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L’enregistrement des sites dans le contexte préventif. Les contraintes et les opportunités du cadre

1. Le cadre professionnel

2.7. Le travail sur le terrain 135

2.7.3. L’enregistrement des sites dans le contexte préventif. Les contraintes et les opportunités du cadre

Dans ces cas, les problématiques archéologiques ont été définies par le prescripteur (le Préfet par le biais des agents du Service régional de l’archéologie) et, en principe, ne concernaient que les éléments directement touchés par le projet d’aménagement, souvent la restauration ou la consolidation d’un bâtiment ou d’une partie d’un ensemble plus grand. Dans les cas où les observations archéologiques ont été « commandées », généralement par une collectivité ou un architecte en charge du site, l’intervention devait répondre à des questions spécifiques pertinentes à l’organisation, la datation et l’évolution du site. Retrouver « l’état ou le niveau de sol d’origine » sont des leitmotivs fréquents. L’approvisionnement des matériaux et un bilan technique de leur mise en œuvre n’ont jamais été des clauses spécifiques dans les cahiers des charges des projets.

En revanche, ces interventions ont pu souvent bénéficier de moyens matériels intéressants, notamment les échafaudages permettant l’accès au bâtiment et les installations des chantiers de restauration. Les durées des interventions pouvaient varier entre une semaine et un mois avec une équipe qui ne dépassait jamais deux personnes, sans compter la présence ponctuelle d’un topographe, par exemple (fig. 1). Le cadre préventif a également donné une certaine liberté d’intervention que seule une fouille « préventive » ou « programmée » avec autorisation

préfectorale peut donner : celle de pouvoir fouiller vraiment, c'est-à-dire enlever de la matière afin de faire les observations archéologiques et stratigraphiques nécessaires. Sachant que l’acte de restaurer va, au mieux, masquer ou vider un bâtiment de toute ou d’une partie de sa substance archéologique, voire la supprimer définitivement, on n’hésite pas à piqueter, prélever, creuser les murs ou démonter les bouchages d’ouvertures. Les contraintes imposées par le temps imparti et les moyens humains souvent très limités164 ont autorisé ou même obligé des méthodes qui seraient difficilement justifiables dans un autre cadre d’étude où la valeur de « l’objet patrimoine » l’emporte sur celle de « l’objet archéologique ». Sans vouloir tomber dans les excès d’une

« archéologie coloniale » laissant un site fortement dégradé derrière elle165, la véritable étude archéologique d’un ensemble bâti complexe nécessite forcément un certain niveau de destruction, bien que celui-ci soit souvent inférieur à celui entraîné par un ravalement « vigoureux » ou une restauration.

En tout cas, les observations étaient ciblées en fonction des objectifs spécifiques à chaque cas et elles n’ont jamais été intégrées dans une grille d’analyse standard, faute de cadres de recherches définis. Sans vouloir une méthodologie unique définie par des personnes éloignées des réalités du terrain et imposée par un arrêté ministériel, l’auteur regrette l’absence de toute ligne directrice quant au niveau d’enregistrement qui pourrait être employé dans les différents cadres d’intervention. A ce titre, l’approche d’English Heritage à l’enregistrement de bâtiments anciens semble exemplaire (Recording historic buildings 1991). Fondée sur les principes de recommandations plutôt que de lois et de décrets, quatre niveaux d’enregistrement ou d’intervention sont proposés en fonction de la « menace » qui pèse sur l’édifice en question. L’enregistrement peut donc varier d’une simple identification avec un minimum de supports graphiques et descriptifs jusqu’à la création d’une archive analytique complète fondée sur l’observation archéologique de l’édifice avant et pendant les éventuels travaux – la fouille, en somme.

La poursuite du questionnement du site au-delà des objectifs immédiats relevait du choix de l’archéologue lui-même, toutefois conditionné par la latitude qui lui était ouverte pour s’approprier chaque intervention et par les moyens disponibles pour y arriver. La nature des données acquises a donc été fonction de ses propres intérêts et expériences, avec tout que cela implique comme potentiel et limites. Avec le recul du temps, on n’a jamais le même regard sur un site donné et on procédera toujours « autrement » pour suivre des lignes de questionnement définies suite aux expériences postérieures.

Cette situation peut paraître chaotique et peu rigoureuse du point de vue scientifique.

L’auteur est conscient des lacunes dans ses approches et les méthodes employées mais pour appeler à la sagesse de John Ruskin encore une fois, « Better the rudest work that tells a story or

164 Il est curieux de constater comment on peut rechigner encore à allouer les moyens à l’étude d’une maison médiévale encore en élévation alors que cette même maison, eût-elle été démolie et enfouie, ferai l’objet d’une prescription et de moyens adéquats.

165 Voir Charpentier 1993 pour cette expression. Le parallèle avec les vestiges enfouis ne peut guère être poussé au bout car, pour se conformer aux cahiers de charges stipulant la fouille des structures archéologiques à 100 %, l’archéologue devrait laisser un site entièrement arasé jusqu’au niveau du substrat…

records a fact, than the richest without meaning ». La plus évidente de ces lacunes est sans doute celle des données quantitatives. Si certaines dimensions peuvent être restituées à partir des relevés, les dimensions des modules de pierre en petit et en moyen appareil n’ont pas fait l’objet de séries de mesures comme cela a été fait souvent par l’équipe du Service départemental du Maine-et-Loire (49) pour les parements en moyen appareil de tuffeau de certains monuments et même pour les petits appareils166. Le traitement statistique des importantes séries de mesures prises sur des phases de construction bien datées a permis d’observer des évolutions dans la préparation et la mise en œuvre des blocs. Une approche quantitative aux traces de taille en est un autre exemple et même pour le petit appareil, l’analyse statistique des dimensions permet d’évaluer le soin apporté à la mise en œuvre des moellons en termes de tri des hauteurs ou l’utilisation de petites pierres de calage, par exemple.

En ce qui concerne notre corpus, cette absence est surtout le résultat des moyens disponibles car la première priorité pour toute étude était toujours l’analyse stratigraphique.

L’observation des parements a souvent mis en évidence un tri ou une sélection des blocs ou des moellons en fonction de leurs dimensions. Dans ces cas, une photo prise de manière aussi orthogonale que possible et avec une échelle métrique pouvait permettre une représentation fiable d’un échantillon de parement. Une série de mesures ponctuelles pouvait discerner des classes de modules dont les dimensions furent intégrées dans les descriptions transcrites sur les fiches d’enregistrement en tant que données qualitatives - le faible nombre de mesures excluant toute analyse statistiquement valable.

Cependant, ces approches changeantes avaient certains avantages. La confrontation avec une variété de sites et les questionnements différents à chaque fois a pu développer la capacité de définir des problématiques en fonction des questions posées préalablement mais aussi en fonction de ce que pouvait offrir chaque site. Même si les moyens disponibles ne permettaient pas toujours d’aller jusqu’au bout de certaines réflexions, la réalité du terrain a souvent provoqué une réorientation de la recherche et la mise en œuvre d’un protocole d’enregistrement adapté. D’un côté, cette perpétuelle « réinvention de la roue » représente une perte de temps certaine, mais de l’autre côté, elle est nécessaire dans la mesure où aucun « système » d’enregistrement ou grille d’analyse ne peut convenir à tous les sites.

La méthodologie de base reste pourtant la même, composée de l’enregistrement des caractéristiques physiques et spatiales de l’édifice en question et celle des relations stratigraphiques entre ses parties composantes. Ces informations, consignées dans des carnets de fiches d’enregistrement, sont également reportées sur les plans, coupes et élévations réalisés sur le terrain. Vouloir imposer un protocole d’enregistrement « universel » est un leurre qui, au mieux, risque l’enlisement dans des systèmes lourds et fastidieux et, au pire, risque de nous rendre aveugle aux renseignements que peuvent receler un bâtiment. Ceci est vrai pour les interventions de courte durée mais doit être nuancé pour les études de plus longue durée où le personnel des équipes risque de changer. Malgré l’hétérogénéité évidente des données et de leur présentation, il

166 Voir le chapitre 3.6.1., Hunot, Litoux, Prigent 2008 ; Prigent 1989, 2004 et 2010.

est possible de faire un tableau analytique des différentes problématiques soulevées par chaque site lors des interventions archéologiques, à condition d’accepter que chacune devrait apporter plus de questions que de réponses. Il s’agit là d’un plaidoyer pour une recherche ouverte où le cadre de l’intervention, défini par un cahier de charges scientifique, sert de ligne directrice et non pas de carcan restrictif.