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Chapitre 2 Cadre théorique

2.2. LE DÉVELOPPEMENT DE L’ENFANT AUTISTE

2.2.2. Le développement de l’enfant autiste au stade préopératoire

Le stade préopératoire regroupe les stades symbolique et intuitif. Dans cette section, les répercussions des nœuds développementaux documentés dans le stade de développement sensorimoteur seront détaillées.

2.2.2.1. Stade symbolique

L’enfant tout-venant, au stade symbolique, tel que discuté précédemment, fait de grandes avancées en ce qui a trait au développement du langage, de la théorie de l’esprit et de la structuration du discours narratif. Ces nouvelles constructions s’appuient sur celles qui ont été faites au stade sensorimoteur. Il a été mentionné que l’enfant autiste éprouve des difficultés en ce qui a trait aux grands axes de développement spécifiques lors du stade sensorimoteur, soit l’attention conjointe et l’intersubjectivité. Ces nœuds en engendreront d’autres au stade symbolique.

Les retards du développement socioémotionnel précoces chez les enfants autistes en entrainent dans d’autres sphères de leur développement (Nadel, 2005; Rogers, et coll., 2003). Ainsi, les enfants autistes se démarquent, dès l’âge de deux ans, des enfants tout-venant en ce qui a trait au développement de l’attention conjointe et de l’intersubjectivité et l’écart déjà creusé à cet âge ne fera qu’être plus grand à l’âge adulte (Rogers, et coll., 2003). Ce nœud développemental a des répercussions dans les relations interpersonnelles et dans l’apprentissage de nouvelles habiletés (Rogers, 1998). Le partage avec l’autre est bien souvent entravé puisque l’établissement de la communication peut être difficile, vu les nœuds dans le développement de l’attention conjointe (Baron-Cohen, 1989; Rogers, et coll., 2003). Ces difficultés ont un effet sur le développement de la communication et du langage (Rogers, et coll., 2003; Toth, et coll., 2006) ce qui peut entraver le développement des représentations et, de ce fait, celui de la théorie de l’esprit (Bursztejn et Gras-Vincendon, 2001; Veneziano, 2002, 2005, 2007) et du discours narratif.

La difficulté de l’enfant dans les relations dyadiques (Rogers, et coll., 2003) joue sur le développement de l’acceptation et de la prise en compte du point de vue de l’autre. À ce propos, Lemay (2004) propose de partir des intérêts de l’enfant autiste pour entrer en relation d’attention conjointe avec lui et pour établir des interactions, et ce, dans le but de l’amener à se tourner vers l’autre. Les difficultés éprouvées dans l’interaction sociale réduisent le nombre d’opportunités sociales et naturelles d’apprentissage (Charman, 2003; Nadel, 2005; Rogers, et coll., 2003), ce qui a des répercussions dans le développement et dans la complexification du langage.

Baron-Cohen (1989) explique les troubles majeurs de la communication par cette capacité réduite à se représenter ce qu’il y a « dans la tête d’autrui », ce que l’auteur appelle la « cécité mentale » de l’enfant autiste. En effet, la théorie de l’esprit est un aspect fondamental du développement de la communication (Baron-Cohen, Leslie et Frith, 1985; Bursztejn et Gras-Vincendon, 2001; Plumet et Veneziano, 2014a). Les problèmes dans le développement de la théorie de l’esprit peuvent être attribués au fait que certains auteurs ont démontré que les personnes autistes ne sont pas capables d’accorder des croyances aux autres et, de fait, de prédire leurs comportements (Baron-Cohen, 1989; Baron-Cohen, Leslie et Frith, 1985). Plumet et Veneziano (2014a) affirment que les enfants autistes ont, dès le stade sensorimoteur, un manque en ce qui a trait aux capacités anticipatrices et que cela a des répercussions dans les stades de développement subséquents lorsque l’enfant se trouve en situation dynamique complexe, par exemple, lors d’une conversation. En situation communicationnelle, la théorie de l’esprit permet à l’enfant de s’adapter à son interlocuteur (Veneziano et Plumet, 2009). Il est ainsi possible d’affirmer que les enfants autistes ont des difficultés à développer la capacité métareprésentationnelle qui sert à attribuer des croyances (Baron-Cohen, 1989), ce qui a également des conséquences dans l’élaboration des relations causales dans la structuration du discours narratif, relations aussi difficiles à effectuer par l’enfant autiste (Diehl, Benneto et Carter Young, 2006; Losh et Capps, 2003; Tager-Flusberg, 2000).

En effet, les enfants autistes produisent moins de descriptions causales38 autour des personnages et de leurs émotions (Diehl, Benneto et Carter Young, 2006; Losh et Capps, 2003; Tager- Flusberg, 2000). Il a été démontré, dans les productions narratives des enfants autistes, qu’ils n’utilisent pas le langage dans sa forme causale, forme de langage qui permet, au niveau de la cohérence, d’intégrer les épisodes de façon thématique (Losh et Capps, 2003). Cette difficulté narrative concernant la description des émotions des personnages et, de ce fait, à l’attribution d’états internes, entrave le développement des relations causales dans le récit puisque, tel que Makdissi et Boisclair (2008) l’ont démontré, la structuration du discours narratif émerge à partir de la mise en mots, par un construit primitif, de l’émotion du personnage par le narrateur en relation causale avec les évènements, ce qui contribue à construire les premières composantes récurrentes comme, par exemple, la problématique (Vendeville, Brechet et Blanc, 2015). Selon Veneziano et Hudelot (2009), les états internes dans les narrations permettront de créer des relations explicatives, soit des liens de causalité entre les conséquences et leur relation avec la cause. Ceci permettra des complexifications ultérieures dans la narration, notamment dans la construction des buts et des motivations des personnages d’une part comprise comme conséquence du problème et de l’émotion négative et, d’autre part, cause qui sous-tendra les tentatives d’actions. Ainsi, il est possible de comprendre pourquoi, à la suite des travaux de Diehl, Benneto et Carter Young (2006), en situation de rappel, les enfants autistes font des productions de type descriptives, c’est-à-dire des productions s’apparentant à celles des trois premiers niveaux du schéma hiérarchique de la complexification du discours narratif observées chez l’enfant tout-venant qui ont été décrits précédemment (voir sous-section 2.2.3.1. de la thèse) et qui présentent la spécificité d’absence de l’expression de causalité.

38 Lemay (2004) affirme que le développement de la causalité est entravé chez l’enfant autiste puisque ce dernier, dès

le stade de développement sensorimoteur, souvent pris dans un mode de répétitions excessives d’actions, se centre sur l’action et sur l’intégration sensorielle plutôt que sur la prise de conscience du phénomène, soit le lien entre l’action et le résultat.

2.2.2.2. Stade intuitif

Le stade intuitif est, pour l’enfant tout-venant, le stade de la réflexion (Bradmetz et Schneider, 1999) où il perfectionnera les développements de la théorie de l’esprit et de la structuration du discours narratif. Les nœuds dans le développement présents dès le début de la vie des enfants autistes créeront un écart de plus en plus grand avec l’enfant tout-venant. C’est d’ailleurs à ce stade que l’enfant, autiste ou non, fait son entrée dans le monde scolaire39.

Il ressort de la littérature que la théorie de l’esprit se développe, à proprement dit, pendant le stade intuitif, mais que plusieurs enfants autistes n’atteignent pas l’âge développemental de trois ans et vivent avec de graves nœuds développementaux en ce qui a trait à la communication empêchant le développement du raisonnement nécessaire à la compréhension de la théorie de l’esprit (Bursztejn et Gras-Vincendon, 2001). Les difficultés observées dans le développement de la théorie de l’esprit créent un retard qui n’est ni général ni permanent puisque les recherches montrent que les enfants autistes plus âgés développent, quoiqu’avec certaines difficultés, la capacité à comprendre les états mentaux de l’autre (Baron-Cohen, 1989; Baron-Cohen, Jolliffe, Mortimore et Robertson, 1997; Bursztejn et Gras-Vincendon, 2001; Plumet et Veneziano, 2014a, 2014b). Les réussites aux tests de fausses croyances peuvent aussi prouver l’hétérogénéité de l’autisme sur le plan cognitif (Bursztejn et Gras-Vincendon, 2001). D’ailleurs, Plumet et Veneziano (2014a) rapportent que la réussite aux épreuves de type fausse croyance nécessitent chez l’enfant autiste un développement langagier plus grand que chez les enfants tout-venant. À ce propos, si les enfants autistes ont de la difficulté à accéder aux représentations de second ordre, cela peut en partie expliquer les difficultés éprouvées à développer la théorie de l’esprit (Baron-Cohen, Leslie et Frith, 1985).

39 Le stade de développement opératoire ne sera pas discuté en ce qui a trait à l’enfant autiste, puisque l’enfant auprès

Baron-Cohen, Leslie et Frith (1985) se sont intéressés au développement de la théorie de l’esprit chez l’enfant autiste. Ces auteurs ont amorcé des travaux pionniers sur le sujet. Ils ont rencontré vingt enfants autistes ayant un quotient intellectuel (Q.I.) se situant entre 70 et 108, quatorze enfants ayant une trisomie 21 ayant un Q.I. se situant entre 42 et 89 ainsi que vingt-sept enfants tout-venant d’âge préscolaire. Les enfants ont passé une épreuve de fausse croyance40. Les résultats montrent que 85 % des enfants tout-venant et 86 % des enfants ayant une trisomie 21 ont réussi la question de fausse croyance de premier niveau41 alors que 80 % des enfants autistes n’ont pas réussi à y répondre correctement, et ce, malgré le fait que leur Q.I. soit plus élevé que celui des enfants ayant une trisomie 21.

À la suite de ces résultats où 20 % des enfants autistes réussissent le test de fausses croyances de premier ordre, Baron-Cohen (1989) mène une seconde étude avec dix enfants autistes dont la moyenne d’âge était de 15;3 ans, dix enfants ayant une trisomie 21 dont la moyenne d’âge était de 14;3 ans et dix enfants tout-venant tous âgés de sept ans, âge auquel les enfants tout-venant ont développé les habiletés du deuxième niveau42. Ces enfants ont été soumis à un test plus complexe nécessitant des habiletés de deuxième ordre où plusieurs intermédiaires interviennent43. Tous les enfants autistes ont échoué à cette épreuve, ce qui entérine ce que Baron-Cohen a avancé, les enfants autistes peuvent développer la théorie de l’esprit, mais avec un grand retard. Certains auteurs réfutent les résultats de Baron-Cohen en affirmant que ces échecs aux tests de fausses croyances pourraient être en lien, non pas avec des difficultés dans le développement de la théorie de l’esprit, mais plutôt avec les difficultés linguistiques éprouvées par les enfants

40 Le test de fausse croyance classique utilisé est celui de Sally (Baron-Cohen, Leslie et Frith, 1985) qui a été précisé

en note de bas de page du document dans la section 2.1.3.1.

41 Le premier niveau du test de fausse croyance nécessite que l’enfant se prononce sur l’état épistémique d’un

personnage (Veneziano, 2002, 2005).

42 Dans le deuxième niveau de représentation de la fausse croyance, l’enfant doit se prononcer sur ce que pense le

personnage A au sujet de la pensée du personnage B (Veneziano, 2002, 2005). Il y a donc un intermédiaire entre l’enfant et le personnage B.

43 Dans cette épreuve, une saynète est jouée devant l’enfant (Baron-Cohen; 1989). John veut une glace mais il n’a

pas de sous. Le marchand de glaces lui dit qu’il restera dans le parc toute la journée et qu’il peut aller se chercher des sous à la maison. John va chez lui. Pendant ce temps, le marchand de glace dit à Mary qu’il va vendre des glaces à l’église. Chemin faisant, il rencontre John et lui dit où il va, de sorte que John va à l’église pour acheter sa glace. Mary va à la maison de John et demande à sa mère s’il est présent. Elle répond à Mary qu’il est parti s’acheter une glace. L’expérimentateur demande à l’enfant : où Mary pense que John est allé pour acheter sa glace ?

autistes (Bursztejn et Gras-Vincendon, 2001; Tager-Flusberg, 2000). Ils pointent ainsi le type d’épreuve utilisé. À ce propos, les difficultés éprouvées dans la réussite de ces tests peuvent également être dues, en partie, à la complexité de la structure narrative. En effet, la connaissance que l’enfant a de la structure du discours narratif a un impact non seulement sur sa production, mais aussi sur sa compréhension et les difficultés qu’éprouvent les enfants autistes à faire des relations causales entre les éléments et les composantes récurrentes du récit (Diehl, Benneto et Carter Young, 2006; Losh et Capps, 2003; Tager-Flusberg, 2000) peuvent être mises en lien avec le taux de réussite à cette épreuve.

La théorie de l’esprit permet d’interpréter les intentions et les buts en relation avec les actions des personnages dans les récits (Mason, et coll., 2008). Les difficultés éprouvées par l’enfant autiste dans le développement de la théorie de l’esprit (Baron-Cohen, 1989; Baron-Cohen, et coll., 1997; Baron-Cohen, Leslie et Frith, 1985; Bursztejn et Gras-Vincendon, 2001) ont des répercussions sur la façon dont les enfants autistes comprennent les récits et interprètent les désirs, les états internes et les croyances des personnages (Losh et Capps, 2003; Mason, et coll., 2008), ce qui a un effet sur les productions syntaxiques (Mason, et coll., 2008), notamment par la production de relations causales qui peuvent nécessiter une syntaxe plus complexe, et sur la complexification de la structure du discours narratif. En ce sens, Tager-Flusberg (2000) associe même les retards qu’ont les enfants autistes dans les productions narratives directement à ceux observés dans le développement de la théorie de l’esprit. Les enfants autistes n’attribuant que très rarement des états internes aux personnages dans une perspective explicative, cela fait en sorte qu’ils produisent difficilement des relations causales dans leurs narrations (Veneziano et Hudelot, 2009), ce qui entrave la production d’épisodes.

En lien avec les développements ultérieurs observables dans la structuration du discours narratif de l’enfant tout-venant, il ressort de la littérature que les enfants autistes ont des difficultés à faire des inférences et à construire des relations causales entre les composantes (Diehl, Benneto et Carter Young, 2006; Losh et Capps, 2003). Ainsi, l’enfant nomme des événements sans les lier

directement au but, de sorte qu’il produit davantage des séquences d’actions qui peuvent sembler isolées. De plus, en lien avec les nœuds développementaux dans la théorie de l’esprit et dans les représentations de second ordre (Baron-Cohen, Leslie et Frith, 1985), l’enfant autiste éprouve des difficultés à comprendre ce que l’interlocuteur doit savoir (Tager-Flusberg, 2000, 2001) et a des difficultés à construire, dans la narration, des représentations partagées d’un même évènement (Losh et Capps, 2003). Ainsi, le fait que l’enfant autiste raconte ne veut pas nécessairement dire qu’il a développé les représentations de second ordre nécessaires pour éclairer son interlocuteur; il peut raconter pour le plaisir de raconter.