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DEVELOPPEMENT DURABLE ET VALORISATION DES PFNL, ETAT DES LIEUX EN CHIQUITANIE

2. La Chiquitanie dans le contexte bolivien

2.3. Le développement de la Chiquitanie depuis la deuxième moitié du XXème siècle dans le contexte régional, national et international

2.3.6. Décentralisation et aménagement territorial, des domaines sensibles

La subsidiarité est de plus en plus considérée comme un principe essentiel de la bonne gouvernance, elle-même identifiée comme l’un des piliers du développement durable (cf. chapitre 1.2.2).

De l’indépendance à la Révolution de 1952, voire même jusqu’aux lois de décentralisation des années 1990, la Bolivie est un pays très centralisé et on note un désintérêt flagrant des gouvernants pour les questions d’organisation, de gestion et de gouvernance territoriales. Les Départements, Provinces et Cantons, qui ne jouissent d’aucune autonomie de gestion, semble n’exister que « dans le seul but de constituer les

assises territoriales pour les notables afin de faciliter et légitimer leur élection aux différents postes du pouvoir exécutif et législatif central » (Arreghini 2011). Les efforts du

gouvernement se concentrent sur les capitales départementales, au détriment de « larges

pans de l’espace rural, livrés à eux-mêmes et dépourvus des infrastructures qui leur auraient permis d’avoir les ressources collectives pour se développer » (Arreghini 2011).

Arreghini (2011) explique qu’à partir de la révolution de 1952, le gouvernement manifeste plus d’intérêt pour la question territoriale, en impulsant la « marche vers l’Orient » (cf. chapitre 2.3.2). Cependant, cet intérêt reste limité comme le montre la quasi-inexistence de mesures d’accompagnement au processus de colonisation et l’absence de réforme de l’organisation territoriale qui reste centralisée. L’auteur place alors encore cette époque « sous le paradigme de la planification et d’une réflexion a-territoriale du

développement ».

Il faudra attendre les années 1990 pour qu’une véritable réforme de l’organisation territoriale voie le jour. En 1994 la loi de participation populaire et de décentralisation administrative élimine les Cantons et crée des Communes (municipios) dotés d’une autonomie de gestion35 ; tandis qu’elle octroie aux Départements d’importants financements au travers de « Corporations de Développement » contrôlée par le pouvoir

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La promulgation de la LPP aurait cependant répondu à d’autres intérêts politiques qu’une meilleure gestion territoriale : elle aurait été conçue comme un hochet pour faire passer par ailleurs des réformes d’inspiration libérale réclamées par les instances financières internationales et par ailleurs comme une stratégie pour passer par-dessus les Départements où pourrait se forger un pouvoir d’opposition difficile à contrôler (Ayo 2003).

central. Elle sera complétée par une seconde décentralisation en 2003 avec l’octroi d’une autonomie de gestion aux Départements, sous la pression des élites de l’Orient (Arreghini 2011). Notons qu’après ces réformes, certaines préfectures ont demandé la compétence de gestion du territoire (comme Santa Cruz par exemple) et d’autres non (Pando, La Paz, Potosi).

L’autonomie accordée dans les textes aux communes et aux départements est cependant bridée par les moyens financiers et juridiques limités que leur octroie le gouvernement central. Ce dernier rechigne à relâcher les rênes et persiste dans une attitude centraliste, comme nous allons l’illustrer au travers du cas de l’aménagement territorial.

Comme le déplore Albarracin Deker (2007), les stratégies et plans de développement national élaborés par les gouvernements à la tête du pays durant la deuxième moitié du XXème siècle, mis à part le « Plan Immédiat de la Révolution Nationale 1955-1960 », l’ont toujours été en fin de mandat et n’ont généralement pas été pris en compte par les gouvernements suivants. En conséquence, on ne peut pas parler d’une véritable planification du développement sur le long terme.

Les politiques de développement mises en place n’ont en outre jamais considéré le territoire dans son intégralité, mais séparent ses différentes composantes et le réduisent à ses potentialités (agraires, forestières, minières, etc.). Dans le contexte tendu de colonisation et réformes agraires, « territoire » a souvent été entendu comme un synonyme de « terre ». Dans la déclaration finale du forum « Terre, Territoire et Dignité » (à Porto Alegre, 2006), les représentants des organisations indigènes s’insurgeaient ainsi de ce que

« La conception du territoire a historiquement manqué dans les processus de réforme agraire. Aucune réforme agraire n’est acceptable si on pense seulement à la distribution de terres. » (cité dans Mazurek 2007).

Le gouvernement d’Evo Morales laissait espérer un changement dans la vision et le mode d’appréhension du territoire. Le Plan National de Développement Rural propose d’ailleurs de dépasser « la vision exclusivement agrariste et extractiviste héritée des années

1950 », pour favoriser « un développement rural intégral, durable et planifié qui articule en harmonie les diverses potentialités productives des régions et des cultures, pour niveler les déséquilibres économiques et sociaux ». On ne trouve cependant pas trace de politique qui

applique ce concept dans les plans de développement ; les politiques restent sectorielles et marquées par une vision « mercantiliste » du territoire (Mazurek 2007).

Notons qu’il y a souvent confusion, même dans les textes officiels entre “usage du sol” et “aménagement territorial”. Ce dernier est alors majoritairement réduit à la réglementation de l’usage du sol, « selon de vieilles recettes élaborées durant la pire période

du néolibéralisme (1985-2000) qui n’ont pas réellement démontré leur efficacité » (Mazurek

2007).

Le processus participatif, fondamental dans la conception de l’aménagement des territoires conçu comme construction sociale, est peu compatible avec la vision relativement centraliste et interventionniste du gouvernement actuel. Il reste donc plutôt à l’état de déclaration d’intention.

Arreghini (2011) signale ainsi que l’article 23 de la loi-cadre d’autonomie et de décentralisation, promulguée en 2010, va à contre-courant du nouveau paradigme participatif de la gouvernance territoriale « bottom-up ». En effet, elle indique que la

planification régionale doit se faire selon les directrices du Système de Planification Intégral de l’État, qui fixera entre autres les niveaux de développement que les Collectivités Territoriales (Municipes, Régions, Départements) doivent atteindre. Selon le principe de la loi de participation populaire, les gouvernements municipaux doivent ainsi élaborer un Plan de Développement Municipal (PDM) et un Plan d’Organisation Annuel (POA) suivant ces directrices, pour pouvoir obtenir les financements leur correspondant de la part du ministère des finances. Derrière le masque de l’autonomie, c’est donc bien toujours le gouvernement central qui mène la barque du développement territorial.

De même comme l’observe Mazurek (2007), le Plan National de Développement 2006-2010 et le PND Rural reconnaissent « la nécessité d’une bonne gouvernance » avec un

« processus de participation, délibération et émancipation au travers duquel les communautés et les peuples décident des priorités, contenus et expectatives de leur futur »

et impliquant en particulier la participation des organisations sociales dans la « gestion

locale, régionale et nationale de l’État ». Cependant dans le même temps, l’institutionalité

indigène est casée dans le cadre politico-administratif classique, tandis que « la référence au

territoire, selon la conception des peuples originaires est absente voire même esquivée ».

Quant à l’autonomie communautaire revendiquée pour les groupes amérindiens, elle ne dépasse pas le cadre des TCO, devenus Territoire indigène originaire paysan (TIOC) avec la loi-cadre d’autonomie et la décentralisation.

La vision d’aménagement territorial appliquée en Bolivie est essentiellement normative. La « Loi de l’environnement » ou Loi N° 1333, datant de 1992, prévoit des instruments de gestion territoriale à l’échelle de la commune (Plan Municipal d’Aménagement Territorial - PMOT) et du département (Plan Départemental d’Aménagement Territorial - PDOT). Il existe aussi des Plans d’Usage du Sol (PLUS) pour tout le territoire national à différentes échelles (département, macro-régions, etc.), qui indiquent en fait le potentiel d’usage des sols selon des critères socio-économiques et surtout écologiques. Le PLUS du département de Santa Cruz a été approuvé en 1995 par le décret suprême Nº 24124, puis en 2003 élevé au rang de Loi de la République Nº 2553. Les seules modifications qu’il a subies depuis concernent les ajustements liés à l’ampliation des aires protégées (ABT 2011).

En-deçà de l’échelle départementale, faute d’une véritable politique d’appui à l’élaboration de ces instruments comme base de l’aménagement territorial, ceux-ci ne sont pas systématiquement élaborés par les collectivités territoriales, qui les perçoivent parfois plutôt comme une contrainte puisqu’il leur faudra ensuite les respecter. Ainsi en 2009, à peine un tiers de communes possédait un PMOT. D’ailleurs comme le note (Andaluz Westreicher 2010), lorsque ces instruments existent, il existe un fort degré de violation aux composantes « usage des sols » et « occupation territoriale » de l’aménagement territorial et il n’est pas rare que ce soit les collectivités locales elles-mêmes qui agissent en marge de leurs propres plans.

Jusqu’à 2009, il existait un vice-ministère et une direction de planification territoriale, chargés de réglementer et réguler l’élaboration et la mise en œuvre de ces différents instruments de gestion territoriale. Le vice-ministère de planification territoriale et environnementale a cependant été éliminé par le gouvernement en 2009, en grande partie à cause de l’incompétence des personnes en charge de sa gestion (Zambrana Avila 2011). Le Ministère de Planification est ainsi amputé de ses composantes environnementales et territoriales. Depuis, il n’existe plus d’instance régulatrice de l’aménagement territorial à

l’échelle nationale et l’homologation des différents instruments d’aménagement territorial (PDOT, PMOT) est paralysée. Les préfectures sont supposées assurer une certaine régulation à l’échelle départementale, mais les rivalités avec le gouvernement central les empêchent de la mener à bien (Wanderley 2013).

Il existe en effet un vide juridique, comme l’indique Andaluz Westreicher (2010), les gouvernements municipaux et départementaux n’ayant pas la compétence légale pour mettre en place un certain nombre d’actions liées à l’aménagement territorial, malgré le processus autonomique et de décentralisation. Ils restent alors impuissants face aux organes d’exécution.

Arreghini (2011) signale d’ailleurs la situation paradoxale de l’aménagement territorial en Bolivie, avec « un régime politique plutôt centralisateur mais un pouvoir central

faible et souvent absent, et des régions livrées à elles-mêmes et disposant par la force des choses d’une assez large autonomie de fait, à défaut de disposer des outils légaux pour l’organiser ». D’ailleurs comme l’indique ce même auteur, la décentralisation peut s’avérer

une méthode commode pour désengager l’État de ses responsabilités, et être déconnectée de toute réflexion sur l’aménagement du territoire, se résumant à un simple transfert de ressources et pas de compétences. Toujours à propos de l’aménagement territorial en Bolivie, Andaluz Westreicher (2010) précise que : « En terme d’application effective, le drame

de la gestion territoriale est que l’on espère d’elle des effets juridiques pour lesquels l’outil n’est jusqu’ici pas juridiquement préparé”.

Dans l’état actuel des choses, le respect des plans d’aménagement territorial est principalement entre les mains de l’Institut National de Réforme Agraire (INRA) et de l’Autorité de Fiscalisation des Bois et des Terres (ABT), qui ont juridiction sur tout le territoire, et du gouvernement central qui s’occupe de l’installation des peuplements humains ruraux (article 298.II.29 de la Constitution) (Andaluz Westreicher 2010). Les gouvernements municipaux et départementaux orientaux doivent donc se plier et s’adapter au processus de « colonisation » orchestré par le gouvernement central.

A l’échelle de la propriété et de la communauté, l’instrument légal et supposé obligatoire touchant l’aménagement territorial est le Plan d’Aménagement Predial36 (POP). L’article 26 du décret suprême N° 24453 promulgué en 1996 pour réglementer la loi forestière N°700 établit ainsi que “ l’aménagement est obligatoire à l’échelle prediale […] à

charge de ses titulaires respectifs […] au travers du plan d’aménagement predial ». Il

implique de définir les usages du sol souhaités sur la base d’une étude spécifique, prenant en compte la « capacité d’usage majeure » définie dans le PLUS d’échelle supérieure. Cette législation vise clairement à protéger les terres classées comme terres à potentiel forestier et de protection dans le PLUS, dont l’usage ne peut changer à l’agriculture et l’élevage dans un POP, tandis que l’inverse est possible (article 12 de la loi N°1700 et article 6 du décret suprême N°24453). Inutile de préciser qu’il véhicule une vision éminemment réductive de l’aménagement territorial. En outre le fait que les plans d’échelle majeure priment dans la décision des usages à l’échelle prediale ou communale pourtant plus fine, avec peu de possibilités de rétroalimentation, enlève beaucoup à l’intérêt et à la légitimité de ces instruments (Andaluz Westreicher 2010).

Le coût d’élaboration de ce type de plan et la complexité des démarches pour le faire ensuite approuver par l’ABT (ex-superintendance forestière), fait que très peu de propriétés

et de communautés en sont actuellement munies ou ont même essayé de l’élaborer. Ainsi d’après l’ABT (2011) seuls 2 158 POP ont été approuvés à l’échelle nationale entre 1999 et 2010, couvrant une superficie totale de 8,8 millions d’hectares (dont 42% appartiennent au département de Santa Cruz), alors qu’il existe environ 800 000 unités d’agro-élevage selon les estimations du Vice-ministère des Terres. Le nombre de POP approuvé n’a pas augmenté depuis et il a même plutôt tendance à diminuer. Durant l’année 2012 par exemple, à peine 39 POP ont été approuvés par l’ABT (soit une superficie de 72.000 ha) sur les 118 présentés (ABT 2013).

En l’absence de POP, le propriétaire ou la communauté n’est pas pénalisé en pratique et doit simplement respecter les règles génériques de la loi forestière et les usages du sol définis dans le PLUS départemental. Ce sont alors généralement les moyennes et grandes propriétés, qui peuvent et souhaitent développer leurs activités agricoles plus rapidement que ce que permet la loi forestière en l’absence de POP (déforestation limitée à 5 hectares par an), qui ont trouvé intérêt à se pourvoir de cet instrument. Certaines communautés ont en outre bénéficié de l’appui financier et technique d’institutions, généralement non-gouvernementales, pour l’élaboration de leur POP.

En 2013 par la résolution N°250 de l’ABT apparaît un nouvel instrument -partiel- d’aménagement territorial : le Plan de Gestion Intégral des Bois et Terres (PGIBT), destiné exclusivement aux communautés. Pensé au départ comme un instrument de gestion territoriale participative, reflétant les normes et le projet propres à chaque communauté ; il a finalement été hybridé avec le POP, qu’il est appelé à remplacer. Ainsi, l’élaboration du PGIBT n’implique pas obligatoirement l’intervention de professionnels (forestiers, agronomes, etc.). Il suffit de participer à une courte formation organisée par l’ABT pour obtenir son accréditation. Cela offre la possibilité de réaliser le PGIBT à moindres coûts. Il devra cependant respecter également les capacités d’usage du sol définis dans le PLUS départemental, et oblige à réaliser des analyses, bien que simplifiées, pour l’exploitation forestière. Pour l’agriculture par contre, aucune analyse des sols n’est obligatoire, même rudimentaire afin de déterminer son aptitude. Une lecture rapide des normes pour l’élaboration du PGIBT (ABT 2013) suffit d’ailleurs pour se rendre compte que l’instrument se focalise sur l’exploitation de bois, qu’il réglemente avec beaucoup de précision (cf. chapitre 2.4.4), tandis que les autres usages potentiels du territoire ne font l’objet que de recommandations très générales37. On obtient donc un instrument hybride qui dénote d’une part la volonté de laisser plus de liberté aux communautés quant à la gestion de leur territoire, mais d’autre part une confiance mitigée dans leur capacité à la réaliser et la volonté de garder le contrôle de l’exploitation des ressources jugées clés. Par ailleurs, cet instrument reste éminemment technique, puisque tout comme le POP, il ne touche qu’à la gestion de certaines ressources sans s’intéresser aux structures sociales liées à cette gestion. Il porte finalement assez bien son nom comme plan de gestion des « Bois et Terres » et non pas du territoire communautaire dans son intégralité. Le fait que la conception de cet instrument ait été confiée à l’ABT (Autorité de fiscalisation et contrôle social des Bois et des Terres) n’y est pas étranger…

37 Pour l’agro-élevage, la norme du PGIBT se résume à préconiser le respect de certains concepts très généraux (conservation des sols, des cours d’eau, de la biodiversité, du paysage, etc.) et de conseiller l’utilisation de certaines techniques (pour l’agriculture : rotation de cultures, compostage, priorisation des semences natives et des intrants biologiques, etc. ; pour l’élevage : rotation entre pâturages artificiels, présence d’arbres fourragers et d’ombrage, etc.).