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Le bois dans la construction

1. Le cadre professionnel

2.2. Bilan des recherches archéologiques – de nouveaux regards sur les monuments 93

2.3.5. Le bois dans la construction

L’apport des chantiers préventifs pour l’étude du bois dans la construction reste encore restreint par rapport aux grands travaux que représentent certaines études universitaires ou des publications du Service de l’Inventaire ou de la CRMH. Parmi toutes ces recherches, ce sont les charpentes qui constituent l’essentiel des publications recensées. Les travaux de restauration des charpentes des édifices religieux et le nombre croissant de datations réalisées sur les édifices plus modestes ont considérablement renouvelé nos connaissances depuis la publication de référence d’Henri Deneux en 1927. Il faut souligner l’énorme contribution des techniques d’analyses scientifiques non seulement pour la datation (dendrochronologie) mais aussi pour l’identification des espèces et l’appréciation de leurs conditions de croissance, indicateurs pour la gestion des

forêts (dendrologie) et pour les techniques de leur préparation avant le mise en œuvre (traceologie).

Pour la région, nous pouvons compter des ouvrages de synthèse récents (Bontemps 2002 et les douze volumes publiés par le Centre de recherches sur les monuments historiques (CRMH) concernant les pans de bois, par exemple). Ceux-ci s’inscrivent dans un cadre général de recherches menées dans les régions limitrophes et dans le Nord114. Dans la mesure où les charpentes ont été délibérément exclues des thématiques, notre bilan s’oriente plutôt vers les autres types de constructions en bois : l’architecture en pan de bois, les ouvrages secondaires tels que les galeries et hourds ainsi que le bois de second œuvre dans les aménagements intérieurs et dans des applications « cachées » en tant qu’élément de renfort. En tant que matériel périssable, il est souvent question de la restitution des ouvrages disparus par l’analyse des vides laissés dans les structures en pierre.

La construction en pan de bois a fait l’objet d’un récent regain d’intérêt avec le suivi des chantiers de ravalement et de rénovation dans la ville d’Orléans, recherches effectuées en dehors du cadre des autorisations livrées par la DRAC et par des diagnostics prescrits dans les villes de Bourges et de Chartres115. Le colloque tenu à Tours en Mai 2011 a permis de faire le point sur des recherches récentes dans la région et en France et de montrer que même après plus de deux décennies de recherches, le sujet reste aussi riche en découvertes et en questionnements.

Dans le cadre préventif, des interventions plus importantes sur un nombre de châteaux dans la région ont également donné lieu à des découvertes ponctuelles. Il s’agit notamment de la restitution de structures charpentées disparues par la lecture des négatifs laissés dans les maçonneries. De cette manière, il a été possible de restituer une partie du système des hourds et des galeries en bois aux châteaux de Vendôme (Loir-et-Cher) et de Yèvre-le-Châtel (Loiret)116. L’analyse des parements du donjon de Beaugency (Loiret) a permis de suivre l’organisation interne des étages au moyen des cloisons en bois, sans oublier des indices concernant la forme possible de la toiture117. La lecture archéologique des parements avec son approche stratigraphiques permettent également de restituer des niveaux de plancher disparus ou modifiés, ainsi que des plans de circulation afférents : l’analyse du « vide » laissé par le bois donnent ainsi de précieux indices sur le cadre de vie et la manière dont on habitait les divers tours résidences, logis et maisons. Il est à noter que les édifices religieux sont singulièrement absents de ce type de

114 Voir Epaud 2007 pour la Normandie, Phalip 2004 pour l’Auvergne, les travaux de Daniel Prigent et Jean-Yves Hunot pour la Maine-et-Loire, sans compter ceux de Bernard Hoffsummer pour la Belgique (Hoffsummer 2002).

115 Recherches réalisées par Clément Alix pour Orléans. Pour les diagnostics prescrits, il s’agit des sites du 15-17 Place Planchat (Bryant, Prévôt 2011), l’angle de la rue des Juifs / rue Bourbonnoux (Prévôt 2011) pour Bourges et 1-3 rue de la Brèche à Chartres (responsable d’opération Juliette Astruc, Service Municipal d’Archéologie de Chartres). Signalons également le site de « la Maison du Berry » sur la place Saint-Cyr d’Issoudun (Mataouchek 2010).

116 Bryant 2002 ; Bryant, Carré 2002.

117 Mataouchek, Lallet, Clavel 2000 : 113-115.

découverte : ils forment en revanche un corpus important pour notre connaissance des charpentes anciennes.

En plus des structures charpentées en bois, les chantiers archéologiques ont souvent fourni des indications sur le bois de second œuvre, employé pour les portes, fenêtres et volets, ainsi que pour les aménagements domestiques telles les étagères ou les placards. Les maisons urbaines ont été particulièrement riches à cet égard118 mais aussi les chantiers archéologiques dans le cadre des restaurations d’édifices importants comme les « donjons romans »119. Ici encore, les éléments conservés in situ sont plutôt rares et c’est toujours la restitution à partir du vide ou de restes de bois dans les murs qui permet d’appréhender l’aspect de certains édifices, de la planchette d’un siège de latrines ou des cloisons en bois dans une tour résidence du XIe siècle jusqu’aux étagères d’une cuisine royale de la fin du XVIIe siècle ou les curieux négatifs laissés par une porte-selle dans le château de Chambord (Bryant 2006 : 47, 52, fig. 45, 46).

Si la conservation du bois dans les élévations est assez aléatoire, les conditions humides de certains contextes permettent une conservation exceptionnelle des vestiges et objets normalement périssables. A cet égard, la fouille d’une motte avec puits à Moulins-sur-Céphons (36) a fourni un mobilier domestique bien conservé (Querrien dir. 1988). Plus récemment, le site de la Tour de Vèsvres (commune de Neuvy-Deux-Clochers, Cher), fouillé dans le cadre de travaux de consolidation des fondations et de restauration des élévations représente un cas unique dans la région (Mataouchek 2009). Le mobilier en bois comprend des éléments de structures charpentées (fragments de poutre avec mortaises et tenons), des cloisons ou parois (planches bouvetées et rainurées) et de couverture (bardeaux et lattis). L’analyse de ces données est encore en cours mais le potentiel offert par l’analyse des techniques de construction et l’exploitation des ressources forestières fait que ce site devrait constituer une des rares références pour l’architecture en bois antérieure au XIIe siècle.

Les structures provisoires en bois nécessaires pour la construction, cintrage et notamment échafaudages, sont un thème récurrent dans les interventions sur les élévations et toutes les catégories de bâtiment sont concernées, de la maison urbaine en pierre (Lefebvre 2004 : fig. 23, 24, par exemple) jusqu’aux grandes églises ou châteaux. Encore une fois, le « donjon » de Loches fait référence dans la matière (Jean Mesqui, in, Impey, Lorans, Mesqui 1998 : 84-88, 91-93, 117-120). Si les relevés archéologiques font figurer les trous de boulins et les rapports donnent des descriptions plus ou moins détaillées (dimensions écartement, etc.), il est plus rare de voir des analyses fines et des restitutions des systèmes de platelages ou des dispositions particulières autour des ouvertures ou dans les angles, par exemple. L’analyse des situations plus spécifiques comme les plateformes de travail des voûtes à grande hauteur sont quasiment inexistantes. La rareté des interventions archéologiques explique ceci tandis que les propositions de restitution nécessitent tout simplement un peu plus de temps que les ressources généralement allouées pour la rédaction des rapports afin

118 La maison romane dite « La Grange » de Saint-Marcel et celle de la rue d’Olmor de La Châtre dans l’Indre (Bryant, Wittmann 1995 ; Bryant 1999), le « Palais de Justice » de Limeray dans l’Indre-et-Loire (Scheffer, Serre 1997).

119 Dormoy 1996 et 1997 ; Impey, Lorans, Mesqui 1998 ; Lorans, Impey 1998.

de pouvoir amener la réflexion scientifique nécessaire au-delà des exigences immédiates des rapports.

Le bois figure également dans les maçonneries comme éléments de renfort tel les tirants ou des cintrages en béton armé aujourd’hui. Ce phénomène a déjà fait l’objet de travaux de synthèse diachroniques (Wilcox 1981, par exemple) mais l’enregistrement de tels vestiges implique des interventions soient sur des édifices en ruine ou pendant des travaux qui nécessitent des démontages plus ou moins importants. Pour la région, l’utilisation de bois dans un rôle de renfort a été constatée sur plusieurs sites de la région. L’effondrement d’une des tours ruinées de la courtine du château de Vendôme (XIIe s.) a mis en évidence la présence de poutres noyées dans les maçonneries. On regrette que les conditions de l’intervention n’ont guère autorisé une appréciation plus détaillée, au-delà d’une confirmation des observations faites dans les années 1860 par Armand de Salies (Salies 1869 et Plat 1926). L’utilisation de poutres comme longrines dans les fondations remonte à la période des oppida gaulois, protégés par des murus gallicus comme l’attestent les sites de Bibracte ou de Metz pour ne mentionner que les plus connus. Cette technique est sans doute plus courante que ne laissent supposer les vestiges archéologiques : seuls des démontages plus ou moins poussés des maçonneries peuvent autoriser la découverte de ce type de dispositif. Tel fut le cas pour l’église de Saint-Pierre-Lentin d’Orléans (VIIIe – Xe s.) dont la fouille en 1978 a mis en évidence trois niveaux de poutres en bois noyées dans le massif de fondation comme des bois d’un murus gallicus120.

Ce type de dispositif est également connu pour les élévations : une poutre de liaison a été observée, noyée dans les maçonneries au niveau du deuxième étage au donjon de Beaugency (Mataouchek, Lallet, Clavel 2000 : 75) et d’autres exemples ont été mis au jour lors de suivis de chantiers de restauration ailleurs121. L’utilisation de liaisons en bois est donc attestée jusqu’au XIe siècle et semble être fréquente dans les églises rhénanes et bourguignonnes aux XIe et XIIe siècles, mais aussi dans la Baltique et l’Italie du Nord (Lepsky, Nussbaum 2005 : 270 ; Wilcox 1981). Plus près de notre région, des cas ont été relevés en Auvergne (Phalip 2004 : 101).

Les liaisons en fer peuvent également servir comme éléments de renfort provisoires pendant le montage des structures statiques ou pendant le séchage du mortier, souvent en lien avec des gonds ou des fiches en fer (op. cit.). L’utilisation de tirants en fer est attestée au plus tard au XIIIe siècle (Bessac et al. 2004 : 142) mais la question de la coexistence du bois et du fer se pose également. L’ouvrage de R P Wilcox est très intéressant de ce point de vue car il cite plusieurs exemples de tirants en bois ancrés par des fiches métalliques qui avaient été repliées ou masquées par la suite (Wilcox 1981 : 92-100 ; Haas 1983 ; Prache 1995). La nef de l’abbatiale de Noirlac figure parmi les exemples cités et l’auteur remarque la relative rareté des liens en fer en dehors de l’Ile-de-France et de la Bourgogne, nonobstant les exemples européens, notamment en Italie et en Allemagne. On peut également se demander si certains renforts provisoires ne devenaient pas

120 Vestiges encore visibles dans les salles en sous-sol du Conseil Général et qui font l’objet d’une fiche dans de présentation dans le PCR Matériaux et techniques de construction entre Saône et Loire autour de l’an Mil (compte-rendu de la réunion du PCR, Mai 2006).

121 Le clocher de l’église de Chapaize (Saône-et-Loire), par exemple (Bessac et al. 2004 : 142-143).

permanents par souci de sécurité dans un ouvrage « limite » : c’est du moins ce que laisse penser les tirants de fer obliques entre les colonnades intérieures et les murs extérieurs de la tribune du transept nord de la cathédrale de Tours (Viré, Bryant 2011).

Les découvertes des chantiers archéologiques en région Centre n’ont guère permis d’aborder ce sujet au même degré que d’autres régions en France ou en Allemagne et l’Italie, par exemple. Néanmoins, le corpus de sites étudiés depuis une vingtaine d’années dans la région est considérable et un travail de synthèse sur la thématique du bois dans la construction reste à entreprendre. La question du bois comme élément de renfort dans les structures a été reprise récemment (Cissé 2007) et se joint à la question générale des techniques de fondation qui seront traitées dans la section 3.4.1., infra.