• Aucun résultat trouvé

Le label des villes d’Art et d’Histoire

1. Le cadre professionnel

1.2. Protection, conservation, restauration, recherche – des règlementations juxtaposées 29

1.3.5. Le label des villes d’Art et d’Histoire

Il ne s’agit pas d’une mesure de protection proprement dite mais l’auteur a voulu faire une lecture plus approfondie de cette appellation car son obtention par une collectivité implique un certain nombre de retombées pour le « patrimoine » et, indirectement, pour l’archéologie de la construction. Son contenu illustre trop bien le clivage énorme entre la gestion du patrimoine architectural et son étude en tant qu’objet archéologique et historique, utile pour la connaissance.

Il convient de citer le texte d’introduction de la brochure « Connaître pour mieux valoriser » rédigée par l’Association nationale des Villes et Pays d’art et d’histoire et des Villes à secteurs sauvegardés et protégés (ANVPAH & VSSP)27 en collaboration avec Direction générale des patrimoines Ministère de la Culture et de la Communication. Les phrases en gras ont été soulignées par l’auteur :

« Le label “Villes et Pays d’art et d’histoire” attribué par le ministère de la Culture et de la Communication se traduit par un partenariat entre l’État et les collectivités territoriales qui bénéficient de ce label. La convention signée entre les deux partenaires précise notamment le recrutement d’un animateur de l’architecture et du patrimoine. Celui-ci s’effectue à l’issue d’une sélection sévère des candidats, généralement historiens de l’art ou de l’architecture, auxquels il est demandé de solides connaissances scientifiques.

Les missions de l’animateur de l’architecture et du patrimoine se déclinent à partir de la convention et sur le fondement d’un corpus de connaissances, comprenant une parfaite maîtrise du territoire à travers toutes ses composantes, architecturale, patrimoniale, paysagère, institutionnelle, politique, etc.

L’animateur de l’architecture et du patrimoine élabore l’ensemble des documents qui servent de support aux actions pédagogiques conduites sur le terrain, ainsi que des publications savantes comme les guides des Villes et Pays d’art et d’histoire.

Il élabore, en outre, le projet scientifique et culturel du Centre d’interprétation de l’architecture et du patrimoine et procède à la mise en place de ce dernier. Il conduit, à cette fin, des recherches approfondies dans ces domaines. Son expertise scientifique lui permet, par ailleurs, de contribuer à l’enrichissement des documents d’urbanisme locaux.

27 Association nationale des Villes et Pays d’art et d’histoire et des Villes à secteurs sauvegardés et protégés.

Château Neuf, place Paul Bert, 64 100 Bayonne. www.an-patrimoine.org et www.an-patrimoine-echanges.org . La brochure ainsi que le rapport annuel de 2010 sont joints dans le chapitre annexe 3.

Interlocuteur privilégié de l’ensemble des acteurs d’une région, l’animateur œuvre à la diffusion et à la valorisation de l’architecture et du patrimoine de son territoire auprès de tous les publics, oscillant constamment entre démarche pédagogique et recherche scientifique. »

Au total, dans les cinquante-quatre pages de cette brochure, le mot archéologie ne figure que quatre fois : une fois dans la section « Enrichir les connaissances, transmettre les savoirs », où on apprend que « Le patrimoine est un sujet complexe, multiple, ancré au carrefour de nombreuses sciences : histoire, histoire de l’art, architecture, ethnologie, archéologie... Vecteur privilégié d’éducation et d’intégration, il ne se laisse pas saisir facilement. » et trois fois dans les exemples de projets cités pour illustrer la diversité des actions entreprises par les associations chargées de mettre en place et animer le label (pages 6, 17 et 18)28.

A aucun moment la brochure n’évoque l’apport de l’archéologie à la connaissance de ce patrimoine bâti. De par le profil des animateurs et l’orientation de ses actions, l’archéologie en tant que discipline pouvant contribuer à ce travail est totalement absent. On constate simplement l’obligation pour l’animateur d’informer le public des actualités archéologiques dans l’exemple de la ville d’Angoulême (page 32).

Ses attributions sont pourtant potentiellement lourdes de conséquences pour la substance archéologique de ce « patrimoine » architectural : en tant qu’interlocuteur privilégié de l’ensemble des acteurs d’une région, l’animateur aura certainement un rôle de conseil auprès des architectes, des urbanistes, des élus, voire même des représentants de l’Etat. Son statut désormais scientifique lui est reconnu car, en plus des recherches approfondies qu’il est censé mener, il doit contribuer à l’enrichissement des documents d’urbanisme locaux, dont les ZPPAUP, les secteurs sauvegardés, etc. Or il y a fort à parier que les compétences archéologiques d’un animateur recruté au niveau de Bac + 2 avec une formation en histoire de l’Art soient pour le moins réduites, ce qui relativise la notion de « recherches approfondies » que l’animateur est censé réaliser dans ce domaine.

La prise en compte de la dimension archéologique du « patrimoine bâti » et sa valeur en tant que source potentielle de données scientifiques est donc sérieusement compromise aussi bien en amont, dans l’intégration des problématiques archéologiques dans les documents d’urbanisme qu’en aval, une fois des projets de restauration ou de mise en valeur définis et mis en route.

Nonobstant une sensibilisation plus ou moins importante aux questions archéologiques des acteurs du patrimoine, la mise en place de recherches archéologiques incombe presque entièrement aux seuls agents prescripteurs de la DRAC, que ce soit par le biais du cadre préventif ou par des études commandées. Malgré les interventions fructueuses issues des prescriptions, les limites des actions des services de l’Etat ont été soulignées ci-dessus (Ch. 1.3.).

Le poste d’animateur du patrimoine dans ce contexte est pourtant une situation très favorable pour pouvoir assurer l’étude et l’enregistrement des données scientifiques relevant de l’archéologie de la construction et pour assurer un suivi à plus ou moins long terme de

28 Le site web de l’association fut consulté en Avril 2011 et s’est montré tout aussi muet concernant l’archéologie : on a relevé seize références, dont quatre concernant les annonces pour un séminaire. Les autres mentions sont toutes d’ordre général, semblables à celles observées dans la brochure.

problématiques de recherche. Actuellement, cent-quarante-six collectivités territoriales mènent une politique de valorisation du patrimoine sous l’égide de l’Association nationale des Villes et Pays d’art et d’histoire et des villes à secteurs sauvegardés et protégés et le ministère de la Culture et de la Communication, dont onze en région Centre (fig. 13)29.

Le rapport annuel de l’ANVPAH & VSSP pour 2010 met clairement en exergue les missions et les actions de l’association auprès de ses partenaires. Pour citer le rapport (page 6) :

« Les missions et actions de l’ANVPAH & VSSP entrainent le renforcement et l’élargissement des partenariats de notre réseau, qui se trouve ainsi au cœur de coopérations associant un grand nombre d’acteurs publics et prives. L’ANVPAH & VSSP travaille avec les ministères engages dans la mise en œuvre des politiques du patrimoine, de l’architecture et de l’urbanisme, tels que le Ministère de la Culture et de la Communication (MCC), le Ministère de l’Ecologie, du Développement durable, des Transports et du Logement (MEDDTL), le Ministère du Budget, des Comptes publics, de la fonction publique et de la Réforme de l’Etat, le Ministère des Finances, le Ministère de la Défense. Dans le cadre de la coopération internationale, le Ministère des Affaires Etrangères et Européennes (MAEE) apporte un soutien continu à l’ANVPAH & VSSP (cf. Chapitre VII La coopération internationale).

L’ANVPAH & VSSP travaille avec l’Assemblée Nationale, le Sénat, la Caisse des Dépôts, l’Association des petites villes de France, l’association ICOMOS, l’Agence nationale de l’habitat, l’Agence nationale pour le renouvellement urbain, l’Association nationale des Architectes des Bâtiments de France, la Fédération Nationale des Parcs Naturels Régionaux, plusieurs Universités et Ecoles nationales supérieures d’architecture et du paysage ainsi que la Fédération des CAUE, l’Ecole de Chaillot, les Journées Juridiques du Patrimoine, la Fondation du Patrimoine, l’Association des villes à secteurs sauvegardés de Languedoc-Roussillon, des juristes, avocats et autres experts en fonction des sujets traités …

Et dans le cadre de la coopération internationale, l’ANVPAH & VSSP est partenaire de la convention France-UNESCO, Cités Unies France, Relais Culture Europe, d’ambassades et de Ministères des pays partenaires... ».

La mise en place de partenariats avec la Caisse des Dépôts et certaines régions influent directement sur le potentiel archéologique dans la mesure où l’association travaille sur les répercussions des travaux de réhabilitation sur le patrimoine bâti, c’est-à-dire des vestiges archéologiques en élévation. Le bâti ancien se trouve également au centre du débat sur le développement durable car des travaux d’amélioration de l’habitat touchent directement ces mêmes vestiges mais dans le sens inverse, la compréhension des techniques de construction du passé peut aider à la « mise au point » ou à la valorisation de matériaux et de techniques anciens.

En revanche, l’application de normes environnementales plus stricte risque de fortement augmenter les rénovations et donc des destructions de vestiges archéologiques. A l’échelle d’un quartier ou d’une ville, le « centre ancien » est même présenté comme un modèle de développement durable. Cette « découverte » des qualités de la construction « traditionnelle »

29 Chiffre cité dans le bilan annuel de l’ANVPAH pour 2010, auquel il faudrait ajouter quatre collectivités qui ont adhéré ou qui sont en cours d’adhésion à l’association au début de 2011.

serait franchement très drôle30 si les archéologues du bâti n’étaient totalement marginalisés dans cet engouement pour le « patrimoine » et la « construction écologique ».

Le rôle de l’ANVPAH & VSSP auprès des élus au niveau national influent très fortement sur le cadre juridique du patrimoine. Des études sur les aspects fiscaux ont permis d’analyser des causes d’un délaissement des secteurs sauvegardés par les investisseurs – une baisse qui joue directement sur le niveau de travaux réalisés dans les centres anciens. Le maintien d’une veille juridique sur les textes réglementaires a notamment conduit à une prise de position par rapport à la récente réforme des ZPPAUP, transformées en Aires de Mise en Valeur de l’Architecture et du Patrimoine (AVAP). Elle a également débouché sur une analyse critique des effets sur le patrimoine de la réforme des collectivités territoriales et à l’élaboration de propositions concernant la fiscalité des régimes de protection.

Il est toujours délicat de faire la part des choses entre les résultats affichés dans un rapport annuel et comment ceux-ci se traduisent concrètement sur le terrain. Néanmoins, sans pour autant posséder un statut obligatoire ou réglementaire vis-à-vis du « patrimoine » et de l’archéologie, le label « Ville ou Pays d’Art et d’Histoire » est indiscutablement un atout pour la protection et la promotion de celui-ci. On ne peut que regretter l’absence de l’archéologue dans ce schéma car il présente un très fort potentiel pour améliorer la prise en compte de l’archéologie dans les processus de protection, de restauration et de mise en valeur du bâti ancien. En effet, les partenariats de l’association nationale et les actions entreprises par celle-ci sont autant de réseaux et de moyens pour promouvoir l’archéologie de la construction ancienne en dehors des filières habituelles employées par l’archéologie préventive. Cette dernière était essentiellement conçue pour répondre aux destructions de sites archéologiques occasionnées par les grands travaux d’infrastructures : la nature et l’échelle des aménagements ainsi que les identités des interlocuteurs sont très différentes de celles des travaux de réhabilitation ou de restauration des édifices anciens.

L’organisation de l’archéologie préventive correspond assez bien au contexte des grands travaux et la discipline est représentée auprès des grands aménageurs comme l’Association des lotisseurs, les sociétés d’autoroutes ou des collectivités des agglomérations, par exemple. En revanche, ces réponses archéologiques se sont avérées moins bien adaptées aux spécificités de l’archéologie des élévations dans le cadre des travaux sur le patrimoine architectural. De surcroît, cette spécificité de l’archéologie n’a pas encore réussi à créer ses propres réseaux ni à s’intégrer dans les processus décisionnels, sauf dans les cas encore trop peu fréquents où les services de la DRAC peuvent émettre une prescription dans le cadre d’un projet spécifique. Mais là, il s’agit de l’action des agents de l’Etat et non pas des personnes travaillant directement sur les chantiers, en contact direct avec les aménageurs, les maîtres d’œuvres et les entreprises. Or les contacts établis par les archéologues avec ces derniers sont une partie essentielle de la présentation de la discipline et de son intérêt.

30 Le discours sur le cadre de vie et le développement durable est aussi franchement ironique étant donné l’essor continuel d’immeubles qui effacent les derniers îlots d’espaces « verts » qui caractérisaient la ville antique et médiévale, sans compter l’étendue croissante des zones pavillonnaires dans les secteurs périurbains.