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UN FONCTIONNEMENT INTERNE SPÉCIFIQUE

B. Le conseil d’administration

La présentation du fonctionnement interne prend en compte le rôle du Conseil d’administration. Nous allons en donner les particularités et nous demander quelle place il occupe réellement dans le processus décisionnel. Cette section prend la suite de celle consacrée à l’évolution du BAS (avec une commission administrative) en CCAS (et son conseil d’administration).

B.1. Une constitution définie par la loi

Selon l’article L123-6 du Code de l’Action sociale et des Familles (CASF), « le centre d'action

sociale est un établissement public administratif communal ou intercommunal. Il est administré par un conseil d'administration présidé, selon le cas, par le maire ou le président de l'établissement public de coopération intercommunale (EPCI) » (Site Légifrance).

La loi mentionne que « dès qu'il est constitué, le conseil d'administration élit en son sein

un vice-président qui le préside en l'absence du maire […], ou en l'absence du président de l'EPCI » (ibid.). Il est prévu que le maire puisse ne pas siéger au sein du CA, organe dont il est

pourtant le président. C’est une première interrogation qui se pose à nous : pourquoi le législateur stipule-t-il que le maire peut, de fait, être absent ? Qu’est-ce que cela induit dans la représentation ? Quelle place réelle occupe alors le premier magistrat ? Il convient d’indiquer que cette loi est universelle, là où, et nous y reviendrons régulièrement, les CCAS revêtent une pléiade de formes.

Nous savons que, lors des CA à Besançon, le maire ne siège pas. Il est systématiquement représenté par la vice-présidente. Celui-ci possède d’ailleurs une multitude de responsabilités : il est également président de la CAGB, président de l’hôpital Jean Minjoz (situé à Besançon) et premier vice-président de l’Assemblée des maires des grandes Villes de France. Tout en ne contrevenant pas à la loi, il peut laisser la vice-présidente exercer la politique décidée collégialement. Nous ne sous-entendons évidemment pas que le maire est détaché de la question sociale locale. Lors de notre entrevue, il nous confie :

« Parmi les priorités de mon mandat, la solidarité est un axe fort, avec l’éducation, la sécurité et la vie des quartiers. Ça reste une priorité dans un contexte budgétaire difficile. Pour l’instant, ça se matérialise en ne baissant pas les subventions, à périmètre égal. »

(Le maire-président)

De plus, il est intéressant de noter qu’il fut vice-président de la structure entre 1995 et 1997. Il revient sur cette période, et reconnaît l’originalité du positionnement d’un vice- président :

« C’est vrai que je garde un souvenir ému de mon passage entre 1995 et 1997 ! […] Le vice-président était quasiment le maire… C’était la belle vie ! » (Le maire-président)

Cette place particulière, au-delà de l’orientation générale décidée par le maire-président, permet de prendre les rênes politiques du CCAS. Un directeur, rencontré dans le cadre de la comparaison territoriale, l’analyse :

« J’aimerais proposer un jour une réforme des CA, notamment par la suppression de la présidence de droit, qui est un non-sens ! On ne préside pas parce qu’on en a le droit, on préside parce qu’on en a envie et qu’on le peut ! Dans la plupart des grandes villes et des villes moyennes, on sait que les maires n’ont pas la disponibilité de présider, et les CA sont présidés par les vice-présidents. Ce n’est pas normal ! Le président préside, ou alors ce n’est pas lui. "Président de droit" n’a pas de sens. » (Un directeur de CCAS de France)

Un vrai débat existe sur la place du président. Au-delà de la légitimité réglementaire instituée par le CASF (qui évite aussi en partie l’isolement du CCAS vis-à-vis du reste de la Ville), c’est le bien-fondé politique et représentatif qui est questionné. Cette controverse renvoie également à la place des administrateurs dans le processus décisionnel.

B.2. Les administrateurs

La loi prévoit un nombre défini d’administrateurs : « Outre son président, le conseil

d'administration comprend des membres élus en son sein à la représentation proportionnelle par le conseil municipal » (Site internet Légifrance). En premier lieu, les élus du conseil

municipal siègent et doivent être représentatifs : les élus d’opposition y figurent aussi de droit.

Le CASF poursuit : « Le conseil d'administration comprend également des membres

nommés, suivant le cas, par le maire ou par le président de l’EPCI, parmi les personnes participant à des actions de prévention, d'animation ou de développement social menées dans la commune […]. Les membres élus et les membres nommés le sont en nombre égal au sein du conseil d'administration » (ibid.)

Nous appelions cela, dans notre première partie, une révolution : l’arrivée dans une instance autonome publique de représentants d’associations. C’est un nouvel élément qui fait du CCAS un établissement spécifique : la société civile a une place dans la décision politique de l’institution. La sélection n’est toutefois pas totalement libre, afin de garantir une bonne connaissance des enjeux sociaux locaux : « Au nombre des membres nommés doivent figurer

les exclusions, un représentant des associations familiales désigné sur proposition de l'union départementale des associations familiales [UDAF], un représentant des associations de retraités et de personnes âgées du département, et un représentant des associations de personnes handicapées du département » (ibid.)

Nous nous sommes demandé quel est le "poids" respectif des uns et des autres. Existe- t-il une différence entre les "élus" et les "nommés" ? Leurs interventions sont-elles égalitaires ? Pour y répondre, nous avons interrogé, dans le cadre des entretiens semi-directifs, des administrateurs qui nous semblaient représentatifs : deux élus (un de la majorité et un de l’opposition) et deux nommés. Tous les enquêtés nous expliquent qu’ils ne sentent pas de différence : les débats au sein du CA leur donnent une égalité de parole, si tant est qu’ils la sollicitent. Par exemple, un administrateur, élu de l’opposition, nous dit :

« Quand on est dans l’opposition, on n’est pas directement en charge des politiques. On peut apporter nos remarques, c’est constructif, on a droit à la parole, il n’y a pas de soucis. Mais comme on n’entre pas directement dans l’aspect politique ou dans l’orientation, c’est plus compliqué. Mais il n’y a pas de réticence par rapport aux questions. » (Un administrateur)

Il n’y a pas de distinction entre les administrateurs, qu’ils soient élus ou nommés. C’est davantage leur « qualité » qui est invoquée. Nous ne portons pas ici de jugement de valeur, mais tentons de mesurer combien l’implication d’un administrateur peut jouer sur le fonctionnement du CA. Un ancien administrateur l’explique :

« La part personnelle qu’apporte chacun des administrateurs fait qu’il y a des façons de faire ou de voir qui peuvent évoluer. Les administrateurs d’un CCAS sont là, bien sûr, pour valider les expérimentations. Mais ils sont là aussi pour favoriser les évolutions de fonctionnement, d’intervention, etc. » (Un ancien administrateur)

Ce terme de qualité, sera repris dans les entretiens effectués dans le cadre de la comparaison territoriale. En évoquant leurs CA, des directeurs exposent :

« [Le bon fonctionnement du CA] est très lié à la qualité des administrateurs. Sur ce mandat-ci, il y a eu des changements d’administrateurs, et on a œuvré à ce qu’il y ait des administrateurs de plus grande qualité. C’est beaucoup plus intéressant. » (Un

directeur de CCAS de France)

« Pour l’instant, je ne pense pas qu’il y ait vraiment d’engagement47 : hier soir, on a eu du mal à avoir le quorum. C’est

un peu inquiétant au bout d’un an et demi… » (Un directeur de

CCAS de France)

Ces extraits mettent en évidence que le sujet est abordé et interpelle dans toutes les institutions. L’administrateur reste un être humain et le choix du maire peut rendre le CA plus ou moins attractif. Sur le ton de l’humour, un directeur nous livre une anecdote :

« On a quand même une administratrice qui régulièrement s’endort, elle est âgée, elle représente [une association]. Je suis persuadé qu’il faut changer la composition du CA pour lui donner plus de dynamisme. » (Un directeur de CCAS de France)

Cet exemple, qui ne se veut pas caractéristique de l’ensemble des administrateurs, peut cependant constituer un témoignage des difficultés rencontrées. Le choix de nommer telle ou telle personne n’est pas anodin. Au-delà de la personnalité, quelle est la place réelle du CA au sein du CCAS ?

B.3. La place du CA dans le processus décisionnel

Le conseil d’administration est-il celui qui propose le projet politique, véritable cap à tenir, ou, au contraire, une simple "chambre d’enregistrement", outil réglementairement obligatoire qui n’aurait finalement pas de corps ?

47 Sur le thème de l’engagement, se référer, par exemple, à FERRÉOL Gilles et TUAILLON DEMÉSY Audrey

Cette question s’avère légitime au regard du manque de précisions concernant les prérogatives propres. Au-delà des délibérations sur les orientations politiques, rien n’est clairement déterminé : l’article R123-20 stipule que « le conseil d'administration règle, par ses

délibérations, les affaires du centre d'action sociale » (Site Légifrance). L’UNCCAS, dans Les Vice-Présidents de CCAS/CIAS au cœur de l’organisation de l’établissement public, note ainsi

que « le conseil d’administration a une plénitude de compétences pour régler les affaires du

CCAS » (UNCCAS, 2015, p. 17).

Nous avons émis l’hypothèse, dès le début de notre réflexion, que ce conseil était proche d’un CA associatif. Nous le considérions alors comme l’organe central décisionnel des orientations stratégiques. Pourtant, dès les premiers entretiens menés avec les administrateurs, cette perception s’est modifiée :

« Quand on est élu à la Ville, on a davantage d’entrées et d’informations qu’une personne qualifiée qui vient juste siéger au CA. Ça doit vraiment être vécu comme une "chambre d’enregistrement". Pour travailler dans un milieu associatif, et pour vivre, en tant que salarié, des présences en CA, je vois bien qu’il y a des séances de travail, de réflexions politiques, autour des axes qu’on doit mener. Là, quand moi je suis administrateur du CCAS, je ne retrouve pas ça. » (Un administrateur élu)

« Il est évident que le CA au niveau du CCAS existe, mais la politique, à mon sens, est plus définie au niveau municipal. Si j’étais extrême, je parlerais plus d’une chambre d’enregistrement que d’apports forts en termes de politique. Parce que la plupart des politiques sont déjà définies quand ça passe au CA. » (Un

administrateur nommé)

« Les politiques sont décidées avant que les points ne soient présentés. Ça ne veut pas dire que, s’il y a des remarques de la part des administrateurs, quels qu’ils soient, ça ne pourra pas être pris en compte par la suite. C’est comme ça dans tout ce qui se passe au niveau des assemblées, il faut bien que ça soit préparé d’avance.

Quand ça arrive au CA, ça a déjà été présenté, et on ne peut pas modifier. On peut apporter une remarque, on peut dire qu’il faut faire attention à tel point pour le futur, mais c’est tout. » (Un

administrateur élu)

Les administrateurs bisontins estiment, à travers ces extraits, que le CA n’a pas de commune mesure avec son homologue associatif. Il intervient, pour notre cas, plus en validation de décisions prises en amont. À ce propos, le document de l’UNCCAS mentionne que « neuf

CCAS sur dix [s’occupent] des questions liées à la gestion et au fonctionnement quotidien »

(ibid., p. 18), et que « trois-quarts des CA traitent de l’octroi d’aides extra-légales [et] 79 %

votent des règlements d’attribution d’aides financières » (ibid., p. 5). Il n’est pas fait état de la

définition d’un projet social ou politique.

Nous avons cherché à savoir si ce manque d’implication dans l’élaboration des politiques est propre à Besançon, en interrogeant d’autres structures :

« Lors du dernier mandat, nous étions vraiment dans une "chambre d’enregistrement" […]. On a un vice-président qui tient effectivement à ce que ça n’en soit pas une. Aujourd’hui, on a tout un débat lié aux questions financières sur la poursuite de notre activité SSIAD, avec 60 agents, et déficitaire de 100 000 euros. Ce n’est pas énorme sur deux millions d’euros de fonctionnement, mais il y a quand même une réflexion sur l’interrogation du périmètre des services. Lors du prochain CA, les organisations syndicales vont venir, être auditionnées pour donner leur point de vue sur ce sujet- là. Cela prouve qu’on n’est pas qu’une "chambre d’enregistrement". » (Un directeur de CCAS de France)

« Les CA, pourtant ouverts à la société civile, ne sont que rarement des lieux de débat. Cela arrive, mais c’est extrêmement rare. Alors on peut s’en réjouir en disant que ce n’est pas un lieu de politique stérile, où on va dire "non" parce qu’il faut dire "non", parce qu’on est dans l’opposition, ou des choses comme ça… On pourrait penser : il y a la majorité municipale, l’opposition municipale et la

société représentée. Mais la réalité, ce n’est vraiment pas ça. Ça va faire trente ans que je suis directeur, je n’ai jamais vu un CA véritablement actif. » (Un directeur de CCAS de France)

« Je me pose la question de la place du CA. On a la chance d’avoir une bonne dynamique. J’ai mis en place des groupes de travail avec les administrateurs, civils et élus, pour essayer d’engager quelque chose, qu’ils se connaissent, qu’ils se côtoient plus régulièrement. Il y a les commissions d’aides financières aussi, aides facultatives, les commissions hebdomadaires. [Les administrateurs] sont assez présents, ils se mobilisent plutôt bien. De là à arbitrer sur des positions avec des enjeux politiques forts, que ce soit par rapport à l’ARS, par rapport au Conseil départemental, par rapport aux services de l’État, c’est le plus compliqué. » (Un directeur de CCAS

de France)

« On a la chance d’avoir des élus qui ne se contentent pas d’être une "chambre d’enregistrement" des délibérations. Ils sont très impliqués sur des thématiques et dans des commissions. » (Un

directeur de CCAS de France)

Nous le voyons dans ces extraits, il y a autant de formes de CA que de CCAS. Leur animation dépend aussi en partie de la volonté des directeurs et du vice-président d’en faire davantage qu’une "chambre d’enregistrement". Un administrateur fait néanmoins cet aveu :

« Ce n’est pas le lieu pour débattre : s’il n’y a pas d’instance avant pour travailler, ce n’est pas à ce niveau-là qu’on peut mettre le vice- président en danger en l’exposant avec des questions. C’est très compliqué. Et avec l’impression aussi de mettre les services en difficultés sans arrêt, alors qu’il y a déjà suffisamment de problèmes. Soit on travaille avant avec eux, soit, malheureusement, on prend une position : pour, contre ou abstention. » (Un administrateur)

La difficulté mentionnée par cet enquêté est inhérente aux organes de décisions politiques. Lorsque l’élu fait partie de la majorité, il est difficile d’intervenir pour provoquer un débat qui mettrait à mal les adjoints ou le vice-président. Ceci constitue une de nos explications au déficit d’implication lors des débats.

De même, la décision au CA intervient en aval du travail réalisé par les services. Pour certains administrateurs, il devient compliqué d’intervenir pour remettre en cause la production des agents techniques.

À Besançon, hors temps statutaire, des séminaires réguliers et une présence dans chaque CLC48 assurent aux administrateurs la possibilité d’être plus impliqués. Ces séminaires

facilitent le transfert d’informations ou offrent un temps pour décrire les évolutions réglementaires et législatives, et donnent ainsi de nouvelles clés de lecture.

Ces moments permettent aussi d’avoir un "pied" proche du terrain et une meilleure vision de la réalité, et confère une double expertise. Leur engagement associatif (ou la position d’élu) et la présence dans les commissions ouvrent de nouvelles perspectives : cela crée une vraie plus-value pour l’institution.

Les administrateurs eux-mêmes cherchent parfois à être plus que de simples "enregistreurs" : ils se proposent comme vision tierce, posent des questions de "profanes"49,

qui, selon eux, amènent un regard neuf et distancié sur l’action. Ils décrivent leurs rôles :

« Je réagis [en CLC] et ce n’est pas très apprécié par les travailleurs sociaux. Mais ça ne fait rien ! C’est plus utile. Il faut inciter […]. Le problème, c’est que, parfois, on n’a pas les clés. Je pose des questions, mais c’est pour comprendre, pas pour contester. Et comme je n’arrête pas d’en poser, je pense qu’il serait judicieux qu’on prévoit un temps pour qu’ils expliquent mieux leur

48 Les Commissions locales de Coordination sont des instances partenariales, étudiant certains dossiers sociaux en

vue de coordonner la réponse apportée.

49 Ce terme peut paraître relatif puisque les administrateurs élus sont souvent en lien avec des délégations liées à

la solidarité, et les « nommés » représentent des associations à caractère social. Cf. CALLON Michel, et al. (2001),

fonctionnement. Cela fait partie de mon implication. » (Un

administrateur nommé)

« C’est très important [qu’il y ait des administrateurs bénévoles]. Parce qu’ils ont une autre vision. Les élus vont voir certains aspects, en particulier l’équilibre du budget et les lignes générales. Mais les gens des associations sont quand même au plus près des personnes qui demandent ou qui ont des besoins. Le relais est très important. Ils disent que dans leurs associations, tel ou tel point est relevé ou soulevé : il faut s’attacher à étudier ce problème-là, même si on ne peut pas répondre à tous. » (Un administrateur élu)

« On participe pas mal sur le terrain. Je suis assez favorable à ce développement-là. Je suis très engagé avec les CLC, je participe à une, voire deux réunions par semaine. Là, on touche du doigt la réalité sociale, on voit mieux quelle est la politique de la Ville, on voit mieux comment les choses s’enchaînent. Et comme je suis dans d’autres activités, je suis en liaison avec pas mal de services en amont et en aval du CCAS. Sur un plan concret, c’est très utile. Mais aussi sur un plan relationnel, car on connaît mieux les gens, et on situe mieux notre action par rapport à ça. » (Un administrateur

nommé)

Les administrateurs bisontins font état d’un manque de prise de décisions, mais estiment néanmoins que leur place a une vraie utilité. C’est bien l’instance CA en tant que telle que nous considérons comme une "chambre d’enregistrement", et non le "groupe administrateur" qui, lui, participe à la vie politique du CCAS. Nous verrons, dans la troisième partie, quelles sont les propositions formulées lors des entretiens pour aller encore plus en profondeur sur ces aspects, et aussi servir la réflexion pour donner une place plus importante à ces personnes.

Une autre dimension qu’il nous faut aborder tient à la place des techniciens et des élus au sein de l’institution, ce que nous intitulerons "double pilotage" dans le sous-chapitre suivant.