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Chapitre 6 : Plasticité de la structure partisane, multi-positionnement des acteurs et labilité des

6.2 Derrière l’organigramme : plasticité des rôles et statuts officieux

6.2.2 De l’organigramme théorique à l’organisation pratique de l’action partisane

La fréquentation assidue de la permanence de circonscription montrougienne, l’observation du déroulement des activités militantes, la répétition des entretiens et des conversations informelles, le dépouillement systématique des mails internes – en passant au révélateur de l’expérience quotidienne le discours des acteurs – révèlent aux yeux de l’observateur de façon plus précise qui incarne en pratique l’autorité partisane, et de quelle manière. Cette connaissance par imprégnation des relations de pouvoir au sein de la structure fait ressortir une forme de décalage, ou de déformation, entre l’ « organigramme théorique » – qui découle des « titres » partisans et pedigree de chacun – et la pratique quotidienne de la domination au sein de l’organisation. L’action partisane ressortit à des centres d’impulsion pratiques différents des centres théoriques. Nous allons tenter, à partir des données que nous avons recueillies, d’échafauder un organigramme « réel », fondé sur les rapports de pouvoir concrètement observés, afin de le comparer à l’organigramme « théorique » présenté plus haut.

Commençons par les « points fixes » : certains postes théoriques semblent correspondre à un pouvoir effectif équivalent aux prérogatives qui leur sont théoriquement attachées. C’est notamment le cas de la position de délégué de circonscription de Thierry Virol, et des postes de délégué de ville occupés par Michel D. et Rémi V. Ces positions de pouvoir semblent en quelque sorte garanties (en pratique) par la légitimité de type légale-rationnelle qui les habite, du fait de leur statut, officiellement ou quasi-officiellement reconnu par les instances nationales de l’UMP. La légitimité du centre partisan semble compter dans les relations de pouvoir locales.

En revanche, les pratiques militantes des jeunes se montrent à l’observation en décalage par rapport au refus théorique de confier à un jeune en particulier la responsabilité de « délégué jeunes dans la 11eme circonscription ». Si T. Virol supervise de fait plus ou moins directement les actions partisanes des jeunes, confirmant par là l’absence d’un centre de pouvoir réellement autonome au sein du groupe, deux jeunes, Thomas C. et Antoine B., ont un rôle particulier, qui les détache du collectif. Tous deux furent « officiellement » responsables des jeunes de la circonscription par le passé, quand cette « fonction » existait encore. Si aucun des deux n’en porte aujourd’hui le titre, ils semblent s’en partager les prérogatives :

« Les « chefs » entre guillemets, dans la pratique, c’est quand même Antoine B. et Thomas C. Enfin pour moi. Après, voilà. Donc… voilà, c’est eux qui organisent les trucs, c’est eux qui écrivent les mails pour nous dire… « on se réunit là, on fait ci, on fait ça, » enfin… tu vois ? Et je pense qu’on est justement un groupe… enfin, un groupe au sens propre du terme, que chacun peut prendre des initiatives… voilà, chacun peut… après, effectivement, les gros trucs, c’est Thierry qui décide, relayé

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par Antoine, au niveau des jeunes, enfin… c’est logique, parce que je pense qu’il faut quand même qu’il y en ait un… qui oriente les autres.279 »

Antoine et Thomas sont les « relais » (selon le terme consacré) de Thierry Virol auprès des jeunes, et cette situation leur procure une autorité incontestable et incontestée auprès de leurs pairs ; ainsi, Richard D. utilise en entretien le terme – révélateur – de « place morale » pour qualifier leur position de pouvoir officieuse. S’ils ne sont pas les seuls à proposer et à prendre des initiatives au sein du groupe des jeunes, ils décident des orientations à donner à l’action militante, des ordres du jour, président informellement les réunions informelles, etc. C’est à eux que les responsables « séniors » s’adressent. L’un d’eux – Antoine B. – siège au comité exécutif. L’autre est conseiller national UMP. C’est cet ensemble de « preuves empiriques » de leur autorité qui nous a amené à les désigner par raccourci comme les « responsables des jeunes » dans ce mémoire : s’ils n’en portent théoriquement pas le titre, ils en occupent bien la place dans l’organigramme pratique de la circonscription.

Le cas de Guillaume E. est relativement similaire, et également riche en enseignements sur le fonctionnement réel de la structure partisane locale. Guillaume E. ne porte aucun titre, n’est investi d’aucune responsabilité officielle au sein de la circonscription ; il a beaucoup de peine à définir lui- même son rôle :

« CL : Alors d’abord pour commencer, ce qui m’intéresserait, ce serait que tu me dises exactement un peu quel est ton rôle au sein de la circonscription, en fait.

GE : Mouais. Okay. Moi… moi, j’ai un rôle un peu particulier dans le sens où euh… où je ne suis pas élu, ni local, ni du comité de circonscription, en revanche, euh… je travaille essentiellement avec… avec toute l’équipe, mais… en particulier avec Thierry Virol, le délégué de circonscription, parce que… avec… je pense que… on doit être de ceux qui ont le plus vieux passé militant dans l’équipe. Voilà. Euh… donc mon rôle, c’est de donner avec Thierry une orientation au travail qui est fait, au travail militant mais au sens large du terme, au sein de l’UMP et de la circonscription, euh… de faire en sorte que des idées surgissent et qu’on puisse les mener à bien. Alors bon là, pour l’instant, ce que je te dis là, c’est très vague, enfin c’est pas très précis. […] Donc euh… moi… te donner… pour répondre à ta question… c’est vrai que c’est un peu compliqué de te répondre, parce que, au fond moi j’ai un rôle qui est assez… pas nébuleux, mais qui n’est pas officiel. Voilà.280 »

Les premières fois que son nom fut mentionné en notre présence, il nous fut présenté comme un « relais entre Thierry et les jeunes ». S’il joue effectivement ce rôle, certains indices nous ont progressivement conduit à douter du fait qu’il s’y cantonne : le volume de ses prises de parole dans les réunions, l’autorité qui lui est conférée auprès des jeunes comme des séniors, le contenu des mails internes qu’il envoie, sa proximité avec Thierry Virol … Il nous apparaît progressivement qu’il est le véritable bras droit de Thierry Virol, et le « véritable responsable de l’action militante, » au sens où il se charge des décisions stratégiques et des grandes orientations.

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Entretien avec Richard D., 07/04/12.

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Si Guillaume E. est le véritable bras droit de Thierry Virol, Paul R. se trouve nécessairement investi d’un rôle subalterne, plus modeste que son titre et son discours ne le laissent supposer. Il se charge de l’organisation pratique des actions militantes et de la logistique :

« CL : J’avais une question … par rapport à Paul, en fait. J’ai un peu de mal… à trouver où est la vérité, entre la vision qu’il a, lui, de son rôle, et son rôle effectif…

RD : Alors Paul en fait est implanté depuis… pffiou… je ne sais pas exactement combien, mais depuis très, très, très longtemps sur Montrouge, donc Paul a un réseau encore une fois… personnel. Après, au niveau de l’action militante… euh… je pense que Paul, ça doit être un des seuls qui a fait tous les tractages organisés sur le marché de Montrouge depuis… des mois, qui était là tout le temps, euh… après, si le sens de ta question, c’est : « est-ce que c’est vraiment lui qui dirige l’action militante, » non, enfin… pour moi, non. […] C’est vrai que son rôle est difficilement définissable. En fait, je pense que… que Paul… pff, comment je pourrais définir son rôle ? Euh… il organise effectivement l’action militante, dans le sens où au niveau des tractages, au niveau de… mais bon, si tu veux, pour moi en tout cas, c’est Guillaume et Antoine qui déterminent ce qu’on fait et à quel moment… avec Thomas au niveau des jeunes… et Paul, qui, après, pas au niveau des jeunes mais au niveau de l’UMP, de la circo, tout court, organise pratiquement.

CL : La logistique.

RD : Voilà. Mais je ne pense pas… enfin, moi de ce que j’en ai vu, je ne pense pas que Paul ait vraiment un pouvoir de décision sur les actions à mener à proprement parler281. »

Il s’est ainsi chargé pour ainsi dire seul de la planification des déplacements aux meetings, notamment à Villepinte ou à Rueil Malmaison. Il a également pris en charge le lourd dossier des procurations, en organisant le recrutement des mandataires et leur mise en correspondance avec les mandants. Toujours présent sur le terrain, Paul bénéficie d’une haute estime auprès de beaucoup de militants. Mais son autorité, sa capacité à s’imposer lors des prises de décisions est à peu près nulle282. Nous avons eu, à plusieurs reprises, l’occasion d’assister à des débats arbitrés par Thierry Virol entre Guillaume et Paul sur des points de stratégie militante. A chaque fois que l’occasion s’est présentée, l’arbitrage de Thierry Virol s’est fait en faveur de Guillaume. Selon les militants qui le connaissent, Paul ne se fait d’ailleurs pas d’illusion sur sa véritable influence au sein de la structure

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Entretien avec Richard D., 07/04 /12.

282 « Voilà, je te dis, Paul, pour moi, c’est la logistique. Ce qui est quand même une pierre angulaire, parce que

si tu n’as pas la logistique… en général c’est Paul qui va chercher les affiches au siège, qui va chercher les tracts, euh… tu l’as vu, il s’occupe des bus quand il y a les déplacements aux meetings, il s’occupe… il organise aussi des tractages en essayant de rameuter un peu tout le monde, pour savoir qui vient et qui ne vient pas… donc c’est quand même utile ! Enfin… ce qu’il fait est très, très utile. Je dirais même que s’il ne le faisait pas, on ne pourrait pas être aussi efficaces. Mais après, si t’envisages le titre de « responsable de l’action militante » comme… comme quelqu’un qui décide qui fait quoi, quand est organisé un tractage, un collage, etcetera, Paul, il ne fait pas ça. Très clairement. Ça, c’est Guillaume qui le fait. D’ailleurs, t’as qu’à voir, il y a eu un mail de Guillaume disant qu’il fallait en remettre un petit coup sur les collages, et on l’a fait. Tu vois ? C’est pas Paul qui aurait écrit ce mail. Voilà. »

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militante ; il joue de son titre, notamment vis-à-vis des étrangers à l’institution – en l’occurrence, nous-même – mais ne semble pas être dupe de son propre jeu283.

Munis de ces quelques correctifs tirés de l’observation régulière des pratiques partisanes, nous pouvons redessiner l’organigramme de la circonscription, de manière qu’il corresponde davantage à l’équilibre réel des pouvoirs et des prérogatives. La hiérarchie des positions s’en trouve quelque peu modifiée :

Les « décalages » existants entre le schéma « théorique » exposé page 96 et l’organigramme « pratique » ou « réel » présenté ci-dessus tiennent en grande partie à la souplesse des structures locales de l’UMP, à l’ambivalence de certains rôles, de certaines responsabilités partisanes et donc, en définitive, à la culture d’organisation spécifique de ce parti (ou tout du moins à l’interprétation qui en est faite localement par les responsables UMP de la 11eme circonscription).

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