fonciers, est régulièrement paralysé par des conflits internes (Donoso 11 avril 2014).

Le « Mécanisme National de Participation et Contrôle Social », dépendant du Ministère de la transparence et lutte contre la corruption, promet peu en termes de contrôle

34 Traduction propre de l’espagnol: « Los politicos: Siempre fueron personas que prometían y no cumplían. Engañaban a los comunarios antesde las elecciones. Eran puro conflictos. » « Año 1966 - Elecciones presidenciales: En aquel tiempo los comunarios fueron conducidos a Concepcion para asistir a las elecciones presidenciales. […] En ese entonces se caminaba a pie. A medio camino llamado Medio Monte vinieron otreos políticos falangistas y amenazaron con armas de fuego a los comunarios para que subieran a su movilidad. Llegando a Concepcion en la plaza la Policia empezó a disparar con armas fusiles sobre la movilidad. Los comunarios escaparon. Por suerte nadie murió o se hirió. » « Año 2002 […] Los politicos donaron alambres : MNR 10 rollos ; MIR 5 rollos »

social et encore moins en termes de participation démocratique » selon l’analyse de Zuazo (2010). En effet les modalités de participation brident cette dernière, car elle ne peut se faire qu’au travers d’organisations légalement constituées (syndicats, comités de voisinages, etc.) et que c’est le gouvernement qui décide quand et qui convoquer. La Loi N°341 de Participation et Contrôle Social promulguée en 2013 confirme la frilosité du gouvernement à soumettre ses institutions au contrôle populaire. Selon cette loi, les institutions d’État émettent elles-mêmes leurs règlements de participation et contrôle social, c'est-à-dire qu’elles définissent la manière dont elles sont contrôlées par la société. Certains acteurs du contrôle social voient même leurs attributions réduites ; par exemple les comités de vigilance des communes peuvent dénoncer les abus mais ne peuvent plus congeler les comptes de leurs communes respectives.

Ainsi malgré la meilleure inclusion politique et légale de certains segments de la société, le chemin vers un contrôle social, une participation politique et une justice égalitaire est encore long.

2.3.6. Décentralisation et aménagement territorial, des domaines