• Aucun résultat trouvé

L’enregistrement des édifices en dehors des interventions préventives

1. Le cadre professionnel

2.7. Le travail sur le terrain 135

2.7.4. L’enregistrement des édifices en dehors des interventions préventives

Dans le cas des sites ayant été prospectés pendant la durée du travail universitaire, la démarche est sensiblement la même : répondre à un questionnement archéologique à propos d’un site donné et enregistrer les données permettant de répondre à la problématique engagée.

Contrairement aux interventions « préventives », les moyens matériels et humains étaient très limités par rapport aux informations requises et la réalisation des destructions contrôlées d’une fouille étaient évidemment hors de question. L’autre différence avec les sites étudiés au cours des études « préventives » est l’application d’une grille d’analyse destinée, dans la mesure du possible, à obtenir les mêmes données de chaque site afin de répondre aux problématiques de l’exploitation et de la mise en œuvre de la pierre, telles que définies dans l’introduction générale et dans le chapitre 2.6.2., supra et 2.9.1., infra. A la lumière des expériences antérieures, cette grille d’analyse ne doit pas être rigide afin de permettre la prise en compte d’autres types de données. A terme, elle devrait être suffisamment adaptable pour servir de base pour un protocole d’enregistrement exploitable dans le cadre préventif.

L’étude traite un corpus de bâtiments dans deux démarches complémentaires mais avec des exigences différentes. D’une part, le volet sur la provenance des matériaux mis en œuvre nécessite une identification des pierres présentes et leurs applications dans l’édifice concerné. Ce dernier aspect nécessite à la fois la catégorisation des pierres lors de leur identification et un classement des utilisations selon les fonctions architectoniques et les parties composantes d’un édifice (parement, élément porteur, bloc taillé au gabarit, décor, etc.). Le nombre d’applications et la variété potentielle des pierres dans une maçonnerie donnée peuvent conduire rapidement à un grand nombre de données. Pour avoir un sens, ces données doivent comporter une dimension chronologique et géographique.

D’autre part, l’étude traite les techniques de construction à travers la mise en œuvre des différentes catégories de pierre, seules ou à plusieurs, et tout qui découle d’un examen attentif d’une maçonnerie - les fonctions architectoniques des parties composant l’édifice, les solutions techniques apportées aux exigences des volumes bâtis et l’organisation du chantier et les soins apportés au montage de l’ensemble. La nature de la pierre n’est qu’un facteur qui doit également être pris en compte.

Il y a donc deux approches convergentes – celle des catégories de pierre et leurs utilisations selon des axes chronologiques et spatiaux et celle, plus fonctionnelle, de la mise en œuvre et les techniques de construction où la nature du matériel n’est pas obligatoirement la caractéristique essentielle.

2.7.4.a. L’identification des sites et l’aspect géographique

Le choix du corpus s’est porté sur les églises paroissiales pour des raisons déjà énoncées, ce qui n’exclut pas l’incorporation d’autres bâtiments si ceux-ci présentent un potentiel pour l’étude.

Le premier pas consiste en l’identification de chaque édifice selon un certain nombre de critères : - appellation

- coordonnées administratives (département, commune, cadastre) - coordonnées géographiques (sous le système IGN, Lambert II étendu) - type de site (église, habitat domestique, etc.)

La formalisation de ces informations a donné lieu à la création d’une table dans une base de données qui regroupe ses informations. Elle a été progressivement liée aux autres tables contenant d’autres données. Les coordonnées géographiques et administratives sont les clés d’une cartographie des sites et des autres catégories d’information.

2.7.4.b. La base commune - la stratigraphie et le bâti

La dimension chronologique de l’étude repose sur la déconstruction de chaque édifice en ses parties composantes et la reconstruction de la séquence des événements qui l’ont conduit vers son état actuel – un travail d’analyse stratigraphique et de mise en phase réalisé dans les limites imposées par l’état de conservation et de lisibilité de chaque construction.

Cette chronologie repose sur les principes de la stratigraphie développées et appliquées aux fouilles « classiques » et dont l’évolution a été décrite dans le chapitre 2.7., supra.

La méthodologie de l’enregistrement des entités de construction a été calquée sur celle mise au point pour l’étude des sites dans le PCR Matériaux, techniques de construction et datation entre Loire et Saône autour de l’an Mil. Ce projet travaille sur une réinterprétation des techniques de construction et de leur datation autour de l’an Mil à partir des caractéristiques de la mise en œuvre des matériaux dans les différentes parties observées de chaque site. Les données concernant les types d’appareil, les techniques de taille de la pierre et de montage sont croisées avec les fonctions architectoniques des maçonneries et des données chronologiques.

Les composants essentiels comprennent :

- les maçonneries et, plus particulièrement, les appareils des parements - les organes de support et de raidissement (piliers, pilastres, contreforts…) - les ouvertures

- les couvrements (arcs, voûtes)

- le traitement des joints et des enduits - les sols

La démarche de cette présente étude est analogue à celle du PCR dans la mesure où nous essayons de croiser des informations sur les différents types de pierre présents et leur utilisation

dans le bâtiment. En commun avec le PCR, nous avons affaire à des sites en divers états de conservation et de lisibilité avec des datations plus ou moins précises.

Il a donc été décidé d’utiliser une unité de base, l’Entité Architecturale (EA) qui appartient à une des quatre premières catégories définies par le PCR (maçonnerie ou parement, organe de support, ouverture ou couvrement). Il est donc possible d’isoler un élément d’un édifice selon des critères fonctionnels et architectoniques, toute en gardant la possibilité de lui attribuer des caractéristiques chronologiques par le biais de l’enregistrement de relations stratigraphiques. Cette approche permet également d’affiner le niveau d’observation en isolant des unités stratigraphiques au sein de chaque entité architecturale : cette dernière correspond alors au « Fait » de la fouille dite classique.

Dans la pratique, cette subdivision des « EA » ne s’est pas avérée nécessaire. Pour la transcription des données, les informations nécessaires sont regroupées en quatre types, matérialisées par une fiche d’enregistrement en format A5 (fig. 34) et une table dans une base de données :

1) Localisation

Géographique (nom et numéro du site avec la commune)

Par rapport aux divisions de l’édifice (intérieur ou extérieur, pièce, travée, …) 2) Etat de conservation

3) Type d’Entité Architecturale (EA)

Catégorie (maçonnerie ou parement, organe de support, ouverture ou couvrement) Quantitatif (dimensions, nombre d’individus,)

Qualitatif (matériaux présents, traitement de la pierre, traces d’outils identifiées, éléments de décor, description libre)

4) Chronologiques

Stratigraphiques (relations de postériorité / antériorité) Critères de datation (sources, aspects stylistiques, etc.)

Chaque EA reçoit un numéro de série unique de 1 à n afin d’éviter les risques d’erreur et de doublons. Les entités peuvent être regroupées dans les phases de construction définies lors de l’analyse du bâtiment. Il ne s’agit pas de faire un diagramme stratigraphique complet pour chaque site traité mais d’au moins distinguer les principales étapes de construction et de proposer une fourchette chronologique.

Cette méthode est bien adaptée pour des analyses stratigraphiques et des caractérisations rapides de bâtiments. En revanche, elle est moins bien conçue pour suivre la distribution des catégories de pierre dans un édifice : une entité architecturale tel un pilier ou une ouverture peut être composée de plusieurs types de pierre. A moins de subdiviser chaque EA en plusieurs composants, ou d’enregistrer chaque bloc, il fallait envisager une autre approche.

Celle-ci repose sur le principe d’une « occurrence » de la pierre – une occurrence est définie comme une utilisation particulière à l’intérieur d’une entité architecturale. Chaque occurrence correspond à une application particulière, que ce soit un moellon, un claveau taillé au gabarit, un bandeau mouluré dans un parement, etc. Il doit donc y avoir une occurrence pour chaque type de pierre identifié à l’intérieur d’une EA. Afin d’éviter des numérotations composées avec les risques d’erreurs et de doublons, chaque occurrence reçoit un numéro unique de 1 à n.

L’enregistrement des occurrences et l’identification des applications pour chaque catégorie de pierre nécessitent l’emploi d’un vocabulaire normalisé pour les descripteurs. Celui-ci a été calqué sur les termes et les définitions employés par l’Inventaire (Perouse de Montclos 1994) et, pour ce qui relève de la taille de pierre et de sa mise en œuvre, ceux élaborés par le Groupe de recherches (GdR) 94, groupe 10167. Comme pour les Entités architecturales, les données pertinentes à chaque occurrence sont regroupées en quatre catégories :

1) Localisation

Géographique (nom et numéro du site avec la commune) Numéro d’Entité architecturale (champ obligatoire) 2) Type d’Entité Architecturale (EA)

Catégorie (maçonnerie ou parement, organe de support, ouverture ou couvrement) Qualificatif de la catégorie (par liste de valeurs)

Type de bloc composant (par liste de valeurs) 3) Traitement de la pierre

Traces d’outils et type d’outil si identifié (par liste de valeurs) Eléments de décor (par liste de valeurs)

4) Type de pierre

Caractérisation (catégorie générale)

Identification (catégorie répertorié, équivalences avec catégories PierCentre)

Ces informations ont été regroupées dans des fiches d’enregistrement format A5 (fig. 35).

L’utilisation d’un vocabulaire normalisé et la simplification des informations a facilité l’utilisation de cases à cocher, ce qui permet de mettre plusieurs entrées sur une feuille. Bien que l’auteur reste méfiant face à des fiches « prêtes à penser », ce système permet de traiter un édifice assez rapidement et d’avoir un aperçu des différentes utilisations des pierres. Cette méthode suppose déjà une certaine identification des types de pierre présents, sujet du chapitre suivant.

167 Vocabulaire sur la construction médiévale élaboré par le GdR 94 – groupe 10 : Les matériaux de construction et leur mise en œuvre technique : la pierre. Responsables : Christian Sapin, Yves Esquieu. La version est celle de la fin du GdR, Décembre 1999 avec l’ajout par M. Benjamin Saint-Jean-Vitus de termes propres à la taille de pierre, d’après Bessac 1993.

2.7.4.c. L’identification de la pierre

Tout travail d’analyse de la diffusion et de l’utilisation des différentes pierres de construction repose sur l’identification de celles-ci. En l’absence de connaissances géologiques et pétrographiques approfondies, l’auteur devait concevoir un système d’enregistrement qui permettrait une caractérisation adéquate pour les besoins des observations archéologiques, quitte à approfondir les analyses pour une attribution certaine à tel ou tel étage géologique ou pour faire des équivalences dans des catégories déjà répertoriées et connues.

Il a donc été décidé de procéder comme si le terrain était totalement vierge et que chaque catégorie de pierre était inconnue. Chaque fois un nouveau type a été rencontré, il a été identifié par un numéro de série unique et caractérisé par une première appréciation de ses propriétés physiques – couleur, granulométrie, inclusions, etc. Dans la mesure du possible, des échantillons ont été prélevés afin de procéder à un examen sous un microscope binoculaire.

La création de nouvelles catégories risque l’apparition de doublons mais, comme pour l’enregistrement des couches de sédiments, il est préférable d’attribuer des numéros en trop et de faire des équivalences que de se trouver avec un même numéro pour deux couches différentes. Il en va de même pour la pierre où il serait préférable de multiplier les catégories, quitte à les regrouper au sein d’un seul faciès après des analyses plus poussées. Un exemple d’une fiche vierge d’identification est présenté (fig. 36).

2.7.4.d. L’identification des lieux d’extraction

Au début de l’étude, la prospection des carrières et des lieux d’extraction avait été considérée afin de tester les concordances entre les pierres mises en œuvre et les faciès visibles dans les carrières. Toute tentative de rapprocher un ou plusieurs lieux d’extraction à un édifice quelconque doit prendre en compte un faisceau d’incertitudes.

Pour commencer, la détection et la caractérisation des lieux d’extraction posent leurs propres problèmes concernant leur état de conservation, leur accessibilité et leur datation.

La nature des carrières est aussi un facteur important pour le travail de rapprochement. Si certains grands centres d’extraction ont pu fonctionner pendant de longues périodes, beaucoup d’édifices de moindre importance ont eu recours à des carrières locales qui ne seraient en activité que pour la durée du chantier. Si le volume de pierre requis n’était pas important, de telles carrières ont pu disparaître assez rapidement, remblayées et envahies par la végétation.

Au moins d’avoir une identification certaine et détaillée des faciès, comme c’était le cas pour les carrières de calcaire autour d’Argentomagus (Lorenz, Tardy, Coulon 2000 : 20-45), la présence d’un lieu d’extraction à côté d’un site n’est pas la preuve que celle-ci avait servi pour la construction de l’édifice en question. On ne peut que travailler avec le principe que le lieu la plus proche du faciès correspondant soit celui qui ait pu servir.

Au fur et à mesure de l’avancement du projet, l’auteur s’est rendu compte de l’importance du travail nécessaire pour la prospection et l’identification des lieux d’extraction, sans compter la mise en adéquation des faciès présents dans la carrière supposée avec ceux des édifices en

question. Ce volet de l’étude a donc été réduit à un état de la question et une proposition de protocole d’étude qui pourrait être poursuivi ultérieurement.

2.7.4.e. Le traitement des données : de la base de données au tableur

Au début du projet, la possibilité d’une grande variété de catégories de pierre, de traitements et de mise en œuvre sur une fourchette chronologique potentiellement très large a poussé à la création d’une base de données sur le logiciel Filemaker™, outil très répandu dans le monde de l’archéologie. Les avantages de ce logiciel résident dans sa relative facilité de mise en route, appréciable pour quelqu’un peu formé dans les principes et fonctionnement d’une base de données relationnelle de type Access™. Cette facilité est toutefois à double tranchant car la base de données risque de transformer plutôt en système de gestion de fiches de renseignements avec des possibilités plus ou moins poussées de tri et d’interrogation. De surcroît, le logiciel utilise un format de fichier propriétaire incompatible avec les autres systèmes de bases de données et qui nécessite alors une exportation via un format standard. L’utilisation de Filemaker™ implique également la création d’une base de type « plein texte » et non pas pleinement relationnelle, ce qui produit des fichiers assez lourds car chaque enregistrement comporte toutes les données répétitives et non pas de simples références aux tables liées externes. Cette structure rend également la mise à jour des champs plus difficile, notamment dans les inévitables situations où des références lexicologiques deviennent caduques ou insuffisantes.

Ce choix était en partie contraint par le temps imparti à l’étude et par les compétences informatiques peu développées de l’auteur. Les objectifs de l’outil informatique restaient donc modestes, destinés à répondre aux besoins immédiats de stocker et organiser les données essentielles et non pas pour proposer encore un système « universel » dont l’utilité et surtout l’adaptabilité aux systèmes mis en place par d’autres chercheurs seraient probablement limitées168. La création de tels outils implique un travail important de conception et de mise en forme qui trouvera sa place dans le contexte d’un programme de recherches en équipe. Le but ici était de tester une méthodologie archéologique et de disposer d’outils simples pour le traitement de données qui restent malgré tout essentiellement quantitatives et textuelles.

La base de données consiste alors en trois tables pour les Entités Architecturales, les catégories de pierre et les occurrences de ces dernières dans les édifices. Les champs de saisi des données correspondent alors aux rubriques des fiches d’enregistrement papier, avec une préférence pour les cases à cocher pour les données formatées et répétitives, malgré les désavantages de ce type de champ lors des exportations.

Lors des observations sur le terrain, les fiches d’enregistrement se sont avérées globalement satisfaisantes, bien que le fait d’inclure des rubriques particulières aux différents types d’entité architecturale sur la même feuille ait quelque peu comprimé l’espace disponible pour l’écriture. Il s’agit là d’un choix pratique destiné à favoriser un format « de poche » et éviter la multiplication des carnets et des classeurs. En ce, elles répondent aux problématiques spécifiques des

168 Voir Desachy 2008 : vol. 2, 3-6, pour une très bonne analyse de la situation.

prospections et aux façons de travailler de l’auteur et les mêmes fiches ont été adaptées depuis aux interventions sur le terrain dans le cadre préventif.

Au fur et à mesure de l’avancement des prospections et des visites sur le terrain, il est devenu apparente que la complexité stratigraphique des édifices étudiés était moins dense que prévue, ou du moins, que ne laissait entrevoir les conditions d’observation. Les compositions lithologiques étaient également plus homogènes que prévus, bien différente de la situation des édifices étudiés entre l’Ile de France et la Bourgogne, par exemple, où des pierres d’importation sont assez fréquentes et nécessitent un enregistrement détaillé (Büttner 2010). Cette situation est le résultat en partie d’une exploitation des pierres de construction qui semblent rester très localisée mais aussi de la nature du corpus avec un nombre réduit de sites dont la diversité typologique reste restreinte. On peut également évoquer la lisibilité et l’état de conservation des édifices ainsi que la nature des pierres observées pour expliquer le faible nombre d’indices concernant le traitement de la pierre, comme les traces d’outils.

Dans les limites imposées par les observations possibles, les schémas d’exploitation et d’utilisation des pierres de construction sont devenus évidents assez rapidement. L’analyse des données et des observations concernant les autres thématiques de la recherche a également été faite de la même manière, simplement parce-que les données sont essentiellement qualitatives et en quantité réduite : leur analyse n’a pas nécessité des traitements particuliers autre qu’un regard critique avec un peu de recul. Au lieu de saisir des séries de données lacunaires pour chaque site, il a été décidé de favoriser une approche synthétique sur la base des tableaux thématiques, analogues à ceux utilisés pour les sites du corpus principal. L’auteur est conscient que cette approche à la limite de l’empirique peut choquer dans le contexte d’une étude synthétique d’un corpus de sites possédant de multiples caractéristiques mais est-il vraiment préférable d’aller jusqu’au bout de la conception et de la mise en œuvre d’un système complexe comme « exercice de style » alors que des méthodes d’analyse et de questionnement classiques peuvent suffire pour la problématique et les données concernées ?

Loin d’être un « Luddite », l’auteur est conscient de la valeur des systèmes de gestion des informations archéologiques, comme il a déjà remarqué dans la section 2.7., supra. Mais leur utilisation doit répondre à des besoins spécifiques, poussant à une réinvention et à une diversité des solutions à chaque fois. Si l’on constate un certain manque de continuité dans les systèmes d’enregistrement mis en œuvre sur les interventions préventives, n’est-il pas simplement le résultat d’une absence de projets de recherches et d’équipes « permanentes » caractéristique des chantiers préventifs ? En ce cas, c’est peut-être du côté de l’organisation de la recherche préventif plutôt que du côté des outils informatiques qu’il faudrait chercher des réponses.