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Chapitre 7 : « Etre à l’UMP » dans la 11eme circonscription : identité(s), motivation(s),

7.2 Motivations militantes et diversité des rétributions du militantisme

7.2.2 L’adhésion charismatique au leader

Max Weber écrit : « Nous appelons charisme la qualité extraordinaire d’un personnage, qui est, pour ainsi dire, doué de forces ou de caractères surnaturels […], qui est considéré comme un exemple, et en conséquence considéré comme un ‘’chef’’. Bien entendu, conceptuellement, il est tout à fait indifférent de savoir comment la qualité en question devrait être jugée correctement sur le plan objectif […] ; ce qui importe seulement, c’est de savoir comment la considèrent effectivement

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Entretien avec Michel D., 17/3/12.

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ceux qui sont dominés charismatiquement, les adeptes.342 » Nous pouvons voir dans la relation réelle existant entre le délégué de circonscription UMP de la 11eme, Thierry Virol, et certains des militants qui l’accompagnent, une forme d’adhésion charismatique343 à ses qualités particulières supposées. Le charisme de Thierry Virol constitue pour certains militants une motivation en soi ; leur participation à ce que Weber nomme la « communauté émotionnelle » des « adeptes » du leader est une rétribution particulière de leur militantisme, que nous estimons légitime de constituer en type idéal.

La première marque, le premier indice de la domination charismatique de T. Virol sur le groupe des militants réside dans la déférence avec laquelle les militants s’adressent à lui, ou évoquent son action auprès d’un tiers. Les termes de « chef », de « leader » sont ainsi généralement préférés à son titre « officiel » : délégué de circonscription.

« On a l’absolution, donc la crédibilité pour faire cette action-là [le comité exécutif], parce qu’on a l’absolution si j’ose dire du grand chef, auquel on l’a présentée le premier samedi du mois, à la permanence.344 »

Cette déférence particulière est la marque d’un prestige qui dépasse celui de la fonction de délégué de circonscription : cette fonction correspond en effet au plus faible degré de la hiérarchie des responsabilités partisanes internes, au sein d’un parti qui les valorise peu. L’ « aura » dont bénéficie T. Virol tient moins à son poste qu’à ses qualités de leadership, réelles ou supposées, en tout cas reconnues telles par les militants. Ainsi, Thomas C. raconte son intégration à l’équipe constituée par les jeunes (Antoine B. et lui-même) en vue de participer au scrutin interne de 2008 précédemment évoqué :

« TC : […] Notre attention se porte sur ce type qui s’appelle Thierry Virol.

CL : Qui à l’époque n’a pas de responsabilité à l’UMP …

TC : Aucune responsabilité militante. Il est président d’une fédération pro de l’UMP, puisqu’il travaille dans l’audit à l’époque … enfin, toujours aujourd’hui, mais dans une structure différente maintenant … il travaille dans un cabinet d’audit, et … donc il est responsable de la fédération professionnelle des métiers de l’audit et du conseil, mais … rien de très … mais il s’avère que … coup gagnant, puisqu’on découvre en fait complètement ce mec, qui … est extrêmement … qui a des appuis extrêmement haut placés à l’UMP, qui connait beaucoup de monde, qui est un professionnel reconnu, brillant, intelligent, qui a des qualités de leadership extraordinaires … et on tombe sur ce type, et ni une, ni deux, on se dit : ‘’c’est lui la tête de notre équipe.’’345 »

Cette description des qualités « extraordinaires » de Thierry Virol entre en résonance avec de nombreux autres récits ; la condition de leader « naturel » de T. Virol est l’objet d’un consensus au sein du groupe militant. Ce consensus semble même en dépasser les frontières ; Thierry Virol est

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M. WEBER, Economie et Société, Plon, 1971, p. 320-321.

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Bien éloigné néanmoins du type « pur » de la domination charismatique wébérienne.

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Entretien avec Paul R., 08/02/12.

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(re)connu pour ses qualités politiques au-delà de la communauté des adhérents de l’UMP, et sa personnalité joue – selon Guillaume E. – un rôle non négligeable dans la participation des « non- inscrits » à certains aspects de la vie partisane locale :

« [Les non-inscrits], c’est l’électorat qui va se porter sur nous… soit parce qu’ils sont de droite soit parce que… ça arrive parfois, ça arrive même souvent, euh… par sympathie ou par adhésion à une personne, à un candidat ou à un représentant d’un mouvement politique, même si ils ne partagent pas toutes les idées, ils décident de suivre… son panache blanc, quoi. C’est typiquement le cas d’un Thierry Virol. T’as des gens de gauche qui soutiennent Thierry. Qui voteront à gauche à des élections où lui n’est pas candidat, mais le jour où il est candidat, ou qu’il est sur une liste, comme par exemple aux municipales, vont voter pour la liste parce qu’il y a Thierry Virol dessus. Pour prendre un exemple concret.346 »

Au-delà de la figure charismatique locale de T.Virol, le charisme du candidat à la présidentielle N. Sarkozy joue, lui aussi, un rôle important – mais plus attendu – dans les motivations militantes. Certains font même spécifiquement le lien entre Virol et Sarkozy, mettant les qualités supposées de l’un en perspective avec celles de l’autre, et faisant de T.Virol une incarnation locale du leader national. Ce rapprochement est facilité par la proximité objective entre les deux hommes, T. Virol étant membre de l’équipe de campagne de N. Sarkozy, en qualité de conseiller aux questions sociales (cf. chapitre 6). La volonté de se mettre au service de l’un comme de l’autre (de l’un et de l’autre, pour beaucoup de militants), de « suivre leur panache blanc » constitue en soi-même une motivation militante, et la satisfaction d’être intégré à cette sorte de « communauté émotionnelle », une forme de rétribution du militantisme.

7.2.3 « Gagner sa place » : les motivations carriéristes

Daniel Gaxie constate que « la définition même des partis comme entreprise de conquête du pouvoir suggère que l’occupation des postes de direction de l’appareil d’Etat est le premier bénéfice non collectif que les dirigeants retirent de leur activité.347 » Transposé à l’échelle locale, cette affirmation fait des postes de direction dans les collectivités territoriales, ainsi que des fauteuils de député, le premier bénéfice (dans une hiérarchie théorique des rétributions) de l’action politique locale. Si les dirigeants politiques locaux peuvent œuvrer pour conquérir (pour eux-mêmes) un poste de maire ou de député, les simples militants, eux, peuvent par exemple viser une place éligible (ou non éligible) sur la liste présentée aux élections municipales de leur localité.

Nous avons cependant annoncé que ces rétributions matérielles, dont l’importance n’est pas à remettre en cause dans le cas général, ne pouvaient jouer leur rôle habituel pour l’UMP dans la 11eme circonscription. En effet, le nombre de postes au sein de l’ « appareil d’Etat » que l’UMP peut envisager de remporter à court terme lors des joutes électorales est faible : dans les deux villes

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Entretien avec Guillaume E., 31/03/12.

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communistes, le siège du maire semble inaccessible348 ; l’UMP ne peut guère espérer qu’une poignée de conseillers municipaux. Le poste de député est également promis à leurs adversaires. Néanmoins, les motivations de type « carriéristes349 » jouent un rôle certain à l’UMP dans la 11eme circonscription. Elles semblent tout d’abord bénéficier – à Montrouge, Bagneux et Malakoff comme ailleurs – de ce que nous pourrions qualifier d’acceptation culturelle du carriérisme à l’UMP. Daniel Gaxie remarque que « les univers militants sont officiellement ‘’désintéressés’’, […] [valorisant] la gratuité, le dévouement, le bénévolat, la générosité, le don de soi, le libre choix, l’altruisme, la solidarité et l’intérêt général.350 » Ce constat, qui semble prévaloir pour une large majorité des organisations militantes, de type partisane ou non partisane, s’applique mal à l’UMP. Les militants ne semblent pas s’encombrer d’une forme de mythologie, ou de discours officiel (et officiellement valorisé) du désintéressement militant. Lucie Bargel et Anne-Sophie Petitfils le montrent bien (en ce qui concerne les jeunes) dans leur article sur l’organisation des Jeunes populaires351.

Au sein de la structure partisane locale, certains assument très directement leurs ambitions ; d’autres taisent leurs velléités carriéristes, mais elles sont néanmoins connues et tacitement admises par le groupe militant :

« Voilà, enfin je veux dire… Antoine a des ambitions aussi au niveau municipal… au moins entrer au conseil, je pense… Thomas pareil… enfin voilà ! Je veux dire, bon, après, on sait… Guillaume, je pense, se verrait bien à la place de Thierry si Thierry va plus haut… enfin, je veux dire, bon, tu vois ? C’est sous-entendu, mais on le sait ! Enfin, on le sait… voilà ! On sait chacun pourquoi on est là, euh… enfin, pourquoi certains sont là, et voilà… moi, je… enfin bon. Après, ça, je te le dirai en off, peut-être. Parce que j’allais dire un truc, mais… (sourire). Euh… je ne sais plus où j’en étais, du coup.352 »

Si leur verbalisation à l’extérieur du groupe militant paraît délicate (notre enquêté hésitant à préciser ses déclarations, puis refusant de le faire devant le dictaphone ouvert), l’acceptation des ambitions carriéristes au sein du groupe militant ne semble pas faire problème outre mesure. Bien plus, celles- ci sont sciemment utilisées par les responsables militants pour mobiliser leurs troupes. Le rôle de conseiller municipal constitue la fonction politique la plus accessible (et donc la chance de rémunération matérielle la plus probable) au niveau local. Dans le discours des responsables locaux, le groupe militant est régulièrement associé à l’idée de « vivier de talents » pour la constitution des équipes municipales :

« Ça sert aussi, d’un point de vue purement… comment dirais-je… UMP, en tant que structure, une élection présidentielle, une élection législative, mais surtout la présidentielle, permet d’attirer vers soi de nouvelles personnes, parce que c’est le temps fort d’un pays comme la France, euh… et donc, de

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A tout le moins, il est considéré comme tel par les militants.

349 Entendus comme : les motivations liées à la conquête de positions politiques (partisanes ou extrapartisanes)

associées à des rétributions matérielles non collectives.

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D. GAXIE, « Rétributions du militantisme et paradoxe … », art. cit., p. 164.

351

L. BARGEL, A.-S. PETITFILS, « ‘’Militants et populaires !’’ … », art. cit., notamment pp. 69-75.

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renforcer nos équipes, et de voir émerger de nouveaux talents. Euh… hommes et femmes. Qui permettront, le cas échéant, d’avoir un vivier pour constituer nos listes aux prochaines municipales. Alors il faut savoir quand même malgré tout que, ça c’est par expérience… t’as toujours un reflux, après l’élection. Ce qui est parfaitement compréhensible, pour une élection présidentielle. A nous aussi de savoir gérer ce reflux, et de capter, et de garder ceux… ceux qui ont un réel potentiel, quel qu’il soit d’ailleurs. Pour apporter du sang neuf, pour renforcer nos équipes, etcetera, voilà.353 » Ce discours d’institution354, au-delà de sa sincérité, fonctionne comme une invitation permanente à destination des militants, sommés d’approfondir leur investissement militant pour « émerger en tant que nouveau talent ». Nous verrons plus loin (chapitre 10) comment la perspective des municipales de 2014 et la promesse d’opportunités pour les militants actifs d’intégrer la liste UMP/Nouveau Centre à Montrouge furent longuement évoquées lors d’une réunion des jeunes pour tenter de pallier le risque de démobilisation post-campagne présidentielle.

Du point de vue des carrières militantes des individus, enfin, à plus long terme, la particularité et l’intérêt de la circonscription réside justement dans son caractère hostile et « minoritaire » (du point de vue de l’UMP) : la conquête des postes y est difficile, mais l’intérêt du militantisme en milieu hostile pour les carrières militantes ou politiques n’est pas à démontrer : le fait de « faire ses preuves » dans un contexte difficile est reconnu et apprécié par l’institution partisane centrale ; la victoire en circonscription difficile (voire même : la défaite « honorable », avec un score supérieur aux anticipations des observateurs), est bien mieux valorisée que la victoire dans une circonscription « facile ». Ainsi, un jeune militant montrougien nous confie un jour dans le courant d’une conversation informelle : « Le jour où on gagne à Bagneux, on a toutes les portes grandes ouvertes ! ».

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