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DEVELOPPEMENT DURABLE ET VALORISATION DES PFNL, ETAT DES LIEUX EN CHIQUITANIE

2. La Chiquitanie dans le contexte bolivien

2.3. Le développement de la Chiquitanie depuis la deuxième moitié du XXème siècle dans le contexte régional, national et international

2.3.7. Bilan sur le développement en Chiquitanie

La Chiquitanie, qui représente pourtant plus de la moitié de la superficie du département de Santa Cruz (selon la délimitation choisie en chapitre 2.1.1), est restée en marge de son impressionnant développement économique. La tendance lourde de polarisation autour de Santa Cruz de la Sierra, devenue une base-relais de la mondialisation, a engendré un développement spatial déséquilibré, en faveur de la zone ouest du département. La nouvelle métropole a bien des « effets d’entraînement », mais ils s’apparentent plus à des « effets de débordement » et n’atteignent guère la Chiquitanie. Cela concorde avec les observations de Polèse et Shearmur (2004) dans le cas du Québec, également vaste et peu peuplé, où la distance et la géographie imposent des limites aux effets d’entraînement -les effet de déconcentration industrielle par exemple s’estompent rapidement au-delà d’une certaine distance-.

Les gouvernements successifs n’ont jamais mené une politique spécialement favorable au développement de la Chiquitanie. D’une part elle a été exclue des différents cycles extractifs qui ont porté l’économie nationale depuis l’indépendance : cycles de l’argent et de l’étain dans les Andes, cycles du caoutchouc dans l’orient amazonien qui ne touche que l’extrême nord de la Chiquitanie, cycle des hydrocarbures dans le sud de Santa Cruz, cycle du gaz en cours dans la région de Tarija. D’autre part elle n’a que très peu bénéficié des politiques d’appui à l’agro-industrie des années 1980, qui ont privilégié les meilleures terres agricoles dans l’ouest du département de Santa Cruz.

Les investissements du secteur public en Chiquitanie au cours du siècle dernier ont concerné principalement les infrastructures de transport terrestre (MMCH 2004) : habilitation de la route Santa Cruz–Puerto Suarez (1878-1932), du chemin de fer Santa Cruz– Corumba (1938-1955) et amélioration de la « route des missions » (fin des années 1970) ensuite asphaltée jusqu’à Concepción. La route Santa Cruz–Puerto Suarez, asphaltée depuis 2013, devrait devenir un axe important et influer sur les activités de la région. Aussi appelée « couloir bi-océanique », elle appartient au réseau faisant la liaison entre les ports du Pacifique (Chili, Pérou) et ceux de l’Atlantique (Brésil).

Les infrastructures de transport terrestre restent néanmoins largement sous-développées et, hormis le réseau principal, qui n’est d’ailleurs pas entièrement asphalté, le transit reste difficile, particulièrement en saison des pluies. Il n’existe pas de transport public en Chiquitanie, mais les villes et une partie de la zone rurale sont desservies par des compagnies privées de transport de voyageurs. Ces dernières relient majoritairement les villes principales à la capitale départementale. Notons que les principales villes de la Chiquitanie abritent un petit aérodrome (Ascensión de Guarayos, San Javier, Concepción, San Ignacio, San José de Chiquitos, Roboré, Puerto Suárez et San Matías) et qu’il existe un grand nombre de pistes d’atterrissage privées et non enregistrées en zone rurale (PDOT 2009).

L’électrification progresse en zone rurale, atteignant en 2013 la majorité des communautés relativement proches des axes routiers principaux (nous avons personnellement connu la Chiquitanie en 2009, alors que pratiquement aucune des communautés rurales n’avaient l’électricité). De grands pans de la zone rurale restent déconnectés du réseau électrique, mais il est fréquent que les moyennes et grandes

propriétés privées voire certaines communautés possèdent leur propre générateur électrique.

Les réseaux internet et de téléphonie mobile ne couvrent pour l’instant que les villes et certaines agglomérations importantes situées le long des axes routiers principaux. Un certain nombre de communautés rurales possèdent néanmoins une cabine téléphonique.

Ainsi la Chiquitanie, particulièrement en zone rurale, reste relativement peu dotée en infrastructures de transport et de communication, ce qui suggère selon l’expression employée par Prager et Thisse (2009) que la « tyrannie de la distance » y est encore lourde.

En 2001 la Chiquitanie comprenait environ 135 600 habitants (INE 2001) et la population projetée pour l’année 2008 était de 187 500 habitants, soit à peine 7% de la population départementale (PDOT 2009). Néanmoins selon notre délimitation de la Chiquitanie, qui diffère de celle de ces institutions (cf. chapitre 2.1.1), cette région représenterait environ 9% de la population départementale soit près de 283 000 habitants en 2008.

Le taux de croissance démographique des communes chiquitaniennes est inférieur à la moyenne départementale. Globalement, les communes les plus proches de la capitale départementale (San Ramon, San Javier) et celles situées à la frontière avec le Brésil (San Ignacio, San Matias, Puerto Quijarro) connaissent une croissance démographique plus élevée que les autres.

Les quelques villes que compte la Chiquitanie sont situées le long des axes routiers principaux (cf. Annexe 8). En grande partie héritées de l’époque des missions Jésuites, elles sont généralement devenue capitales municipales ou provinciales. Aucune d’entre elles ne prédomine particulièrement au niveau régional, la polarisation se faisant vers la capitale départementale (Santa Cruz de la Sierra) et dans une moindre mesure vers le Brésil.

En terme d’importance démographique, Arreghini (2011) différencie cependant San Ignacio et Puerto Suarez, qu’il classe dans la catégorie de « ville d’équilibre » (second niveau : 10 000 à 75 000 habitants), de Concepción, San José de Chiquitos, Roboré, San Matías et Puerto Quijarro qu’il qualifie de « villes-relais » (troisième niveau : 5 000 à 10 000 habitants) jouant un rôle important d’encadrement en l’absence d’une ville de niveau supérieur.

Les services sont concentrés dans les capitales provinciales et dans une moindre mesure municipales. Le niveau de service et leur accessibilité est très inégale selon la localisation des différentes communautés rurales. Par exemple dans les communes de San Ignacio et Concepción, qui sont de forme allongée, la majeure partie de la population rurale est concentrée le long de la route des missions ; néanmoins certaines populations situées le long des axes de pénétration vers le nord sont à plus de 200 km de la capitale municipale.

Notons que le niveau de service des centres urbains chiquitaniens reste limité, obligeant la population à se rendre dans la capitale départementale pour accéder par exemple à un hôpital de haut niveau, aux universités ou encore à certains services à la production (location de matériel agricole, achat de semences améliorées, etc.).

Selon le plan stratégique de développement élaboré par la MMCH (2004), le potentiel économique de la Chiquitanie réside dans l’exploitation forestière, l’élevage bovin, le tourisme, l’exploitation minière et le commerce.

Exploitation forestière

La Chiquitanie concentre 50% des ressources forestières ligneuses du pays (14,3 millions d’hectares), en particulier dans sa partie Nord. L’exploitation qui est actuellement faite des ressources forestière ligneuses de la région est néanmoins inférieure à son potentiel et les ressources forestières non-ligneuses sont pratiquement ignorées. D’importantes superficies désignées comme aptes à l’exploitation forestière dans le PLUS départemental n’en font pas l’objet, en partie en conséquence de l‘existence de contraintes légales élevées pour cette activité. Le changement du régime forestier en 1996 et le renforcement du contrôle de l’exploitation forestière illégale au travers de l’ABT étaient destinés à avoir un impact positif sur le secteur, en mettant fin au monopole des grands concessionnaires forestiers et aux pratiques d’exploitation non-durables d’un point de vue écologique. Cependant les nouvelles normes de gestion, trop strictes, porteraient préjudice au secteur et particulièrement aux petits exploitants forestiers (cf. chapitre 2.1.4), entraînant ces dernières années une forte hausse du prix du bois sur le marché interne.

En outre, la valeur ajoutée des produits forestiers captée en Chiquitanie est faible, dans la mesure où la transformation du bois y est majoritairement limitée au débitage dans des scieries, à la suite de quoi les produits sont transportés vers la zone métropolitaine de Santa Cruz de la Sierra. Durant la gestion 2006-2007, la Chiquitanie abritait ainsi 72% des scieries du département (soit 89), mais seulement 20% des menuiseries, 28% des distributeurs et 15% des exportateurs de produits forestiers (PDOT 2009). Notons que les menuiseries localisées en Chiquitanie destinent surtout leur production au marché local de meubles et pièces pour la construction.

Élevage bovin

L’élevage bovin est le deuxième usage potentiel du sol important en Chiquitanie d’après le PLUS départemental, et l’une des activités économiques principales avec l’exploitation forestière. Elle tend à se développer, particulièrement depuis que la Chiquitanie a été déclarée « zone libre de fièvre aphteuse » en 2002. A titre d’exemple, le cheptel bovin de la commune de Concepción a cru de 37% entre 2005 et 2010 d’après son PMOT. Le cheptel bovin de la région représente actuellement environ un tiers du cheptel départemental, soit près d’un millions de têtes de bétail (FEGASACRUZ 2012).

Comme l’on peut l’observer sur la Figure 26, en Chiquitanie les éleveurs se consacrent majoritairement à la cria -production de veaux vendus une fois sevrés entre 6 et 8 mois- et à la recria -élevage des veaux jusqu’à un an et demi-. L’engraissement est surtout pratiqué en dehors de la Chiquitanie, dans les communes proches de la capitale départementale. Dans les communes les plus à l’ouest de la Chiquitanie (San Javier, El Puente et Urubicha) on trouve néanmoins une majorité d’éleveurs réalisant le cycle complet. La zone proche de Santa Cruz de la Sierra regroupe les fournisseurs d’aliments concentrés, les abattoirs de grande capacité et les entreprises de transformation de la viande (communication personnelle de Saul Molina, conseiller FEGASACRUZ). L’absence ou la rareté de ces éléments en Chiquitanie et l’éloignement des marchés expliquent en partie la spécialisation des éleveurs chiquitaniens dans la cria et recria. Le fait que les sols de la région soient plus aptes à l’élevage extensif qu’intensif est également une contrainte limitant l’engraissement des bovins dans la région, puisque la productivité des pâturages naturels et artificiels y est relativement faible.

Ainsi tout comme pour l’exploitation forestière, la Chiquitanie capte peu de la valeur ajoutée des produits de l’élevage. On peut détacher cependant les efforts de CORDECRUZ dans les années 1980 pour développer la filière agro-alimentaire du lait à San Javier, actuellement de portée nationale ; ou encore la récente initiative des éleveurs de San Ignacio d’investir dans un abattoir industriel.

Figure 26 : Type d’élevage bovin dominant par commune dans le département de Santa Cruz

Tourisme

La Chiquitanie abrite plusieurs missions Jésuites, classées au patrimoine de l’humanité par l’UNESCO, ainsi que trois parcs nationaux et de nombreux sites naturels à potentiel touristique (sources chaudes, communautés traditionnelles, etc.)38. Elle est particulièrement apte au tourisme de type culturel, écologique et aventurier.

La zone andine continue néanmoins de capter l’essentiel des flux touristiques, qui atteignent peu les terres basses et la Chiquitanie. Les difficultés d’accès à la région et à ses

38

Pour une liste plus exhaustive des attractions touristiques de la Chiquitanie, se référer au PDOT départemental.

sites touristiques, faute d’infrastructures et de services de transport adéquats, y limitent en effet le développement du tourisme. Il se concentre dans les villes appartenant au « circuit des missions » ainsi que le long de la route asphaltée Santa Cruz-Puerto Suarez. En dehors des pics touristiques lors des manifestations culturelles (fêtes patronales, festival de musique baroque, foire de l’orchidée, etc.), les hôtels subsistent surtout grâce au personnel de diverses institutions en mission dans la région.

Exploitation minière

La région a un potentiel minier important, avec des gisements en or, fer, nickel, cuivre ou encore pierres précieuses (PDOT 2009). Le PDOT recensait seulement 15 sites d’exploitation importants en 2009, mais les petits sites d’exploitation sont nombreux. Rien que dans la commune de Concepción on recensait 90 concessions minières pour une superficie totale de près de 20 000 ha d’après son PMOT.

Globalement le potentiel minier reste pour l’instant peu exploité, le niveau technologique des exploitations minières est relativement faible et la pollution qu’elles engendrent est peu contrôlée. Dans certains cas la population s’est d’ailleurs opposée au développement des activités minières. Dans le canton de Santiago de Chiquitos par exemple, le principe de consultation populaire a permis à la population, soucieuse de la qualité de l’eau, d’empêcher l’adjudication de concessions minières.

Notons que le gouvernement exprime depuis les années 1970 la volonté de développer l’industrie sidérurgique dans l’extrême Est de la Chiquitanie, à la frontière avec le Brésil (site de Mutún, Puerto Suarez). Ce projet d’envergure, qui se baserait sur l’exploitation des gisements de fer à proximité, n’a cependant toujours pas vu le jour.

Commerce

En Chiquitanie transite une grande quantité de marchandises entre les autres régions du pays et le Brésil, du fait de sa position frontalière. Elle est traversée par un axe ferroviaire, abrite des infrastructures de transport fluvial à la frontière (cf. Figure 25) ainsi que les zones franches de Puerto Suarez et Puerto Quijarro. Les bénéfices pour la région restent plutôt localisés dans les zones frontalières. Certaines villes comme Puerto Suarez voire certaines communes comme San Ignacio mettent ainsi à profit leur proximité avec le Brésil pour développer un commerce dynamique.

Globalement, l’économie chiquitanienne actuelle est encore fortement cantonnée au secteur primaire, qui emploie selon les communes entre 70 et 80% de la population active en zone rurale et entre 15 et 40% en zone urbaine où prédomine malgré tout le secteur tertiaire (PDOT 2009). Le secteur secondaire est peu développé, ce qui fait que les produits (forestiers, agricoles, etc.) sont majoritairement « exportés » de la région chiquitaniennes à l’état brut ou semi-brut. Précisons que la demande locale en produits forestiers et de l’agro-élevage, même transformés, est assez limitée, ce qui fait que l’offre doit être dirigée vers l’aire proche de la capitale départementale, avec une relativement faible compétitivité étant donné le haut coût de transport (PDOT 2009).

La transformation industrielle est donc rare en Chiquitanie. Dans le cas des produits agricoles, les filières des produits laitiers à San Javier (portée nationale) ou encore du café et de la viande à San Ignacio (portée nationale et internationale) restent des cas isolés. Quant à

la transformation artisanale, elle est assez peu développée. On observe cependant quelques initiatives de transformation artisanale pour la consommation locale, par exemple de la part de producteurs laitiers qui élaborent leur propre fromage ou yaourt qu’ils vendent dans la ville la plus proche. On trouve également un certain nombre de petits artisans réalisant des sculptures en bois, hamac et autres articles tissés. Pratiquant souvent l’artisanat comme une source de revenu complémentaire, ils sont un bon exemple de diversification productive en zone rurale. Certains sont organisés en association de producteurs, ce qui leur permet d’étendre la commercialisation de leurs produits au-delà de la Chiquitanie.

Les aspects liés à l’organisation territoriale de la Chiquitanie et la description de ses différents acteurs seront exposés dans le chapitre 2.5; mais avant cela, il nous semble important d’analyser la prise en compte d’un autre des piliers du développement durable : le pilier écologique.

2.4. Dynamique de déforestation et prise en compte du pilier