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Chapitre 3 – Méthodologie

3.3. LE TRAITEMENT DES DONNÉES D’ANALYSE

3.3.5. Cinquième étape d’analyse : la description des interactions

La cinquième étape d’analyse vise la description de l’activité de l’enfant et de l’activité de l’adulte en fonction des interactions et des dialogues. Cette dichotomie dans l’analyse permet de nourrir les objectifs spécifiques de la thèse en décrivant ce que l’enfant fait au regard de la structuration du récit (objectif spécifique 1.a.) ainsi que de la théorie de l’esprit (objectif spécifique 2.a.) et ce que l’adulte fait au regard de la structuration du récit (objectif spécifique 1.b.) ainsi que de la théorie de l’esprit (objectif spécifique 2.b.). Il est à noter qu’une fois toutes les interactions analysées pour chaque récit, la praticienne chercheuse est revenue sur chacun d’eux pour définir de façon plus claire les catégories et les baliser. Dans ce processus itératif, les analyses d’interventions ont été uniformisées et la praticienne chercheuse, secondée

70 Dans le but de contextualiser les analyses descriptives présentées dans les prochains chapitres et d’assurer la

cohérence entre les éléments d’analyse, les schémas de récits présentant la compréhension de l’enfant seront présentés dans les chapitres suivants.

par le deuxième juge, a produit des critères permettant d’expliquer chaque catégorie. Cette étape, dans un processus de création de catégories par théorisation ancrée, correspond au codage axial, soit l’articulation des propriétés théoriques et la vérification des articulations (Lejeune, 2014).

Les données, ainsi segmentées en unités de sens, déplacées et regroupées, non pas en fonction de leur contexte initial et de leur chronologie dans le déroulement de la discussion, mais en fonction de l’action de l’enfant et celle de l’adulte, sont considérées comme décontextualisées (Savoie- Zajc, 2000). C’est ainsi regroupées, que les données seront analysées.

3.3.5.1. Description de l’activité de l’enfant et création de catégories

Dans un premier temps, les unités de sens précédemment identifiées ont été catégorisées en fonction de ce que l’enfant fait. Ainsi, la praticienne chercheuse a identifié les unités de sens où l’enfant ne répond pas aux questions et celles où elle répond puis a défini les critères pour chaque catégorie. Il est à noter que, dès la transcription sous forme de verbatim, pendant le codage ouvert, la praticienne chercheuse avait commencé à faire ressortir les types d’activités de l’enfant. Puis, chacune de ces unités de sens est analysée sous l’angle du discours partagé entre l’adulte et l’enfant.

Comme documenté par Paillé et Mucchielli (2012), les descriptions sont davantage reliées au cadre théorique de la chercheuse, puisque la chercheuse l’utilise pour en faire une « lecture théorisante ». Ainsi, à partir du cadre théorique construit, elle identifiera, pour chaque unité de sens, quelles composantes récurrentes du récit (Makdissi et Boisclair, 2008 ; Stein, 1988) et quels états internes des personnages, soit les composantes de la théorie de l’esprit, elle cible (Veneziano, 2010 ; Veneziano et Hudelot, 2006). Ainsi, les regroupements de sens se feront en fonction des objectifs spécifiques de la thèse (Blais et Martineau, 2006). Par la suite, la praticienne chercheuse s’est questionnée en ce qui a trait aux relations causales établies dans

chaque unité de sens à savoir si ces dernières visaient une seule composante récurrente ou si des liens entre des composantes récurrentes étaient construits dans l’interaction. Pour documenter cette partie d’analyse, elle a utilisé les critères établis par Makdissi et Boisclair (2008) dans le but de les organiser. Ainsi, les unités de sens ne présentant pas de relations causales, celles présentant des relations causales intracomposantes, celles présentant des relations causales intercomposantes et celles présentant des relations causales transcomposantes ont été identifiées71.

L’analyse a permis de délimiter des catégories en fonction des critères d’accord et de désaccord qui ont mené à l’entente entre la praticienne chercheuse et le deuxième juge (Savoie-Zajc, 2000). Une mise en relief d’éléments prototypiques de chaque catégorie est présentée plus bas, et ce, en fonction de chaque objet de développement (Blais et Martineau, 2006). Une fois que la catégorie est solide, ou stabilisée par le processus itératif d’analyse, et qu’il y a plusieurs exemples l’appuyant, la praticienne chercheuse a dû la définir, spécifier ses propriétés et identifier les conditions de son existence (Mucchielli, 2009; Paillé et Mucchielli, 2012). Cette étape de définition ou de cristallisation (Lejeune, 2014) des catégories permet la recontextualisation du matériel en fonction du sens (Savoie-Zajc, 2000) et, dans un processus de création de catégories par théorisation ancrée, cela correspond au codage sélectif, soit l’intégration des relations entre les éléments et l’élimination de certains autres (Lejeune, 2014). Ainsi, une grande part du travail d’analyse par catégorisation est de faire ressortir le sens des données en mettant en relation des évènements et des contextes (Paillé et Mucchielli, 2012).

71 Selon Makdissi et Boisclair (2008), les relations causales intracomposantes signifient qu’elles sont faites à

l’intérieur même d’une composante récurrente du récit dans le but de la construire, ce qui inclut le lien causal unissant la problématique et l’émotion négative ainsi que le lien causal unissant la solution et l’émotion positive. Les relations causales intercomposantes sont faites entre deux composantes récurrentes du récit dans le but de les lier causalement entre elles. Cela sert à tisser la trame narrative du récit. Les relations causales transcomposantes nécessitent la combinaison de plusieurs relations causales intracomposantes et intercomposantes.

Les questions où l’enfant répond

Toutes les unités de sens où l’enfant répond à la question ont été regroupées, et ce, que la réponse soit juste ou non. La réponse de l’enfant doit être en lien avec le récit lu. Si l’enfant fait un bruit ou une mimique, par exemple un visage fâché, cela doit être en lien avec le récit lu. Par exemple, dans la lecture interactive du récit « Raoul Taffin pirate » (Moncomble et Pillot, 2001), on remarque qu’à la ligne 4 l’enfant répond en utilisant des bruits de bateau. L’adulte considère cela comme une réponse :

1. A. Ils s’en vont où? 2. E. Dans le bateau.

3. A. Oui! Pour faire quoi? Qu’est-ce qu’i’ veulent. 4. E. (Bruit de moteur.)

5. A. Conduire leur bateau! Pour aller chercher quoi? 6. E. Les pièces en or.

7. A. Les pièces en or! Oui! 8. E. Oui.

9. A Un trésor avec des pièces en or.

Les questions auxquelles l’enfant ne répond pas

Dans la même logique, toutes les unités de sens où l’enfant n’a pas répondu à la question cœur ont été regroupées. Au sein de ce regroupement, on retrouve les unités de sens où l’enfant est demeurée silencieuse, celles où elle répond en faisant des bruits qui sont sans lien avec le récit ainsi que celles où elle répond en parlant d’éléments extérieurs à la lecture en cours qui occupent son esprit. Par exemple, pendant la lecture de « Les oreilles du roi » (Jovanovic et Béha, 2011) on remarque, à la ligne 4 de l’extrait du verbatim, que l’enfant parle, mais l’élément discuté est sans lien avec le récit :

1. A. Pourquoi il les garde prisonniers dans son château? 2. E. (Silence.)

3. A. Tous les petits coiffeurs ils sont venus dans son château. I’ ont coupé ses cheveux p’is i’ ont vu ses…

4. E. … DVD.

5. A. Oui. I’ ont vu ses? 6. E. (Silence.)

Les interactions spontanées

Finalement, un dernier regroupement permettant de décrire ce que fait l’enfant réunit les unités de sens où l’enfant initie la discussion. En effet, il a été remarqué que l’enfant, en plus de répondre ou non aux questions, initie des interactions spontanées en cours de lecture. Les interactions spontanées de l’enfant ne sont pas considérées comme le fruit du hasard, mais bien comme la manifestation de la compréhension du récit par l’enfant, la construction mentale qu’il se fait de l’organisation des composantes récurrentes (Makdissi, 2004) et de la théorie de l’esprit. Ainsi, cette catégorie regroupe les interactions en lien avec le récit que l’enfant fait lorsqu’elle coupe la lecture de la praticienne chercheuse ou la discussion pour attirer l’attention sur l’illustration ou en lui posant une question. Les questions posées peuvent être des reprises, mais elles sont faites par imitation différée, c’est-à-dire que l’enfant, contrairement à une « reprise immédiate de l’adulte » ne l’imite pas immédiatement après qu’elle ait posé la question. Selon Dudley et Delage (1980), on considère qu’il s’agit d’une énonciation de l’enfant si l’imitation a eu lieu après cinq tours de parole. Cela prouve que l’enfant a intériorisé les interventions et qu’elle est capable de les évoquer de façon appropriée lorsqu’il est dans un contexte semblable (Legendre-Bergeron et Laveault, 1980). Par exemple, à la ligne 2 de l’extrait du verbatim de la lecture interactive du récit « Nez-Rouge sur la piste de Léonard » (Devernois et Pied, 1999), on remarque que l’enfant interpelle l’adulte pour lui poser une question :

1. A. Balourd, Finesse, Mandibule. Ça c’est Lili l’écuyère. 2. E. Qu’est-ce qu’a’ fait Lili l’écuyère?

3. A. Lili l’écuyère : « Venez au grand cirque Abadaba! »

La question « qu’est-ce qu’elle fait? » en est une récurrente dans les interventions proposées par l’adulte, et ce, non seulement dans le récit en cours, mais à travers l’ensemble des récits lus depuis le début de l’année d’intervention.

3.3.4.2. Description de l’activité de l’adulte

La chercheuse a ensuite entrepris de décrire ce que l’adulte fait. Pour ce faire, elle a regardé chaque unité de sens préalablement déterminée à l’étape 3 dans le but d’identifier quel type de questions cœurs ont été posées.

3.3.4.2.1. Les types de questions

La praticienne chercheuse a refait une lecture approfondie de chaque unité de sens dans le but de dégager quels sont les types de questions cœurs posées par l’adulte. Deux grandes catégories de questions sont ressorties, c’est-à-dire les questions fermées et les questions ouvertes. Les questions fermées induisent le contenu tandis que les questions ouvertes font appel à l’évocation et n’induisent pas les réponses, mais plutôt un travail de raisonnement causal et d’explicitation (Vermersch, 2004). Au fil des lectures, des sous-catégories sont apparues. La praticienne chercheuse s’est questionnée à savoir de quels types de questions il s’agissait. Pour arriver à quatre sous-catégories, elle a identifié au départ six sous-catégories72. Ce processus d’attribution de sens crée des catégories provisoires qui, grâce au processus d’analyse itératif et aux nombreuses lectures des données, a fait en sorte que certaines catégories ont été modifiées et fusionnées (Paillé et Mucchielli, 2012). De plus, l’apport du deuxième juge a permis de préciser et d’opérationnaliser chaque sous-catégorie notamment lors des moments de discussion. Ainsi, les questions fermées regroupent deux types de questions, soit les questions fermées de type oui/non et les questions fermées de type rétrospectives et les questions ouvertes regroupent deux types de questions, soit les questions ouvertes rétrospectives et les questions ouvertes prospectives.

72 Les six sous-catégories de départ étaient les questions fernées de type oui/non, les questions fermées

rétrospectives, les reprises immédiates de l’adulte, les reprises immédiates du livre, les questions ouvertes rétrospectives et les questions ouvertes prospectives.

Les questions fermées de type oui/non

Les questions fermées de type oui/non sont des questions dont la formulation invite à répondre par oui ou par non. Ainsi, l’enfant n’a qu’à signifier son accord ou son désaccord avec l’énoncé. Cela ne nécessite pas que l’enfant explique sa réponse ni qu’il la justifie. Par exemple, dans le récit « Les oreilles du roi » (Jovanovic et Béha, 2011), l’adulte demande à l’enfant « Est-ce que le roi sort de sa maison pour aller chez le coiffeur? ». Cette question cœur, ainsi formulée, exige une réponse par oui ou par non ainsi qu’aucune justification.

Les questions fermées rétrospectives

Les questions fermées rétrospectives, pour leur part, sont les questions cœur où l’adulte pose une question à l’enfant dont la réponse a été entendue précédemment dans le livre. Par exemple, pendant la lecture de « Raoul Taffin pirate » (Moncomble et Pillot, 2001), l’adulte demande à l’enfant : « Qui est-ce qui est grognon? ». Cette question est rétrospective dans le sens où la réponse attendue provient du livre et que cela a été nommé explicitement précédemment. Cette question est aussi fermée, car elle n’exige pas l’élaboration d’une idée ou d’une explication. Ainsi, souvent, les réponses engendrées génèrent une réponse brève n’obligeant pas la construction d’une phrase.

Les questions ouvertes rétrospectives

En ce qui a trait aux questions ouvertes rétrospectives, il a été remarqué que certaines questions demandent à l’enfant de s’expliquer en utilisant ce qui a été lu précédemment et en reliant causalement les composantes du récit ou certains éléments à l’intérieur d’une même composante. Par exemple, lorsque l’adulte demande à l’enfant, dans le but de faire énoncer le but des personnages, « Qu’est-ce qu’ils cherchent? » ou « Qu’est-ce qu’ils veulent? ». Ces questions demandent à l’enfant de s’exprimer sur le but du récit qui n’est pas toujours nommé explicitement et, pour ce faire, exigent d’interpréter ce qui a été lu précédemment. Dans la lecture

interactive de « Nez-Rouge sur la piste de Léonard » (Devernois et Pied, 1999), l’adulte demande à l’enfant : « Pourquoi la dame est affolée? ». Cette question ouverte demande à l’enfant de faire des liens entre les énoncés lus précédemment pour, dans ce cas, expliquer la cause de l’émotion de la dame.

Les questions ouvertes prospectives

En ce qui a trait aux questions ouvertes prospectives, l’adulte pose à l’enfant des questions sur la suite du récit. Ces questions stimulent la capacité d’évocation de l’enfant et la mise en lien des éléments lus et discutés précédemment pour pouvoir prédire, en fonction de ses propres connaissances sur le récit et sur le monde, la suite de l’histoire. Il est à noter que même si l’enfant a fait plus d’une lecture du même récit, ces questions sont considérées comme ouvertes puisque la compréhension que l’enfant a du récit n’est pas la même à chaque lecture. Par exemple, dans le récit « Raoul Taffin pirate » (Moncomble et Pillot, 2001), l’adulte pose à l’enfant la question cœur suivante : « Qu’est-ce qu’on peut faire un coup qu’on a réussi notre mission? ». C’est une ouverte prospective puisqu’elle demande à l’enfant de faire une prédiction sur la suite du récit et elle sollicite sa capacité d’évocation ainsi que ses connaissances sur le monde.