• Aucun résultat trouvé

Dans le milieu tropical brésilien, le débat épidémiologique divergeait entre l’école française, qui a réussi à transférer sa technologie de recherche et de fabrication de vaccins aux médecins brésiliens à la fin du 19e siècle, et l’école nord-américaine, représentée par la Fondation Rockefeller, qui a diffusé les techniques d’épandage d’insecticides et le contrôle des foyers des vecteurs au début du 20e siècle.

À la fin du 19éme, poussé par la dissémination de la peste bubonique, probablement emportée de la Chine dans les villes portuaires, le gouvernement de Rio de Janeiro a créé l’Instituto Vacínico sous la charge d’Oswaldo Cruz (1872-1917), médecin formé par l’Institut Pasteur à Paris. Parallèlement, le gouvernement de São Paulo a créé l’Instituto

Butantan sous la direction du médecin Adolpho Lutz (1855-1940), celui-ci formé à Berne, et du médecin Vital Brasil, formé à Rio de Janeiro.

Initialement voués au contrôle de la peste, de la variole et de la fièvre jaune, la découverte des vecteurs biologiques des pathogènes tropicaux et le développement de certains vaccins, les campagnes des médecins brésiliens se sont concentrées sur la vaccination combinée avec des mesures d’assainissement, dont l’élimination des rongeurs, le nettoyage des rues et l’application de mesures d’hygiène dans les logements, selon une approche systémique d’éradication de foyers de vecteurs connus.

Pour le gouvernement brésilien, le combat des maladies tropicales dans les villes portuaires était relié au besoin de réouverture du pays au marché international, en 1808 - Rio et Santos étaient évitées par les bateaux étrangers - ainsi qu’à la libre circulation des personnes et des idées. Néanmoins, après l’abolition de l’esclavage, en 1888, la population d’ex-esclaves n’avait d’autre option que de se loger dans des maisons de chambre et dans les cortiços,1 ou de bâtir des abris en taipa2 sur les terrains moins intéressants, donnant origine aux premiers ensembles de taudis urbains, les favelas.

Les campagnes hygiénistes menées par Oswaldo Cruz ont préparé la population à la réalisation de plusieurs aménagements en vue d’une planification sanitaire et de la modernisation des villes. L’installation du système de drainage et d’égouts à Santos conçu par Saturnino de Brito, de 1903 à 1907, et la reforme urbaine à Rio, menée par Pereira Passos à partir de 1902 - toutes les deux justifiées par l’argument d’élimination des foyers des maladies - constituent des exemples pionniers de l’urbanisme sanitaire au Brésil; le premier, en adaptant la technologie de drainage aux conditions naturelles et construites de façon à les mettre en valeur, semble avoir une préoccupation autant écologique que culturelle; le deuxième, suivant la technique haussmannienne, a rasé la ville en ouvrant de

1

Sorte de maison de chambres où les portes et fenêtres s’ouvrent vers une cour intérieure, avec des installations sanitaires collectives.

2

Technique de construction dont les murs sont bâtis avec une grille en bois recouverte avec de la boue et le toit est composé d’une structure de bois couverte des feuilles de palmier ou des tuiles en bois et, plus rarement, en céramique.

nouvelles avenues sur les quartiers pauvres et insalubres pour donner place aux voitures et réseaux d’infrastructure d’assainissement, tout en expulsant les pauvres du centre-ville.

Suivant l’idée étasunienne de développement, à partir de 1923, la bataille épidémiologique a aussi souffert de cette dichotomie méthodologique, divisée entre le savoir développé par les médecins brésiliens de formation française du Departamento Nacional de Saúde Pública et la soumission à la technologie chimique étasunienne, vendue et appliquée par la Fondation Rockefeller (Lowy 1997).

La course pour combattre la fièvre jaune, de 1923 jusqu’à 1939, a entamé la course de contamination du territoire brésilien par le DDT et par d’autres pesticides persistants, sans réussir à éradiquer le pathogène, celui-ci s’étant déjà adapté à la forêt brésilienne où il est maintenant endémique. Toutefois, la croissance urbaine basée sur des mesures d’assainissement de l’eau et le drainage liées à l’avancement des frontières agricoles sur les aires sauvages, suivis d’un usage intensif de pesticides - surtout dans la periode de modernisation agricole pendant les années 1970 - a retenu les pathogènes de maladies tropicales dans des fragments forestiers relativement éloignés des zones urbaines. La découverte de nouveaux vaccins et d’antibiotiques, ainsi que l’attention accordée à l’hygiène lors de l’accouchement et à la petite enfance ont fait remplacer les maladies infectieuses par les maladies dégénératives comme principale cause de mortalité, repoussant ainsi l’espérance de vie des Brésiliens de 45 ans en 1960 à un âge au-delà de 72 ans, en 2007.

Dans la région nord du Paraná où la ville de Maringá a été bâtie, le processus d’assainissement du territoire exploité par la CTNP-CMNP3 en 1947 a été simultané à la destruction de la forêt pluviale atlantique suivie de l’épandage d’insecticides sur la culture du café et dans les logements, ainsi que des campagnes de vaccination obligatoire (Lopes 1983). La priorité donnée par la CMNP à l’assainissement urbain n’a pas été suffisante

3

Companhia de Terras Norte do Paraná, devenue Melhoramentos Norte do Paraná ou Compagnie

d’améliorations du nord du Paraná, est l’entreprise responsable de la colonisation du territoire qu’elle a reçu

du gouvernement en échange de la construction d’une voie ferrée le long de ce territoire. Cet échange impliquait le devoir d’établir des lotissements ruraux et urbains et de les commercialiser.

pour éliminer la nécessité des campagnes de combat de la fièvre jaune, dont le vecteur a finalement été éradiqué de la région par le climat, par la destruction de la forêt et peut-être par les pesticides agricoles. L’implémentation d’un plan d’embellissement des voies et des points ronds en utilisant des espèces ornementales autochtones et exotiques, la création de parcs constituant des réserves forestières autour des sources d’eau, ainsi que le dessin organique du système de voirie ont composé l’image de cité-jardin portée par cette ville, en produisant un espace urbain aux qualités innovatrices à l’époque.4 Pourtant, la région colonisée par la CTNP-CMNP est celle qui a plus rapidement détruit sa forêt en devenant la plus déboisée de tout l’État du Paraná; aujourd’hui il ne reste que moins de 3 % du territoire original couvert par sa végétation indigène dans le territoire de la municipalité de Maringá (Melo, Villalobos et al. 2002). Le biome de la forêt pluviale atlantique est répertorié parmi ceux qui ont le plus d’espèces menacées au monde (Bibby and International Council for Bird Preservation. 1992).

Le fait que cette ville a été la scène d’une succession de trois vagues épidémiques de la dengue, en 1995, 2002 et 2007 avec des taux d’incidence en croissance (Mazia, Mello et al. 2009), et de la grippe H1N1 en 2009, toujours avec des incidences très élevées par rapport aux moyennes de l’état, renforce l’hypothèse du courant miasmatique, estimant un lien entre la dégradation de l’environnement par l’urbanisation et la baisse de la résistance immunologique des habitants à certaines maladies.

Suite à cette révision des liens historiques entre la santé et le milieu, il est important de tisser les arguments autour d’une définition de la santé comme à la fois un état d’équilibre qualitatif de la vie biologique et humaine, afin de poser les bases pour la structure de cette recherche.