• Aucun résultat trouvé

3.3 Approche épidémiologique de la durabilité urbaine

L’approche épidémiologique telle qu’évoquée pour cette recherche constitue une façon de bâtir les indicateurs de durabilité urbaine tenant le concept de durabilité comme synonyme de santé écosystémique. Ce n’est pas une méthode issue des disciplines médicales telles la santé publique ou la microbiologie mais une construction théorique basée sur la similitude entre le concept de santé donnée par l’OMS, le concept écologique de santé proposé par Dubos et l’idée de qualité de vie humaine promue par l’urbanisme. Cette construction théorique nous a conduit à délimiter la durabilité en termes de santé écosystémique et à bâtir les indicateurs en tant que caractéristiques de cette santé universelle - à la fois humaine et écologique - qui composent la définition de durabilité.

3.3.1 - La santé urbaine dans la ville jardin

L’idéal du jardin où l’être humain et la nature puissent s’épanouir a parcouru l’imaginaire humain depuis les premières civilisations. Fuir la mort et éviter la douleur semblent être l’instinct commun des espèces vertébrées, les poussant ainsi à continuer le processus d’évolution. Mis à part les différences entre l’être humain et les autres espèces, cet instinct commun semble guider l’humanité dans son processus civilisateur, jusqu’au développement technologique et social actuel, dont la ville est l’expression la plus achevée. La lutte pour fuir la mort et éviter la douleur peut être un filtre de lecture de l’histoire des villes brésiliennes, où les conflits sont exprimés par les maladies tropicales, issues des vecteurs forestiers.

Au milieu du 20e siècle, l’hygiène, la vaccination et les antibiotiques faisaient des miracles contre certaines maladies contagieuses. C’était surtout le cas pour celles dont le réservoir de l’organisme pathogène était le corps humain, tel que la poliomyélite, la coqueluche, la tuberculose, la variole, le choléra et la méningite. Par contre, une grande

partie des maladies dont le réservoir est issu du milieu naturel, comme la malaria, la leishmaniose et la maladie de Chaggas, restent sans vaccin aujourd’hui encore. Cela expliquerait l’association des maladies à la forêt tropicale, où la biodiversité et la variété de virus que s’y trouvent sont beaucoup plus élévés que dans des régions tempérées ou boréales.

Dans les régions intertropicales, les mesures de précaution contre les organismes hôtes et les vecteurs des maladies ont pris la forme d’une culture d’assainissement du milieu, de façon à transformer le paysage sauvage exubérant et prolifique en matière de biodiversité en un paysage semi-désertique, semblable à la savane. Ce type de pratique représente le modèle d’une nature civilisée, avec un sol recouvert par le gazon, des groupes végétaux très pauvres en diversité et composés très souvent d’espèces exotiques. Ce modèle est ainsi considéré comme le plus adéquat au bien-être et à la santé humaine.

La domestication de la nature se conforme à l’idée occidentale de développement initiée avec la technologie industrielle, de même que la planification urbaine suit l’idée de cité-jardin. Bien que plus respectueux de la topographie que les plans en grille et plus rationnel que l’organicisme vernaculaire, le schéma de ville jardin proposé par Howard (1969) suggère aussi une société pyramidale organisée dans des villes plus ou moins circulaires. La nature domptée devient un jardin géométrique et dominé par les ceintures vertes et boulevards, qui servent autant à la séparation des différents usages urbains, mais aussi à la séparation des classes.

Une tentative de hiérarchisation sociale se reveèle également à travers le découpage des zones du plan pilote de Maringá, faite par la CMNP. Elle a en effet déterminé un secteur ouvrier proche du secteur industriel; du côté opposé, elle a atribué une aire destinée aux classes riches et moyennes; au centre, la CMNP a implanté un secteur destiné au commerce et aux grands établissements publics. Il faut enfin souligner que chacun de ces secteurs a été séparé des autres par un grand parc.

Toutefois, la crise mondiale du pétrole des années 1970, ajoutée à la crise de la culture du café, a bouleversé cet ordre. La CMNP a ainsi été poussée à revoir son plan pour répondre à la demande des petits fermiers en faillite, mais également des travailleurs ruraux

qui ont migré vers la ville. La crise passée, la plupart des nouveaux lotissements - généralement voués à la population pauvre - ont été construits en dehors du plan pilote. La réalisation de ces lotissements populaires s’est faite en suivant les limites légales minimales : ce sont des lots minuscules dans une grille de rues étroites, avec des bordures de préservation réduites au minimum permis, ou simplement enterrées et bétonnées.

Une fois que les grands lots du plan pilote deviennent rares et chers, les investisseurs accélèrent le processus de verticalisation du centre-ville. Ce mouvement qui continue jusqu’aujourd’hui et destiné à abriter principalement la classe moyenne dans des tours d’appartements de plus en plus hautes et entassées. Puis il a connu un nouveau souffle après la construction du passage souterrain destiné à la voie ferrée, qui a permis de libérer l’aire appelée Novo Centro, ou nouveau centre-ville, pour construire des tours de logement.

À partir des années 1990, la classe moyenne demande la construction de lots individuels. L’apparition des condominiums viennent alors transformer d’abord le paysage urbain et, ensuite, le paysage rural. Fuyant l’insécurité des maisons pavillonnaires et l’encombrement des tours d’appartement, les condominiums muraillés se sont installés surtout dans le sud-ouest du plan pilote, à l’interieur du périmètre urbain. Par contre, les premiers condominiums ruraux sont apparus à la campagne, au nord de la ville, sans approbation légale; pour autant, cela ne les a pas empêchés d’attirer la classe moyenne, désireuse de vivre dans un lieu sécuritaire, au contact de la nature et en dehors de la ville.

La lutte individualiste pour obtenir une meilleure qualité de vie urbaine – même si elle entretient l’inégalité sociale - semble conduire à une dégradation progressive de la qualité de vie et à l’exacerbation des problèmes urbains et écologiques, autant dans la ville que dans la zone rurale.