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Chapitre 7 : « Etre à l’UMP » dans la 11eme circonscription : identité(s), motivation(s),

7.2 Motivations militantes et diversité des rétributions du militantisme

7.2.1 Le combat idéologique contre le communisme

S’il modère le rôle accordé aux idéologies partisanes dans l’architecture des rétributions internes aux partis politiques334, Daniel Gaxie ne nie pas leur importance, et sa théorie des rétributions leur laisse une place conséquente, puisqu’il écrit que « l’attachement à la cause, la satisfaction de défendre ses idées, constituent ainsi des mécanismes de rétribution de l’activité politique au même titre que la rémunération financière ou l’obtention d’un emploi335 ». Dans la 11eme circonscription, les motivations idéologiques prennent une importance et une consistance toute particulière. L’UMP se trouve en effet directement confrontée à un communisme municipal en situation quasi hégémonique. Tous les militants locaux interrogés s’accordent à faire du PCF et de son idéologie la quintessence et la caricature de « la Gauche » (prise en général, comme une abstraction) :

« J’ai la chance, ou la malchance, dirais-je, d’être dans une circonscription où il y a deux villes de… de gauche. Mais… communistes, vraiment ! Donc j’ai pu voir la gestion d’une ville communiste. Et… je crois que ça m’a vacciné à tout jamais, déjà contre le communisme, si ça n’était pas déjà fait. La gauche… un de mes problèmes avec la gauche… un des problèmes, parce que ça n’est pas le seul, c’est que… la plupart des personnes avec qui j’ai discuté ont quand même à long terme le communisme. Même si bien sûr, ça va pas être… même si dans leur idéal c’est un communisme qui a l’air beau, les personnes de gauche que je connais ont quand même comme idéal qu’un jour, le socialisme laisse la place au communisme. Donc déjà, j’avais un problème avec ça.336 »

La violence du contraste idéologique entre les forces en présence donne aux motivations purement idéelles une importance cardinale dans le discours des militants sur leur engagement – et partant, sur les motivations sous-jacentes dudit engagement. De ce point de vue, nous pouvons rapprocher le « combat contre les communistes » des militants de la 11eme circonscription des Hauts-de-Seine de la

334 Il écrit dans « Rétributions du militantisme et paradoxe … », art. cit., p. 159 : « L’explication du militantisme

par l’adhésion à une cause idéologique me paraissait sociologiquement douteuse, bien qu’elle fût alors, et qu’elle est sans doute toujours, ‘’dominante’’ ».

335

D. GAXIE, « Économie des partis et rétributions du militantisme », art. cit., p. 125.

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lutte contre « la droite » des militants socialistes du XVIeme arrondissement parisien décrite par Sylvain Crépon et Sébastien Mosbah-Natanson : « l’engagement militant est alors vécu par les acteurs comme une performance, un jeu où défier le ‘’bourgeois’’ constitue un objectif en soi, voire une rétribution symbolique du militantisme337 ». Pour le PS dans le XVIeme arrondissement comme pour l’UMP dans « la onzième » des Hauts-de-Seine, la clarté des clivages idéologiques et la radicalité des oppositions partisanes est un puissant facteur mobilisateur. Il est significatif de ce point de vue que l’opposition au PCF soit mise en avant par les militants de Montrouge, au même titre que ceux de Bagneux ou de Malakoff, alors que c’est bel et bien le PS qui représente – de très loin – le premier parti politique de la gauche montrougienne.

La lutte idéologique est alimentée et constamment réactivée par l’entretien d’une mythologie centrée sur les pratiques frauduleuses du communisme municipal. Il nous faut peut-être ici clarifier le sens que nous souhaitons donner au terme « mythologie » : nous ne cherchons pas ici à infirmer ou à confirmer l’existence de telles pratiques frauduleuses (ce qui aurait exigé un travail en soi, tout entier consacré à la question) ; nous parlons de mythologie, dans la mesure où les histoires de malversations électorales du PCF semblent remplir pour les militants UMP une fonction qui se rapproche – à nos yeux – de celle du mythe338. Ravivant le souvenir des luttes passées, ces récits constituent le catalyseur d’une transformation de la lutte politique contre la gauche en combat contre la corruption, en affrontement moral où les militants UMP tiennent le « bon » rôle :

« Les choses avaient changé après, et les communistes ont utilisé évidemment les moyens de … de la municipalité, pour faire campagne d’abord, et puis … la politique de la carte a été très, très largement utilisée. Sans compter les problèmes liés à l’élection en elle-même, les bourrages d’urnes, etcetera, enfin … quelques anecdotes croustillantes, on avait vérifié beaucoup de bureaux de vote à l’époque, parce que le département nous envoyait des renforts, parce qu’il y avait des faux électeurs, il y a eu tout le procès de l’INSEE, le procès de Jeanine Jambu, qui est d’ailleurs décédée il y a … trois jours. Et euh … bon, voilà, il y a eu beaucoup de … beaucoup, beaucoup de choses, on a vu … les tables sur lesquelles on comptait les bulletins, on dépouillait, étaient remplies d’encre, sous les tables, et dès que … quelqu’un avait le dos tourné, ils voyaient un bulletin qui leur plaisait pas, les mecs mettaient leurs doigts sous la table, les remplissaient d’encre, et les posaient sur le bulletin pour qu’il soit nul, par exemple. Ça, on l’a vu, je l’ai vu de mes yeux. Et on les a fait constater, etcetera, on en a référé aux autorités compétentes, au préfet, c’était inscrit sur les … sur les PV de bureaux de vote, mais … c’était pas assez gros … ça a suffi en 2001, parce que le score était tellement proche que … parce que ça a fait la différence, mais ça a pas suffi … il y avait tellement d’écart dans les élections qui ont suivi que … ça a pas suffi pour faire bouger quoi que ce soit.339 »

La mémoire des fraudes électorales, notamment à Bagneux, est assurée via la transmission continue par les « anciens » des récits et des anecdotes aux « nouveaux », aux jeunes. Ces récits se doublent

337 . CREPON, S. MOSBAH-NATANSON, « Militer en milieu hostile … », op. cit., p. 233. 338

Selon la définition du Robert : « Image simplifiée, souvent illusoire, que des groupes humains élaborent ou acceptent au sujet d’un individu ou d’un fait et qui joue un rôle déterminant dans leur comportement ou leur appréciation. »

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d’anecdotes liées aux affrontements physiques entre « gauchistes » et « militants de droite », tirées de la jeunesse – souvent étudiante – et des premières expériences militantes des « vieux » responsables. Beaucoup de ces anecdotes rappellent les oppositions musclées entre l’UNI et l’UNEF – ou d’autres organisations de jeunesse. D’autres sont plus directement liées à l’histoire même de la circonscription, à l’image des souvenirs évoqués par le responsable Balnéolais, Michel D. :

« CL : Avant, c’était vraiment…

MD : Ah, c’était dur ! C’était très dur ! Nan nan, il y a une… moi, je milite à Bagneux depuis soixante- seize, j’ai adhéré aux Jeunes RPR en… j’avais dix-huit ans, là c’était dur, c’était vraiment… c’était costaud, quand on voyait les nervis de la CGT arriver, on partait ! Non, dans les années quatre-vingts, ffiou, c’était pas de la rigolade, comme on dit ! Non, mais maintenant, bon, moi, je connais tout le monde à Bagneux, j’y suis né, donc… ça fait cinquante-quatre ans que j’y suis, on me connait, je peux distribuer. Il y a… parfois des échauffourées, mais bon, ça se passe bien. On en vient plus aux mains, quoi ! il y a une époque, oui (sourire) ! (pensif) Je le regrette un peu… je regrette un peu ct’ époque (rire) ! Mais bon, hm.340 »

L’ensemble de ces récits – de fraude et de combats – contribue à former un imaginaire commun aux militants UMP de la 11eme circonscription, imaginaire de « croisade » contre le communisme, paré de

tous les maux. A l’image des véritables « croisades » chrétiennes, où la simple participation constituait déjà une rétribution symbolique, la radicalité de la lutte idéologique contre le communisme donne une importance certaine aux rémunérations directement associées au « combat pour la cause ». Cependant, nous ne pouvons pas nous arrêter à cette analyse ; elle ne suffit pas à rendre intégralement compte de l’investissement consenti par les militants UMP. Pour reprendre les mots de Daniel Gaxie, « contrairement à la façon dont les partis présentent leur action, il est donc douteux que l’activité partisane s’explique uniquement par la volonté de défendre une cause ou, plus exactement, que cette volonté suffise à la soutenir. […] Sans nier que les mobiles idéologiques puissent être dans certains cas un facteur de mobilisation politique, on peut s’attendre à ce que d’autres incitations viennent les appuyer et les renforcer et que ceux qui consacrent leur temps et leur énergie à un parti soient rétribués d’une manière ou d’une autre.341 »

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