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L’archéologie des édifices religieux

1. Le cadre professionnel

2.2. Bilan des recherches archéologiques – de nouveaux regards sur les monuments 93

2.2.3. L’archéologie des édifices religieux

De nombreuses constructions monastiques et cultuelles ont fait l’objet d’interventions archéologiques mais, à l’exception de la récente fouille du prieuré Saint-Côme à La Riche (Indre-et-Loire), ces recherches n’ont pas eu la même envergure ni la même importance que celles réalisées dans le cadre des programmes mis en place pour les ensembles castraux : de manière générale, les interventions sont plutôt ponctuelles. En revanche, l’architecture religieuse est un domaine important pour les travaux universitaires, comme en témoignent de nombreuses mémoires rédigés sur ce sujet : l’importance de l’enseignement de l’histoire de l’Art, la richesse de la documentation archivistique et la relative accessibilité des édifices en sont des raisons majeures.

Pour l’archéologie de ce type de site en région Centre, la situation est en fort contraste avec le cas de la Bourgogne ou du Maine-et-Loire, par exemple, régions avec une forte tradition de recherches sur les édifices cultuels anciens82 et où les recherches archéologiques ont pu accompagner un certain nombre de travaux de restauration sur le patrimoine religieux83. Pour la région, l’abbaye de Noirlac (Cher) est un des rares sites d’avoir bénéficié d’un tel suivi : malgré l’importance des restaurations réalisées dans les années 1950 et 1970, les interventions archéologiques accompagnant les derniers projets d’aménagement ont permis de restituer l’organisation du bâtiment de la cuisine et d’une partie des pièces annexes (Bryant 2003 et 2000) tandis que les récents travaux de mise en place des réseaux ont permis d’observer une partie des

82 Citons les travaux de Gabriel Plat pour l’Anjou et la Touraine (Plat 1939), mais aussi les travaux de Christian Sapin depuis les années 1980 sur les édifices du Mâconnais et de l’Autunois.

83 La ville d’Angers avec les chantiers des églises Saint-Serge, Saint-Martin, Saint-Aubin et Le Ronceray, par exemple.

aménagements associés à la mise en défense de l’abbaye au cours du Moyen Age, sans compter l’utilisation de l’espace funéraire de l’église (Poulle dir. 2010 et fouille en cours sous la direction d’Isabelle Pignot, société EVEHA). L’état de conservation du site et le fait qu’il appartient au conseil général expliquent la situation relativement privilégiée vis-à-vis des recherches archéologiques84. Dans la même veine, l’étude archéologique d’une grange à dîmes de l’abbaye de Thiron-Gardais (Eure-et-Loir) a mis en évidence l’évolution d’une grange sur poteaux, progressivement « maçonnée » ainsi que des traces de construction et d’occupation antérieures (Scheffer, Serre 2005). Les travaux de restauration du mur nord de la nef toujours en cours ont permis de préciser l’évolution du cloître et de l’articulation entre l’aile ouest de celui-ci et la nef depuis le XIIe siècle (Mercier 2011).

Au moment de rédiger ce chapitre, l’auteur venait juste de terminer un diagnostic des abords de l’abbaye Saint-Martin de Massay (Cher), presque treize ans après la fouille de la salle capitulaire (Bryant, Pluton 1999). L’intervention a mis au jour des maçonneries appartenant sans doute à la première abbatiale du XIIe siècle ainsi que des vestiges du grand cloître (Bryant, Liévaux 2012), posant la question des relations entre élévations subsistantes et vestiges enfouis et donc de la présentation du site au public. Malgré les résultats obtenus qui devraient permettre la mise en place de mesures conservatoires adaptées, cette intervention a montré toutes les faiblesses du cadre préventif et une gestion « coup par coup » des sites patrimoniaux complexes.

Le site de l’abbaye de Marmoutier, le premier monastère de la Gaule chrétienne, fait l’objet de recherches et d’interventions dans le cadre programmé depuis 2004 et l’abbaye de Thiron-Gardais dans l’Eure-et-Loir a bénéficié de prescriptions archéologiques dans le cadre des travaux d’aménagement par la commune. En dehors des interventions archéologiques préventives, les abbayes cisterciennes ont été un sujet d’étude assez riche pour les universitaires et dans le cadre programmée, notamment dans la Touraine85 et le Berry où un colloque pour le 900ème anniversaire de la fondation de Cîteaux a permis de faire le point sur les recherches (Girault, Maroteaux dirs.

1998). Depuis cette date, les recherches sur les abbayes cisterciennes ont connu un certain ralentissement. L’architecture, l’industrie et l’hydraulique sont des thèmes récurrents pour les études de ces abbayes et les fouilles réalisées sur les sites de l’ordre de Fontevraud86 et une première évaluation de la topographie des abbayes berrichonnes (Bryant 2004) indiquent un très fort potentiel archéologique les établissements des autres ordres. Or ceux-ci sont loin d’avoir reçu le même niveau d’attention de la part des chercheurs. Pour la région Centre, les recherches en archéologie monastique restent à développer et n’atteignent pas encore niveau que l’on pourrait

84 Sans vouloir être négatif, le nombre de responsables d’opération et d’opérateurs sur ce site depuis presque quinze ans soulignent les problèmes de l’exploitation des données scientifiques et de la continuité du suivi archéologique d’un site aussi riche et complexe.

85 Mémoire de Maîtrise et de DEA par Franck Tournadre (Tournadre 1999 et 2004 et thèse en cours à l’université de Poitiers).

86 Citons les recherches sur l’abbaye mère de Fontevraud (Maine-et-Loire) par le service départemental d’archéologie, la fouille du prieuré de la Madeleine d’Orléans en 1998-2000 et 2007. On peut regretter la restructuration du site du prieuré d’Orsan (Cher) entre 1992 et 2001, sans suivi archéologique.

imaginer selon les publications de synthèse réalisées pour d’autres parties de la France, l’Allemagne et la Grande-Bretagne.

Néanmoins, quelques sites monastiques moins importants ont également fait l’objet d’interventions archéologiques mélangeant études des élévations et fouilles. Ce sont souvent des diagnostics ou de fouilles restreintes, souvent sur des propriétés appartenant à des particuliers ou des petites collectivités. Le fait que les conseils régionaux en possèdent très peu explique en partie le faible nombre de recherches dans le cadre préventif. Pour ces sites, le niveau de protection juridique est souvent moindre : si les églises sont souvent classées, les autres bâtiments conventuels sont souvent simplement inscrits ou ne bénéficient que de la protection des abords d’un monument classé, d’où certaines difficultés pour instruire les dossiers et implémenter des interventions qui restent dans les moyens des aménageurs. Parfois, l’ignorance des collectivités vis-à-vis de la loi et des procédures conduit à la réalisation de travaux sans autorisation, une situation encore trop fréquente. Toutefois, les opérations mises en place ont permis l’étude d’une petite dizaine de sites dont trois couvents urbains et des petits prieurés ruraux, constituant souvent la première approche archéologique à ces petits ensembles souvent méconnus. Cette catégorie de site rejoint celle des petits châteaux, manoirs et maisons fortes ainsi que des maisons urbaines en ce qui concerne les difficultés pour la mise en place d’interventions archéologiques mais aussi pour la relative richesse de leur potentiel archéologique.

Les autres édifices religieux telles les églises paroissiales et des chapelles forment un tout petit groupe de sites avec une variété de résultats issus d’opérations de diagnostic ou de suivi de travaux. A titre d’exemple, les travaux de restauration de la collégiale Saint-Etienne de Neuvy-Saint-Sepulchre dans l’Indre ont été accompagnés d’une étude archéologique commandée par la CRMH. Les résultats ont conduit à une relecture de l’évolution et de l’interprétation d’un monument unique en son genre (Bryant 1998a, 1998b et 1997), un travail rendu possible par les travaux de restauration qui autorisaient l’observation des relations stratigraphiques cachées auparavant.

D’autres édifices forment un petit corpus de sites où il a été possible de croiser l’analyse stratigraphique des élévations avec le travail des restaurateurs de peintures murales. La prise de conscience de l’importance de « l’épiderme » enduit et peint des édifices anciens a été particulièrement forte en Bourgogne et l’application d’une méthodologie proprement archéologique aux décors peints par rapport à la construction et à l’organisation de l’espace bâti a considérablement enrichi nos connaissances des édifices cultuels (cf. Ch 2.3.6.., infra).

La mise en place du « plan cathédrales pour la région Centre » en 2009 a contribué à combler cette lacune. Un ambitieux programme de travaux planifiés entre 2009 et 2014 vise à la restauration des cinq cathédrales de la région dont l’état sanitaire était préoccupant, malgré les importants travaux déjà réalisés87. Actuellement, ce programme fournit l’occasion de relancer les recherches sur des monuments d’exception dont la majorité n’ont jamais fait l’objet de véritables

87 Un budget d’environ 3 M€ par an jusqu’en 2009 avec une augmentation à 5,3M€ en 2009 avant d’atteindre l’objectif de 7 à 8 M€ pour assurer les travaux nécessaires à court terme (chiffres du site de la DRAC Centre : http://www.draccentre.culture.gouv.fr/contenu.php?id=20

études archéologiques. Les cathédrales de Bourges, Chartres et Tours ont fait l’objet de prescriptions par le SRA ou d’études archéologiques commandées par la CRMH. Ces interventions sont axées essentiellement sur les thématiques de l’organisation du chantier de construction par le biais d’une lecture des éléments des échafaudages et de celle de la stratigraphie des enduits et des décors peints. Le rôle du métal dans le bâtiment y figure également (cf. Ch. 2.3.4. et 2.4.2., infra).

Cependant, l’étendue de l’accompagnement archéologique reste assez restreinte par rapport aux enjeux scientifiques : le coût des interventions archéologiques s’élève à 155.000 € environ, contre un coût total du programme estimé selon la DRAC Centre à 74 M€ environ, soit 0,21 % du total88. Il serait mal venu de critiquer ces interventions car les résultats obtenus et le potentiel des études en cours représentent une grande avancée par rapport à la situation antérieure, mais l’auteur ne peut que regretter que ces travaux inédits fassent l’objet de si peu de suivi archéologique. Les raisons de cet état de fait et les solutions possibles pour l’améliorer seront discutées dans la conclusion, mais il s’agit essentiellement d’un problème institutionnel et organisationnel de l’archéologie et non pas d’une impossibilité financière.

2.3. L’archéologie de la construction : panorama général et apports des opérations archéologiques

A ce bilan général de l’archéologie médiévale et monumentale, il est possible d’ajouter une appréciation des apports de l’archéologie selon les thématiques particulières à la construction.

L’archéologie des carrières, la mise en œuvre de la pierre, le métal et le bois dans les édifices sont des champs de recherches bien cernés mais toujours aussi fertiles. Toutefois, l’essai au bilan thématique des recherches s’ouvre sur l’établissement d’un état de la question pour chaque thème.

Cette section sera donc traitée comme l’introduction à la troisième partie de ce travail, celle directement centrée sur la construction médiévale en région Centre et plus particulièrement dans le Berry.

A partir du bilan régional (Ch. 2.1., 2.2. et 2.3.., supra), les recherches archéologiques permettent d’aborder des thématiques particulières à la construction : les carrières, la mise en œuvre de la pierre, du métal et du bois. D’autres sujets sont abordés par le biais de ces résultats, notamment les questions concernant l’organisation des chantiers avec les échafaudages, les cintrages ou les séquences de montage. Il sera également question des aspects techniques, des solutions apportées pour les problèmes de couvrement des ouvertures, l’articulation de la pierre de taille avec le petit appareil (moellonnage) et les rapports entre les systèmes de voûtement et les organes de support.

88 Le montant de l’étude archéologique de la rose du transept nord de la cathédrale de Tours était de 23.000

€, soit 0,49 % des 4,7M€ pour les travaux du transept nord. Ce coût ne représente que 0,21 % du coût global de travaux pour l’ensemble de l’édifice, estimés à 11,2 M€. Les deux interventions sur la cathédrale s’élèvent à un total de 20.000 € pour le haut chœur (somme plafonnée par les règles concernant les appels d’offres) et de 112.000 € pour le chantier occidental. L’auteur voudrais remercier Mme Irène Jourd’heuil, Conservatrice des Monuments Historiques, pour ces informations.

Cette partie vise à présenter un état des lieux des questions scientifiques, d’en expliquer les lacunes et proposer des pistes qui pourraient éventuellement améliorer les connaissances. Elle comporte également une section où le cas du Berry est approfondi, alliant une approche historiographique aux résultats des chantiers archéologiques et aux observations faites sur les sites du corpus secondaire qui constituent autant de points de comparaison.