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Chapitre 6 : Plasticité de la structure partisane, multi-positionnement des acteurs et labilité des

6.3 Du politique au protopolitique : les réseaux sociétaux de l’UMP

6.3.5 Frontières troubles du militantisme politique à droite dans les municipalités

Pour conclure ce chapitre, nous allons nous attacher à l’analyse d’un phénomène particulièrement prégnant dans les municipalités communistes de la circonscription : la participation systématique de citoyens « non-engagés » – et surtout non-encartés – aux activités partisanes de la section UMP. Cette participation, qui passe par le biais de structures de type associatives, institue un type de lien spécifique entre parti politique et association citoyenne. Si de telles structures associatives sont monnaie courante à droite, notamment dans certaines des circonscriptions voisines308, elles prennent dans les villes d’opposition une forme et un rôle tout à fait originaux.

Dans un article consacré à « l'étude empirique d'une succession mayorale à Roubaix309 », Rémi Lefebvre présente « l’apolitisme » comme la résultante d’un « incessant travail politique » de la part des équipes municipales et des élus locaux, source de légitimation « par le local » de la fonction mayorale310. Symétrique de cet « apolitisme municipal » comme ressource du pouvoir local, nous pouvons parler dans le cas qui nous concerne de construction d’un « apolitisme d’opposition », légitimant au contraire la lutte contre les politiques municipales trop « politiciennes », et fondant sur les ressorts de l’identité locale le travail militant nécessaire à l’alternance politique.

Tout part du constat, acté par les responsables UMP locaux, de la difficulté pour beaucoup de citoyens des deux villes de Bagneux et de Malakoff d’assumer une identité partisane droitière, difficulté résultant des pratiques particulières du « communisme municipal » évoquées dans le chapitre 4311. Ainsi, Michel D., le délégué de ville de Bagneux, évoque le cas de citoyens de sa ville, déçus par l’équipe en place ou opposés au PCF de longue date, désireux de s’impliquer auprès de l’UMP pour l’alternance municipale, mais refusant toute appartenance, et, au-delà, toute identification même indirecte à un mouvement politique de droite :

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Pour ne prendre qu’un exemple, l’association « Union pour Châtillon » du député-maire châtillonnais Jean- Pierre Schosteck relève du même mode de fonctionnement

309

R. LEFEBVRE, « Etre maire à Roubaix. La prise de rôle d’un héritier », Politix. Travaux de science politique, n°38, Printemps 1997, pp. 63-87.

310

Idem, pages 77 et suivantes.

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« Il y a de l’anticommunisme, et puis c’est des gens qui voient que la ville, là, elle se paupérise, faut que ça bouge ! Ils me le disent, « mais c’est pas l’UMP qui va changer la ville, c’est pas le Nouveau Centre, c’est pas le PS… bon, les Communistes, bon, ils ont fait ce que… c’est le résultat… » Ils nous disent : « Ce qu’il nous faudrait, nous, c’est un grand rassemblement pour Bagneux. Apolitique. Au- delà des… des clivages. » Ils disent : « Les étiquettes, on met ça par-dessus. » Ils veulent euh… mais c’est vraiment une idée qui fait son chemin, hein ! Ils veulent plus entendre parler des étiquettes politiques sur Bagneux. Hm. […] Beaucoup de personnes qui viennent de la gauche… qui se disent : « bon bah, c’est communiste, mais il y en a ras-le-bol, depuis soixante-dix ans, euh… il y a rien ! Donc… changer, changer Bagneux, mais… sans la droite. Enfin, euh… pas marqué à droite ! » Faut voir, hein, faut voir. Faut réfléchir.312 »

Ce phénomène est commun à Malakoff et à Bagneux. Il se double d’une rareté des ressources militantes humaines à droite également ressentie par les deux villes. Il conduit les responsables partisans locaux à envisager les moyens de profiter de ces « bonnes volontés » extrapartisanes313. Cela passe par la mise en place de structures associatives locales, qui se revendiquent d’une forme d’ « apolitisme d’opposition » et ne sont formellement rattachées à aucun parti. A Bagneux, une telle structure n’existe pas, et le recrutement des « bonnes volontés apolitiques » se fait par le biais des réseaux personnels locaux de Michel D. :

« CL : Et… vous me parliez à l’instant de… votre travail de votre côté, autonome. Et euh… de vos réseaux. C’est des réseaux au département, au national ?

MD : Ah non, c’est le plan local, toujours, hein. Je connais des gens sur le plan départemental, tout ça, il n’y a pas de problème, hein. Mais bon, sur le plan local, je connais beaucoup de monde, puis on travaille… ils sont pas adhérents à l’UMP, d’ailleurs, par exemple. Ils nous aident… ils nous aident, mais ils ne veulent pas adhérer, non, ça, ils ne veulent pas, hein. J’ai cinq, six personnes qui distribuent, j’ai une… je leur dis : « tu adhères à l’UMP », « Ah non, pas question, » non non.314 »

Mais ce dernier nous avoue en entretien réfléchir sérieusement à la création d’une structure « plus neutre » que l’UMP en vue de rassembler les citoyens d’opposition en vue des municipales de 2014 :

« MD : A un moment donné, je pensais créer une association, euh… balnéolaise. « Apolitique » entre guillemets, quoi, bon, il y a toujours des arrières pensées politiques. Une association pour Bagneux.

CL : Et pourquoi vous ne l’avez pas fait ?

MD : Je… j’y pense très sérieusement, au jour d’aujourd’hui. Hm. […]

CL : D’accord. Et vous pensez que ce type de projet-là « passerait » mieux auprès de ces gens-là ?

MD : Oui, c’est plus rassembleur. C’est plus rassembleur, parce que nous à Bagneux, j’entends bien, je rencontre des gens, « Ah oui, nous on voterait bien pour untel, mais bon… marqué à droite quand même… », même pas : « on veut pas de l’étiquette UMP, on veut pas de l’étiquette Nouveau Centre, on… » ils veulent une identité locale.

312 Entretien avec Michel D., 10/03/12 313

« T’as des gens qui vont pas prendre leur carte, qui ne vont pas s’afficher, mais qui vont faire un travail un peu souterrain, ou qui simplement vont accepter d’aller tracter leur immeuble, en boîte aux lettres, par exemple, ou de venir participer à des opérations, des actions qu’on va mener, typiquement des meetings, des réunions, des barbecues, des dîners-débats, des réunions d’appartement… parce qu’ils sont pas identifiés auprès de la gauche comme étant de droite. Voilà. »

Entretien avec Guillaume E., 19/03/12

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CL : Même si de toute façon, l’association serait assez vite identifiée…

MD : Oui, oui, oui, bah ce serait pas une association de gauche, euh… Ce serait une… mais balnéolaise. Présenter un projet. Pour Bagneux. Ouais. J’y pense très sérieusement. Sans quitter l’UMP, hein ! Je suis UMP, moi, il n’y a aucun problème !315 »

Ajoutons ici que l’apolitisme affiché, affirmé et revendiqué par de telles structures tient davantage d’une « pure » rhétorique du rassemblement, de la proximité et du dévouement citoyen à la « cause » municipale – c’est-à-dire de la mise en valeur d’une posture apolitique politiquement valorisée et valorisante – que d’une véritable indépendance à l’égard des institutions partisanes. Les structures de l’UMP locale ne sont jamais loin. Ceci est particulièrement apparent à Malakoff, où Rémi V., lui, a créé une structure, l’association « Malakoff Avenir » :

« Mon prédécesseur avait créé une association, également, et… ce qui est vrai, c’est que, on s’aperçoit que finalement… moi, je trouve que c’est une bonne idée, c’est-à-dire que… on crée une association, où vous avez parallèlement l’UMP, tous les membres de l’association UMP, enfin du parti politique UMP, sont membres de l’association Malakoff Avenir, mais en fait… vous rassemblez et vous allez chercher des gens qui n’ont pas pour vocation d’avoir une étiquette politique. Et qui n’ont pas non plus envie, ce qui moi, d’ailleurs, m’a permis d’avoir un fichier… entre guillemets… de « militants » et de sympathisants et de gens encartés… qui est absolument énorme par rapport au nombre d’UMP. C’est de l’ordre de un à cinq ! […] Avec l’association, on a des gens qui manifestaient entre guillemets un « soutien » à ce qu’on faisait, sans politique excessive, parce qu’ils n’avaient pas non plus « intérêt » entre guillemets à se faire voir avec un encartement politique, d’accord, dans une ville comme la nôtre, c’est pas forcément une bonne chose, d’accord, bon, quand on a des voisins qui sont communistes et qu’on habite dans les HLM et qu’on est de droite, on a pas forcément envie de se faire enquiquiner et d’avoir entre guillemets des « problèmes », parce que ça peut arriver. Et sur ma liste… il y avait a peu près la moitié des gens qui n’avaient pas de carte politique, et dont certains étaient même encartés, ou qui avaient été encartés, ou qui l’étaient encore, dans des syndicats style… CGT ! Et qui partageaient… notre combat… pour changer la ville, tout simplement.316 »

Mais ce discours de l’ « apolitisme d’opposition » produit néanmoins des effets réels en termes de mobilisation des citoyens. Rémi V., que nous interrogions au sujet des liens entre UMP et associations à Malakoff, met en avant le rôle bénéfique de « Malakoff Avenir » dans ce domaine :

« RV : Bah… c’est-à-dire que… Il y a beaucoup beaucoup d’associations à Malakoff, toutes n’ont pas pour vocation de parler avec nous ; les liens, ils existent, mais ils existent de manière informelle. […] Et Malakoff Avenir en a plus d’ailleurs que l’UMP en tant que tel.

CL : De ce point de vue-là aussi, donc, la présence de cette association est plutôt bénéfique.

RV : Voilà. Parce que sinon, ils n’auraient pas pu entre-guillemets « échanger » comme ils le font, si ça avait été un parti politique.317 »

Ainsi, la création de ces ersatz « apolitiques » d’organisations partisanes permet à l’UMP de développer des liens souples – par leur truchement – avec le monde associatif local.

315

Entretien avec Michel D., 10/03/12

316

Entretien avec Rémi V., 31/03/12.

110

Chapitre 7 : « Etre à l’UMP » dans la 11eme circonscription :

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