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Chapitre 5 : Les structures partisanes locales de l’UMP

5.1 Le parti comme institution

5.1.2 L’institution d’un calendrier de l’action partisane différencié

En facilitant la tenue des réunions, la permanence favorise l’instauration de routines partisanes fondées sur la récurrence et la régularité – hebdomadaire ou mensuelle – des rendez-vous militants ; ainsi, le responsable de section Malakofiot évoque le temps où il disposait en propre d’un local dans sa ville :

« Donc moi, tous les jeudis soirs j’allais à ma permanence. C’est-à-dire que tous les jeudis soirs, je prenais entre guillemets « rendez-vous » avec les gens qui voulaient bien venir me voir et j’étais fidèle au poste, c’était très important pour les militants. Et c’est pour ça qu’on a eu autant de militants si je puis dire. Et autant de sympathisants. Parce qu’ils savaient qu’ils pouvaient venir me voir. Donc, bien sûr, ça structure.223 »

Les « rendez-vous du jeudi » soir évoqués par l’enquêté participent de l’institution d’un temps partisan différencié, contribuant – au même titre que la permanence – à l’objectivation et à l’autonomisation de la section locale du parti224. Cette autonomisation calendaire se joue sur deux plans, par rapport à deux temporalités à la fois proches et distinctes : le calendrier du parti central, et le calendrier électoral.

Le premier s’impose à l’UMP locale comme manifestation de la puissance de l’institution partisane centrale. Il se donne notamment à voir à l’occasion de la détermination des dates des élections internes ou des manifestations partisanes « organisées par le siège » – conventions, meetings. L’UMP locale est, de ce point de vue, dépendante des décisions et de l’agenda (au double sens d’ordre du jour et d’échéancier calendaire) de l’UMP nationale.

Le second, qui bénéficie de la force et de la légitimité de la loi – il est régi par le code électoral – contraint l’activité et l’organisation de toutes les institutions partisanes, ainsi que d’un certain nombre d’administrations et d’entreprises impliquées à un titre quelconque dans le

222 « Ah oui ! Oui oui, c’est une vitrine, hein, quand même ! Même pour les réunions de section, tout ça, là !

Mais là, bon, euh… les gens viennent chez moi, ou dans un café, non c’est une vitrine ! Très importante ! Là [désignant la permanence de Montrouge, dans laquelle nous nous trouvons pour l’entretien], c’est une vitrine ... c’est exceptionnel ! Hm. »

Entretien avec Michel D., 17/03/12.

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Entretien avec Rémi V., 31/03/12.

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M. OFFERLE compte le calendrier propre parmi les items du répertoire de technologies partisanes contribuant à l’objectivation de l’organisation (Les partis politiques, PUF, « Que sais-je ? », 1987, p. 27).

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processus électoral. L’UMP locale de la 11eme circonscription est ainsi tenue, comme n’importe quelle autre organisation partisane, par des interdits calendaires – par exemple : tout acte de militance passé le samedi soir minuit précédent un dimanche de scrutin est un délit. Elle est aussi contrainte, sous peine de s’auto-exclure de la compétition électorale, de « suivre » le calendrier électoral en organisant ses actions et ses mobilisations en fonction des dates des scrutins, dates de dépôt de candidatures, etc.

L’agenda de notre section locale de l’UMP est donc en grande partie contraint par des temporalités qui lui sont extérieures. De ce fait, l’institution d’un calendrier relativement autonome pour la vie partisane locale est un vecteur puissant d’objectivation et d’autonomisation de l’institution partisane locale :

« Moi ce que j’ai voulu aussi, c’est le troisième point, c’est qu’on ne se réunit pas parce que il y a une élection, un événement politique, bien sûr, bien sûr on se réunit aussi pour ça, mais on doit se réunir par rapport à notre logique interne. C’est pour ça que j’ai créé des rythmes. Des groupes et des rythmes. C’est-à-dire qu’en fait, les seniors se voient tous les quinze jours. Les femmes d’avenir se verront… deux fois, ou une fois par mois. Elles vont voir.225 »

Nous souhaiterions souligner deux expressions dans ces quelques phrases extraites d’une conversation avec Paul R. La première, c’est celle de logique interne ; le cycle routinisé des réunions, qui garde sa régularité en période électorale comme en dehors, permet à la section locale d’organiser la vie partisane selon une logique qui lui est propre, et qui ne découle pas en premier lieu des échéances électorales – de tout autre événement extérieur au parti. La seconde, c’est celle de rythme. C’est la récurrence et la régularité qui permettent de conserver, de rappeler en permanence l’autonomie, l’existence propre du parti au local – qui n’est jamais ni totale ni définitivement acquise.

5.1.3 « Des sous pour la permanence » : l’autonomie par le financement

L’autonomisation de la structure partisane locale passe aussi par des finances en propre – une comptabilité –, et donc une capacité d’autofinancement. Cette capacité d’autofinancement est doublement importante : tout d’abord, elle dit quelque chose de la consistance du parti au niveau local, de la différenciation de l’échelon local par rapport à l’échelon national. « Nerf de la guerre », selon l’expression bien connue, elle constitue également la cheville ouvrière de la capacité de chaque équipe locale à agir (et à agir seule) : les actions militantes sont en effet coûteuses. Une partie des ressources allouées aux actions partisanes et au fonctionnement quotidien de la section proviennent de « subventions » du centre national. Le solde doit être pris en charge par les équipes municipales elles-mêmes. Le 15 avril, durant la permanence de l’UMP au local de Montrouge, nous avons eu une conversation avec la première adjointe – UMP – au maire de Montrouge, concernant les finances de

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l’UMP de la circonscription, et le manque chronique de ressources auquel elle doit faire face. Selon les calculs de notre interlocutrice, la permanence montrougienne coûte à l’UMP locale 2000 euros par mois. Le « centre national » de l’UMP, qui dispose de l’essentiel des ressources financières partisanes, participe aux dépenses locales à hauteur de 600 euros. Pour la seule permanence, l’UMP locale doit donc prendre en charge 1400 euros de dépenses mensuelles. La différence d’organisation des structures partisanes entre Montrouge d’une part, et Bagneux et Malakoff d’autre part, tient (pour partie) à la capacité de financement : au faible nombre d’élus et de militants UMP dans les deux municipalités communistes correspond mathématiquement un volume de dons au parti (et de transferts d’indemnités liées aux mandats électifs) insuffisant pour permettre la location et l’entretien d’un local de permanence, ou tout autre projet partisan forcément coûteux :

« CL : Et il y a un journal… à Bagneux, un journal local ? Il n’y a pas d’autres journaux que celui de la municipalité ?

MD : Non, non non, non non, on a une tribune… enfin les élus, hein, les conseillers municipaux ont le droit à une tribune. Mais bon, je pense que c’est pas très lu, hein. Non non. Avant, on avait un journal, de l’UMP, enfin, du RPR, puis UMP, au temps d’Olivier Sueur, on avait un petit quatre pages qu’on distribuait tous les deux mois. Ça, c’est pareil, ça coûte très cher. L’impression, la distribution, tout ça, ça coutait très cher. On a arrêté. Non, au jour d’aujourd’hui, non, il n’y a rien. Je vous dis, c’est le terrain, la rencontre avec les gens, quoi.226 »

Seule la section montrougienne dispose, à l’heure actuelle, de moyens suffisants pour financer des projets sur sa comptabilité propre. Mais ses ressources tendent à se confondre avec celles de la circonscription toute entière. Ainsi, le local de Montrouge, qui remplit théoriquement le rôle de permanence de circonscription, est intégralement financé par l’UMP Montrougienne. Celle-ci dispose d’une comptabilité autonome, adossée à une société, le MIP, créée dans le seul but de recevoir en son nom les dons à la section :

« RD : Alors le MIP, c’est le Mouvement Indépendant et Populaire, parce qu’il faut savoir que… l’UMP est une association, et qu’une association n’a pas le droit de faire des bénéfices. Donc… pour pouvoir installer une comptabilité… voilà, il y a le MIP, qui est donc le Mouvement Indépendant Populaire, qui est… on va dire une société qu’a créée Thierry, justement pour pouvoir… obtenir des dons, faire des soirées comme on a fait le 6 mars, et dégager des bénéfices, à un moment. Donc André N., c’est le trésorier. Voilà.

CL : Dans le cadre… d’une forme d’indépendance financière relative par rapport au national.

RD : Voilà. Voilà, tout à fait. Mais bon, c’est vraiment que juridique, quoi. C’est vraiment que juridique, parce qu’en fait, je pense que… enfin, j’ai jamais trop su, mais je pense que c’est Thierry, de sa poche, qui entretient financièrement le truc, quoi ! Donc… enfin, je ne l’ai jamais su officiellement, mais je pense que… enfin… a priori… André passe son temps en réunion à nous faire des appels aux dons, parce que c’est vrai que… je dirais que… le noyau actif, il y a beaucoup de jeunes… on débute tous… donc c’est vrai qu’on a pas vraiment les moyens de donner des mille et des cents… à l’UMP, on a beaucoup d’adhérents qui apparemment ne font pas de dons, donc… je pense que pour que ça fonctionne et pour que toutes les factures soient payées à la fin du mois, c’est Thierry qui doit

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rallonger. Personne ne t’en avait jamais parlé ? Ah… faut dire aussi que… enfin, je vais pas dire : c’est pas important, mais bon, c’est vraiment… un truc juridique, pour pouvoir dégager un jour des bénéfices, quoi. Ce qui, je pense, n’est pas du tout le cas actuellement, mais… (rire). Voilà.227 »

Le MIP, simple support comptable, objective juridiquement l’autonomie financière de la circonscription. Nous terminerons sur ce point par l’évocation d’une réunion liée à organisation du dîner-débat du 6 mars, qui nous semble résumer l’ensemble des problématiques liées au financement local du parti. Organisée le samedi 3 mars à la permanence de Montrouge, cette réunion du « comité exécutif » (cf supra) a pour objectif la mise au point finale de l’organisation du dîner. Nous sommes – tacitement – autorisé à y assister. Comme il apparaît assez rapidement dans la discussion, l’un des objectifs principaux de la soirée est de récolter des dons ; sa préparation intègre donc une réflexion sur des stratégies de fund raising. Ladite réflexion illustre bien l’importance des enjeux du financement localisé, mais aussi celui de la distinction entre les finances de « la fédé » (alimentées par les adhésions et ré-adhésions) et les finances locales (qui dépendent des dons au MIP). La discussion porte donc sur les moyens pratiques d’organiser la double collecte, et les moyens didactiques d’en expliquer les raisons aux sympathisants, en leur inculquant sous une forme plus feutrée et diplomate l’opinion générale des militants présents : « la fédé, on s’en fout ! » Ce dîner- débat au Cercle Athlétique de Montrouge est également exemplaire par son caractère entièrement autofinancé : participation exigée de 20 euros par convive couvre la majeure partie des dépenses engagées, le solde étant pris en charge par le parti via la structure du MIP.

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