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Le choix volontaire d’une précarité « contrôlée »

Dans le document Les intermittents du travail (Page 164-169)

CONCLUSION DE LA SECTION

L ’ EXPERIENCE DE CHERCHEUR OBSERVATEUR PARTICIPANT

6.1. L’intermittence du travail, principes structurants

6.1.1. Le choix volontaire d’une précarité « contrôlée »

« Dans une société marchande et de consommation où l’argent est l’équivalent symbolique et concret de toute chose […] « la bourse ou la vie ? » est un choix inéluctable et fermé qui ne se pose pas qu’au coin des rues mais qui fait loi pour l’homo economicus […] L’argent s’est fait synonyme de vie, ne dit-on pas « gagner sa vie » ? Le minimum vital, c’est ce que les gens ont pour vivre […] »

Jacqueline Barus-Michel, 2004, p.27

Nous avons repéré quatre tactiques communes et dominantes par lesquelles l’individu va chercher à se mettre dans une situation de précarité « contrôlée », i.e. une situation où le travail n’occupe que la place qu’il veut bien lui donner et dont il n’attend rien d’autre qu’un revenu : il doit pouvoir moduler l’apport financier et l’investissement horaire en fonction de ses besoins « essentiels » :

Extrait JdB 18 – Note 188, 6/12/2011, Juste un petit « taf » sans conséquence

Tactique n°1 – L’interdiction de tout signe d’ancien travail

La première tactique est d’éviter tout ce qui de prêt ou de loin ressemble au travail qu’il a connu dans l’entreprise « stimulacre » : les grandes structures sont évitées ainsi que les postes à haut-niveau de qualifications, censés faire travailler la tête (décision qui, au demeurant, est facilitée par l’avarie d’opportunités du genre dans la région – cf. supra). La priorité est donnée aux activités d’opérateurs et d’employés simples, matérielles, clairement définies, et circonscrites dans le temps. Les gestes étant, pour la plupart, très simples, leur apprentissage est à la portée de tous, qualifications et compétences sont des mots qui n’existent, seule compte l’énergie déployée à la tâche sur le terrain. Les individus se retrouvent tous au même niveau – de simples pions, comme précédemment -, mais, différence notable, ils n’ont pas prétention à être autre chose qu’un pion. De fait, esprit de compétition et combats d’égo y sont quasiment nuls et non avenus, favorisant une ambiance généralement bonne enfant :

Louis (E8) : Mais rien n’est pareil ici. Ici, c’est justement le fait que tu travailles avec des potes ou avec

ceux qui s’apprêtent à le devenir qui est la raison d’être du taf. Tu vois ce que je veux dire ? Pour reprendre le cas de mon boulot chez Pull In, tu te doutes bien que c’est pas pour biper des fringues et les ranger dans un carton que je suis aussi heureux d’y aller le matin… C’est pour retrouver les potes bien sûr. On se marre en permanence. Toujours un pour balancer une vanne. Je ne vois pas le temps passer.

L’intermittent veut continuer à pouvoir éprouver ce sentiment de liberté qu’il vient de (re)découvrir, et veut pouvoir se dire qu’il peut s’extraire facilement et à tout moment de l’emploi, si ce dernier devient trop éprouvant ou envahissant :

Marie (E5) : C’était comme ça que me l’avait vendu Chloé (emploi saisonnier de serveuse dans un

snack de camping). Elle connaissait des gars qui y avaient bossé l’été d’avant et visiblement super ambiance. Après ce que je venais de vivre de toute façon, j’en avais rien à foutre, je me sentais tout à fait capable de démissionner au bout de deux jours si l’ambiance ne me plaisait pas. J’avais rien à perdre et encore des économies, alors !

Juste un petit « taf » sans conséquence…

Veronica : Moi, je veux comme ce que je fais au tabac. Un petit taf tranquille, simple, dans une bonne

ambiance, quelques mois dans l’année. Le reste du temps, c’est pour toi et que pour toi. Pas besoin de réfléchir, tu fais tes 35 heures, t’es payée en conséquence.

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Cette tactique est la matérialisation, sur la sphère du travail, d’un principe structurant leur mode de vie137 : l’ « interdiction de tout signe extérieur d’ancienne vie ». Ainsi, au travail comme dans la vie quotidienne, l'intermittent ne doit plus afficher aucun signe extérieur de richesse, signes trop visibles de son ancienne vie: accessoires de luxe, vêtements de marque, voiture rutilante, mobilier neuf et onéreux, équipements high-tech derniers cris, train de vie bourgeois, i.e. pratiquer des activités sportives, culturelles ou récréatives chères comme jouer au golf (malgré la présence de magnifiques golfs dans le coin, aller à des concerts ou au restaurant « trop » souvent, etc.).

Le look « bobo parisien » ou « jeune cadre dynamique » est totalement banni et fait l'objet de moqueries fréquentes au sein du groupe quand il est arboré par des touristes qui se la pètent, voire de critiques très violentes quand il s'agit d'un membre qui se prétend du groupe, comme en témoigne l’extrait ci-dessous :

Extrait JdB 19 – Note 90, 6/10/2010, Quand Simon enfreint le principe d’ « interdiction de tout signe extérieur d’ancienne vie »

Les seules exceptions tolérées sont les dépenses en équipement sportif (surf, bodyboard, ski et snowboard), de voyage (bagagerie, matériel de camping et de marche) et en nourriture de qualité (produits de terroir, produits bio, épices rares) au nom du « l'intermittent sait mettre

l'argent sur ce qui est essentiel ». Même si ce ne sont que des reliquats matériels de son

ancienne vie, l'intermittent ne doit pas les présenter en public. La chercheuse a pu en faire l'expérience à ses dépens: je renvoie là à l’anecdote des verres à vin déjà mentionnée (cf. extrait JdB n°3).

Tactique n°2 - Prendre le travail pour la seule chose qu’il est sûr de pouvoir garantir, i.e. un emploi alimentaire.

La deuxième tactique consiste à réduire le travail à sa simple dimension utilitaire, i.e. pourvoyeur d’un revenu, sans nourrir aucune autre attente à son égard. Ainsi, l’intermittent opte pour des emplois dits non-qualifiés (ouvriers du bâtiment, préparateurs de commande, serveurs, hôtesses de caisse, gardiennage, entretien, etc…) pour lesquels la tâche est claire et circonscrite, la rémunération est transparente (rémunération au nombre d’heures réellement travaillées, sur la base d’un salaire horaire convenu au départ), l’investissement bien délimité dans le temps (CDD, intérim), le produit tangible (ex : la construction d’une piscine dans le cas de Gaëtan ci-dessous) et l’utilité sociale facilement palpable (ex : offrir à la ville de Capbreton sa première piscine).

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Ce point sur la coïncidence entre les principes structurant les modes de vie et de travail sera développé plus bas, dans l’analyse critique du modèle proposée en fin de section (ch.7.3).

Quand Simon enfreint le principe d’ « interdiction de tout signe extérieur d’ancienne vie »

Gilles : Simon, il devrait vraiment se méfier. Il croit que tout le monde est à ses pieds. Il croit qu'il a qu'à

claquer des doigts pour trouver un boulot ou une fille dans le coin. Il croit à chaque fois mériter une méga prime parce qu'il est le plus brillant, celui qui charme tous les clients. Du coup, il flambe avant même d'avoir un sou en poche. Il croit qu'il peut continuer son train de vie d'avant [NdC: voiture de collection, vêtements très branchés, équipements audio de grande marque], sans les moyens financiers qui suivent. Alors forcément il galère. Le pire, c'est qu'il épate personne. Il a rien compris. Tout le monde se fout de sa gueule. Si on a choisi de vivre comme ça, c'est que ça nous impressionne plus du tout des amplis Bang & Olufsen. Non, on s'en fout. Même les filles ici le prennent pour un pigeon. Je suis triste pour lui. »

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Extrait JdB 20 – Note 189, 11/12/2011, Le bâtiment, rien à voir avec l’audit !

L’intermittent pense de la sorte se protéger de la désillusion : en réduisant l’objet du travail à une seule dimension, la dimension utilitaire, de loin bien plus facile à satisfaire que sa dimension expressive, le risque de déception s’épuiserait :

Cynthia (E3) : Je me suis retrouvée au Restaurant du Port. Bonne ambiance, patron honnête. Ça paie

bien. Et m’assure ainsi deux ou trois mois de vacances au soleil chaque année. Pourquoi changer ? Et puis j’ai appris à aimer ce travail. C’est très physique, souvent beaucoup plus dur, même sur le plan moral, que mon boulot de consultant, mais au moins je comprends à quoi je sers.

Tactique n°3 – Travailler juste pour gagner juste : instaurer un rapport présentiste et humble à l’argent

Corollaire des deux tactiques précédentes, l’argent étant perçu comme le corrupteur suprême des sentiments - un biais de poids dans la quête de relations authentiques -, et comme le symbole le plus pervers de la société de consommation, l’intermittent doit travailler avec tempérance, dans le seul objectif d’obtenir le « juste » revenu permettant d’assouvir ses besoins « essentiels » - socialités (frais de bouche, biens culturels « populaire » – livres, petits concerts, cinéma), bien-être (alimentation saine et équilibrée, médecines douces), voyages, équipements sportifs (planches de surf, de skate, combinaison) -, d’où l’idée d’une précarité « contrôlée ».

Réaliste et pragmatique, l’intermittent sait que l’argent est pourtant vital pour vivre. Ce paradoxe entre argent symbole d’exploitation / argent vital comme le rappelle la citation de Jacqueline Barus-Michel (cf. supra) place l’intermittent dans un rapport ambigu face à l’argent, entre culpabilité et obligation d’en avoir. En filant la comparaison entre valeurs de l’intermittence et les propos de Jacqueline Barus-Michel : « l’argent honnête se gagne à la

sueur de son front, on sait ce qu’il vaut, il coûte cher. Il incarne le paradoxe du malheur de vivre entre nécessité, travail et souffrance » (Barus-Michel, 2004, p.27), on observe chez les

intermittents un glissement dans le sens du mot « honnête ». Selon eux, l’argent n’est pas honnête par définition car il ne reflète pas la valeur réelle des choses mais seulement celle que la société leur donne, et parmi ces choses, le travail n’est souvent pas récompensé à sa juste valeur financière : ceux qui souffrent au travail sont ceux qui gagnent le moins. Toujours selon eux, dans notre société, ce sont ceux qui souffrent le moins qui sont le mieux payés pour ce qu’ils font, c’est à dire pas grand-chose - le bas de l’échelle sociale : les « oisifs » bénéficiaires d’allocations chômage, comme le haut de l’échelle. Il est donc pour eux inadmissible de se placer dans un rapport d’aliénation au travail au nom de l’argent. Ils ne se sentent paradoxalement pas coupables, et au contraire fiers, de profiter de l’argent des autres : beaucoup d’entre eux préfèrent ne pas souffrir « bêtement » au travail, quitte à compléter leurs revenus d’autres sources, plus ou moins honnêtes (cf. ch. 6.2.1.).

Par ailleurs, l’intermittent ne fait pas de projections financières. La crise actuelle le renforce dans sa conviction qu’il doit profiter de l’argent disponible au moment présent, conviction héritée de son ancienne vie où il a pu vérifier par lui-même l’adage « l’argent ne fait pas le bonheur ». Son discours : l'avenir étant incertain autant profiter du moment présent et se faire

Le bâtiment, rien à voir avec l’audit !

Gaëtan : Le bâtiment, rien à voir avec l’audit. C’est ça que j’aime. Tu fais tes heures, tu tafes à fond, pas de

temps mort. Tu rentres chez toi, t’es vidé, mais tu sais pourquoi t’es allé bosser et pourquoi t’es payé. J’aime, quand je passe devant le port, voir que le bâtiment avance. Offrir à Capbreton sa première piscine, si ça c’est pas kiffant ?!

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plaisir dans l'instant. Un exemple particulièrement révélateur est celui de l’épargne : la publicité comme la famille lui a transmis des valeurs (il est bien d’épargner) et des objectifs (épargner est le seul moyen de devenir propriétaire d’un logement) qu’il a pris soin de mettre en œuvre dans son ancienne vie, où les intermittents se décrivaient comme de grands économes et ont fait pour la plupart l’acquisition d’un bien immobilier sur l’impulsion de leurs parents. Désormais, il pousse à l’extrême le comportement inverse, afin d’une part de rehausser l’image de radin qu’il s’est forgée dans son ancienne vie lui et d’investir d’autre part les fruits de son « travail » dans les choses qui lui semblent essentielles.

Tactique n°4 - Répartir le risque en multipliant les sphères d’investissement

L’idée ici est de ne pas faire porter l’attente de réalisation de soi à une seule de ces activités, mais à plusieurs, de façon à ce qu’en cas de défaillance de l’une, les autres puissent combler ses lacunes. C’est, comme l’explique Arthur dans la métaphore ci-dessous, trouver trois moutons pour faire cinq pattes, plutôt que de chercher en vain le mouton à cinq pattes :

Arthur (E2) : Ce que je suis aujourd'hui ! Un quart écrivain, un quart baroudeur, un quart surfeur et prof

de surf et un quart amoureux. Oui. Aujourd'hui, je peux dire que j'ai réussi mon mix. Ce fameux cocktail, c'est au moins 80% de bonheur assuré. [Question du chercheur : comment as-tu trouvé ce « cocktail » ?] Pour faire simple, on va dire que je voulais trouver comment joindre l'utile à l'agréable. Et, en discutant un peu avec des gens ici et en observant autour de moi, j'ai compris que pour survivre, il y a quatre ou cinq trucs à piger. Première chose que j'ai faite, c'est faire le deuil du CDI et de la rémunération fixe qui va avec. Deuxio, c'est trouver un banquier sympa qui accepte de voir plus loin que le mois pour l'horizon de ton compte. Il faut bien le dresser. Lui prouver que tu remontes toujours la pente et qu'en lissage annuel, ton compte est « normal ». Ce qui veut dire qu'il doit te faire confiance et pas te mettre en panique chaque fois que ton compte est dans le rouge [rires]. Après, ce serait plus des petites astuces mais qui ne conviennent peut-être qu'à moi. Quand j'ai quitté le boulot de prof, je savais ce que je voulais. Tu l'as bien dit toi-même. Je voulais un boulot où j'apprends. Qui dit boulot dit rémunération. Donc d'un côté, il fallait trouver un boulot qui te rémunère pour apprendre. Tous les boulots prétendent t'offrir ce cadeau, mais tu sais comme moi que la plupart mentent. Surtout moi je suis encore plus spécifique dans ma demande, je veux apprendre sur l'histoire des gens et des terroirs. Premier défi. Second défi, je voulais apprendre en m'amusant ou m'amuser en apprenant. Comme tu veux. Bilan, il me fallait trouver un travail rémunérateur, où j'apprenne sur l'histoire, en m'amusant et tout en restant vivre ici. Autant dire que je cherchais le mouton à cinq pattes. Astuce du chef: trouver plusieurs moutons à trois ou quatre pattes pour arriver à en faire un de cinq, c'est plus facile! [rires].

Arthur témoigne ici de l’assouvissement du plaisir intellectuel, un de ses moteurs au travail, dans l’activité « écriture », même s’il ne parvient pas (encore) à tirer de cette activité une source de revenus. Ce plaisir, contre toute attente – rappelons qu’Arthur était professeur d’histoire-géographie -, était absent de son travail avant :

Arthur (E2) : Le prof de maths, comme le prof d'anglais, comme le prof de français, ils apprennent tous

la même chose, ils apprennent à apprendre et à appréhender des ados. C'est très noble comme ambition. C'est une vocation. Mais c'est pas la mienne. Moi je veux apprendre du contenu. La matière, l'histoire en l'occurrence, doit être l'objet de mon apprentissage. Osons le politiquement incorrect, j'en ai que foutre d'être fin pédagogue ou d'apprendre à un jeune à faire une dissert' d'histoire. C'est pas une fin pour moi. Ce que je veux, c'est en apprendre toujours plus sur l'histoire, que ce soit avec ou sans l'aide des autres. C'est pour ça que le métier d'écrivain me convient mieux.

Comme il l’évoque plus haut, son activité saisonnière de moniteur de surf, lui permet d’assouvir la dimension relationnelle de l’activité – en lui permettant de créer du lien avec des collègues qui sont avant-tout des amis, et parfois même en nouant des affinités avec certains apprentis surfeurs aux intérêts convergents (contrairement à l’institution scolaire, il n’y a pas, dans cet enseignement « récréatif », de prescription de mise à distance affective des apprenants). Cette activité lui permet au-delà de renforcer la dimension symbolique, déjà convoquée dans l’écriture mais qui faisait d’abord sens pour lui : l’enseignement ici a une

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utilité sociale, et au-delà, parce qu’il concerne le « surf » - l’activité la plus prestigieuse aux yeux des intermittents (cf. infra) – lui assure la reconnaissance de ses pairs.

A la suite de celui d’Arthur, ce témoignage sur Veronica confirme que, pour les intermittents, le travail, à la fois en tant que valeur et potentiel expressif, n’est pas nié, mais que l’intermittent préfère ne pas faire reposer sur lui seul la responsabilité de sa santé psychique :

Extrait JdB 21 - Note 188, 6/12/2011, C’est pas que je ne veux pas travailler, c’est que je ne veux plus travailler comme avant L’intermittent préfère s’investir dans d’autres sphères, grâce au temps dégagé sur le travail : surf, voyages, artisanat, musique, etc. Il trouve dans d’autres activités, non rémunérées, matière à combler ses attentes expressives. Cette stratégie de répartition du risque permet de compenser les déséquilibres qui surviendraient éventuellement dans une sphère et ainsi préserver sa santé psychique, corroborant par là la thèse de l’inter-construction des milieux de vie, soutenue par l’Ecole de Toulouse (Curie et Hajjar, 1987 ; Curie et Dupuy, 1994) et reprise aujourd’hui par d’autres chercheurs qui en font une des caractéristiques fondamentales et discriminantes (versus celles des générations précédentes) de l’attitude des jeunes face au travail: « La jeune génération confirme l’évolution vers une conception « polycentrique » de

l’existence, c’est-à-dire une conception de la vie et un système de valeurs organisés autour de plusieurs centres (le travail, la famille, les relations amoureuses, les loisirs, l’engagement…), l’équilibre des centres appartenant à chacun » (Méda & Vendramin, 2010).

Finalement, contrairement aux générations précédentes pour qui la précarité de l’emploi fut une nouvelle donne du marché à intégrer en cours ou en fin de carrière et dont l’intégration fut souvent vécue violemment entraînant les souffrances que l’on connaît (cf. ch.1.), la précarité, pour la jeune génération au travail, est une donnée structurelle du marché : ils n’ont pas à l’intégrer, ils sont nés avec et ils savent qu’ils vont devoir faire avec. Aussi, leur préoccupation est moins de lutter contre la précarité, en cherchant un travail qui permettrait de s’en protéger, que de trouver des solutions pour triompher de cette précarité en l’utilisant positivement (Thévenot, 2011 ; Galland et Roudet, 2012). De récentes études montrent que les français les plus heureux au travail et qui, par ailleurs, avouent s’en sortir très bien sur le plan financier, seraient les personnes en pluriactivités (salariés à temps-partiel + auto- entrepreneurs) et les intérimaires par choix, i.e. ceux qui font de l’intérim un mode de travail volontaire et pérenne (Sutter, 2013). Ces individus sont pourtant ceux que les statistiques rangeraient parmi la catégorie « précaire ». L’intermittence du travail pourrait donc s’inscrire dans cette nouvelle forme de précarité, une précarité qui n’en a que les contours et qui, dans les faits, s’affiche comme un compromis acceptable entre travail et temps pour soi.

C’est pas que je ne veux pas travailler, c’est que je ne veux plus travailler comme avant

« C’est pas que je veux pas travailler, c’est que je ne veux plus travailler comme avant. » Véronica m’explique ensuite que si elle est venue ici, c’est pour avoir du temps pour elle, pouvoir se consacrer plus à la photo et à l’environnement, donc surtout ne pas « s’enfermer dans un CDI ». L’offre dont je lui parle ne l’intéresse donc pas [NdC : Mon boss de cet été vient de me proposer un CDI en tant que gérante d’un magasin de surf] « Moi, je veux comme ce que je fais chez X. Un petit taf tranquille, simple, dans une bonne ambiance, quelques mois dans l’année. Le reste du temps, c’est pour toi et que pour toi. Pas besoin de

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